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Blackstone: le renard sans pierre noire au collet

Charles-André Udry

Fin 2006, une commission d’enquête, désignée par le Trésor (Ministère des finances) du gouvernement Bush, dépose un rapport indiquant le recul de la place financière new-yorkaise dans le classement mondial. Les grandes firmes s’introduisant au New York Stock Exchange (NYSE) diminuent en nombre; elles ne nourrissent plus comme précédemment le cœur de la finance mondiale. Pire, certaines grandes signatures, y compris helvétiques, se retirent du NYSE. Enfin, les fonds d’investissement en entreprises non cotées (Private Equity) rachètent des entreprises industrielles et de services et les gèrent hors Bourse.

Les Etats-Unis perdent des plumes non seulement en Irak, en Afghanistan, mais à New York, pas loin de Ground Zero. La conclusion arrive rapidement: Christopher Cox, le patron de la SEC (Securities and Exchange Commission), l’organe de surveillance des opérations boursières, multiplie les déclarations indiquant la volonté d’abandonner toute velléité de régulations contraignantes. Fin février 2007, Henry Paulson, le secrétaire au Trésor, juge «superflues de nouvelles règles».

Déjà, le 1er décembre 2006, le quotidien financier italien de qualité Il Sole/24 Ore écrit: «Face au danger de voir attaquer le leadership de leur marché financier, les Américains ont réagi avec décision et rapidité.» Autrement dit, ils démolissent, sans état d’âme, un des grands mythes du marché capitaliste: la transparence et la mise à disposition pour tous du maximum d’informations de qualité. Il faut laisser libre de toute entrave le renard dans le poulailler. Le renard le plus musclé aujourd’hui a le profil d’un grand fonds d’investissement de type Private Equity qui opère des rachats massifs et restructure à coups de hache les firmes, afin de dégager, très vite, une plus-value extraordinaire, au sens littéral du terme. Le renard doit pouvoir agir en toute liberté, dans l’obscurité.

La loi et les hors-la-loi

Rappelez-vous le scandale Enron en décembre 2001: des comptabilités frisées, falsifiées, avec la complicité de la firme qui effectue l’audit, en l’occurrence Arthur Andersen. Résultat: la faillite, des milliers de licenciements, avec des retraites qui s’envolent en fumée. Rappelez-vous, en été 2002, le fracas provoqué par les comptes truqués de Worldcom, le géant américain des télécommunications. «La plus grosse faillite de l’histoire». Elle sera suspendue grâce à l’intervention du Tribunal des faillites, afin de lui permettre de se réorganiser en changeant de nom et en licenciant.

Face à ce terrorisme comptable est adoptée la loi de 2002 sur la réforme de la comptabilité des sociétés cotées et la protection des investisseurs. Cette loi fédérale est connue sous le nom de ses promoteurs: Loi Sarbanes-Oxley. Elle introduit: 1° l’obligation pour les présidents et directeurs financiers de certifier personnellement les comptes, donc d’en prendre la responsabilité avec les conséquences pénales que cela implique; 2° l’obligation de nommer des administrateurs indépendants au comité d’audit du conseil d’administration; 3° l’encadrement des avantages particuliers des dirigeants (interdiction d’emprunts auprès de la firme, sanctions en cas d’informations inexactes, c’est-à-dire perte de «l’intéressement au profit», etc.). De plus sont exigées des normes de contrôle interne comptable plus strictes (COSO 1 et 2).

Cet ensemble de règles est aujourd’hui mis en cause, malgré la multiplication «d’affaires». L’hebdomadaire Busi­ness Week, fin février, ne parlait-il pas du «délit d’initié du siècle». Pour faire exemple: Mitchel Guttenberg (41 ans), responsable de la gestion des portefeuilles des clients institutionnels chez UBS (NY), s’est mis dans la poche des centaines de milliers de dollars en donnant à l’avance à ses contacts des recommandations d’UBS pour l’achat de titres.

Voilà un nouvel exemple du prétendu marché transparent et de l’information instantanée universellement diffusée!

La boîte noire de Blackstone

Qui n’a pas entendu parler d’Orangina, de Schweppes et d’Oasis? Ces boissons appartenaient au groupe anglais Cadbury. Fin 2005, Cadbury reçoit 1,8 milliard du fonds d’investissement non coté Blackstone, la Rolls-Royce des Private Equity. Depuis lors, Blackstone a multiplié des opérations bien plus importantes. Pour 39 milliards de dollars –23 milliards en cash et 16 en reprise de la dette– il a racheté le promoteur immobilier spécialisé dans les bureaux: Equity Office. Blackstone dégage du 30% de bénéfice!

Or, Blackstone va mettre une partie de son capital, 10%, à la Bourse. Le non-coté va coter une parcelle de ses avoirs, conscient de la surévaluation des actions. Mais avec une technique qu’il maîtrise: il se protégera de toute possibilité de devoir fournir une information sur la situation des entreprises qu’il détient. Toutefois, il lèvera une masse de capitaux à la Bourse, grâce à la complicité des principales banques mondiales, dont le Credit Suisse. Les actionnaires ne pourront même pas intervenir dans la composition du conseil d’administration. D’aucuns ont parlé d’un «tournant dans le capitalisme». Nous dirons plutôt: le capitalisme financier vautour, hypercentralisé, en vue d’une crise financière rampante, veut pouvoir déchirer ses dépouilles sans qu’aucun actionnaire ou chasseur de la SEC puisse y mettre un frein. Or, aujourd’hui, dans la gauche institutionnelle, on parle de «droit démocratique» pour les petites actionnaires. Pourtant, les grands actionnaires, ceux qui par le biais des dividendes s’approprient une masse énorme de la survaleur produite par les salarié•e•s, sont bousculés. En effet, la logique du Capital mondialisé a pour effet de restreindre le nombre des actionnaires autorisés à participer au festin. Voilà le secret de la formule: «les riches deviennent toujours plus riches». Qui, à gauche, peut encore oser parler de nécessité du marché libre et concurrentiel, un peu régulé? C’est une farce, pour imbéciles et/ou ignares.

(23 avril 2007)

 
         
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