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CFF Cargo: grandes manoeuvres et résistances
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Les Officine de Bellinzone: les CFF continuent l’attaque

Urs Zuppinger

La bataille pour la défense des Ateliers mécaniques de Bellinzone s’inscrit dans un contexte qui nécessite de mettre en question l’ensemble des orientations des CFF.

Au printemps dernier, les Officine de Bellinzone ont focalisé l’attention du public suisse. Le 7 mars 2008, la direction des CFF avait adopté un plan d’assainissement de CFF Cargo – dont le déficit a atteint 190 millions en 2007. Ce plan prévoyait, entre autres, la liquidation des ateliers qui assurent au sud du Gothard l’entretien du matériel roulant au sein des CFF. L’entretien des locomotives aurait dû être déplacé à Yverdon-les-Bains et l’entretien des wagons aurait été externalisé.

La riposte ouvrière

En réponse à ce plan les ouvriers se sont mis en grève. La grève, qui durera quatre semaines, se signala par une prise en charge exemplaire du combat par les travailleurs eux-mêmes, un fonctionnement parfaitement démocratique et un soutien syndical local sans faille. Toutes les composantes de la société tessinoise se sont mobilisées pour soutenir les travailleurs, car leur lutte posait manifestement un problème de politique régionale. Dès lors, un débat public sur l’avenir de CFF Cargo, la politique des CFF et la politique des transports de la Confédération a commencé à se développer dans la presse.

La détermination des travailleurs a obligé le conseiller fédéral «socialiste» Moritz Leuenberger de sortir de sa réserve et de rechercher une issue au conflit en lançant une démarche dite de la «table ronde».

Le 29 mai 2008, lors de la deuxième séance organisée dans ce cadre, les ouvriers ont eu gain de cause sur plusieurs points. Il a été reconnu que les Officine n’étaient pour rien dans la débâcle de CFF Cargo. Il a été admis que l’entretien des locomotives pourra en principe rester à Bellinzone. Les lettres d’intention avec les entreprises Ferriere Cattaneo (Giubiasco – TI) et Josef Meyer (Rheinfelden – AG), qui devaient permettre l’externalisation de l’entretien des wagons, ont été «classées». Un délai de deux ans – jusqu’en 2010 – et un montant de 10 millions ont été accordés aux Officine afin de définir l’avenir du site de Bellinzone. Des groupes de travail ont été mis en place à cet effet.

En enregistrant ce résultat, les travailleurs savaient que la victoire n’était pas acquise. Ils ont néanmoins décidé d’arrêter la grève. Avec la reprise du travail, l’attention des médias s’est détournée de Bellinzone. Le débat public sur les transports s’est endormi et la direction des CFF a relevé ouvertement la tête.

Pour se prémunir contre ce «retour à la normale» les travailleurs ont maintenu l’organisation collective qui avait fait ses preuves durant la grève. Le comité de grève a continué son activité et les travailleurs ont maintenu leur réunion en assemblée générale durant les heures de travail. Ainsi, ils ont été informés par leurs pairs en continu sur l’évolution de la situation. Ils ont pu se prononcer sur les résultats intermédiaires des travaux de la «table ronde». Ils ont pu décider des options à prendre face aux agissements de l’encadrement au sein des Ateliers.

Le jeu de la direction des CFF a consisté, sans surprise, à essayer de faire admettre par l’opinion publique que la grève de Bellinzone avait été un simple accident de parcours, sans incidence véritable sur la stratégie de l’entreprise. Le 29 juin, le chef des CFF, Andreas Meyer, a affirmé dans un entretien accordé au Temps qu’il avait tiré un seul enseignement des événements de ce printemps. En substance: tous les participants à la «table ronde», y compris les travailleurs, auraient reconnu la nécessité d’améliorer la productivité du site.

Quant à Ferriere Cattaneo et Josef Meyer, les deux entreprises qui avaient été pressenties pour reprendre la division entretien des wagons des Officine, elles ont annoncé le 12 juin 2008 qu’elles mettront en service – en 2010 au plus tard et sur un site au sud des Alpes – une unité de production destinée à la maintenance de «wagons privés». Leurs objectifs sont évidents: faire concurrence aux Officine et mettre en place un dispositif qui puisse récupérer le cas échéant ce qui subsistera des Officine si une défaite était infligée aux travailleurs des Officine.

Un piège déjoué

Durant l’été 2008, les relations entre les travailleurs des Officine et la direction des CFF se sont soudainement tendues. Cette dernière annonçait, hors du cadre de la «table ronde», que les Officine seront déplacés au sein de l’organigramme de l’entreprise de la division du trafic des marchandises à la division du trafic des voyageurs. Division à laquelle appartiennent déjà les autres ateliers de maintenance de l’entreprise.

Les travailleurs ont immédiatement compris qu’ils ne pouvaient accepter qu’une telle décision soit prise en dehors des négociations de la «table ronde». En effet, s’ils laissaient faire la direction des CFF, ils acceptaient que cette dernière puisse relancer, en parallèle à la procédure décidée pour le fonctionnement de la «table ronde», une démarche de rationalisation – par la seule direction des CFF et sans discussions – de l’ensemble des structures de maintenance de l’entreprise.

Le résultat des choix faits dans ce cadre pourrait ensuite être invoqué par la direction des CFF afin de remettre en question le principe du maintien des Officine, tel qui avait été décidé le 29 mai. L’objectif n’était d’ailleurs guère camouflé. En effet, selon certaines sources [1], l’hypothèse d’une réorganisation de la maintenance lourde aurait ressurgi au début du mois de juillet avec une échéance de décision à fin 2008.

Face au refus de la direction des CFF d’admettre que ce projet de restructuration puisse être discuté, les travailleurs ont compris qu’il fallait durcir le ton. Une relance de la mobilisation régionale est déjà en cours. La projection du film «Giu le mani dell’ Officina di Bellinzona» (Touche pas aux Ateliers de Bellinzone!) rencontre un franc succès. Le 18 août, une lettre a été adressée au président de la «table ronde», Franz Steinegger (ex-président du Parti radical suisse). Elle demandait que le projet de restructuration des CFF soit mis à l’ordre du jour de la séance prévue du 3 septembre 2008 et annonçait que la participation des travailleurs aux groupes de travail de la «table ronde» était suspendue dans l’intervalle.

En réponse à cette missive, Franz Steinegger a annulé la séance du 3 septembre avec l’argument que les projets de restructuration de la direction des CFF sortaient du champ de compétence de la table ronde.

Une rencontre entre la délégation des travailleurs des Officine et Franz Steinegger, le 2 septembre, a abouti à un changement de position. Steinegger a accepté, face à la fermeté de la délégation ouvrière, que le déplacement des Officine dans le secteur voyageur, avec toutes ses conséquences possibles, soit mis à l’ordre du jour d’une réunion de la «table ronde» fixée au 16 septembre 2008.

Organisons la solidarité!

Quelle que soit la suite des événements, il est clair que l’heure est venue de relancer une campagne de solidarité avec la lutte des travailleurs des Officine en dehors du Tessin, car dans ce canton elle n’a pas cessé.

Elle devrait pouvoir se concrétiser cet automne relativement facilement pour les raisons suivantes. Le comité «Giu les mani dall’ Officina di Bellinzona», qui appuie les travailleurs depuis plus de dix ans, a organisé le 31 mai dernier à Bellinzone un séminaire sur le thème «Créer une, deux, cent, Officine! Pour un syndicalisme des travailleuses et travailleurs!».

Cette rencontre a réuni plus de 200 participant·e·s de toute la Suisse. Une nouvelle rencontre aura lieu le 20 septembre prochain à Rodi. Le but premier de cette deuxième rencontre sera d’amorcer la constitution d’un réseau de militant·e·s syndicalistes. Mais elle pourra également servir de coup d’envoi afin de lancer une campagne d’explication et de solidarité avec les travailleurs des Officine, cela à l’échelon national et international. D’ailleurs, les travailleurs des Officine ont déjà organisé un appui à la lutte des travailleurs de l’entreprise INNSE dans la région de Milan, entreprise qui a été fermée et qui est «autogérée» par les salarié ·e·s.

Pour toucher un public large, il serait judicieux que cette campagne aborde conjointement le combat que les travailleurs des Officine mènent pour défendre leurs emplois et les changements en cours et à venir dans le domaine des transports ferroviaires en Suisse et, plus généralement, en Europe.

En effet les travailleurs des Officine se battent pour ne pas être victimes du projet de «libéralisation-privatisation» concocté par les CFF. Mais ces décisions sont directement liées aux «modifications» en cours à l’échelle nationale et européenne. Or, leurs conséquences ne seront pas seulement négatives pour les salarié·e·s des CFF, mais également pour les usagers. De plus, les traits forts de la réorganisation en cours aboutissent à mettre en cause la faisabilité d’un choix social et environnemental: le transfert du transport des marchandises de la route vers le rail. Pour comprendre l’ampleur de ce problème, quelques précisions sont nécessaires.

L’avenir de CFF Cargo

Au cours de ces dernières années, la direction de CFF Cargo avait tenté de se faire une place sur le marché européen du transport des marchandises en offrant ses prestations à des prix de sous-enchère. Cette politique s’est soldée par des déficits annuels croissants qui ont atteint 190 millions en 2007. Pour le premier semestre 2007, le déficit déclaré de CFF Cargo s’élevait à 35,5 millions et à 8,2 millions pour le premier semestre de 2008. La direction impute, évidemment, une partie de cette perte, soit 2,5 millions, à la grève des Officine.

Mais la direction des CFF veut indiquer, à partir des derniers chiffres, que le redressement financier est à l’ordre du jour. C’est dans ce plan de «redressement» que s’inscrit la conclusion d’accords de coopération avec d’autres acteurs de ce grand marché, de plus en plus intégré. Dans ce but elle a invité [2] cet été les partenaires potentiels par voie de concours à lui soumettre des montages d’offres de transports multimodales, dans lesquels CFF Cargo pourrait s’intégrer en retrouvant une viabilité économique. Echéances annoncées de la démarche: 22 septembre pour les dépôts des offres et fin 2008 pour le choix.

CFF Cargo a trois atouts à faire valoir face à des partenaires éventuels: la fiabilité relative de ses prestations, la position stratégique de la Suisse à l’intersection entre les flux de transport Nord-Sud et Est-Ouest de l’Europe et l’importance des investissements consentis par le peuple suisse pour améliorer l’infrastructure ferroviaire sur territoire suisse (voir encadré: «Des finances très politiques»)

Mais CFF Cargo a aussi de nombreux handicaps. Les interlocuteurs potentiels des CFF savent que CFF Cargo est encore dans les chiffres rouges. Les entreprises qui dominent le marché européen sont bien plus grandes que les CFF et, en ce qui concerne le transport de marchandises, la Deutsche Bahn et RCA (Rail Cargo Austria) [3] ont déjà accompli la mue de l’entreprise publique de chemin de fer qu’ils étaient en une entreprise privatisée de transport et de logistique. Cette dernière offre une palette de prestations qui englobent, à côté du rail, le transport routier, maritime et aérien. Quant à la SNCF, un processus de restructuration similaire est en cours depuis ce printemps avec la création de Geodis qui a indiqué son intérêt pour une collaboration avec CFF Cargo.

Ces trois géants se livrent une dure et complexe bataille pour la domination des axes de transport stratégiques de l’espace européen. La compétition est dominée par la Deutsche Bahn (qui a déjà conclu une alliance rentable avec la BLS pour l’axe Nord-Sud). Elle se durcira encore dans le contexte récessif qui s’affirme en Europe, ce qui touchera directement le volume du fret.

Dans un tel contexte, il est peu probable que les CFF puissent dicter les termes des alliances qu’ils déclarent vouloir conclure. Or, si CFF Cargo passe sous la domination – directe ou indirecte – d’un des géants privés européens, il est fort probable que la politique, formellement adoptée en Suisse, de transfert du trafic de marchandises de la route au rail aura du plomb dans l’aile.

Changer la tête et les jambes

Fin 2008 est manifestement un moment charnière pour l’avenir des CFF. C’est l’échéance qui a été arrêtée pour définir un projet de coopération pour CFF Cargo. C’est aussi la date que la direction des CFF semble avoir fixée pour arrêter les modalités de réorganisation de la maintenance lourde. Or, le 1er janvier 2009 entre en fonction du nouveau président du conseil d’administration des CFF, le «socialiste» Ulrich Gygi, l’homme qui a restructuré et libéralisé La Poste suisse sans faire de vagues; ce d’autant plus que les syndicats – Syndicat de la communication et Transfair – ont accompagné ce chamboulement. Ulrich Gygi n’aura pas de difficulté à traiter avec la direction du SEV, syndicat du personnel des transports, et à conduire la «modernisation» des CFF, terme utilisé pour présenter la préparation de l’ouverture accentuée de ce secteur au capital privé.

Mais ce n’est donc pas seulement à propos de CFF Cargo et de la maintenance du matériel roulant qu’on s’achemine vers des décisions importantes au cours des mois à venir. Au début du mois de juin 2008, les Chambres fédérales ont commencé l’examen du Message du Conseil fédéral «sur la vue d’ensemble du FTP [4]». Que se cache-t-il derrière ce titre énigmatique?

Le message en question traite du financement du programme de modernisation de l’infrastructure ferroviaire en cours (voir encadré: «Des finances très politiques») et propose une démarche pour définir le programme des investissements ultérieurs. Selon le programme initial, les projets en cours auraient dû coûter 30,5 milliards (valeur 1995). Le Conseil fédéral ne demande pas moins de 25,6 milliards supplémentaires pour les achever!

Le problème qui se pose est que ces milliards supplémentaires accapareront la totalité des ressources que la Confédération avait prévu de consacrer à la modernisation du réseau des chemins de fer dans les années à venir. Or, la nécessité d’une série d’autres projets, dont celui de la 3e voie entre Lausanne et Genève, est reconnue. Et les taux d’utilisation que les chemins de fer connaissent depuis quelque temps appelleront encore de nombreux autres investissements. En effet, en termes de personnes-kilomètres, la progression du trafic voyageurs a été de 6,9 % au premier semestre; ce qui n’est pas étranger au bénéfice de 194,7 millions enregistré durant la même période, une hausse de 13,4 % par rapport au premier semestre 2007. Il y a là un secteur potentiellement rentable, qui le serait encore plus, dans le futur, si préalablement des «assainissements» et investissements sont, pour l’essentiel, payés par les salariés-contribuables et les usagers.

Donc, pour les tenants du néolibéralisme, c’est un contexte idéal pour faire valoir la carte de la privatisation, obtenir un remodelage des prestations des chemins de fer en fonction de critères de rentabilité et imposer de nouveaux reports des charges financières sur les usagers.

En apparence, le sujet est encore tabou. Ainsi, le Message du Conseil fédéral se contente d’annoncer qu’il soumettra au parlement d’ici à 2010 un programme des projets ultérieurs de modernisation de l’infrastructure ferroviaire à réaliser, en évitant soigneusement de soulever la question du financement. Mais, parallèlement, une campagne de presse a débuté, sous la forme d’interviews du chef du DETEC [5], Moritz Leuenberger, du directeur des CFF, Andreas Meyer, et du directeur de l’OFT [6], Max Friedli. Il s’agit de préparer l’opinion publique à l’idée que le véritable problème est d’ordre financier et qu’aucune solution possible ne devra être écartée, a priori, y compris celle de la privatisation.

Cette dernière solution est promise dans les faits à un bel avenir. En effet, les seules autres solutions évoquées laissent croire que, si privatisation il n’y a pas, ce seront les contribuables et/ou les usagers qui passeront à la caisse. En effet, les mécanismes de transferts financiers, à l’occasion des phases préalables à une privatisation et qui représentent une subvention anticipée au capital privé, sont camouflés.

De plus, les adeptes du néolibéralisme sont majoritaires sous la coupole fédérale. Et les deux seules organisations qui se battent en Suisse pour une politique des transports respectueuse de l’environnement, à savoir l’Initiative des Alpes et l’ATE [7], tendent à se rallier à l’efficacité des «mécanismes du marché», cela au moment où, dans le cadre de la crise financière, des «conversions» se multiplient chez les économistes quant au rôle nécessaire de l’Etat (bourgeois) (voir encadré: «Pour quelle politique publique?»)

De plus, les adeptes d’une ouverture à l’économie privée bénéficient depuis ce printemps d’un puissant appui extérieur. A fin mai dernier, le parlement allemand a en effet accepté la privatisation de la Deutsche Bahn Voilà qui jette une autre lumière sur la petite phrase que Moritz Leuenberger a lâchée le 18 mai 2008 dans un entretien avec la SonntagsZeitung selon laquelle les CFF pourraient s’engager sur une voie identique (voir encadré «La Deutsche Bahn, un modèle pour les CFF?» et «Des finances très politiques».)

Alors comptons sur nos propres forces!

Ce contexte peu favorable exige d’autant plus une mobilisation de toutes les forces qui saisissent que, suivant les résultats de ces affrontements, la configuration des transports publics en Suisse – avec toutes les conséquences négatives qui en découleront pour les usagers, les salarié·e·s et l’environnement – va changer du tout au tout. L’enjeu est plus important qu’une élection cantonale!

Les travailleurs des Officine ne se sont pas seulement mis en grève pour défendre leurs emplois mais également pour empêcher, entre autres, l’externalisation d’une partie de leur activité. En France, des travailleurs organisés dans le syndicat Sud Rail ou la CGT se battent contre la dégradation de leurs conditions de travail et la vaste attaque contre la SNCF comme service public. En Allemagne, les conducteurs de train ont mené une grève victorieuse pour améliorer leurs salaires. Dans tous les pays européens, les travailleurs – salariés et usagers – sont confrontés à des problèmes similaires.

La campagne de solidarité avec les travailleurs des Officine – que nous devons collectivement relancer – doit servir en premier lieu à amplifier le soutien à leur lutte. En deuxième lieu elle devrait s’atteler à tisser des liens avec d’autres travailleurs du rail à travers l’Europe. Ces travailleurs savent que leurs difficultés sont en partie la conséquence de diverses politiques de libéralisation ou de privatisation de leur «outil de travail».

Une campagne qui met au centre conjointement la défense des conditions de travail des salariés du rail et le refus des politiques de libéralisation et de privatisation en cours dans ce secteur d’activités pourrait toucher au moins une partie de toutes celles et tous ceux qui, sans être actifs sur le plan syndical, sont favorables à une politique des transports respectueuse de l’environnement.

1. Voir l’article de Pino Sergi paru le 17 juillet dans le bimensuel du MPS Ticino Solidarietà

2. Voir Der Bund du 23 août 2008

3. Pour plus de précisions voir La brèche No 2/2008)

4. FTP = Fonds pour les transports publics

5. Département fédéral de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication

6. Office fédéral des transports

7. Association transport et environnement

 

Des finances très politiques

Le financement de l’entretien, du développement et de l’exploitation du réseau des chemins de fer suisses provient de nombreuses sources.

Le «fonds pour les transports publics» – ou FTP – sert à financer les grands projets de l’infrastructure ferroviaire (voir plus bas). Ce fonds est alimenté par la RPLP, la TVA et l’impôt sur les huiles minérales. L’exploitation de cette infrastructure par les CFF est financée par la Confédération (dans le cadre de contrats de prestations quadriennaux) et par les usagers (voyageurs, marchandises). Les chemins de fer privés sont financés par les usagers et bénéficient de subventions fédérales, cantonales et communales.

A part cela, il existe un «fond d’infrastructure» doté de 20 milliards provenant des taxes sur les carburants. Il sert au financement des autres tâches assumées par la Confédération dans le domaine des transports routiers et sur rail. Concrètement, il s’agit de l’achèvement du réseau des autoroutes ainsi que des projets de transports dans les agglomérations urbaines qui combinent, à chaque fois, des investissements dans les transports publics et privés et que la Confédération peut financer à hauteur de 50 % au maximum; le solde étant à la charge des cantons, des communes et des usagers.

Le débat actuel aux Chambres fédérales porte exclusivement sur le financement des grands projets ferroviaires en cours et à venir. Les projets en cours sont au nombre de quatre.

1. Les «NLFA» (Nouvelles transversales alpines) qui comprennent le tunnel de base du Lötschberg mis en service en juin 2007, ainsi que les tunnels de base du Gothard et du Monte Ceneri dont l’achèvement est programmé respectivement en 2017 et 2019.

2. Le raccordement de la Suisse occidentale et orientale au réseau européen des lignes de grande vitesse qui est aujourd’hui assuré.

3. La suite en cours de Rail 2002, appelé aujourd’hui «ZEB» («Futur développement de l’infrastructure ferroviaire»).

4. La protection en cours des abords du réseau ferroviaire contre le bruit.

Le tableau ci-dessous met en évidence que ces projets n’ont pas une utilité identique. Il montre notamment que les contribuables ont financé des ouvrages utiles aux transports par rail à travers l’Europe. L’avenir dira si ces investissements «aideront» le Conseil fédéral et la direction des CFF à augmenter le pouvoir de négociations avec des interlocuteurs européens…

S’agissant des investissements consentis pour raccorder la Suisse au réseau européen des lignes de grande vitesse, il faut se rappeler que les entreprises qui assument ce trafic très lucratif sont d’ores et déjà en mains privées. Le programme antibruit découle d’une obligation de la loi sur la protection de l’environnement.

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Selon les prévisions initiales, le coût de ces projets devait s’élever à 30,5 milliards (valeur 1995). Ce montant est aujourd’hui largement dépassé. La prise en charge de ces surcoûts – qui sont à hauteur de 80 % – engloutira les ressources disponibles de la Confédération durant les années à venir, alors que plusieurs autres projets d’infrastructures devraient être réalisés pour adapter la capacité d’accueil de l’infrastructure ferroviaire face à l’augmentation prévisible du trafic sur rail. Selon les prévisions de la Confédération celui-ci devrait augmenter de 50 % d’ici à 2030. La Confédération est sous la pression des cantons dont l’argumentation est solide. Elle s’articule ainsi. La croissance de la mobilité est un fait. Il faut aboutir à un transfert massif de la route sur le rail, pour des raisons écologiques et parce que l’Initiative des Alpes a été acceptée en 1994 et le projet Avanti (qui voulait augmenter la capacité du réseau des autoroutes) refusé en 2004. Sans de nouveaux investissements dans le réseau de chemins de fer le transfert ne se fera pas.

Pour clarifier la situation, le parlement avait demandé au Conseil fédéral de présenter une «vue d’ensemble». Le Message relatif à cet objet a été publié le 17 octobre 2007. Il annonce un besoin de ressources supplémentaires pour couvrir les projets engagés de 25,6 milliards, dont 5,2 milliards (valeur 2005) pour ZEB, 19,1 milliards pour les NLFA et 1,3 milliard pour la protection contre le bruit. Concernant les investissements ultérieurs (appelés actuellement ZEB 2), il annonce qu’un nouveau Message sera soumis aux Chambres dans les meilleurs délais, tout en précisant qu’il faudra définir un programme, sans évoquer la question de son financement. Ce faisant, il a ouvert un débat général sur l’avenir des transports ferroviaires du pays et son financement.

Au Conseil des Etats un premier débat sur le Message d’octobre 2007 et les lois et arrêtés qui en découlent a eu lieu le 5 juin 2008. Les travaux de la commission du Conseil national ont débuté le 1er juillet 2008. Le dossier occupera les Chambres durant tout cet automne et peut-être au-delà. Compte tenu des montants en jeu, il accaparera l’attention du département de Moritz Leuenberger, des cantons, des milieux de la construction et des bureaux d’études, sans parler du TCS et des milieux qui défendent les transports publics. En attendant, la direction des CFF et le président de la «table ronde» issue de la grève des Ateliers CFF Cargo de Bellinzone, Franz Steinegger, auront les mains libres – ou presque – pour régler le conflit des Officine comme bon leur semble.  A moins que les travailleurs ne se remobilisent selon les modalités qu’ils décideront.

Et pourtant, leur lutte est bien moins loin du débat aux Chambres qu’il n’y paraît de prime abord. Depuis le début, ils se battent simultanément pour leurs emplois et contre la privatisation des prestations qu’ils fournissent dans le cadre des CFF. Or, la perspective de la privatisation va inévitablement être abordée dans le débat sur le financement de ZEB 2. Car de deux choses l’une: soit le parlement libérera de nouvelles ressources publiques, soit on s’adressera à «l’économie privée» tout en essayant de faire passer les usagers à la caisse. Or, l’enjeu porte sur des dizaines de milliards à terme. Et les tenants d’une orientation allant dans le sens de la privatisation sont majoritaires sous la coupole fédérale. En outre, ils bénéficient depuis ce printemps d’un puissant appui «extérieur». En effet, à la fin de mai dernier, le parlement allemand a accepté la privatisation de la Deutsche Bahn (voir encart «La Deutsche Bahn: un modèle pour les CFF»).

Voilà qui jette une autre lumière sur l’annonce faite par Moritz Leuenberger, le 18 mai 2008, dans un entretien avec la SonntagsZeitung, selon laquelle les CFF pourraient s’engager sur une voie identique. Il ne faut pas se laisser berner par la levée de boucliers que cette remarque a soulevée dans le landernau politique suisse. Le thème sera repris à coup sûr dans les mois ou années à venir. Le conseiller aux Etats neuchâtelois radical Didier Burkhalter a déjà posé un premier jalon en proposant que l’article 5 du projet de loi qui ouvre la voie à Zeb 2 soit complété par un passage qui mentionne la possibilité de financer des projets de chemins de fer par l’intermédiaire de démarches PPP (partenariats public-privé). La conseillère aux Etats «socialiste» Géraldine Savary a déclaré que cet amendement ne mangeait pas de pain. Dans les faits, son acceptation par les Chambres reviendrait à une injonction à l’adresse du département de Moritz Leuenberger de tester les potentialités concrètes d’une ouverture aux capitaux privés.

 

La Deutsche Bahn, un modèle pour les CFF?

Le chiffre d’affaires annuel de l’entreprise s’élevait en 2007 à 30 milliards d’euros, le nombre de personnes transportées à 1,8 milliard et le nombre d’employés à 240’000. Ce monstre a été privatisé en mai dernier par décision du parlement allemand. L’entreprise privatisée prendra la forme d’un holding. L’entreprise de transports de personnes et de marchandises portera le nom «DB Mobility Logistics AG» et emploiera 170’000 personnes.  A ses côtés prendront place les sociétés en charge du réseau ferroviaire, de la fourniture d’énergie et de l’exploitation des gares. Les autorités allemandes espèrent que l’émission d’actions permettra d’attirer un capital de l’ordre de 5 à 8 milliards d’euros. Ce pactole sera coté en bourse avant la fin de l’année.

Dans les années précédentes déjà la Deutsche Bahn avait sabré de nombreuses lignes peu rentables mais socialement indispensables à travers le pays. Suite à la privatisation, l’Etat allemand n’a plus aucune prise sur la poursuite de ce mouvement. La Deutsche Bahn fonctionnait déjà avec un système de tarification qui différencie les billets selon l’attractivité des trajets. La première décision importante que les dirigeants de la nouvelle structure ont prise suite à la privatisation était une hausse du prix des billets, très certainement pour émettre un signal positif en direction de la bourse.

Il faut s’attendre à ce que les mutations en cours en Allemagne donnent des ailes aux tenants du néolibéralisme en charge de postes de décision dans notre pays.

 

Pour quelle politique publique?

Deux organisations militent en Suisse pour une politique des transports respectueuse de l’environnement: l’Initiative des Alpes et l’ATE (Association transport et environnement).

L’Initiative des Alpes a été acceptée en 1994 en votation populaire. Cette initiative gèle la capacité des routes de transit des régions alpines et stipule à son art. 2: «Le trafic de marchandises à travers la Suisse s’effectue par rail».

Le mouvement qui l’a fait aboutir se bat depuis lors pour faire en sorte que le texte accepté se traduise dans les faits. Il concentre aujourd’hui son énergie sur la mise en place d’une «bourse de transit» fonctionnant comme suit. Un volume maximal de trajet de camions est déterminé pour chaque passage routier à travers les Alpes. Un nombre correspondant d’autorisations de passage est vendu aux enchères quotidiennement sur Internet. Si le prix de l’autorisation dépasse celui de la traversée ferroviaire, le système incitera les camionneurs à choisir le rail. L’argent récolté pourra être affecté au développement du réseau ferroviaire. La faisabilité technique du système est établie. La Confédération rechigne à le mettre en place en évoquant la nécessité de se coordonner avec les pays voisins.

L’ATE a annoncé ce printemps qu’elle envisage le lancement d’une initiative populaire pour «plus de transports publics» qui demanderait que le 50 % des taxes sur les carburants soit affecté à la promotion du trafic voyageur public et au transfert du trafic de marchandises de la route au rail. La décision du lancement n’est pas prise.

Les deux organisations se battent sur le flux, peu importe que les opérateurs soient publics ou privés. Le credo sur le caractère incitatif des mécanismes de marché est intégré. Ces deux organisations adhéreront-elles à une campagne sur la politique des transports qui mettrait l’accent sur la nécessité de combattre les démarches de privatisation? Le problème et la question devraient leur être posés par tous les acteurs qui se sont ralliés à la «bataille des Officine».

(14 septembre 2008)

 
         
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