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Salaires
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La farce ?

Charles-André Udry

Chaque début d’automne s’ouvre un débat –à la fade tonalité helvétique– sur la «situation des salaires», ou encore «la justice salariale»… qui est dictée, ne l’oublions pas, par un seul juge: le taux d’exploitation imposé par le rapport de forces entre Capital et Travail. Or ce rapport de forces est, en partie, le produit de ce qu’une étude du Credit Suisse saisit bien: «Les négociations salariales entre partenaires sociaux sont pour beaucoup dans l’évolution souple et modérée des salaires.» Un «avantage qui doit être préservé à l’avenir» (Economic Briefing, No 37, p. 22).

L’intox a aussi son rôle dans le débat salarial. Ainsi, la somme totale des salaires aurait augmenté, au cours du premier semestre 2008, de 6,6 % et de 4 %, après déduction de la hausse des prix à la consommation. Le chercheur Ingve Abrahamsen (KOF) se fonde sur les données de l’AVS pour l’affirmer. Deux facteurs remettent de l’ordre dans ce chiffre. Le premier: l’emploi a augmenté de 2,8 % durant le premier semestre, ce qui explique, en partie, cette hausse du volume. Le second, des entreprises ont engagé une main-d’œuvre très spécialisée, recevant des salaires fort élevés.

Cela est graphiquement démontré lorsque l’on examine l’expansion des sièges (européens) de grandes firmes transnationales dans quelques régions. Exemples. Genève-Lausanne: Procter-Gamble, Philip Morris, Carterpillar, Cisco, Fedex, Honeywell, Alcoa, Dupont. Région zurichoise: IBM, General Motors, Dow, Pfizer, Merck. Zoug: Cilag-Johnson & Johnson, Taloca-Kraft Foods, Abbot, 3 M, Bristol-Myers Squibb, Amgen.

Si l’on ajoute à ces firmes transnationales des firmes suisses de ce «calibre», en termes de cadres et donc de salaires, le chiffre de 4 % est expliqué. Et surtout, on saisit combien l’inégalité salariale a marqué la période de reprise économique ouverte en Suisse depuis le troisième trimestre 2003.

 

Il reste à répéter quelques données de base pour saisir combien la «question salariale», en Suisse, est l’expression d’une distribution très inégalitaire de la valeur ajoutée (de la richesse) produite.

Tout d’abord, pour le patronat, le chiffre clé est celui des coûts unitaires salariaux. Dit autrement, le «coût salarial» (salaire direct et «charges sociales») par unité produite. Il peut s’obtenir en divisant le «coût salarial» par le volume de la production.

Il faut donc tenir compte de l’évolution des salaires réels et de l’évolution de la productivité, soit de la production par heure et par travailleur. Sur la période allant de 2000 à 2007 (donc en tenant compte du recul conjoncturel de 2002-2003), la productivité du travail a augmenté de 10,4 % (selon les chiffres officiels). Par contre, les salaires réels dans l’industrie et la construction –là où la productivité a plus augmenté que la moyenne indiquée– ont progressé au mieux de 3,3 % et 3,4 % respectivement. Les coûts unitaires salariaux ont donc baissé fortement.

 

Cet essor de la productivité, les salarié·e·s la ressentent sur leur peau: intensification du travail accrue, absentéisme en baisse (car réprimé), ainsi que santé dégradée au travail.

En outre, cette hausse de la productivité ne s’est pas traduite par une diminution du temps de travail, mais par son maintien ou même par plus d’heures supplémentaires, souvent non payées.

A cela, il faut ajouter que la hausse du coût de la vie ne se répercute pas de la même façon sur les bas et les hauts salaires. La montée des prix des biens alimentaires, de l’essence, etc. est supérieure 0,5 % pour un salaire de 4500 francs par rapport à un de 12’000. Ne sont pas prises en compte la croissance des primes maladie –à la hausse, à nouveau, car les assurances ont perdu une partie de leurs réserves en Bourse– ou celle des primes pour le 2e pilier.

Pendant ce temps, comme le soulignait déjà, le 23 décembre 2008, l’hebdomadaire Schweiz.ch, les firmes distribuent des dividendes élevés à leurs actionnaires, même celles dont les résultats sont en recul.

En un mot comme en cent, il n’y aura récupération d’une partie de la valeur ajoutée créée par les salarié·e·s que si, enfin, l’action collective et directe se fait réelle. Sans quoi, les déclamations syndicales seront, une fois de plus, destinées aux «archives fédérales».

(20 septembre 2008)

 
         
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