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La sécurité au travail aux ordres de la rentabilité
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La sécurité au travail sur l’étal Bernard Bovay Dans la foulée de la 5e révision de l’AI et de la 1re révision de la LAA, la «sécurité au travail» devra se plier aux exigences du profit La campagne gouvernementale et des assurances maladie contre l’initiative «Pour une caisse maladie unique et sociale» a révélé la force de frappe conjointe des assurances privées (dont font partie les caisses maladie), des firmes pharmaceutiques et du gouvernement, dans un unanimisme collégial que les représentants sociaux-démocrates n’ont pas démenti. Est-il besoin de répéter leur nom? Oui, mais nous ne le ferons pas [1]. La conclusion officialiste est toujours la même: «Le souverain (les votants) a décidé.» Sur quelle base? Sur celle dictée par une massive campagne de propagande, largement mensongère. Son objectif était double: 1° faire croire qu’une caisse unique, avec une gestion tripartite, donnerait naissance à un monstre bureaucratique et aboutirait à une élévation des primes; 2° lancer de nombreuses grenades fumigènes afin d’élever un rideau de fumée empêchant d’entrevoir les contre-réformes en cours ou en voie de préparation dans le domaine de la santé (voir à ce propos le Cahier La brèche No1: «Le marché contre la santé», 125p. [2]). Ici, le silence était d’or à l’opposé de la logorrhée contre la caisse unique. La même opération est en cours pour ce qui a trait à la 5e révision de l’AI (assurance invalidité), au projet de 1re révision de la LAA (Loi sur l’assurance-accidents) et aux mesures prônées par la Commission fédérale de coordination pour la sécurité au travail. La sécurité aux mains des bouchers Nous allons, dans ce premier article, éclairer le réseau d’intérêts qui pense, prépare et va mettre en œuvre la «sécurité au travail», un thème lié aux diverses dimensions de l’AI, de la LAA et, y compris, de l’assurance-maladie. On peut commencer notre balade dans ce réseau en s’arrêtant à Spiez dans le canton de Berne. On y trouve un ensemble de type hôtelier situé dans un cadre rassurant, au bord du lac. Tout y est sécurité. Il ne faut pas se tromper d’adresse. En effet, vous pourriez sonner au Centre de formation pour l’économie carnée suisse (ABZ- Ausbildungszentrum für die Schweizer Fleischwirtschaft). Rachel Neuenschwander vous répondrait. Elle vous mettrait en contact le directeur, Monsieur Peter A. Schlatter. Si vous appuyez sur la sonnette voisine de la Société suisse de sécurité au travail (Schweizerische Gesellschaft für Arbeitssicherheit), vous tomberez sur la secrétaire Rachel Neuenschwander. Elle établira le contact avec le président de la SSST, Monsieur Peter A. Schlatter. La SSST est l’organisme qui est chargé de reconnaître les titres d’ingénieur de sécurité et de chargé de sécurité dans les entreprises. Donc, c’est une institution de poids dans ladite mise en œuvre de la sécurité au travail, qui est un facteur de bonnes conditions sanitaires sur le lieu de travail. Parmi les collaborateurs et collaboratrices siégeant dans le comité de la SSST, vous trouverez Martin Häfliger, vice-président, chef de la Safety and Security (sécurité et sécurité) de SR Technics Switzerland, qui assure la sûreté et la sécurité de l’aéroport Unique (anciennement Zurich-Kloten); le comité de la SSST se complète grâce à la présence de Heinz Hofer, gérant de Sécurité + Santé GmbH (société à responsabilité limitée, Sàrl), liée à diverses sociétés issues du démantèlement du groupe Swissair. A ses côtés siège le Dr Andreas Riesen, responsable de la protection de la santé et préposé à la sécurité dans le domaine des biotechnologies chez Hoffmann-La Roche. Il est aussi membre du Comité de l’appréciation des risques du canton de Bâle-Ville où Novartis et Roche disposent d’une influence proportionnée aux risques potentiels que ces firmes font courir. Au comité de la SSST, il retrouve Rolf Winkelmann. Ce dernier est responsable de la Section des délégués à la sécurité de la fondation de droit privé qu’est le Bureau suisse de prévention des accidents (BPA). Rolf Winkelmann est connu du grand public pour avoir produit une affiche qui frappe l’œil, si ce n’est le foie, de tout automobiliste: «0,5 pour mille. Un verre, un seul». Le comité du Bureau de prévention des assurances? Dans le conseil de fondation du BPA, qui collabore avec la SSST, on trouve Diether Kuhn. Il représente la Winterthur Assurances, qui a été achetée par une des grandes firmes transnationales des assurances, Axa. La Winterthur dispose en Suisse de plus de 1,6 million d’assurés et un portefeuille de plus de 3,6 millions de polices. On y trouve de même: Karl Ehrenbaum et Thomas Mattig de la Zurich Assurances; Michel Mäder de La Mobilière (assureur non-vie dont le siège est à Berne, et le secteur vie localisé à Nyon-VD). Ces quatre spécialistes en prévention des accidents agissent, dans ce conseil, en tant que représentants de l’Association suisse des assurances (ASA). Les assureurs non représentés par les porte-parole de l’ASA ont comme représentant Stefan Kindler. Il est vice-directeur de SOLIDA Assurances SA. SOLIDA revendique une «philosophie d’entreprise» qui se concentre dans un terme: «la solidarité». Elle en donne la définition suivante: «C’est, en effet, grâce à un grand élan de solidarité entre différents assureurs-maladie de renom que SOLIDA Assurances SA a vu le jour en 1982. Après vingt ans d’existence, l’objectif de la SOLIDA Assurances est encore et toujours de réaliser, dans le cadre de l’assurance-accidents et de l’assurance-dommages, l’exécution des assurances en capitaux pour les événements assurés par les assureurs-maladie, d’épauler ces derniers dans le domaine du régime obligatoire de la LAA et d’assumer à leur place le service des rentes et des prestations en capitaux.» Selon ses propres termes: «La SOLIDA a acquis ses lettres de noblesse et peut se réjouir d’être un assureur-accidents chevronné et reconnu dans toute la Suisse. Il est vrai que cette reconnaissance à l’échelon national a aussi été acquise grâce au fait qu’un autre objectif –et non des moindres– dans la fondation de SOLIDA a été atteint: collaborer avec un grand nombre d’assureurs-maladie et de partenaires.» Pour éclairer cette prose ronflante, une explication est nécessaire. Selon la loi, les assureurs-maladie peuvent opérer dans le domaine de l’assurance-accidents obligatoire. Mais, pour les gros risques (versement de rentes ou de capitaux, c’est-à-dire indemnités pour lésions corporelles, etc.), ils doivent se réassurer. Une des possibilités est la réassurance auprès de compagnies d’assurances, par exemple la Winterthur ou la Zurich. Une autre possibilité a été envisagée dès 1982, soit avant l’entrée en vigueur de la LAA, de créer une structure (SOLIDA) qui permette de contourner les compagnies d’assurances et de mutualiser la réassurance (c’est-à-dire le risque). Il est assez aisé d’imaginer que la contraction des risques effectifs à assumer est un objectif de SOLIDA. Les représentants de la SUVA (anciennement Caisse nationale d’assurance en cas d’accidents – CNA), qui est une fondation de droit public, complètent la composition du conseil de fondation du BPA. La rentabilité contre la sécurité au travail L’orientation dans laquelle les chargés de sécurité doivent et devront travailler est explicitée par Rolf Büttiker lors de l’Assemblée de la SSST tenue à Olten le 14 mars 2007. Dans le résumé de son exposé, la substantifique moelle de l’option choisie ressort bien: «Il est donc clair que les mesures visant à prévenir les accidents et à éviter les maladies professionnelles sont de bons investissements. Elles doivent accroître l’efficacité économique. Vue sous cet angle, la sécurité au travail est un encouragement à la productivité de nos entreprises. L’objectif d’accroître la productivité doit être mieux ancré, aussi bien dans les entreprises que chez les professionnels de la sécurité.» Rolf Büttiker ne parle pas de nulle part. Il a été président du Conseil des Etats en 2005-2006. Membre du Parti radical, il siège dans la Chambre haute depuis 1991. De 1987 à 1991, il était réduit à siéger dans la Chambre basse. Aujourd’hui, il est président de l’Association suisse des cadres. A cette présidence, il ajoute la vice-présidence de l’Association professionnelle suisse de la viande (APSV, en allemand: Schweizer Fleisch-Fachverbände – SFF). Il préside aussi aux destinées de la VKS (Verband Kompostwoche Schweiz). Pour la sécurité, il siège au conseil d’administration de la Centrale nucléaire de Leibstadt (principal distributeur d'énergie de Haute-Argovie); écologiste, il s’occupe aussi de la distribution du gaz en siégeant dans le conseil de SOGAS (Balsthal, Soleure) qui a comme marché la «distribution d’une énergie propre» dans la région de Thal-Gaü-Bipperamt; logiquement il dispose d’un siège au CA de AG für Wirtschaftsförderung, une société membre du Däniken Holding (Argovie) qui est dans la construction et l’immobilier, et de Dietschi AG Olten, une société qui fait de même dans l’immobilier et la construction (lors des réunions du conseil, il y rencontre, le conseiller national de Soleure, Rudolf Steiner); en tant que président du conseil d’administration de la bien nommée firme Fun & Business, il côtoie lors des réunions du CA le conseiller national UDC soleurois Roland Borer; pour conforter son réseau économico-politique bien helvétique, il siège de même au conseil d’administration de KEBAG AG (Kehrichtbeseitigungs AG) à Zuchwil (Soleure). Cette entreprise d’incinération dessert 215 communes totalisant 453’000 habitants dans les cantons de Berne et Soleure. Pour occuper mieux ce terrain, il dispose d’une place dans le CA de Getag Entsorgungs-Technik Eggendorf (Soleure), une société qui «propose et distribue des solutions optimales pour l'équipement en machines dans le domaine du recyclage, de l'évacuation et du transport et qui offre à ses clients et intéressés des consultations compétentes et des solutions idéales. Getag vous offre aussi un service de montage, la mise en exploitation et l'entretien de ces machines.» Une présentation qui correspond quasiment à la «philosophie» – terme utilisé par la firme Getag pour se présenter– de la SSST telle qu’explicitée par Büttiker ci-dessus. L’orientation donnée au technicien de la sécurité repose sur un impératif: accroître la rentabilité, donc l’intensité du travail, entre autres. Des mesures qui protégeraient les salarié•e•s et qui n’augmenteraient pas la rentabilité – et ce sont certainement les plus nombreuses – seront, de fait, ignorées, ou pire, connues mais pas envisagées et appliquées. 1. Pour les lectrices et les lecteurs qui veulent néanmoins être informés, il s’agit de Leuenberger, champion de la troisième voie, et de Calmy-Rey, spécialisée dans l’illusionnisme en politique étrangère, illustré par lesdits «accords de Genève», qui balayaient de fait des résolutions votées par l’ONU. 2. Il peut être obtenu, pour le prix de 6 francs, à l’adresse e-mail: mps@labreche.ch.
Un des arguments avancés par les partisans et partisanes de la 5e révision de l’AI est le suivant: remettre le plus tôt possible les gens au travail. Un exemple «d’essai de travail», selon le français fédéral, est donné par la firme Knecht BSN (Zurich) qui œuvre dans ce domaine. Dans sa brochure intitulée «Les essais de travail, première mesure d’aide pour les personnes qui ont besoin d’un bilan malgré une capacité réduite ou une reconversion professionnelle» (sic), il est proposé que «le client [c’est-à-dire le salarié] mette sa force de travail à disposition pour un essai de travail [un à trois mois]». Il est précisé que «pour les contrats de travail qui n’excèdent pas trois mois, pas (sic) d’obligation de verser le salaire en cas de maladie ou d’accident non professionnel». En clair: la durée n’est pas fixée en fonction des besoins dudit client, mais en fonction de ne pas devoir risquer de le payer en cas de problèmes de santé. Pourtant, un salaire plus bas est difficile à imaginer. En effet, nos spécialistes proposent: «un salaire à la performance, en plus de l’indemnité journalière [2000 francs/an au maximum]». Donc, 166,66 au maximum par mois! De la sorte, un pas est franchi en direction d’un salaire AI compatible post-cinquième révision. D’ailleurs, la firme Knecht BSN l’indique sans détour: «D’une part, ils [les employeurs potentiels] obtiennent un employé contre une somme très modeste, d’autre part, ils [les employeurs, donc] font la preuve de leur compétence sociale, qui se traduit par un gain en termes d’image.» (23 avril 2007) |
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