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Bush-Kerry: 2 faces du monopartisme US
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Etats-Unis: le piège du "n'importe qui sauf Bush"

Bush contre Kery: comment décrypter les présidentielles du 2 novembre ?
Quel est le sens de la candidature de Ralph Nader ? Interview avec Ashley Smith, de l'ISO.

Le 24 septembre, Républicains et Démocrates ont voté au Congrès le 4e paquet de coupes fiscales présenté par l'administration Bush en 4 ans. Sur 10 ans, les cadeaux fiscaux mis en place par Bush s'élèveront à 1850 milliards de dollars (NZZ, 25.9.2004). Entreprises et plus fortunés en seront les grands bénéficiaires. En même temps, en 2003, après deux années de croissance, le nombre de personnes vivant en dessous du seuil officiel de pauvreté - 18'860 dollars pour une famille de 4 personns - a augmenté de 1,3 million, à 35,9 millions. Celles sans couverture maladie sont 45 millions, un record historique depuis 1945 (Financial Times,27.8.2004). Un salarié sur trois (45 millions) gagne moins de 10 dollars/h. Jamais depuis les années 20 la concentration de la richesse aux mains du 1 % les plus fortunés n'a été aussi forte. Ce contexte social, produit de deux décennies de révolution conservatrice (cf. le dossier de La brèche No 2-3), est l'arrière-plan des élections présidentielles du 2 novembre. Au nom d'un prétendu réalisme les soutiens à John Kerry, candidat démocrate, se multiplient, y compris au sein de la gauche en Europe. La brèche a fait le point avec Ashley Smith, animateur de l'International Socialist Organisation (ISO) pour la région du nord-est des Etats-Unis. L'ISO est la principale organisation socialiste révolutionnaire aux Etats-Unis.

Interview: Cécile Pasche

N'importe qui sauf Bush: quel est l'impact de cet argument ? John Kerry est-il une alternative ?

Ashley Smith – Cet argument s'est répandu dans toute la gauche américaine. Il imprègne les mouvements sociaux. Lors d'une conférence contre la guerre, un orateur a déclaré qu'il voterait pour un réverbère si cela permettait la défaite de Bush. Cela conduit les mouvements sociaux à soutenir le candidat «éligible», John Kerry, et à condamner la candidature de Ralph Nader, considéré comme risquant d'offrir la victoire à Bush.

Malheureusement, John Kerry n'est pas un réverbère. Il a approuvé le programme de Bush ces trois dernières années. Il a voté pour la guerre en Afghanistan, pour celle en Irak, pour le Patriot Act1 qui réduit à néant les droits civils. Kerry a déclaré qu'il aurait voté pour la guerre en Irak même s'il avait su que les armes de destruction massive n'existaient pas. Il se profile comme un meilleur manager de l'impérialisme américain. Il promet de poursuivre l'occupation de l'Irak et de maintenir le budget actuel de l'armée –400 milliards de dollars.

En politique intérieure, Kerry adhère au projet bi-partisan néolibéral. Il a soutenu la destruction du «welfare state». Il appuie l'économie privée dans le processus de mondialisation du capital et promet d'énormes réductions fiscales aux entreprises. Il a déclaré au Wall Street Journal: Les Etats-Unis se porteront mieux avec une administration plus favorable à l'économie. Des leaders de l'économie tels que Warren Buffet, Lee Iacocca et Robert Rubin2 soutiennent ma campagne car ils estiment que l'économie américaine ira mieux si nous changeons de directeur général.

Kerry et les Démocrates ne sont évidemment pas identiques à Bush et aux Républicains. Ils doivent se présenter comme différents, afin de maintenir le système bipartiste. Les Démocrates représentent les intérêts de l'économie privée sous un «visage humain» et proclament un attachement, de pure forme, à la défense des droits des femmes, des minorités et des syndicats. Cela sert à éviter l'émergence d'une alternative de gauche. Dès qu'ils sont en fonction, ils trahissent toutes les promesses faites aux travailleurs, et imposent le programme de leurs commanditaires.

Dans ce cadre, quel est le sens de la candidature de Ralph Nader et de son co-listier Peter Camejo?

Le ticket Nader/Camejo3 représente la seule véritable voix de l'opposition au programme de Bush. Nader s'est opposé à la guerre en Irak. Il appelle à mettre fin à l'occupation de l'Irak et de la Palestine. Il demande l'abrogation du Patriot Act et il s'oppose à la mondialisation capitaliste. Nader lutte pour briser le système bipartiste et permettre le développement d'un troisième parti, qui serait une alternative à gauche.

Contrairement à 2000, la gauche américaine est très largement opposée à la candidature de Nader, tombant dans le piège du «n'importe qui sauf Bush». Les Verts ont refusé de le soutenir. D'anciens alliés, comme Michael Moore, appellent à voter Kerry. Les syndicats, les groupes féministes, de nombreux mouvements de défense des minorités font campagne pour Kerry et contre Nader.

La campagne de Nader a des faiblesses. Il a complètement disparu de la scène après l'élection de 2000, au lieu de consolider ses soutiens et de souligner le soutien des Démocrates à la politique de Bush. Pour contrebattre la campagne contre lui, Nader a expliqué que sa tactique électorale lui permettrait de gagner autant de votes au détriment de Bush que de Kerry. Pour contourner les obstacles mis à sa présentation dans de nombreux Etats, Nader a accepté, dans cinq Etats, le soutien du très réactionnaire Parti de la Réforme4. Ces manoeuvres ont obscurci son message.>

Cela dit, le choix de Nader de prendre comme candidat à la vice-présidence Peter Miguel Camejo, militant socialiste et leader du Parti des Verts, a marqué un tournant. Cette double candidature est maintenant clairement ancrée à gauche et elle défie ouvertement le système bipartiste.

Comme Peter Camejo l'a dit à plusieurs reprises, cette campagne doit tracer une ligne dans le sable pour la gauche américaine et défier sur le long terme l'Amérique du capital et de ses partis jumeaux.

Où en sont le mouvement anti-guerre et les syndicats ?

Le mouvement anti-guerre et la plupart des mouvements sociaux sont actuellement au point mort. Même si la majorité des Américains sont opposés à l'occupation de l'Irak.

Les élections sont la principale raison de cette stagnation. La direction du mouvement anti-guerre s'est investie corps et âme dans le soutien à Kerry. Il n'y a pas eu de manifestations massives après le bombardement de Falloujah ou les révélations sur la torture instituée à Abu Ghraib. Mais le mouvement est aussi marqué par la démoralisation, faute d'avoir pu empêcher la guerre et suite à sa position confuse au sujet de l'occupation. A l'avenir, l'opposition, encore faible mais grandissante, parmi les familles de militaires et les soldats sera décisive pour un mouvement contre l'occupation.

Ces trente dernières années ont été marquées par l'écrasement des syndicats. Seuls 1 % des travailleurs sont organisés et l'hémorragie continue. Le nombre de grèves n'a jamais été aussi bas. Les directions syndicales n'ont aucune stratégie pour en sortir. Elles n'organisent que très peu de campagnes de défense des intérêts collectifs des travailleurs et perdent temps et argent à soutenir les Démocrates. Malgré cela, on sent grandir une colère de classe contre les bas salaires et le manque de prestations sociales, surtout en matière de couverture maladie. Plus de la moitié des travailleurs souhaiteraient rejoindre les syndicats afin d'améliorer leur situation. Le manque de confiance et de réseaux militants empêche cependant d'organiser ce sentiment et de le transformer en une force de combat contre l'Amérique du capital.


1.
Le Patriot Act a été adopté en octobre 2001 par le Congrès, sous prétexte de «fournir des outils appropriés aux Etats-Unis afin de combattre le terrorisme»

2. Warren Buffet est, avec Berkshire, à la tête d'un des plus importants conglomérats financiers américains, avec une fortune estimée à 44 milliards de dollar; Lee Iacocca ancien directeur de Chrysler; Robert Rubin, banquier d'affaires et secrétaire au trésor sous Clinton.

3. Ralph Nader est depuis plus de 30 ans un pourfendeur de l'Amérique du big business et un avocat des consommateurs, notamment avec sa revue Multinational Monitor. Il s'est présenté à l'élection présidentielle de 2000 pour les Verts. Avec 3 % des votes, il a été accusé d'avoir contribué à la victoire de Bush. Peter Miguel Camejo est un écologiste de gauche. Il est clairement opposé à la guerre et à l'occupation de l'Irak, avec ou sans mandat de l'ONU. Candidat des Verts en 2002 et 2003 au poste de gouverneur de la Californie, il avait été en 1976 candidat à la présidence des Etats-Unis pour le Socialist Workers Party.

4. Reform Party, parti ultra conservateur, fondé en 1992 par Ross Perot. En 2000, il a présenté la candidature du Républicain dissident Pat Buchanan. Tous deux ont quitté ce parti.

 
         
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