|
« La raison économique nuit à la santé »
Depuis 20 ans, la sociologue française Annie Thébaud-Mony – directrice de recherche à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) – explore les risques sanitaires sur les lieux de travail. Elle vient de publier un ouvrage remarquable : Travailler peut nuire gravement à votre santé, Ed. La Découverte, 2007.
Dans un entretien, elle indique que : « Depuis cinq ans, nous interrogeons systématiquement les patients de quelques services hospitaliers de la Seine-Saint-Denis [grande banlieue parisienne], dans trois hôpitaux, pour consolider notre expertise sur l’identification des expositions aux cancérogènes sur les quelque 600 dossiers enregistrés depuis quatre ans. Les résultats nous indiquent que 85 % des patients sont exposés à des cancérogènes sur leurs lieux de travail. Il s’agit de différents types de cancérogènes sur des durées qui vont de dix à quarante ans. Les conséquences sont peu reconnues comme des maladies professionnelles dont la liste et les critères sont très restrictifs [mais beaucoup moins qu’en Suisse]. Ce qui fait que, sur les 600 cas que nous étudions aujourd’hui, à peine plus d’une centaine ont obtenu une reconnaissance de leur maladie professionnelle. Si ce n’est pas une mise en danger d’autrui, qu’est-ce que c’est ? La logique d’assurance surplombe le risque au travail considéré comme « normal », inéluctable, et assuré comme un « dégât des eaux » ! […] Alors qu’on ne peut plus nier certains risques pour la santé, les stratégies d’entreprise consistent à les sous-traiter. C’est ce que fait EDF [Electricité de France], avec la maintenance et le risque radioactif. Et c’est ce que font généralement toutes les industries en reportant sur les salariés la responsabilité des enjeux de la production. Ce qui implique des contraintes mentales, notamment de harcèlement moral, et des contraintes physiques liées à la sous-traitance et à la délocalisation. Comment expliquer ces récents cas de suicides, notamment d’ingénieurs, de cadres, de techniciens de haut niveau [au Centre de recherche de Renault-Nissan dans les Yvelines] ? On leur fait supporter le poids des contradictions que les directions n’ont pas le courage d’assumer.
Les entreprises sous-traitent les risques sanitaires, dans le nucléaire, la pétrochimie, l’industrie automobile. S’il y a des dégâts, le lien entre ceux qui les ont provoqués et ceux qui les subissent est coupé. Comme les sous-traitants supportent à eux seuls 80 % de l’exposition, nous observons des cancers très graves liés, par exemple, à des expositions aux rayonnements ionisants. »
(23 mai 2007)
|
|