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CCT de la construction
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Un conflit charnière

Dans la construction se joue une bataille dont l’enjeu dépasse le secteur. Faire reculer la SSE porterait un coup à tout le patronat.

Cet automne 2007 se profile un conflit syndical, social et politique entre patronat et salarié·e·s. Il a des chances de se dérouler dans le secteur principal de la construction («gros œuvre»). Ce secteur représente un élément clé de l’ensemble de la branche de la construction qui «occupe» quelque 300’000 salarié·e·s. Commençons à examiner quelques enjeux de cette possible «lutte directe», du point de vue d’un militant syndical de terrain.

Une convention en réalité provisoire

Le 23 mai 2007, la Société suisse des entrepreneurs (SSE) a annoncé qu’elle résiliait, au 30 septembre 2007, la convention collective de travail conclue avec UNIA et SYNA (syndicat chrétien). Il s’agit de la Convention 2006, signée le 26 mai 2005. Elle est entrée en vigueur en janvier 2006, avec extension obligatoire sous le manteau de la Confédération. La durée de sa validité: jusqu’au 31 décembre 2008. Il était prévu une prorogation automatique jusqu’au 31 décembre 2009 «si aucune des parties contractantes ne s’oppose par écrit, jusqu’au 30 juin 2008, à cette prorogation». En outre, un article (art. 51) mentionne que les parties contractantes négocient chaque année, au troisième trimestre, les salaires, en s’efforçant de trouver «une solution économiquement supportable pour la branche». Pour cela, elles doivent prendre en compte toute une série de facteurs (marché du travail, productivité, charges sociales, etc.) auxquels s’ajoutent «d’autres facteurs déterminants». L’éventail est donc grand ouvert pour les manœuvres patronales. Si l’«entente n’intervient pas», les «parties contractante de la CN, jusqu’au 30 septembre» peuvent, chacune, la dénoncer, «en respectant un délai de 2 mois pour le 31 décembre».

Cette convention, par sa portée nationale et sa représentativité, est la plus importante en Suisse, pour ne pas dire la seule qui ait encore une certaine force de contrainte sur le patronat. Certes, la convention 2006 – dont divers articles étaient déjà sujets à débat – a été signée en contrepartie d’un engagement d’UNIA en faveur des seconds accords bilatéraux avec l’UE-AELE (moins la Bulgarie et la Roumanie). Dans ces accords, la «libre circulation de la main-d’œuvre» était censée aller de pair avec des «mesures d’accompagnement» protégeant l’ensemble des salarié·e·s contre le «dumping salarial». Aujourd’hui, le tract de mobilisation d’UNIA, pour la manifestation du 22 septembre 2007, porte comme titre: «Pas de dumping salarial !» Un titre qui est, à la fois, un constat réaliste de la situation et… un mot d’ordre.

Une flexibilité horaire incontrôlable

En effet, une fois le référendum de septembre 2005 contre les bilatérales battu par le patronat – nous nous opposions à l’insuffisance notoire desdites «mesures d’accompagnement» dans un pays où la non-protection contre les licenciements, entre autres des délégués syndicaux, a été condamnée par le BIT (Bureau international du travail) – la SSE a remis la pression. Elle avait déjà manifesté sa combativité en 2005. Elle a de suite utilisé la déréglementation accrue, de fait, du marché du travail pour chercher à imposer ses objectifs.

Le temps de travail, son intensité et le salaire sont toujours au centre du conflit entre patronat et salarié·e·s. Ainsi, en 2005, de plus en plus nombreuses étaient les entreprises qui multipliaient le recours aux heures négatives. Qu’est-ce que cela signifie ? En cas d’intempéries – lorsque le travail sur un chantier n’est pas possible (ou ne devrait pas l’être !) – en lieu et place de toucher les indemnités-intempéries, des travailleurs se voyaient attribuer un stock d’heures négatives. Ils étaient contraints de les récupérer sous la forme d’heures supplémentaires non majorées. Ainsi, dans diverses régions, durant l’été on a constaté des journées de travail allant jusqu’à 12 ou 13 heures, sans compensation pour les heures supplémentaires.

Il faut y ajouter une pratique relativement nouvelle: mettre les travailleurs de piquet. Ainsi, des ouvriers sont «bloqués», car ils doivent «être disponibles» pour l’après-midi ou lendemain matin, ce qui implique non seulement qu’ils soient prêts, mais qu’ils restent proches du lieu de travail (ou du point de départ pour se rendre sur le chantier).

Le conflit sur cette pratique des heures négatives fut porté devant le «tribunal arbitral» (un «juriste émérite») qui émit en août 2006 un jugement condamnant cette méthode. Il avait valeur nationale. Antérieurement, les «recommandations» de la «commission paritaire» n’avaient souvent pas été suivies, cela va de soi. Le patronat testait les rapports de forces.

Ce fait révèle que les formulations en vigueur dans les conventions contiennent une part d’imprécision suffisante pour offrir un terrain favorable à une mise en cause de ses normes et ouvrir une période d’incertitude, de changements dans la pratique. Ces derniers seront utiles pour préparer la suite du point de vue patronal, cela d’autant plus que le délai a été fort long jusqu’à ce que l’instance précitée se prononce sur l’illégalité de l’utilisation des heures négatives.

Il en va de même pour ce qui a trait à la flexibilité des heures de travail. Dans le rapport de forces actuel et avec le type d’investissement sur le terrain de l’appareil syndical, il est illusoire de penser pouvoir contrôler des contingents importants d’heures flexibles. Dans la convention 2006, le total des heures annuelles de travail déterminant s’élève à 2112 heures. La durée journalière et hebdomadaire du travail «en règle générale» peut osciller entre 37,5 heures et 45 heures. A cela s’ajoutent des dérogations qui interviennent au travers de la modification du calendrier de la durée du travail «pour l’adapter aux besoins d’exploitation pour l’ensemble de l’entreprise ou seulement pour certains chantiers».

C’est sur le terrain d’une flexibilisation du temps de travail que la SSE met de plus en plus l’accent. Son document expliquant la résiliation de la CN 2006 commence par ce point: «Nous avons besoin de flexibilité pour le temps de travail, c’est-à-dire de pouvoir recourir à des heures en plus, mais aussi à des heures en moins.»

60 ans, un recul sans fard

Si la pratique des «heures négatives» a servi d’épreuve, la SSE, avant même l’engagement d’un affrontement plus direct, a soumis la direction d’UNIA à un examen de passage; ce d’autant plus que le patronat avait obtenu gain de cause en matière salariale. En effet, après avoir revendiqué 220 francs d’augmentation, UNIA n’a cessé de reculer, jusqu’à 100 francs. Puis le patronat a pris l’initiative de distribuer des augmentations, avec une partie au mérite.

Sur cette voie, au milieu de l’année 2007, la SSE a réussi à péjorer un acquis important obtenu par les salariés de la construction: la «Convention collective pour la retraite anticipée dans le secteur principal de la construction». Cette convention mettait en place une «Fondation paritaire pour la retraite anticipée» appelée Fondation FAR. Ce système permet aux travailleurs du secteur de prendre une retraite anticipée entre 60 et 65 ans, avec environ 80 % du salaire. Une fois atteint l’âge donnant droit à la retraite (65 ans), le relais est pris par l’AVS et le IIe pilier, avec une diminution du revenu.

Or, sous pression de la SSE, dans le cadre de la Fondation paritaire et avec l’assentiment des directions d’UNIA et de SYNA, des changements ont été introduits en 2007 en défaveur des travailleurs. Le premier fait passer l’âge de la retraite anticipée de 60 ans à 60 ans et demi, ou, alors est appliquée une réduction de la rente entre 60 et 61 ans. C’est en fait, de plus, une augmentation du temps de travail global. Le deuxième: les contributions au IIe pilier ne seront plus versées entre 60 et 61 ans; et durant les quatre ans qui suivent, la contribution à l’avoir vieillesse du IIe pilier passera de l’actuel 18% à 12%. La rente du IIe pilier s’en ressentira après 65 ans. Le troisième: la contribution des travailleurs au fonds paritaire passera de 1% à 1,3%, ce qui est une atteinte au salaire. Pour l’heure cet accord doit rester en vigueur jusqu’en 2012. Nous n’en sommes pas certains.

L’argument pour admettre de manière «paritaire» ce premier délitement d’un accord important relève d’une fantaisie actuarielle. Selon les responsables de la FAR, la couverture s’élèverait «seulement» à 94,9%. Cette couverture serait insuffisante pour financer un départ de tous les travailleurs qui prendraient au même moment leur retraite anticipée. Cela relève de la science-fiction; sans même mentionner d’autres aspects plus techniques qui enlèvent tout crédit à une telle «analyse».

En outre, un fait élémentaire doit être relevé. S’il y a une diminution de la contribution ouvrière au fonds, sa cause réside largement dans les pratiques mêmes du patronat: travail précaire et au noir, suppression des heures supplémentaires (mécanisme des «heures négatives»), stagnation des salaires. Autrement dit, la masse salariale sur laquelle reposent les contributions a été compressée.

Or, les directions syndicales ont accepté ce recul au moment même où le patronat est accusé, à juste titre, de démanteler des «acquis des travailleurs» de la construction.

Si, aujourd’hui, UNIA appelle les travailleurs à voter pour ou contre la grève en vue de la journée de mobilisation du 22 septembre, l’accord passé (FAR) au désavantage des salariés de la construction n’a pas été soumis à une discussion large, à une consultation. Tout au plus ont-ils appris, sans la comprendre vraiment, la décision paritaire dans un petit article de leur journal. Pourtant la retraite anticipée était et est fortement voulue par les travailleurs de la construction qui se sont mobilisés pour elle. Il était possible, pour préparer la bataille qui s’annonçait sur la convention 2006, de refuser les modifications que proposait le patronat dans le cadre de la FAR; et de faire de ce point un tremplin pour une mobilisation préparée sur un temps plus long.

Nombreux sont les travailleurs qui ont encore en mémoire le fait que le patronat, après avoir passé l’accord sur la retraite anticipée, avait voulu faire un pas en arrière. En réaction à cette volte-face, en 2003 ils ont exprimé leur capacité de lutte pour un objectif bien compris.

Afin de préparer une mobilisation –entre autres dans les régions décisives au plan quantitatif: Zurich et Berne– il eût été plus que recommandé de ne pas reculer sur la retraite anticipée et de consulter effectivement les travailleurs, de faire un travail d’explication sur les 60 ans et les autres objectifs patronaux. 

Des bouleversements peu appréhendés

Car, en arrière-fond, de l’affrontement conventionnel, il faut mettre en relief quelques lignes de force de la stratégie de la SSE. Il existe un projet de restructuration de toute la branche de la construction au plan de ses instances patronales. Il ne convient plus à des secteurs clés du patronat de maintenir les catégories de «gros œuvre» et de «second œuvre» (électriciens, installateurs sanitaires, etc.), ni les conventions spéciales existant dans certaines régions romandes.

En effet, un ouvrier qualifié de l’électricité, un plâtrier-peintre obtient un salaire inférieur – aux alentours de 1000 francs – à celui d’un maçon. Cela est le fruit d’une histoire syndicale, de luttes et de segments du marché du travail.

Les conditions ont changé actuellement, entre autres sous l’effet d’une «libre circulation» qui bouleverse ledit marché du travail, alors que l’organisation syndicale et les normes légales ainsi que conventionnelles sont faibles. Pire, alors que la pratique patronale indique un affaiblissement accru à venir encore.

Une «réorganisation-fusion» des secteurs «gros œuvre» et «second œuvre» modifierait profondément les relations contractuelles entre patronat et syndicat à l’échelle nationale. Dans ce cadre, y compris la FAR pourrait être mise en question, puisqu’une mutation de la SSE modifierait le statut légal d’un des partenaires de l’accord.

A ce type de réorganisation de la représentation patronale de toute la branche s’ajoutent les changements profonds du fonctionnement des entreprises, à l’image de ce qui se passe en Allemagne. De plus en plus, des grandes firmes sont et seront des donneurs d’ordre et les travaux seront exécutés –c’est déjà le cas– par une cascade de sous-traitants qui se refilent des «bouts» tant les «marges bénéficiaires» sont serrées. Conséquence: les pratiques de dumping de tout ordre vont se multiplier. C’est dans ce contexte que, pour maintenir les acquis, une mobilisation d’ampleur est nécessaire. Nous y reviendrons.

(7 septembre 2007)

 
         
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