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Venezuela: après la victoire de Chavez
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Jean-François Marquis Le référendum du 15 août au Venezuela a débouché sur la victoire du président Hugo Chavez. La mobilisation massive dans les quartiers populaires –la participation a dépassé 80%– a donné plus de 5 millions de Non à la révocation de Chavez, contre 3,6 millions de Oui. C'est une nouvelle étape dans la «révolution bolivarienne», le processus enclenché depuis l'élection à la présidence du Venezuela de Chavez, en 1998. L'opposition, la mal nommée «Coordination démocratique», ne désarme pas. Pas plus que son parrain, l'impérialisme américain. De nouveaux affrontements sont programmés. Informer, informer… Les médias «informent». Chaque jour, nous en avons de nouveaux exemples. Ainsi, le nouveau gouvernement irakien réinstaure la peine de mort et prépare l'état d'urgence. Les partis qui le composent imposent l'élection en bloc d'une liste unique (!) pour l'assemblée provisoire devant siéger jusqu'à de futures élections: c'est un processus démocratique en marche. Par contre, au Venezuela, une «opposition démocratique» mène une guerre ouverte contre un président élu. Elle est directement financée par des agences officielles américaines. Cette opposition –dont la colonne vertébrale est constituée de la bourgeoisie vénézuélienne et des vieilles élites politiques s'étant partagé la mise en coupe réglée de la rente pétrolière– a organisé un vrai coup d'Etat en avril 2002, qui a échoué face à la mobilisation populaire. Cette opposition a ensuite imposé un lock-out de l'industrie pétrolière, de décembre 2002 à février 2003, pour mettre à genoux Chavez en ruinant le pays. Elle a une fois de plus échoué, en particulier face à la résistance des ouvriers de l'industrie du pétrole –ce qui a débouché sur l'émergence d'un nouveau mouvement syndical indépendant dans le pays, l'Union nationale des travailleurs (UNT). Cette opposition, qui instille une vraie haine de classe et raciste à l'égard de Chavez et de ce qu'il représente, n'a pas été réduite au silence. Elle n'a pas été expropriée, en particulier de son contrôle sur les médias du pays. Au contraire, elle a pu organiser la récolte de signatures pour un référendum portant sur la révocation du président Chavez. Ce référendum s'est déroulé en présence d'un grand nombre d'observateurs internationaux mis en place par le Centre Carter et de l'Organisation des Etats américains (OEA), deux organismes qui multiplient les pressions pour «convaincre» Chavez de céder à l'opposition. Ces observateurs ont annoncé que leurs contrôles concordent avec les résultats officiels. Malgré cela, le président Chavez est présenté comme un dictateur et l'opposition appelée «démocratique». Un affrontement social qui se radicalise Pour échapper à cette «information», d'autre repères sont nécessaires. En voici quelques-uns. Le Venezuela est le 5e exportateur mondial de pétrole. Mais c'est aussi un pays où 80% de la population vit en dessous du seuil de la pauvreté et où les inégalités sociales sont aussi profondes qu'au Brésil. Depuis 1958, une élite politique divisée en deux partis s'est partagée le contrôle du pays et de la rente pétrolière, par le biais de la compagnie nationalisée en 1976, PDVSA. En 1988, le gouvernement de Carlos Andrès Perez – membre éminent de l'Internationale socialiste– appliqua brutalement les plans d'austérité du FMI, imposant des hausses dramatiques des produits de première nécessité. La protestation populaire fut écrasée dans le sang: des centaines de morts. Sans doute un exemple de (social-)démocratie. Cette répression provoqua une crise dans l'armée, où émergèrent Chavez et un secteur d'officiers nationalistes. Entre 1981 et 1997, la part du revenu national du 40% les plus pauvres de la population a chuté de 19,1% à 14,7%, alors que celle des 10% les plus riches augmentait de 21,8% à 32,8%. Les coupes dans les budgets de la construction, de la santé et de l'éducation ont été massives. Voilà le contexte de la première victoire électorale de Chavez en 1998 –après une tentative avortée de coup d'Etat en 1992. La politique sociale n'a pas été au coeur de la politique du gouvernement Chavez au cours de sa première période. La radicalisation du combat mené par les anciennes élites a changé en partie la donne. Sans riposte populaire, le coup d'Etat de 2002 aurait réussi. La réforme agraire et la réforme urbaine –plus de 50% de la population vit dans des bidonvilles– ont reçu une nouvelle impulsion. Après l'échec du lock-out pétrolier en février 2003, le gouvernement a lancé des réformes sociales, appelées «missions», contournant la bureaucratie d'Etat. La hausse du pétrole a facilité leur financement. Les produits de base ont été subventionnés. Des milliers de médecins cubains sont venus développer des dispensaires à la campagne et dans les bidonvilles. Des enseignants cubains ont fait de même. Parallèlement, l'auto-organisation s'est développée dans les quartiers populaires. Une nouvelle centrale syndicale indépendante, l'UNT, a émergé. La dynamique de ces processus sera décisive lors de prochains chocs. Tout un secteur de l'armée est intriqué aux vieilles élites: il n'y a pas de garantie de ce côté-là. Elle est par définition sensible aux rapports de force sociaux. Une option anti-impérialiste Lors du coup d'Etat d'avril 2002, l'administration Bush s'est précipitée pour saluer les putschistes. Elle n'a pas cessé d'intervenir. L'anti-impérialisme de Chavez n'a pas fléchi dans cette confrontation; il s'est au contraire radicalisé. Les Etats-Unis sont engagés depuis plusieurs années dans un déploiement continental. Il s'agit à la fois d'imposer l'ouverture illimitée des marchés et le respect des règles du «consensus de Washington» dictées par le FMI et la BM. En même temps, le plan Colombie –lancé par le Démocrate Clinton!– illustre l'intervention politique et militaire des Etats-Unis pour asseoir leur domination, par l'intermédiaire de régimes vassaux. Enjeu d'autant plus important que, ces dernières années, face aux conséquences sociales dévastatrices des politiques néo-libérales, les rébellions populaires se sont multipliées sur tout le continent: Argentine, Equateur, Bolivie, Pérou, Paraguay… Dans ce cadre, Chavez incarne un anti-impérialisme qui refuse de baisser pavillon… et qui se radicalise. Il dénonce le «consensus de Washington» et la saignée qu'il impose à l'Amérique latine. Il combat, seul, le projet d'Accord de libre échange des Amériques (ALCA). Il s'est opposé à l'intervention américano-française en Haïti et au déploiement d'une force d'intervention latino-américaine dans ce pays, sous commandement brésilien. Le contraste, précisément, est saisissant, avec le rôle de bon élève du FMI et de Wall Street endossé par la présidence Lula (cf. La brèche No 2-3), et, dans son sillage, par le président argentin Kirchner. Lula qui, le 22 août dernier a déclaré à Santiago du Chili: «Nous considérons [les Etats-Unis] comme un compagnon [companero] indispensable pour le Brésil et l'Amérique du Sud». Avant d'ajouter: «Je reconnais que [le président Bush] voit dans le Brésil un facteur d'équilibre et de stabilité dans la région.» (AFP) Après son échec lors du référendum, la guerre larvée de l'impérialisme américain contre la révolution bolivarienne, relayée par les anciennes élites prédatrices du pays, va reprendre de plus belle. Le Venezuela constitue pour lui en Amérique latine un exemple d'indépendance intolérable. L'auto-organisation et la radicalisation des masses populaires vénézuéliennes seront décisives dans cet affrontement. Mais la solidarité internationale a aussi son rôle à jouer, plus important que jusqu'à maintenant. Face à une telle confrontation, la neutralité n'a pas sa place. Solidarité avec la "révolution bolivarienne" ! [Sources: Gregory Wilpert, «Collision in Venezuela», New Left Review 21, mai-juin 2003; Lee Sustar, «Venezuela defeats the coupmakers», Socialist Worker online, 20 août 2004] Pour des informations régulièrement mises à jour sur le Venezuela: www.alencontre.org |
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