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L’Etat-patron déstructure les salarié·e·s
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Analyse d’une contre-réforme de la «gestion du personnel» à l’Etat de Vaud

Urs Zuppinger

Fin 2002, suite à une votation populaire, les employé·e·s de l’Etat de Vaud ont perdu le statut de fonctionnaire et la sécurité de l’emploi qui y était associée. Préalablement, ils avaient mené une lutte de défense syndicale durant de nombreux mois. En juillet 2007, le Conseil d’Etat vaudois a lancé une offensive frontale contre les conditions salariales des employés des services publics et parapublics. Au cours de l’année 2008, il veut substituer au régime salarial en vigueur depuis 1967 un système qui désarmera le personnel et fera dépendre l’évolution salariale de «l’état de santé» des finances publiques. Les salaires de nombreux employés seront abaissés. Les possibilités d’intervention que le système en vigueur offrait aux organisations du personnel FSF[1], SUD[2] et SSP[3] seront abolies. La classification des salaires d’un tiers environ du personnel de l’Etat sera individualisée. Autant dire que le nouveau système est conçu pour entraver la défense collective et syndicale des salarié·e·s. En ce sens, décortiquer la stratégie de l’Etat-patron est impératif pour repenser une activité de type syndical.

Un retard mis à profit

Tout a commencé il y a douze ans. En 1995, le Conseil d’Etat a engagé un «spécialiste en gestion des ressources humaines» comme chef du service du personnel. Il avait fait ses classes dans la transnationale Philip Morris. Son mandat: remplacer le système de classification salariale en vigueur par un système «nouveau, plus moderne, plus efficace et moins coûteux». L’opération devait s’étaler sur deux ans. Quatre ou cinq ans plus tard, ce «cadre» est reparti dans le privé sans avoir mené sa mission.

Toutefois, le ratage de cette première opération a laissé des traces. Dans l’enthousiasme de départ, le Conseil d’Etat a aboli les structures qui assuraient le fonctionnement du système de classification. Depuis lors il s’est appuyé sur ce manque pour écarter quasiment toutes les revendications de revalorisation salariale avancées pour une catégorie d’employés, en faisant valoir qu’un nouveau système salarial était en préparation.

En 2001, le Conseil d’Etat a relancé la machine en achetant la méthode d’évaluation des fonctions du bureau de conseil en gestion des ressources humaines «GFO» (Gehaltsmanagement Führung und Organisation) qui avait été fondé suite à la privatisation d’un institut de l’Ecole polytechnique de Zurich. Pour gagner le personnel à sa cause, le service du personnel a mobilisé des centaines d’employés en leur demandant d’effectuer la description des métiers qu’ils exerçaient au sein de l’administration cantonale. Cette méthode d’implication avait suscité beaucoup d’espoir parmi le personnel. N’était-ce pas la preuve qu’il était enfin écouté si ce n’est entendu ?

De plus, l’exécutif, en 2001, a réuni des représentants du service du personnel et des organisations des salariés au sein d’une commission paritaire chargée d’adapter la méthode GFO aux particularités de la structure étatico-administrative du canton. Constatant que cette démarche dite participative était en train de s’éterniser, il a suspendu cette commission au printemps 2003. Il a chargé le service du personnel de la définition et mise en œuvre du nouveau système.

Au printemps 2005, il a convoqué les représentants de la FSF, de SUD et du SSP en leur demandant de donner leur aval à la méthode «GFO» relookée, tout en refusant de dévoiler l’autre volet de son projet, à savoir le système qui permettra de traduire les résultats de la nouvelle évaluation des fonctions en rémunérations salariales. Constatant que les trois organisations faisaient front pour contester la démarche proposée il l’a suspendue.

A l’automne 2006, le Service du personnel a annoncé que le concept de nouvelle structuration des fonctions était au point. Les organisations représentant les salariés ont été conviées à suivre des séances d’instruction sur ce sujet. On leur a assuré que des négociations avec le Conseil d’Etat allaient s’ouvrir dans la foulée. Toute revendication visant à obtenir une information complète sur les répercussions concrètes du nouveau système par rapport aux classifications salariales en vigueur a été écartée. La partie patronale ne voulait pas fournir aux organisations les moyens de mobiliser les salariés contre les «innovations» projetées.

Eté 2007: la méthode autoritaire

Pendant les six premiers mois de 2007, silence est fait. Puis, la FSF, SUD et le SSP sont convoqués pour le 6 juillet 2007 à une rencontre avec la délégation du Conseil d’Etat. Le président du gouvernement, Pascal Broulis (radical), était accompagné de Jean-Claude Mermoud (UDC), et des deux sociaux-démocrates, Anne-Catherine Lyon et Pierre-Yves Maillard. Lors de cette séance et de celles qui suivirent, les représentants des salariés ont obtenu pour la première fois depuis plus de dix ans des informations sur les éléments clefs du nouveau système salarial. Mais la rétention d’informations sur les conséquences concrètes du nouveau système pour les différentes catégories du personnel a été maintenue. De plus, on leur a fait comprendre que c’était à prendre ou à laisser, à l’exception de quelques points particuliers. Et, sur ces points, les négociations devaient être bouclées en fin d’année, car le nouveau système sera mis en place en 2008.

L’objectif de l’exécutif est clair: prendre les salarié·e·s de court afin qu’ils n’aient pas le temps de prendre la mesure de ce qui les attend. Le Conseil d’Etat veut imposer une solution qui implique une nette régression pour le personnel.

De l’ancien régime…

Pour comprendre le sens des innovations prévues, voici un rappel des éléments de base du régime actuel. Comme dans bien d’autres administrations publiques, les salaires des employés de l’Etat sont classés par fonctions. Certaines fonctions, telles que celles de l'instituteur ou de l’employé d’administration, regroupent des milliers de personnes, d’autres, tels que celle de chef de service, ne concernent qu’un nombre réduit. Au total, l’Etat compte plus de 700 fonctions. Chacune est classée dans une «échelle des traitements». Cette dernière fixe des classes de salaires définies au moyen d’un minimum et d’un maximum de traitement et par des augmentations annuelles qui font évoluer les salaires vers le maximum en fonction des années d’activité.

Jusqu’en 1995 deux commissions étaient chargées d’évaluer les fonctions au moyen d’une méthode qui valorisait les critères objectifs tels que la formation, les années de pratique, etc. L’une des commissions avait un caractère paritaire, ce qui permettait aux organisations du personnel de faire valoir le point de vue des salariés.

Ce système avait trois avantages:
les salaires n’étaient pas attribués à la personne mais à une fonction à partir d’une activité reconnue;
l’évolution salariale assortie à la fonction était garantie;
le personnel avait, du moins jusqu’en 1995, son mot à dire et ne s’en privait pas.

… aux déconvenues du nouveau régime

Le nouveau système est conçu prioritairement pour assurer le contrôle du Conseil d’Etat sur la masse salariale. La classification des fonctions sera du seul ressort du service du personnel. Les critères objectifs de la méthode d’évaluation actuelle seront remplacés par des critères subjectifs à caractère managérial. Ce qui comptera ne sera plus la qualification professionnelle requise pour fournir une prestation, mais l’aptitude à être flexible, à communiquer, à gérer une équipe, etc.

Vu la confiscation d’informations pratiquée par l’Etat-patron, il est difficile de saisir les effets particuliers du nouveau système. Toutefois, l’image qui se dégage des informations partielles disponibles est plus qu’inquiétante. Les changements ne porteront pas seulement sur la classification salariale. Une fonction comparable à la fonction actuelle ne sera attribuée qu’à un tiers des employés. Un autre tiers sera dispatché sur des fonctions nouvelles et modulables. Un dernier tiers se verra classer individuellement sur la base du cahier des charges du poste de travail. Autant dire que le passage de l’ancien au nouveau système s’accompagnera pour une majorité du personnel à un effacement de tous les repères connus ou alors à une atomisation de leur situation salariale.

La nouvelle échelle de traitement favorisera nettement les hauts revenus. Le coût de cette «ouverture» antisociale ainsi que les quelques améliorations accordées à certaines catégories seront compensés par des pertes infligées aux autres. En effet, l’autorité cantonale veut procéder à une opération comptable blanche. Le coût du passage d’un système à l’autre est devisé à 20 millions, ce qui est une fraction négligeable par rapport aux 3 milliards de la masse salariale d’ensemble.

Pour calmer les esprits, le Conseil d’Etat assure qu’aucun employé ne subira une baisse de son salaire nominal. Or, si la nouvelle classification est inférieure à l’existante, son salaire sera gelé.

En outre, l’échelle de traitement en vigueur sera modifiée sur plusieurs points. Ainsi, la différence entre le minimum et le maximum de chacune des classes sera uniformisée à 45%. Dans l’échelle encore en vigueur cette différence est nettement plus faible dans les basses classes que dans les hautes. C’est l’unique point où le nouveau système apportera une amélioration.

De même, 30 annuités sépareront le minimum du maximum de chaque classe au lieu des 20 annuités requises aujourd’hui. De plus, les annuités ne seront plus garanties mais modulables vers le bas en fonction de la masse salariale globale budgétisée. Autant dire qu’une large majorité des employés n’atteindra jamais ce maximum.

Les seuls points sur lesquels le Conseil d’Etat dit être disposé ouvrir des négociations concernent l’instauration ou non d’une part du salaire versée au mérite et les modalités de la progression entre le minimum et le maximum de chaque classe. Celle-ci peut en effet être régulière, comme aujourd’hui, ou alors plus forte durant les premières années que durant les dernières, ou encore l’inverse. Les organisations du personnel se prononceront contre le salaire au mérite et pour une progression salariale plus forte durant les premières années.

Le véritable but que le Conseil d’Etat poursuit en sollicitant la discussion sur ces points avec les organisations du personnel est de les engager à l’aider à résoudre les problèmes pratiques qu’il rencontrera lors de la transition d’un régime à l’autre.

De nouveaux défis

Ce nouveau système devrait être combattu avec vigueur par une mobilisation du personnel qui permettrait de modifier le contexte d’une négociation avec le Conseil d’Etat. Or, les conditions pour atteindre ce but ne sont pas réunies.

La politique de confiscation de l'information pratiquée par le Conseil d’Etat a eu l’effet escompté. Les salariés ne sont pas en mesure de saisir les contours concrets de ce qui les attend. La démarche du Conseil d’Etat leur inspire des attentes et des craintes inégales, car ils savent que l’impact des mesures prises sera différencié.

A quoi s’ajoute la désunion des organisations du personnel. Alors que le SSP a dit non, la FSF réclame une mise en vigueur accélérée dans l’espoir que cela profite au moins à certaines catégories de ses membres. Quant à SUD, il dénonce des méfaits prévisibles sans prendre, jusqu’à présent, clairement position sur le fond. Aucune échéance de mobilisation unitaire n’est donc en vue.

Le nouveau régime risque fort d’être instauré sous la houlette d’un exécutif qui comprend deux sociaux-démocrates, dont l’élection a été appuyée par les composantes de A gauche toute. Quelle sera l’attitude des forces étiquetées à gauche lors du vote des modifications des lois instaurant le nouveau régime au Grand Conseil ?

Sur le plan syndical, il faudra enfin commencer à mobiliser le personnel tout en pensant d’ores et déjà à l’année de la mise en œuvre. A ce moment, les employés qui subiront un préjudice auront besoin d’un appui syndical maximal s’ils veulent défendre leurs intérêts de manière collective. Pour le mouvement syndical, les transformations impulsées par l’Etat-patron exigeront la recherche de nouvelles modalités, du moins partiellement, d’intervention suscitant une activité des salarié·e·s.

 

1. Fédération des sociétés de fonctionnaires.

2. Fédération syndicale Solidaires, unitaires démocratiques.

3. Syndicat des services publics, affilié à l’Union syndicale suisse.

(8 octobre 2007)

 
         
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