|
2e pilier
|
||||
Battre en retraite les rentes Bernard Bovay, Charles-André Udry De l’assainissement des caisses à l’essorage des rentes. Un premier aperçu. Dès 2008, suite à l’accélération de la crise boursière – une des expressions d’une crise plus profonde de l’économie capitaliste internationale – se sont multipliés les articles consacrés à l’avenir incertain des fonds de pension dans divers pays. Certes, la place des fonds de pension dans le système de retraite, comme leur structure ainsi que leurs mécanismes de fonctionnement sont différents selon les pays. Toutefois, l’écroulement des divers actifs financiers ainsi que le fort tassement du secteur immobilier ont impacté tous les systèmes; y compris celui connu en Suisse sous le vocable de caisses de pension. Un exemple. Le fonds Calpers (California Public Employees Retirement System) disposait d’avoirs évalués à mi-mai 2008 à 249 milliards de dollars. En décembre 2008, ils se trouvaient à hauteur de 180 milliards, après avoir voisiné les 175 milliards en début novembre [1]. Or, Calpers était considéré comme une des références, à l’échelle internationale, d’un fonds très bien géré, qui «s’engageait à long terme dans ses investissements», tout en exerçant une «surveillance étroite» sur les firmes dans lesquelles il acquérait des participations. En termes clairs, il faut traduire ces formules ainsi: la firme dans laquelle Calpers plaçait des billes devait assurer une forte rentabilité, une valeur actionnariale soutenue et une distribution généreuse de dividendes. Ce qui, de fait, est devenu un facteur de déstabilisation socio-économique du «régime d’accumulation» capitaliste placé sous cette contrainte financière. Cette mention de la dépression de Calpers – au-delà des différences effectives avec le système des caisses de pension helvétiques – permet de saisir une des raisons qui ont fait fleurir dès l’année passée les articles consacrés à «la crise du 2e pilier». Pour rappel, le Produit intérieur brut (PIB) était estimé par la BNS (Banque nationale suisse) à 434 milliards de francs en 2002 et à 487 milliards en 2006. La fortune (capital) du 2e pilier était, elle, estimée par l’OFAS (Office fédéral des assurances sociales) à 424 milliards en 2002 et à 604 milliards en 2006. Il sera intéressant de disposer des chiffres de fin 2008 pour juger de la qualité antisismique de ce pilier de la prévoyance sociale. Statuts des caisses et sous-couverture Le thème de la sous-couverture des caisses a été le plus mentionné. De quoi s’agit-il ? Dans un système de capitalisation, une caisse de pension doit disposer d’une fortune au moins égale à la valeur des prestations (rentes et prestations de libre passage) qu’elle doit et devra verser (actualisation de la valeur des rentes). Pour clarifier cette question, il faut préciser que l’affiliation d’un salarié à une caisse de pension s’effectue par l’employeur soit dans une caisse de pension propre à l’entreprise (lorsque cette dernière est suffisamment importante), soit dans une fondation commune regroupant plusieurs entreprises (par exemple d’une même branche), soit dans une fondation collective gérée par une société d’assurances. Cette diversité relève d’un choix politique. L’origine de ce dernier remonte, en fait, à l’immédiat après Première Guerre mondiale. Dès le début de l’élaboration d’un système d’AVS – qui ne se concrétisera qu’après la Seconde Guerre mondiale –, un élément consubstantiel de sa structure était affirmé: l’AVS devait stimuler l’existence et l’extension de caisses de pension et de la prévoyance individuelle. Ce fait est passé sous silence dans les historiques laudateurs de l’AVS. Le système «éclaté» de caisses de pension, mentionné ci-dessus, a des conséquences directes sur le choix de la capitalisation. En effet, si une caisse de pension est liée à une entreprise, il existe la possibilité d’une faillite ou d’une fermeture. Dans ce cas de figure, pour éviter que les licenciés perdent une partie de leurs droits futurs à leur rente ou encore que les retraités subissent une réduction de leurs rentes, il est nécessaire que la caisse de pension puisse faire face en tout temps à ses engagements [2], raison pour laquelle elle est juridiquement séparée de l’entreprise. Il en découle que le taux de couverture – le rapport entre la fortune et les engagements – doit être de 100% (de fait, à moyen terme, même si la campagne idéologique actuelle le présente comme devant être immédiat). Pour une fondation commune qui regroupe des entreprises d’une branche pouvant connaître une réduction importante du nombre d’affiliés – liée à une crise sectorielle, par exemple – le même principe de couverture doit être envisagé. Cela même si les effets d’une contraction du nombre d’affiliés sont moins brutaux que dans le cas d’une faillite d’une entreprise. Dans une fondation commune réunissant des entreprises de divers secteurs, l’éventail plus hétérogène des affiliés réduit la concentration des risques. Toutefois, en cas de récession profonde et prolongée, accompagnée d’un taux de chômage élevé et de plusieurs branches frappées simultanément de plein fouet, des difficultés analogues aux deux cas mentionnés peuvent surgir. Enfin, pour ce qui a trait aux caisses de pension du secteur public, la situation est différente. Pour quelles raisons ? Une entité publique jouit, en principe, d’une pérennité et d’une variation relativement faible d’effectifs (cotisants). Dès lors, tout en garantissant les prestations, il est possible d’avoir un objectif de taux de couverture inférieur à 100%. Même si le Conseil fédéral a lancé l’idée – suite à une initiative parlementaire du libéral-radical Serge Beck (VD), acceptée par le Conseil national en février 2005 – que les caisses publiques doivent avoir un taux de couverture de 100%. L’opération politique visait à durcir encore «le frein aux dépenses publiques» et à préparer d’éventuelles privatisations de secteurs encore sous contrôle étatique, en particulier le secteur hospitalier qui pourrait fournir un champ d’investissements rentables. Les bas-fonds de la garantie La presse a mis l’accent sur la sous-couverture généralisée des caisses de pension. Les estimations varient d’une source à l’autre. Cela pose le problème élémentaire de la qualité de l’information et de la débilité des organes dits de surveillance. De plus, les chiffres évoluent régulièrement, reflétant la «volatilité des marchés». L’agefi (7.4.2009) titrait «Deuxième pilier: près de 60% des caisses en sous-couverture», selon les chiffres fournis par l’OFAS. La Neue Zürcher Zeitung (online, 18.2.2009) affirmait: «Trois quarts des institutions de prévoyance en Suisse sont en sous-couverture»; les données provenaient de Swisscanto (entreprise collective des banques cantonales pour les services de placement et de prévoyance). Le Temps (6.4.2009) affirmait, avec une précision relative, que «deux à trois institutions de prévoyance sur quatre seraient en sous-couverture». Cela signifierait – au cas où une telle caisse devrait disparaître – que sa fortune ne suffirait pas à couvrir ses engagements vis-à-vis des salariés et des rentiers. Certes, il existe un Fonds de Garantie de la LPP pour faire face, entre autres, à des situations d’insolvabilité. Néanmoins, les réserves de ce Fonds ne s’élèvent qu’à 367,4 millions de francs au 31 décembre 2007 (Rapport de gestion 2007, p. 35). Quelques faillites d’entreprises de moyenne importance essoreraient vite ce pécule. C’est une des raisons pour lesquelles les autorités ne vantent pas trop, actuellement, les mérites du Fonds de Garantie LPP. Par contre, elles mettent l’accent sur les mesures d’assainissement qui frapperont les salariés et les retraités. La formule «mesures d’assainissement» est utilisée dans «Les directives concernant des mesures destinées à résorber les découverts dans la prévoyance professionnelle» datant du 27 octobre 2004. Pour en saisir la logique, il faut encore préciser qu’elles ont été prises suite au choc boursier de 2002 qui éclairait la «dépendance» du 2 e pilier à la toxicité et à volatilité boursières. A la charge des salarié·e·s Selon la législation établie en 2004 – entrée en application en 2005 – une caisse en sous-couverture doit prendre des mesures dites d’assainissement. Un taux de couverture de plus de 90% peut permettre à une caisse d’éviter (ou de différer) la prise de telles mesures. Or, pour un nombre important de caisses, le taux de couverture est inférieur à 90%. La NZZ (7.4.2009), sur la base de chiffres fournis par l’OFAS, indiquait que 17,8% des caisses étaient dans cette situation. Or, il y a peu de raison que la situation s’améliore. Warren Buffett, du fonds de placement géant Berkshire Hathaway, déclarait sur la chaîne économique CNBC, le 1er mai 2009: «L’économie américaine a passé la période de Pearl Harbor, en septembre 2008, mais nous sommes toujours en guerre.» Entre Pearl Harbor et la fin de la guerre, il y a eu de très nombreuses victimes. Le Monde titrait: «Les entreprises [du CAC 40] prévoient une sortie de crise au plus tôt en 2020 et un retour à la normale en 2014» (13.3.2009). Cette perspective est prise en compte par l’Autorité vaudoise de surveillance des fondations (ASF). Elle affirme «qu’elle n’acceptera pas les arguments attentistes [des caisses] fondés sur l’idée que les marchés remonteront; ou que c’est conjoncturel, et non structurel» (L’agefi, 18.3.2009). Les recommandations de l’ASF laissent clairement entendre que seule la voie de l’assainissement est donc envisageable. La solution est, dès lors, toute trouvée: elle est d’ordre strictement technique. L’injonction adressée aux caisses: «Faites appel à un expert en prévoyance professionnelle et suivez ses conseils !» Une autre approche est possible. Elle repose sur une prévision par analogie avec d’autres chocs boursiers. La conclusion est dès lors «après la pluie, le beau temps». Ainsi, Yves Rossier – ancien directeur du secrétariat de la Commission fédérale des jeux de 2000 à 2003 et depuis lors bras droit de Pascal Couchepin à la tête d’OFAS – à la question du journaliste de la SonntagsZeitung (21.12.2008) – «La situation est-elle dramatique ?» – répond: «Non. Nous avons déjà vécu quelque chose de semblable à la fin 2002. Après la chute boursière, c’est à nouveau remonté.» Avec quelques précautions, il ajoute: «Le problème, actuellement, c’est que l’on ne voit pas encore la lumière au bout du tunnel.» Pour un système par capitalisation, la longueur du tunnel et la vitesse de déplacement en son sein sont précisément des questions très importantes. De plus, la crise actuelle – qui a commencé avec un processus de surproduction de logements aux Etats-Unis provoquant une chute des prix et faisant exploser le système hypothécaire, tout d’abord dans sa tranche la plus fragile (les subprime) – a peu à voir avec la crise de 2001-2003, dite des technologies de l’information et de la communication. La crise présente est mondialisée. Elle frappe tous les départements (production, consommation, finance, etc.) du système capitaliste international, avec des faillites et des licenciements en nombre et sur la durée. Indépendamment des prévisions diverses, une relance empruntant un sentier pentu est exclue par les analystes les plus crédibles. Ils savent que des dettes énormes devront être soldées, entre autres dans le pays où se situe, encore, le premier centre financier et boursier du monde (Wall Street). Enfin, l’appareil législatif helvétique ayant trait aux mesures d’assainissement a été mis en place après le tassement boursier de 2002 et le rebond, à crédit, qui s’en est suivi. Dès lors, peu de caisses ont été contraintes, entre 2001 et 2004, de prendre des «mesures d’assainissement». Pour les salarié·e·s, cela va se traduire par des mesures telles que: 1° l’impossibilité de retirer une partie du capital pour financer son propre logement; 2° des cotisations supplémentaires ne donnant pas de droits (rente, prestation de libre passage) supplémentaires; 3° rémunération des avoirs vieillesse inférieure au minimum fixé par le Conseil fédéral, soit aujourd’hui 2%; 4° mise à contribution des retraités, au-delà de l’érosion de leurs rentes par l’inflation, au moyen d’une cotisation exceptionnelle visant à «assainir» l’institution de prévoyance. La revue de l’OFAS, Sécurité sociale (mars-avril 2009, p. 89), ne laisse pas planer le doute: «La palette de mesures possibles est relativement large. Quelques-unes sont mentionnées dans la loi, d’autres non.» Puis elle poursuit: «Quelques institutions ont déjà commencé à prendre des mesures concernant les prestations. Un taux zéro est simple à introduire et produit un effet relativement vite. Autre mesure possible: la baisse du taux de conversion dans le régime surobligatoire; beaucoup d’institutions l’envisagent et vont d’ailleurs l’appliquer prochainement.» Avec compassion, l’auteur de l’article, Alessandra Prinz, juriste de l’OFAS, souligne que ces mesures «présentent néanmoins l’inconvénient de ne toucher que les assurés et pas les employeurs». En un mot: mesures d’assainissement équivalent à attaques frontales contre cette fraction (rentes 2e pilier) du salaire social. Nous y reviendrons, car c’est une mise en question du 2e pilier qui peut, aujourd’hui, gagner en actualité. 1. Sacramento Real Estate Statistics, 5 janvier 2009. 2. Dans d’autres pays, par exemple les Etats-Unis, un autre choix a été effectué. Il entraîne, en cas de faillite, des réductions possibles de rentes. Cela s’est produit lors de la brutale réorganisation des compagnies aériennes et, aujourd’hui, c’est un des enjeux pour les salariés de l’industrie automobile en restructuration. (27 juillet 2009) |
||||
Vos commentaires | Haut de page |
---|