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Crise bancaire
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Quel crédit pour l’UBS et le CS ?

Charles-André Udry

L’UBS et le CS gagnent avec les riches et perdent après avoir plumé les futurs sans-logis

L’UBS a mis sur le marché, au cours de la troisième semaine du mois de mai 2008, une nouvelle action à un prix de discount: 21 francs par action nouvelle; soit un tiers inférieur au niveau atteint le vendredi 23 mai. L’action se situait à cette date hauteur de 29,94 francs. Pour rappel, en juillet 2007, l’action avait atteint le cours de 80 francs. Durant les 52 semaines précédant le 23 mai 2008, elle a perdu 62,05% de sa «valeur».

L’opération de vente «à un cours attractif» devrait créer 760,3 millions d’actions nominatives. A ce prix – qui, en fait, est plus élevé si l’on tient compte des commissions – l’UBS devrait pouvoir lever 15,97 milliards de francs. Les actionnaires se verront attribuer un droit de souscription pour chaque action existante détenue. L’exercice de 23 droits de souscription permettra aux détenteurs de souscrire sept actions à ce tarif préférentiel. Les droits seront négociés à la Bourse de Zurich et de New York, du 27 mai au 9 juin 2008. L’émission de droits de souscription a été entièrement souscrite par un syndicat dirigé par JPMorgan, Morgan Stanley, BNP Paribas et Goldman Sachs; des amis-ennemis de l’UBS, qui revendront les actions avec quelques petits bénéfices.

Licencier et transmettre l’acné

Cette manœuvre doit permettre de mener à bien une augmentation de capital afin de résister aux uppercuts encaissés par la crise du «subprime», c’est-à-dire le segment des hypothèques «à risque». Autrement dit, des prêts hypothécaires placés aux Etats-Unis auprès de salarié·e·s dont les revenus stagnants ou décroissants ne leur ont pas permis de faire face aux échéances, d’autant plus que les taux d’intérêt grimpaient, après un ou deux ans, à un rythme que ceux qui leur avaient fourgué les prix leur avaient soigneusement caché. A cela s’ajouta un déclencheur de crise: une baisse du prix des biens immobiliers qui traduisait la surcapacité de production de maisons face à la possibilité de les acheter à crédit (hypothèques).

A cette «augmentation de capital» – qui prépare aussi l’annonce des résultats roses de l’UBS qui sortiront en juin 2008 – s’ajoute une série d’autres mesures. La direction va supprimer 5500 postes de travail d’ici à mi-2009, soit près de 7% du personnel. En outre, l’UBS – première dans le peloton des banques de gestion de fortune privée à l’échelle mondiale, du moins jusqu’en 2007 – a cédé au gestionnaire de fonds américain Blackrock 15 milliards de dollars d’actifs, qui lui avaient coûté 22 milliards. Et l’UBS financera l’opération à hauteur des deux tiers. Du sauve-qui-peut. Ce qui n’implique pas l’impossibilité d’un sérieux redressement de cette banque dans les quatre ou cinq ans à venir, si l’on exclut l’hypothèse d’une crise à la 1929.

Toutefois, on est en droit de se poser une question: ces gestionnaires de fonds (private equity) à qui l’UBS ou Deutsche Bank – qui a fait de même que l’UBS avec Blackstone – vendent pour des milliards d’actifs sont-ils plus solides que ces grandes banques ? Ou bien assiste-t-on, plus simplement, à des transferts d’actifs qui, une fois commissions encaissées et reventes effectuées, feront réapparaître, à nouveau, l’acné pustuleuse de la «crise de l’endettement» ? Notre réponse à cette interrogation est claire: l’UBS et ses consœurs nettoient leurs bilans, mais ne règlent en rien la «crise» d’ensemble des marchés financiers, dont profitent certains fonds spéculatifs, prêts à se nourrir des restes du dernier cadavre.

Le Conseil fédéral au secours de l’UBS

L’UBS est aussi sous le coup d’enquêtes aux Etats-Unis. Elle est soupçonnée d’avoir aidé des clients très riches à échapper au fisc américain, d’avoir organisé de l’évasion fiscale. Cela nous vaut un titre en première de la NZZ am Sonntag, du 25 mai 2008: «Le Conseil fédéral vole au secours de l’UBS aux Etats-Unis» (Bundesrat eilt der UBS in Amerika zur Hilfe). Il s’agit bien de l’UBS et non pas de l’AVS. Vous avez bien lu.

Et la NZZ am Sonntag de consacrer deux pages (pp. 37-38) à l’intervention de l’ambassade de Suisse aux Etats-Unis – dont les membres, formellement, sont sous les ordres de la «socialiste» Micheline Calmy-Rey – pour prendre la défense, entre autres, de Martin Liechti, le UBS-Topmanager, arrêté à l’aéroport de Miami, en avril 2008. La confiance des banquiers dans les compétences de la «socialiste» genevoise est toutefois limitée. Raison pour laquelle le porte-parole du conseiller fédéral des Finances Hans-Rudolf Merz a donné les lignes d’orientation que devait suivre la diplomatie helvétique en la matière. Le porte-parole ne vient pas de nulle part: il se nomme Oswald Sigg, autrement dit une famille de renom qui possède, peut-être, quelques informations pratiques et juridiques dans le domaine de l’évasion fiscale.

Cette affaire traduit non pas une poussée de l’éthique bancaire et fiscale aux Etats-Unis. Mais, avant tout, la lutte farouche que mènent les banques de gestion de fortune pour «débaucher» des clients de leurs concurrents et parfois même ce couple idéal qu’est le client et l’employé gestionnaire qui lui est attaché.

La menace de retirer la licence bancaire à l’UBS est brandie. Un épouvantail. Le Wall Street Journal – pas exactement un organe ayant pour cible les milliardaires qui fraudent le fisc – ne cesse de souligner ce chantage intimidation afin de susciter quelques départs de très grosses fortunes vers des banques américaines.

En d’autres termes, chaque crise capitaliste, avec ses traits spécifiques, crée une occasion pour accentuer la concentration et la centralisation du capital dans un secteur. Ou, si l’on veut: les requins en meilleure forme chassent sur le terrain de leurs «confrères» et «amis». Ils restent, toutefois, tous unis quand il faut faire face aux salarié·e·s qui ne peuvent payer leurs hypothèques ou lorsqu’ils licencient du personnel. Depuis la fin de 2007, le secteur des institutions financières a licencié 65’000 salarié·e·s à l’échelle internationale ( Handelszeitung, 21 mai 2008).

Soigner les riches et plumer les pauvres

Cela dit, tentons de faire le point sur le thème: quels sont les traits spécifiques de la crise des grandes banques suisses ? Pour ce qui est des fondements de ladite crise financière – en fait une forme d’une crise classique du capitalisme – nous renvoyons à notre article publié sur le site alencontre.org, en date du 25 février 2008.

1° Les grandes banques helvétiques, comme d’autres banques transnationales, ont acheté des parts de dettes polluées par des prêts risqués. Elles l’ont fait car cela devait stimuler leur rendement. Elles ont directement transféré le risque à des investisseurs sous forme de produits structurés complexes [1]. Cela a bien marché jusqu’au jour où le marché immobilier américain a cessé de grimper et s’est enfoncé dans l’ornière.

2° Le paradoxe social apparent pour ce qui est de la crise de l’UBS et du Credit Suisse – l’action de ce dernier a reculé de 42,45% au cours des 52 dernières semaines – est le suivant. D’un côté, les deux grandes banques suisses génèrent une grande partie de leurs profits dans la gestion de fortune de ce que David Rothkopf appelle «la superclasse» [2]. Cette dernière inclut non seulement les grandes fortunes américaines, mais les milliardaires issus du pillage du pétrole, du gaz et d’autres matières premières dans la Russie poutinienne, ainsi que quelques centaines d’ultrariches venant de Chine, d’Inde, d’Indonésie; sans mentionner, cela va de soi, cette élite qui, en un siècle, a passé de la rente chamelière à la rente pétrolière. Pour faire bonne figure, il faut y ajouter les fortunes de la vieille Europe, quasi habsbourgeoise.

De l’autre côté, UBS et CS ont tenté de maximiser leurs profits issus du commerce dans le segment du «subprime», c’est-à-dire, en dernière instance, grâce à l’argent d’une clientèle qu’elles ne connaissent pas, mais qui était intégrée dans les produits spéciaux (les hypothèques à risques). Etant donné leur pauvreté, ces «clients» n’ont plus pu faire face à leurs «obligations», c’est-à-dire payer les charges hypothécaires de leur maison. Dès lors, ils doivent la quitter, soit pour se retrouver à la rue, soit pour loger dans un camping-car. C’est en utilisant le résultat financier désastreux de cette gestion tenant les deux bouts de la chaîne sociale que des concurrents de l’UBS et du Credit Suisse poussent les membres de la superclasse – qui ne connaissent les camping-cars que, au mieux, sous la forme d’une photo – à changer de crémerie. C’est-à-dire à faire gérer leur fortune par Goldman Sachs, JPMorgan, ou même Vontobel et Julius Bär.

3° La capitalisation boursière [3] de l’UBS et du Credit Suisse a baissé entre juin 2007 et fin mars 2008 de 150 milliards de francs. Ce qui est largement dû à l’exposition de l’UBS et aussi du Credit Suisse au «subprime», à ce marché de pauvres, de gueux, qui seraient rejetés par le factotum de service à l’entrée d’une succursale de l’UBS ou du CS.

4° En outre, les deux grandes banques se sont engagées, avec détermination, dans le secteur du financement d’entreprises à fort effet de levier (LBO – Leverage Buy-Out). C’est-à-dire d’opérations d’achat de firmes très largement financées par le crédit, souvent à 100% et plus. Or, dans ce secteur, les pertes ont aussi été fortes, une fois la crise financière déclenchée. Il en a découlé un effondrement de la rentabilité des fonds propres des deux grandes banques suisses, étant donné la dépréciation des actifs.

5° Cela a conduit à des mesures brutales de restructuration. Dès mai 2007, il fallait être aveugle – ou intoxiqué par la presse financière ou simulant de l’être comme le quotidien Le Temps – pour ne pas comprendre que l’UBS était déjà entrée dans une zone de turbulences.

A cette date, elle a décidé, en effet, de fermer le fonds spéculatif DRCM (Dillon Read Capital Management), établi à New York. Ce fonds était censé renforcer la position de l’UBS à Wall Street et lui permettre de grimper de quelques échelons, après la glissade que lui avait fait subir la campagne concurrentielle portant sur les «fonds en déshérence». En 2005, pour qui se rappelle des articles publiés par Finanz und Wirtschaft, Dillon était présenté comme devant devenir le premier gestionnaire de fortune à l’échelle mondiale, cela à l’échéance de 2008 !

Les faits prouvent la robustesse de l’approche «scientifique» des spécialistes en gestion financière formés à Saint-Gall, pour ne pas parler de HEC Lausanne. Dès 2007, l’UBS se vantait d’être le troisième émetteur de CDO, derrière Merrill Lynch et Citigroup, et le premier émetteur de CDO d’ABS [4]. En réalité, elle fut, avec ces deux compères, frappée de plein fouet par l’affaissement de ces marchés.

6° Donc l’UBS et le Credit Suisse, qui se présentaient comme des gérants de fortune privée rassurants et assurés, ont agi comme des vautours myopes, sous l’effet de la concurrence intercapitaliste et des inégalités sociales croissantes, dont elles tiraient le maximum de bénéfices.

Les deux grandes banques ont étayé l’évasion fiscale, participé à la concentration de la richesse des dominants, placé des obstacles sur la voie d’une politique d’investissements industriels à long terme dans un cadre strictement capitaliste. Et, finalement, elles ont soustrait aux revenus de la Confédération et des cantons des dizaines de millions d’impôts.

Voilà une bonne raison, au moins, pour que le Conseil fédéral se précipite à Washington, pour voler au secours de l’UBS. A coup sûr, lorsqu’on connaît les gérants de fortune de Wall Street et leurs avocats, il est préférable que H.-R. Merz fasse le voyage, et non pas Micheline Calmy-Rey, qui s’est fait une réputation inoxydable grâce à son voyage gazéifié à Téhéran.

1. Il s’agit de la titrisation qui peut être expliquée ainsi. Une banque transforme un ensemble de créances en titres négociables sur un marché financier – à partir d’un instrument ad hoc: les SPV (Special Purpose Vehicle) – afin d’améliorer ses conditions de refinancement (d’obtention de nouveaux fonds) et d’augmenter la rentabilité de ses fonds propres. Cela donne lieu à la construction d’actifs dont, à la fin, personne ne connaît le contenu réel, tellement l’une après l’autre les institutions se refilent les risques… qui explosent lorsque le collatéral s’effondre: c’est-à-dire, ici, lorsque le prix de l’immobilier américain commence à chuter, et aujourd’hui espagnol, anglais, etc.

2. Superclass. The Global Powerelite and the World They are Making, Little Brown, 2008, 376 p.

3. Total des actions multiplié par leur cours.

4. CDO: Collateralised Debt Obligation, c’est-à-dire des obligations adossées à des collatéraux, en l’occurrence, ici, des prêts immobiliers. Lorsqu’il s’agit de prêts immobiliers, on parle de CDO MBS (Mortgage Backed Securities). Et lorsqu’on parle de CDO d’ABS, on désigne des CDO d’Asset Backed Securities, soit d’actifs fondés sur des titres, dont la valeur est plus que volatile.

(5 juin 2008)

 
         
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