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Edito
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Elections spectacles

En 1988, Guy Debord écrivait: «La première intention de la domination spectaculaire était de faire disparaître la connaissance historique en général; et d’abord presque toutes les informations et tous les commentaires raisonnables sur le passé récent… Le spectacle organise avec maîtrise l’ignorance de ce qui advient et, tout de suite après, l’oubli de ce qui a pu quand même être connu. Le plus important est le plus caché… Avec la destruction de l’histoire, c’est l’événement contemporain lui-même qui s’éloigne aussitôt dans une distance fabuleuse, parmi ses récits invérifiables, ses statistiques incontrôlables, ses explications invraisemblables… On en a fini avec cette inquiétante conception, qui avait dominé durant plus de deux cents ans, selon laquelle une société pouvait être critiquable et transformable, réformée ou révolutionnée. Et cela n’a pas été obtenu par l’apparition d’arguments nouveaux, mais tout simplement parce que les arguments sont devenus inutiles

Le 1er août 2007 nous avions, en quelque sorte, une illustration de cette analyse pertinente. A l’un des «pôles» construits médiatiquement, Micheline Calmy-Rey ruinait l’histoire en validant le mythe de 1291 et cette fête du 1er août, inventée en 1891, pour consolider un nationalisme bourgeois (après 1848) face à la puissance de l’Allemagne unifiée et à l’essor initial du mouvement ouvrier. Se déclarant «patriote», voulant ignorer le sens de cette parole dans l’histoire politique de la droite helvétique, la figure «socialiste» et médiatique des élections désirait coller à cette vague montante à croix blanche qui s’affirmera avec le spectacle footballistique de 2008.

Or, face à la xénophobie, la seule réponse effectivement socialiste repose sur des options qui permettent, au sein même de structures collectives d’activités sociales et culturelles, de développer l’interculturalisme. C’est-à-dire une conjonction qui s’établisse à partir d’un socle commun d’intérêts face à ceux qui détiennent et camouflent la hiérarchie du pouvoir de classe – le commandement sur le travail d’autrui – et travaillent à la stabilisation de l’ordre reposant sur la propriété privée du dispositif économique stratégique.En cachant au plus profond ce fait socio-économique, historique, le thème de la «fragilité de la démocratie» – permanent dans la société du spectacle – et repris ici par Calmy-Rey est alors réduit aux «problèmes de l’exclusion» et des risques pour «la paix sociale» que ferait courir un patronat trop intransigeant. Ce patronat est extirpé des mécanismes propres au système capitaliste, par une opération diffusant l’ignorance.A l’autre pôle médiatisé, Blocher détruit l’histoire selon des modalités parallèles et fait de la «fragilité de la démocratie» – autrement dit de l’effort pour le maintien de l’ordre existant – un thème devant nourrir le choix entre les «bons immigrés», ADN-Suisse compatible, et les «moutons noirs». Le registre du patriotisme est mobilisé ici pour assurer une base à une politique économique néo-libérale faisant bloc avec le reste de la droite et ayant, toujours, l’appui d’un Ospel de UBS. Se glisse dans les analyses à la mode un terme ambigu : celui de populisme. Populisme renvoie à peuple. Mais un peuple réduit au statut de problème et reconstruit par une «intelligentsia médiatique». Ce peuple se rallierait facilement aux slogans simplistes et xénophobes serinés par un chef. Par là, il devrait être méprisé, à l’avantage d’une «élite» instruite, seule capable de dérouler une utopie économique néo-libérale qui assurerait une «démocratie moderne», mais dépeuplée.Or, la campagne électorale elle-même, dans ses formes et contenus, dans sa mise en spectacle, illustre le mépris du peuple, en développant clientélisme et identification à des personnes, à des figures spectaculaires et non plus à des formations politiques et à des programmes traduisant des conflits sociaux effectifs.Elle fait disparaître les choix politiques et sociaux, tant ils se superposent effectivement dans la gestion des exécutifs. Au même titre sont tues les raisons quotidiennes – conditions de travail et d’exploitation, désagrégation de la sociabilité dans le travail et la vie quotidienne, insécurité et difficulté de se projeter dans un avenir inexistant car tout est dans un présent qui tourne en boucle – qui amènent les salarié·e·s soit à s’abstenir, soit à voter comme acte séparé d’une démocratie niée sur le lieu de travail ; pour ne pas mentionner les sans-droits politiques.Pour l’heure, en Suisse, il faut faire preuve de persistance, certes très minoritaire, pour démythifier et démystifier la réalité sociale, économique et politique et reconstruire une intelligence collective fondée sur un refus de cet ordre frauduleusement naturalisé. (cau)

(8 octobre 2007)

 
         
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