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Fonction publique vaudoise
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Divisions et démobilisation

Urs Zuppinger

Le mouvement de la fonction publique dans le canton de Vaud a été neutralisé par la cooptation de sa composante corporatiste: la FSF

La grève du 31 janvier 2008 avait dopé les employé·e·s de l’administration cantonale vaudoise dans leur opposition contre les méfaits de Decfo-Sysrem, le nouveau système de la classification salariale des fonctions que le Conseil d’Etat veut leur imposer. Elle a eu lieu parce que les trois organisations du personnel qui existent à l’Etat de Vaud, la FSF, Sud et le SSP [1], tiraient à la même corde. Elle a amené le Conseil d’Etat à faire des concessions après sept mois de négociations à vide, au cours desquelles il n’était entré en matière sur aucune revendication du personnel.

Dans La brèche précédente, nous avions informé sur l’état du conflit avant la fin du mois d’avril dernier, à un moment où il y avait encore place pour l’espoir.

En effet, les employé·e·s de l’Etat de Vaud avaient parfaitement compris la signification des 80 millions que le Conseil d’Etat avait mis sur la table le 31 mars lors de la reprise des négociations suite aux deux mois d’interruption qui avaient suivi la grève. C’était une démonstration par l’acte que la lutte peut payer. Les discussions sur les lieux de travail le confirmaient. Une partie significative du personnel était prête, à ce moment-là, à poursuivre sur la lancée afin d’arracher à la partie patronale de nouvelles concessions. L’as­semblée générale du personnel du 9 avril était une traduction fidèle de cette ambiance. Face aux hésitations des représentants de la FSF, une majorité de la salle s’est prononcée pour la poursuite d’un combat unitaire misant sur la combinaison de la négociation et de la mobilisation à la base.

Concrètement, il a été décidé de tenir une nouvelle assemblée générale du personnel le 29 avril, suite à la troisième séance de négociation, et d’organiser le 15 mai une nouvelle mobilisation large, ayant au moins le caractère d’une manifestation.

Si les trois faîtières s’étaient tenues à cette décision, il n’y a pas de doute qu’il aurait encore été possible d’obtenir du Conseil d’Etat de nouvelles concessions substantielles.

Une rupture aux conséquences graves

Mais la FSF ne s’y est pas tenue. Lors de l’assemblée générale du personnel du 29 avril leurs représentants ont annoncé que leur faîtière se retirait de l’appel à la manifestation du 15 mai. Elle se concentrera désormais sur la négociation avec la DCERH (Délégation du Conseil d’Etat aux ressources humaines). En réponse à cette prise de position, l’assemblée du 29 avril n’a pas seulement maintenu l’appel à la manifestation mais décidé, en plus, de la faire suivre le 21 mai par une journée d’action et de grève sur les lieux de travail.

Or, les conséquences du retrait de la FSF ne se sont pas fait attendre. Les médias ont fait grand cas de la rupture de l’unité syndicale. Les séances de négociation qui ont suivi se sont transformées en un échange entre la DCERH et la FSF. Les revendications précises formulées par le SSP étaient systématiquement écartées et les contestations de la délégation de Sud n’avaient plus aucun impact. Sur les lieux de travail le personnel a rapidement saisi que le rapport de forces s’était dégradé en sa défaveur.

La manifestation du 15 mai ne fut pas un flop, avec les 1500 à 2000 personnes qui y participaient, mais la différence avec les mobilisations de novembre 2007 et janvier dernier sautait aux yeux. L’assemblée générale du personnel qui se tenait à l’issue de la manifestation permettait de constater que des mobilisations sur les lieux de travail et des grèves étaient en préparation dans plusieurs collèges. La décision a donc été prise de maintenir la journée d’action du 21 mai en la complétant même le soir par une nouvelle manifestation. Or, le lendemain, l’Office de conciliation a refusé de délivrer l’acte de non-conciliation, qui est requis dans le canton de Vaud pour pouvoir exercer le droit de grève.

La journée du 21 mai a pris dès lors très largement un caractère symbolique et il n’est pas surprenant qu’elle n’ait connu qu’un succès limité.

Les difficultés qui se sont accumulées depuis la rupture du «front syndical» par la FSF étaient prévisibles. Sud et le SSP avaient néanmoins raison de se tenir aux échéances de mobilisations décidées.

Soumission à la position patronale

La première raison est en rapport avec l’objet des négociations. Il faut en effet savoir que les négociations entre la DCERH et les organisations du personnel portent depuis le 31 mars de façon exclusive sur une «déclaration commune» préparée par la partie patronale. Au moment où la FSF avait tourné le dos à la mobilisation du personnel, ce document contenait un certain nombre d’améliorations par rapport au projet initial du Conseil d’Etat et il n’est pas impossible que celui-ci fasse encore quelques concessions supplémentaires de détail. Mais sur le fond, ce document se contente d’énoncer certains principes d’un projet purement patronal. Sa signature par une organisation qui se réclame de la défense des intérêts du personnel revient de ce fait à un acte de soumission à la position patronale. C’est inadmissible pour au moins trois motifs:

1° Les principes énoncés dans la «déclaration commu­ne» ne concernent que le volet salarial du nouveau système (Sysrem). La méthode de classification des fonctions (Decfo) n’a tout simplement pas été soumise par le Conseil d’Etat à une négociation avec les organisations du personnel. C’est pourtant elle qui aura les conséquences les plus négatives pour les salarié·e·s [2]. Or, en donnant son accord aux principes de Sysrem, l’organisation signataire de la déclaration commune libère la voie pour l’introduction du système d’ensemble, Decfo compris.

2° Les principes régissant Sysrem renforcent la mainmise du Service du personnel et de la hiérarchie sur la dimension salariale des conditions de travail à l’Etat de Vaud. Une fois qu’ils seront instaurés, les salarié·e·s et leurs organisations auront beaucoup plus de difficultés à faire valoir leur point de vue [3].

3° Le résultat des négociations n’est de loin pas satisfaisant. Certes, Sysrem comporte par rapport au système encore en vigueur – qui n’a jamais été révisé depuis 1969 – un certain nombre d’avantages et la lutte a permis d’apporter au projet initial un certain nombre d’améliorations, mais les principes qui régiront le nouveau système comportent sur d’autres plans encore de trop nombreux défauts et péjorations par rapport à la situation en vigueur.

Ainsi, les concessions faites en ce qui concerne le nombre d’annuités nécessaires pour atteindre le maximum de la classe (augmentation de 20 à 26 au lieu de 30) ou de salaire minimum (augmentation de 3500.- à 3650.- seulement) sont encore largement insuffisantes, pour ne donner que deux exemples.

L’Etat-employeur impose son projet

La deuxième raison a un caractère plus fondamental. Le Conseil d’Etat a maintenu son refus de communiquer aux organisations du personnel les conséquences concrètes que le nouveau système aura pour la classification d’environ un tiers du personnel concerné tant que dure la négociation. Se déclarer prêt à conclure un accord avec la partie patronale dans ces conditions revient pour une organisation du personnel à accepter de signer pour cette partie du personnel un chèque en blanc.

Or, celle-ci comptera de toute évidence notamment les perdants du nouveau système non pas seulement du point de vue pécuniaire, mais parce que leur classification sera individualisée en fonction du poste ou alors redistribués selon de nouveaux découpages des fonctions qui compliqueront la défense collective de leurs intérêts. La FSF est peu sensible à cette partie du personnel pour une raison évidente: le nouveau système fait aussi des gagnants et la majorité de ceux-ci sont membres d’organisations corporatistes affiliées à cette faîtière. Ces structures sont la proie facile d’un Conseil d’Etat qui n’a pas arrêté de proférer la menace de retirer le projet si aucune faîtière ne se déclarait prête à signer un accord.

En se pliant à la volonté du Conseil d’Etat pour des raisons corporatistes et partisanes, la FSF a permis à l’Etat-employeur d’imposer son projet à l’ensemble du personnel. La FSF a, en effet, d’ores et déjà annoncé à la DCERH que sa décision de signer la déclaration de soumission au projet patronal sera prise tout au début du mois de juin. Comme par hasard, c’est au moment même où la FSF s’est prononcée ainsi que le Conseil d’Etat a fait comprendre au Grand Conseil, dans sa réponse à l’interpellation du député Grand­jean, que ses menaces de retrait n’étaient que du vent. On y lit en effet ceci: «rien n’est moins sûr que la solution du retrait du projet coûterait moins cher à l’Etat», car de nombreuses fonctions dites oubliées auraient de toute façon dû être revalorisées et cela aurait entraîné «un surcoût, qui plus est non-maîtrisé, pour l’Etat employeur».

Chercher les voies d’une résistance collective renouvelée

Le mouvement contre l’ins­tauration de Decfo-Sysrem, qui s’est développé depuis novem­bre 2007, s’achemine ainsi vers une défaite. Le combat syndical pour la défense des employé·e·s de l’Etat de Vaud n’est cependant pas terminé. Le Conseil d’Etat a en effet admis que tout employé reclas­sé pourra s’adresser à une commission de réexamen à titre individuel. Il faudrait qu’un maximum d’employé·e·s mé­contents de leur re-classification s’engage dans cette voie et il faudrait que ces contestations acquièrent un caractère collectif. Dans cette perspective la poursuite de la mobilisation par le SSP et Sud, suite à la défection de la FSF, acquiert un sens. Les ultimes mobilisations n’ont plus eu l’envergure nécessaire pour peser sur le résultat des négociations. Si elles ont permis aux employé·e·s de comprendre qu’en cas de désaccord avec les re-classifications accordées ils peuvent compter sur le soutien des véritables organisations syndicales – en cas d’ouverture d’une procédure de réexamen –, ces mobilisations auront été utiles.

Cette perspective ne doit ne doit nous empêcher de voir la réalité en face. La défaite vers laquelle le personnel s’achemine dans sa lutte contre Decfo-Sysrem est d’envergure. Elle est comparable, du point de vue de ses conséquences, avec celle que le personnel de l’Etat de Vaud a subie il y a huit ans, lorsqu’il n’a pas pu empêcher que le «statut de la fonction publique cantonale» soit remplacé par la loi sur le personnel de l’Etat de Vaud. Nous consacrerons un bilan et une réflexion d’ensemble de la lutte contre Decfo-Sysrem dans le prochain numéro de La brèche.

1. FSF pour Fédération des sociétés de fonctionnaires, Sud pour Fédération syndicale Solidaires, unitaires, démocratiques, SSP pour Syndicat des services publics.

2. Pour le détail voir les articles sur le sujet qui ont s précédentes Brèche.

3. Idem.

(5 juin 2008)

 
         
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