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Les forums «Pour un syndicalisme des travailleurs et des travailleuses» appelés par le comité Giù le mani delle Officine
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Une expérience à construire

Urs Zuppinger

Le comité tessinois «Giù le Mani delle Officine», un grou­pe de travailleurs et de militants syndicaux et politiques, soutient les ouvriers des Ateliers des CFF à Bellinzone depuis plus de 10 ans. L’action de ce comité n’est pas étrangère à l’intelligence et à la maturité avec laquelle les salariés de cette entreprise mènent depuis mars 2008 un combat exemplaire pour le maintien de leur lieu de travail en misant sur la combativité des travailleurs, le fonctionnement démocratique de leur action, le soutien régional et la maîtrise de la conduite de leur lutte face aux directions de leurs syndicats, le SEV [1] et Unia [2]. En appliquant ces règles de conduite de façon conséquente ils ont réussi à s’imposer face à la direction des CFF et à la Confédération en tant qu’interlocuteurs tenaces et incontournables.

Fin mai 2008, ils avaient mis un terme à 35 jours de grève après avoir obtenu de la direction des CFF deux résultats essentiels:

• renonciation à la fermeture des Ateliers de Bellinzone, qu’elle avait décidée deux mois plus tôt dans le cadre du programme d’assainissement de CFF Cargo, la division du trafic marchandises qui sombrait dans les chiffres rouges ;

• mise en route, de concert avec les travailleurs, d’une démarche de consolidation des Officine en vue de leur assurer un avenir à moyen terme.

Une initiative de rassemblement et de soutien

Simultanément à ce succès, ils prenaient l’initiative d’appeler le 31 mai 2008 à Bellinzone à un forum «Créer un, deux, cent Officine, pour un syndicalisme des travailleurs et des travailleuses». Cette convocation était une nouvelle preuve de la perspicacité des travailleurs des Officine et des militants et groupements qui les soutiennent. Leur but était double:

• S’appuyer sur l’audience de leur lutte pour rassembler des travailleurs et syndicalistes qui ne sont pas prêts de s’accommoder de la dégradation des conditions de travail et de vie que leur réserve l’évolution du régime capitaliste, qui doutent que la politique et les actions de syndicats «formatés» par la paix du travail et le partenariat social constituent pour les salarié·e·s la solution pour défendre leurs intérêts et qui cherchent des voies pour développer un syndicalisme plus adéquat ;

• Tester la possibilité de constituer au-delà du Gotthard des réseaux et collectifs de militants qui soient en mesure de soutenir leur combat dans le reste de la Suisse.

Du 31 mai…

Dirigée par des ouvriers des Officine et alimentée par des militants qui les soutiennent sur place, cette première rencontre était très encourageante pour les participants. Plus de 200 travailleurs et militants syndicaux du secteur public et privé - du Tessin, de la Suisse et d’ailleurs - y ont participé.

La journée a débuté par des exposés sur la situation économique et sur l’état des rapports entre le patronat et les structures syndicales en place. Par la suite les participants se sont répartis dans des groupes de travail thématiques consacrés à des sujets tels que la situation sur le front des luttes ouvrières, le syndicalisme au féminin, la précarisation, etc. L’objectif était d’initier une pratique de discussion collective. La pièce élaborée durant la grève dans le cadre du laboratoire théâtral Officina Donna a fait une forte impression. Le débat sur les perspectives était animé par des dirigeants de luttes ouvrières et des militants de sections syndicales combatives.

De la journée, il s’est dégagé un désir partagé de poursuivre les échanges entre syndicalistes à l’échelon national et si possible international en organisant d’autres rencontres du même type. La nécessité de développer dans les différentes régions de la Suisse une activité locale de soutien aux travailleurs des Officine et à d’autres salariés qui engagent la défense contre l’offensive patronale s’est imposée comme une évidence.

La première de ces deux perspectives s’est concrétisée depuis lors. Un deuxième forum «pour un syndicalisme des travailleurs et des travailleuses» a eu lieu le 20 septembre avec un nombre équivalent de participants et un troisième est en préparation.

… au 20 septembre…

La deuxième rencontre s’est signalée par la présence de travailleurs de l’entreprise INNSE à Milan qui se battent depuis des mois pour la reprise de la production face à un patron qui refuse d’entrer en matière sur cette revendication. Leur présentation a fait une très forte impression en raison de la détermination et de l’intelligence qui anime ce collectif de travailleurs qui persiste à se battre en dépit d’un contexte politique et social défavorable. Des syndicalistes allemands ont fait part de l’expérience difficile qu’ils mènent dans leur pays pour construire et faire exister un réseau de syndicalistes actifs, et les travailleurs des Officine ont exposé où ils en étaient dans leur lutte. Les participants se sont ensuite répartis une nouvelle fois dans des groupes de travail thématiques pour approfondir la réflexion collective sur des thèmes similaires à ceux du 31 mai. Le débat de synthèse a confirmé les conclusions du forum du 31 mai.

… puis au 7 février.

La troisième rencontre aura lieu le 7 février. Elle sera consacrée à la récession dans laquelle l’économie capitaliste s’enfonce à l’échelle mondiale suite à la débâcle financière américaine et à laquelle l’économie suisse n’échappera pas. L’objectif sera de débattre des exigences qui découlent de cette nouvelle situation pour la défense des intérêts des salariés et pour des militants qui se réclament d’un syndicalisme des travailleurs et des travailleuses.

Le défi à relever en 2009

En dehors de ces échéances nationales, le bilan de ce qui s’est passé après le 31 mai 2008 est jusqu’à présent mince. Depuis fin mai 2008 il y a bien eu quelques assemblées de solidarité avec les travailleurs des Officine, exclusivement en Suisse alémanique. En Suisse romande rien ne s’est passé jusqu’à l’automne. Ici les premières projections du film de Danilo Catti, Giù le Mani viennent tout juste de se produire ou d’être à l’affiche. Quant à la construction d’un réseau de syndicalistes actifs, deux peti­tes structures de coordination sont actives à Zurich et à Bâle sinon tout reste à faire. Il est indéniable que ce sera le défi à relever pour l’année prochaine.

1. Schweizerischer Eisenbahner Verband, syndicat signataire de la convention collective de travail des CFF

2. Dont les sections tessinoises sont très combatives et très autonomes par rapport à la direction nationale de ce syndicat.


Les salarié·e·s marquent encore un point !

L’absence d’un mouvement consistant de soutien à leur cause à l’échelle suisse n’a pas empêché les travailleurs des Officine de marquer encore récemment des points non négligeables face à la direction des CFF. Celle-ci vient en effet de décider une réorganisation interne impliquant le transfert des Ateliers de Bellinzone de la division transports de marchandises à la division transport de personnes. L’objectif est manifestement d’avoir les mains libres dans les négociations en cours en vue d’accords de coopération entre CFF Cargo et des géants européens des transports et de la logistique. Les travailleurs des Officine avaient depuis longtemps compris que cette opération pouvait les mettre en danger. En adoptant une attitude ferme et combative, ils ont obtenu de la direction et du Conseil d’Administration des CFF le 28 novembre dernier, l’assurance écrite que les Ateliers de Bellinzone continueront à être en charge de l’entretien du matériel roulant de CFF Cargo jusqu’en 2013.

Voir «Une pause (ou presque...) de réflexion», entretien avec Gianni Frizzo, traduit de Solidarietà, bimensuel du MPS-Tessin

(7 décembre 2008)

 
         
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