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Les Lip, l’imagination au pouvoir

En 1973, les salarié•e•s de l’entreprise horlogère Lip (Besançon) s’emparent de leur outil de travail. Une devise traduit le contenu de cette lutte: «On fabrique, on vend, on se paie, c’est possible.» Charles Piaget, l’un des animateurs de cette lutte, explique, aujourd’hui, le sens de la formule: «Il y a eu cette certitude qu’aucune lutte n’avait jamais réussi à tenir lorsqu’il y avait suppression des salaires. On savait qu’ils avaient la volonté d’appliquer ce principe et il fallait trouver une solution pour vivre ensemble, continuer. On a trouvé celle-là.»

A la question de la signification actuelle d’une telle action collective, Charles Piaget répond: «Il n’a jamais été facile de lutter, il n’y a jamais eu de moment dans l’histoire de la France avec un gouvernement qui soit pour les grévistes. Ce qu’on a retenu, c’est le refus de la fatalité. Contre la volonté de licenciements, on a dit ‘On garde tout le monde’. Ce n’était pas acquis, même pour les syndicats. Ensuite, on a appris la nécessité de se convaincre par le débat. Aujourd’hui, on est confronté à un problème écologique, social ou autre? Eh bien, on se consulte, on réfléchit, on discute, on arrive à un accord sur un certain nombre de points et on se dit: on peut se battre sur cette orientation. Donc, on a conquis une démocratie de base. Il faut pratiquer cette démocratie très forte sur le lieu de combat. Parce que si une poignée de convaincus se bat pour les autres, c’est fichu. Il faut vraiment qu’un nombre important acquière la conviction que chacun se bat et que chaque proposition est prise en compte, examinée. Il ne faut pas croire que parce qu’on est délégué ou syndicaliste on détient seul l’imagination, les idées. Ensuite, il y a le fait de s’ouvrir sur l’extérieur, de ne pas rester sur sa lutte, mais de devenir une sorte de forum où d’autres peuvent apporter leur lutte, et nous, exporter nos problèmes.»

Bref rappel des faits. Au cours de l’année 1973, les Lip – les radios périphériques françaises donnent l’heure avec la formule: «Avec Lip, il est 14 heures» – créent un comité d’action. Ils décident de baisser les cadences pour garder les emplois. De Besançon ils se rendent à Paris, plus de 500, afin de rencontrer le gouvernement. Dans la nuit du 12 juin, ils garantissent leurs salaires en saisissant le stock de montres. Ils le dispersent dans des caches. Puis un défilé de 12’000 personnes sillonne Besançon. Le glas sonne. Les magasins sont fermés. La répression policière des CRS et de la gendarmerie va frapper. Les Lip s’organisent.

Le mouvement se popularise, la solidarité se développe. Dès juin 1973, nous publions un supplément conjoint La brèche-Rouge, puis un en août (celui que nous reproduisons dans cette brèche).  Des manifestations de soutien ont lieu dans diverses villes. En Suisse, la plus grande se déroule à La Chaux-de-Fonds. Les médias donnent un grand écho à cette lutte. Bernard Guetta – qui pontifie aujourd’hui dans la presse francophone (Le Temps) – couvrait alors Lip pour le Nouvel Observateur. Il était membre sur le départ de la LCR. Henri Weber – actuel sénateur PS, bras droit de Fabius – était alors rédacteur responsable de Rouge.

Le 15 octobre 1973, le premier ministre gaulliste Pierre Messmer affirme: «Lip c’est fini.» Mais la lutte va durer. En 1977, les Lip créent une coopérative ouvrière de production: Les Industries de Palente (Lip), Palente est la dénomination du site de l’usine. La coopérative déposera son bilan en 1987.

La lutte des Lip renaît dans le remarquable film de Christian Rouaud, Les Lip, l’imagination au pouvoir. Les débats qui, en France, suivent les séances indiquent qu’il ne s’agit pas d’histoire, mais de récits de salarié•e•s en lutte. Ils sont en syntonie avec des préoccupations présentes, qui recherchent, à tâtons, une expression analogue, dans un contexte très différent.  

Le supplément que nous publions avec cette brèche participe d’une continuité de notre solidarité internationaliste, qui va au-delà de l’élection présidentielle française.

Charles-André Udry   

Voir aussi l’entretien avec Michel Pialoux, auteur de Retour sur la condition ouvrière, Fayard, 1993.

(23 avril 2007)

 
         
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