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Assurance invalidité
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Le déni s’impose

Bernard Bovay

Le 17 juin 2007, sous l’impact d’une vaste campagne de matraquage des autorités fédérales et de la droite, la 5e révision de l’AI a été «adoptée par le souverain». La social-démocratie – particulièrement en Suisse alémanique – a manifesté une frilosité reflétant l’opposition de sa direction au lancement du référendum. Le résultat du vote traduit non seulement une victoire patronale, mais permettra de nier, plus facilement, l’invalidité des personnes qui demandent une reconnaissance de leur «incapacité de gain», puisque le degré d’invalidité est défini selon ce critère.

Les expertises ignorées 

Le populaire magazine suisse alémanique Der Schweizerische Beobachter du 3 août 2007 illustre, au travers d’exemples précis, la pratique déjà en cours avant l’entrée en vigueur, officielle, de la 5e révision de l’AI. Il titre: «Assurance invalidité: l’absurdité fait méthode». L’intro­duction est sans équivoque: «L’AI prend toujours plus de décisions incompréhensibles. Ses médecins font des erreurs de diagnostics, les bâclent et ignorent des expertises indépendantes. Le but consiste à se débarrasser des personnes.» 

Afin de corroborer un tel jugement, le Beobachter s’appuie sur quelques exemples. En effet, ils confirment le contenu concret de la 5e révision, de facto, déjà en vigueur, selon une tradition helvétique.

Examinons quelques exemples. Une infirmière, âgée de 51 ans, perd son emploi parce qu’elle souffre, suite à un accident, de douleurs à la nuque et d’une dépression. En accord avec l’office AI de Zurich, la clinique psychiatrique de l’hôpital universitaire de Zurich a fait un rapport. Suite à un examen qui dura plusieurs heures, les deux médecins occupant les postes les plus élevés de cet institut renommé conclurent: cette infirmière est frappée d’une incapacité de travail de 75%.

Or, la doctoresse de l’office AI de Zurich va juger que cette infirmière est apte à travailler à 100%. La procédure mérite d’être relevée. Cette doctoresse a pris cette décision sans voir une seule seconde l’infirmière. De plus, elle adresse le reproche suivant aux spécialistes de l’institut universitaire: leur rapport ne correspond pas à des exigences formelles et de contenu. Elle l’affirme avec d’autant plus d’allant qu’elle ne dispose d’aucune formation en psychiatrie et n’a qu’un titre de médecin généraliste.

Cette décision heurte le juge cantonal d’appel argovien Jürg Fehr qui s’exclame: «Cela est inquiétant.» D’autant plus qu’il a déjà été contraint d’intervenir à plusieurs reprises, pour des cas similaires, auprès de l’office AI de son canton. En fait, il constate que l’office AI de Zurich ne tient pas compte d’expertises indépendantes, n’a pas recours à des médecins qualifiés, en l’occurrence un psychiatre, et que le médecin de l’AI n’a pas agi selon les règles en vigueur. Cela peut se résumer par la formule: se «débarrasser des personnes».

Les vrais-faux diagnostics

Dans le cas mentionné ci-dessus, l’examen pour poser un diagnostic n’a pas été fait. Dans un autre, la qualité du diagnostic est en question. Un rhumatologue reconnaît des douleurs organiques d’une vendeuse, douleurs visibles par radiographie et résonance magnétique (IRM). Cela n’empêche pas le médecin du service médical de l’office AI d’écrire, de manière lapidaire et sans avoir examiné la personne: il s’agit «en arrière-fond de douleurs subjectives». A partir de ce diagnostic erroné, l’office AI refuse toute prestation. Et cerise sur le gâteau, le médecin de l’AI demande que cette vendeuse fasse plus d’efforts «car cette maladie et ses suites peuvent être surmontées grâce à un effort de volonté raisonnable», donc exigeable.

Face à de telles décisions, le responsable de l’office AI de Zurich, Reto von Steiger, dispose d’une réponse imparable: «Si les clients sont en désaccord avec la décision définitive de l’office AI, la voie légale reste ouverte.» Or, beaucoup de personnes n’osent pas engager un recours devant un tribunal, d’autant plus que leur situation est fragilisée. En outre, les frais peuvent être importants. Au seul plan administratif, ils s’élèvent à une somme allant de 200 à 1000 francs. Alors que les recours portant sur le deuxième pilier, même pour des rentes élevées, sont gratuits. Les offices AI savent que ces «obstacles» dissuaderont et décourageront bon nombre de personnes.

La crainte et les statistiques

Le responsable au niveau fédéral de l’assurance invalidité – Alard du Bois-Reymond, vice-directeur de l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS) – n’a pas manqué, à chaque occasion, de se féliciter de la chute du nombre de nouvelles rentes AI attribuées. En 2006, les nouvelles rentes ont baissé de 16% par rapport à 2005; et de 30% par rapport à 2003. Le patron de l’AI explique maintenant que cette réduction est le produit d’une prise de conscience des divers «acteurs» du secteur. Les exemples donnés par le Beobachter bétonnent la définition officielle de cette «nouvelle prise de conscience».

L’avocate zurichoise, Evalotta Samuelsson, spécialiste en droit des assurances sociales, explique plus simplement une des raisons de ce recul statistique: «Beaucoup de demandeurs acceptent une décision de l’AI parce qu’ils redoutent un procès. L’AI compte évidemment là-dessus. Voilà une des raisons pour lesquelles le nombre de rentes recule massivement.» De plus, elle souligne la pression qui s’exerce sur l’ensemble des acteurs, entre autres les juges, au nom de la lutte contre le déficit de l’AI.

Avant la votation, les chiffres du recul des nouvelles rentes servaient à conforter l’idée que les «abus» étaient courants. D’ailleurs, suite à une étude plus que discutable commandée, comme par hasard avant la votation, M. du Bois-Reymond déclarait: «Nous devons lutter plus activement contre les abus.» (16.03.2007) Ce discours se combinait avec des déclarations du type: «Il faudrait créer de nouvelles incitations, tant à l’égard des entreprises que des handicapés.» (25.05 2007) Ce qui n’empêche pas le même responsable de souligner que pour les patrons l’obstacle à employer une personne «estampillée AI» réside dans le fait qu’«ils ne savent pas quelle sera la stabilité de la personne engagée» (8.5 2007).

L’UDC prépare le terrain de la 6e révision

L’UDC a immédiatement saisi que la campagne officielle pour la 5e révision de l’AI offrait la possibilité de préparer le terrain pour une nouvelle révision qui réduira l’AI à une sorte d’œuvre de bienfaisance pour une petite minorité méritante, et si possible avec passeport suisse.

Au lendemain du 17 juin 2007, l’UDC publiait un document intitulé: «Lancer la 6e révision de l’AI au lieu d’augmenter les prélèvements obligatoires». L’UDC se félicite que la thématique des abus s’est imposée: «Il a fallu que l’UDC thématise les abus dans l’AI par des invalides simulateurs pour que ces dysfonctionnements soient enfin débattus en public. La pression publique sur l’administration, les tribunaux et les services AI a augmenté. A elle seule, cette discussion sur les abus dans l’AI a poussé les services AI et les tribunaux à travailler plus soigneusement. La pratique a été durcie et le nombre de nouvelles rentes a reculé de 30%.» Ce que l’UDC entend par «travail soigné» est éclairé par les cas exposés ci-dessus.

Une des exigences de l’UDC, pour la future révision, est une séparation claire entre le médecin traitant et le médecin de l’assurance. Autrement dit, l’UDC laisse entendre que le taux d’invalidité serait déterminé aujourd’hui par le médecin traitant. Or, la pratique démontre le contraire. L’arbitraire des offices AI et des médecins des assurances ne cessera de croître. Dès maintenant, une contre-campagne d’information contre la future révision de l’AI doit se faire. L’UDC en est le poisson pilote. La majorité gouvernementale suivra.

(7 septembre 2007)

 
         
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