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CFF-Cargo, quelle issue ?

Urs Zuppinger

Dans la marche vers la privatisation, l’écologie et la volonté populaire sont perdantes.

Au sein des CFF, le trafic de marchandises est assumé par «CFF Cargo», une entité qui devrait fonctionner comme centre de profit autonome. C’est un défi impossible à relever tant que son champ d’intervention est confiné au territoire suisse, compte tenu du fait que les principaux flux de transport des marchandises s’organisent aujourd’hui à l’échelle européenne et mondiale.

Une démarche par tâtonnement

Conscients de cette difficulté, les CFF ont dans un premier temps après 1999, lorsqu’ils ont été libéralisés, voulu conclure un accord de coopération globale avec une autre entreprise de transport ferroviaire européenne. Cette stratégie n’ayant pas donné de résultat, CFF Cargo s’est décidée en 2005 à jouer dans la cour des grands en essayant de mettre la main sur des parts du marché européen au moyen d’offres de sous-enchère. Fin 2007, cette tentative s’est soldée par un déficit de plus de 100 millions.

Paniquée par ce résultat, la direction des CFF a pris au début 2008 des mesures d’assainissement draconiennes qui visaient, comme d’habitude dans ce genre de situation, à faire payer les pots cassés aux salariés. Le démantèlement des Officine de Bellinzona faisait partie du plan. Les ouvriers ont répondu par une grève à durée illimitée qui a obligé la direction des CFF et le Conseil fédéral à reculer sur ce volet de leur projet. Les autres mesures prévues ont été appliquées, entraînant une foule de préjudices pour les salariés.

Elles n’avaient cependant pas pour but de transformer l’entité CFF Cargo en une entreprise viable mais de faciliter sa vente. En effet si les dirigeants des CFF avaient les coudées totalement franches ils se débarrasseraient de ce boulet au plus vite, mais la législation fédérale sur les chemins de fer leur interdit pour le moment de procéder à une vente.

Pour contourner l’obstacle, les CFF ont engagé en été 2008 une démarche visant à arrimer l’entité CFF Cargo à une entreprise plus importante, d’envergure européenne.

Débouchés concrets: sombre avenir

Pour parvenir à leurs fins, les CFF ont lancé un appel de candidature à l’adresse de toutes les entreprises de transport et de logistique suisses et européennes, les invitant à présenter des projets de coopération avec CFF Cargo. Cet appel suscitait de l’intérêt en dépit de la situation calamiteuse de CFF Cargo, parce que CFF Cargo développe l’essentiel de ses activités en Suisse ou en d’autres termes à la croisée des flux de marchandises Est-Ouest et Nord-Sud du continent. Fin février 2009 la direction des CFF a fait savoir que 35 offres valables étaient à l’examen. Et le 3 avril Ulrich Gygi, le nouveau président du Conseil d’administration des CFF qui a mené à bien jusqu’à l’an passé la démarche de libéralisation de la Poste, a abattu les cartes en annonçant ce qui suit:
• Sept offres sont encore en lice.
• Nous voulons que la SNCF ou la Deutsche Bahn participe au capital de CFF Cargo à hauteur d’un maximum de 49%.
• Des coopérations complémentaires partielles seront en outre conclues avec les entreprises de transports de marchandises sœurs de CFF Cargo en Belgique, en Autriche et en Italie, ainsi qu’avec Hupac et le consortium suisse Planzer/ Bertschi/Camion Wil.
• Le tout sera bouclé avant la fin de l’année.

Si ces intentions devaient se réaliser, CFF Cargo aura, dans les faits, un statut de sous-traitant par rapport à une des deux entreprises oligopolistiques qui dominent le marché des transports de marchandises à l’échelon européen. Le contrôle public fédéral sur ce qui se passe dans ce secteur d’activité se résumera définitivement à une mascarade purement juridique, signe que le processus engagé en 1999 sera arrivé à son terme, du moins dans le domaine du transport des marchandises.

Mais l’avenir de CFF Cargo sera déterminé encore par une autre réalité. Le 11 avril 2009, une semaine à peine après les déclarations d’Ulrich Gygi, Hans Werder, le secrétaire général du Département fédéral dirigé par Moritz Leuenberger a fait savoir qu’en enregistrant en 2008 un déficit de 29,9 millions, CFF Cargo était la seule entreprise sous surveillance de la Confédération à ne pas avoir atteint l’objectif visé d’un résultat annuel équilibré. De plus, il a prédit que ce déficit était appelé à s’aggraver encore en 2009 pour conclure que: «CFF Cargo sera contraint de faire encore des efforts d’assainissement supplémentaires.» (NZZ, 11.04.09)

Cet avertissement doit être pris au sérieux. La récession se traduira inévitablement par une compression du volume de marchandises à transporter, entraînant un durcissement de la compétition entre les oligopoles européens du marché des transports de marchandises et par conséquent des pressions sur les prix. Or, une fois les accords de coopération conclus, il ne sera plus possible d’utiliser des leviers politiques suisses pour tenter de contrebalancer ce jeu. Il ne restera plus que l’organisation et le combat des salariés et des usagers à l’échelon européen pour contrer l’offensive patronale. Vaste programme, car sur ce plan les lacunes et les retards sont manifestes, mais il faudra les combler, car il n’y a tout simplement aucune alternative.

Quel respect de la «volonté populaire» ?

Mais la perte d’emprise de la Confédération sur CFF Cargo est aussi problématique sur le plan de la protection de l’environnement. En effet, l’un des objectifs clés de toute politique publique dans ce domaine est de reporter une part croissante de l’immense quantité de marchandises en déplacement de la route sur le rail. Il est de notoriété publique que cet objectif n’est de loin pas atteint à l’heure actuelle en Suisse et en Europe. Alors que la quantité de marchandises transportée par camions augmentait inlassablement ces dernières années, celle transportée par les chemins de fer est restée au mieux constante, au pire elle a baissé. CFF Cargo aurait pu être un levier pour inverser la tendance. La Confédération ne l’a pas utilisé. Mais lorsque le sort de CFF Cargo aura été pris en main par la Deutsche Bahn ou la SNCF, la Confédération n’aura même plus la possibilité d’actionner un jour ce levier-là.

L’unique autre levier dont elle disposerait pour contribuer activement au déplacement du trafic de marchandises de la route sur le rail consiste dans la mise en œuvre rapide et concrète de la «Bourse du transit alpin». De quoi s’agit-il ? C’est le moyen qui a été imaginé pour concrétiser l’Initiative des Alpes que le peuple avait acceptée en votation populaire en 1994. Il consiste à contingenter le nombre annuel de traversées des Alpes par camions en émettant chaque année un nombre déterminé de droits de passage par route qui sont vendus aux enchères sur Internet. On espère que les marchandises traverseront les Alpes en empruntant le rail lorsque le prix de ces droits dépassera le coût du transit sur rail. Les Chambres fédérales ont inscrit l’an passé le principe de la «Bourse du transit alpin» dans la loi. Mais en même temps, elles ont décidé que cette bourse ne sera instaurée que de concert avec les autres nations alpines et elles ont reporté de 2004 à 2019 le délai que l’Initiative des Alpes avait fixé pour atteindre un plafonnement du trafic automobile lourd à 650000 trajets par an. Autant dire que ce dispositif alléchant risque bien de ne jamais voir le jour.

Bref, sur ce plan également, la seule méthode viable pour influencer le cours des choses dans un sens positif et éviter que la «volonté populaire» ne soit sacrifiée sur l’autel des intérêts d’un secteur de l’économie capitaliste réside dans le développement d’une «pression populaire» (mobilisation) forte, relayée par toutes les organisations qui se réclament de la protection de l’environnement ainsi que les organisations des salariés des transports publics.

Les revendications à mettre en avant sont claires: 1° Le plafonnement du trafic lourd à 650000 véhicules doit être atteint bien avant 2019; 2° La «Bourse du transit alpin» doit être instaurée en Suisse, sans attendre que les autres nations alpines - qui ne sont pas soumises à la contrainte d’un mandat populaire - s’y mettent !

(27 juillet 2009)

 
         
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