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Editorial
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Les blessés d’une guerre

Charles-André Udry

Ce XXIe siècle s’ouvre sur de nombreuses guerres : de l’Irak à l’Afghanistan, en passant par la Tchétchénie ou la Somalie.

Ces conflits sont en relation avec la « guerre économique » menée par des firmes transnationales. Elles sont à la recherche de ressources diverses : de l’uranium au pétrole jusqu’à l’eau et aux réservoirs de biodiversité. Avec diverses armes, des Etats servent leurs intérêts. Ils épaulent ces empereurs de l’économie capitaliste mondialisée. Ils leur assurent l’accès à des marchés, pour y vendre et y investir.

Comme dans toutes les guerres, les blessés et les morts sont foule. Les généraux sont épargnés. Au pire, ils ont des parachutes en or. Paul Reutlinger a coulé Sabena, rachetée alors par SAirGroup. Il a touché 1,5 million de francs lors de la liquidation de cette dernière société. Cela s’ajoute, en 2006, à quelque 420’000 francs de rente et de jetons de présence dans des conseils d’administration.

La « piétaille » des salarié·e·s, elle, est au front, sous le drapeau de la « compétitivité ». Ce totem devant lequel travailleurs et travailleuses, manuels et intellectuels, doivent se prosterner.

Qui brandit ce totem ? Des groupes peu nombreux et très puissants. Les figures du capital financier : un complexe de pouvoir s’exerçant, à la fois, dans l’industrie, les services – de la logistique aux télécommunications – et la bien nommée « industrie financière ». Environ 1000 firmes de ce type contrôlent les engrenages au cœur du système capitaliste. Parmi elles se trouvent Nestlé, Novartis, Roche, UBS, Credit Suisse et Swiss Re.Sous la houlette de ces vautours – présentés comme les sauveurs de la planète et de l’humanité, comme Staline le faisait en URSS ! – la « valeur actionnariale » s’est imposée. Traduisons : toutes les entreprises doivent s’adapter aux exigences des actionnaires. 

Concrètement, les firmes doivent assurer le bien-être des actionnaires, c’est-à-dire le flux, sans cesse actualisé, des dividendes futurs (part des bénéfices distribués). Conséquences ?

1° La majorité des salaires sont compressés. Leur augmentation – si cela arrive – est inférieure à la productivité (production par heure et par travailleur). Le petit crédit usuraire « compense », partiellement, ce régime salarial amaigrissant. La durée effective du travail remonte, ainsi que l’âge de la retraite. Les rythmes de travail deviennent infernaux. La pression est permanente : « il faut être rentable ». Pour qui ? Les actionnaires. L’inégalité salariale et des revenus explose.En 2006, les 24 principales entreprises cotées à la Bourse (SWX-Swiss Exchange) ont distribué 26,03 milliards de francs en dividendes, plus 26 % par rapport à 2005.

2° Sur la durée, ces entreprises investissent avec parcimonie. Elles doivent distribuer aux actionnaires. Pour maximiser les dividendes, elles s’adonnent à des manipulations comptables et boursières. Le cours des actions doit monter ! C’est l’indicateur de la valeur de marché de la firme : donc le critère qui la rend attractive pour des gros détenteurs de capitaux.

Les menaces de rachat par des fonds d’investissement ou des concurrents sont constantes. Ainsi, les « managers » réorganisent sans cesse le travail et extraient de leurs salarié·e·s encore plus de plus-value. Le spectre d’un rachat impose, souvent, le silence. Une fusion ou une offre publique d’achat – OPA – risque d’impliquer des licenciements plus importants. Un économiste, pro-capitaliste, écrit : « Les Bourses ont cessé de financer les entreprises pour elles-mêmes, en vue d’exiger plutôt de leur part qu’elles subventionnent constamment les actionnaires. » (Jean-Luc Gréau, L’avenir du capitalisme, Gallimard, 2005).

Les blessés de cette guerre, conduite pour les actionnaires, sont : les chômeurs, les précarisés, les « travailleurs pauvres », les « malades du travail », les accidentés à cause de la fatigue, les dévalorisés psychiquement par l’impossibilité de « travailler bien », ceux que le stress ronge, insidieusement.

(23 mai 2007)

 
         
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