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Troupes américaines hors d’Irak !
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Irak: un gouvernement à la botte des Etats-Unis

La tentative «d’irakisation» de l’occupation américaine de l’Irak reflète les profondes difficultés auxquelles se heurte l’occupant impérialiste.

Charles-André Udry

«Transfert de souveraineté», «élections en janvier 2005», «un gouvernement souverain s’installe en Irak», voilà les perspectives offertes, avant les élections présidentielles de novembre 2004 aux Etats-Unis, à l’opinion publique américaine et internationale. Un seul obstacle se dresserait sur cette voie royale: des «terroristes étrangers», regroupés sous le label de Al-Qaida, veulent empêcher un dénouement libérateur et démocratique. Qu’en est-il?

Sous le couvert de l'ONU

Le gouvernement intérimaire est un pur produit d’une négociation entre les forces d’occupation américaines et le Conseil de gouvernement irakien, appointé directement par l’administration Bush. Le poids du proconsul états-unien, Paul Bremer III, fut si pesant que le délégué de l’ONU, Lakhdar Brahimi, lâcha: «M. Bremer est le dictateur de l’Irak. Il possède l’argent. Il détient la signature. Rien ne se passe dans ce pays sans son accord» (Washington Post, 3 juin 2004).

Lakhdar Brahimi n’est pas un novice. En 1994, il représentait l’ONU à Haïti lors de l’intervention des Etats-Unis –avec autorisation de l’ONU– pour réinstaller Jean-Betrand Aristide… remercié en 2004. En Afghanistan, il modela des institutions sur la base d’accords entre clans et chefs de guerre, avec à la tête du gouvernement: Hamid Karzai, l’homme des Etats-Unis. En Irak, il suivait la même voie.

Pour ceux et celles qui nourriraient des illusions sur le rôle de l’ONU dans ce «transfert de souveraineté», précisons que les mécanismes politiques et institutionnels à l’œuvre sont couverts par la résolution 1546, adoptée à l’unanimité par le Conseil de sécurité. Les articles 1 et 4 (a) sont clairs: le gouvernement intérimaire doit limiter ses décisions jusqu’en décembre 2005.

Un gouvernement contrôlé

Ce gouvernement ne pourra donc mettre en question les principaux décrets imposés par Bremer, tels ceux ayant trait à la privatisation des ressources ou donnant à des firmes américaines, pour l’essentiel, le contrôle du processus de «reconstruction» en Irak.

Une «reconstruction» qui apparaît tous les jours comme une simple extension de l’occupation militaire, comme une invasion économique, ce qui explique que les «projets de reconstruction» deviennent des cibles pour divers groupes de résistance.

La résolution 1546 du Conseil de sécurité permet de donner aux troupes des Etats-Unis et de la «coalition» le profil d’une «force multinationale», sous mandat de l’ONU. Cela peut s’avérer utile dans les négociations présentes et futures avec divers Etats européens et pour attribuer un rôle à l’OTAN.

Dans tout cela, la «souveraineté» de l’Irak n’entrait pas en question. D’ailleurs, au cours du mois de juin 2004, Bremer a multiplié les décrets visant à contrôler, sur plusieurs années, le gouvernement irakien.

Ainsi, le responsable de la sécurité et celui des services de renseignement seront en place durant cinq ans. Le premier ministre du gouvernement intérimaire, Iyad Alaoui –agent de la CIA et du M16 anglais– les «nommera». La future loi électorale, selon un décret du 15 juin 2004, devra intégrer une commission de sept membres disposant du pouvoir de disqualifier des partis politiques ou des candidats. Juan Cole, spécialiste de l’Irak et professeur à l’Université du Michigan, déclare: «D’une certaine façon, M. Bremer utilise des dispositions plus subtiles que celles utilisées en Iran par l’aile dure pour contrôler leurs élections» (Washington Post, 27 juin 2004). Voilà une démocratie étroitement surveillée.

Les déclarations d’Iyad Alaoui, de Hazem Al Shaalan, ministre de la Défense, et du vice-président Ibrahim Jaafri sur l’imposition de «l’état d’urgence» laissent entrevoir la nature de ce pouvoir étayé par les Etats-Unis.

Les décrets, pris en rafale en juin, par Bremer ne pourront être mis en question que si une majorité des ministres d’Alaoui, ainsi que le président Ghasi Al-Yaouar et les deux vice-présidents, les contestent. Ce qui apparaît ardu.

Les deux tiers des 36 membres du gouvernement intérimaire sont détenteurs de passeports étrangers, pour l’essentiel américains et britanniques. Ce qui donne une indication sur leurs liaisons, ce d’autant plus que 200 «conseillers» américains et internationaux seront intégrés dans les ministères.

Une présence durable

Le projet d’une présence durable des Etats-Unis en Irak –malgré les difficultés extrêmes rencontrées– se concrétise dans la construction de la plus importante ambassade américaine dans le monde. Le personnel sera au nombre de 1000; en plus des 900 répartis dans quatre régions du pays. Cette ambassade est censée contrôler l’utilisation du Fonds pour la reconstruction d’un montant de 18,4 milliards de dollars alloués par le Congrès américain.

Le confort d’une telle ambassade coûte cher. Ainsi, 184 millions de dollars, qui étaient destinés à la réhabilitation des conduites d’eau potable, seront consacrés aux commodités du palais qu’occupera John Negroponte, actuel ambassadeur américain à l’ONU et ex-organisateur, depuis le Honduras, des opérations militaires en Amérique centrale au cours des années 1980. Cette modification budgétaire manifeste toute l’attention portée par les responsables du Fonds pour les épreuves frappant la population irakienne: selon l’UNICEF, 70% des maladies des enfants sont liées à l’absorption d’eau polluée.

Centre névralgique de la présence américaine, l’ambassade s’appuiera sur 14 bases militaires, destinées à surveiller les zones économiques (pétrole) et stratégiques les plus importantes.

La tutelle économique

Au plan de la «souveraineté économique», la résolution 1546 laisse intacts les décrets de Bremer. Ainsi, les autorités irakiennes ne pourront pas (pour autant qu’elles le veuillent): donner la préférence à des compagnies irakiennes pour la reconstruction; empêcher la privatisation des firmes d’Etat et l’appropriation à 100% par le capital international des sociétés sises en Irak; freiner les importations qui détruisent le fragile tissu productif; maîtriser les flux de capitaux.

Le contrôle du pétrole –malgré l’instauration d’un «Fonds de développement pour l’Irak» (résolution 1483)– reste plus qu’obscur. Certes, des revenus doivent être versés dans ce Fonds (résolution 1546), mais le pouvoir de décision irakien sur l’organisme d’allocation de ces ressources (IAMB) est réduit à une voix !

Le rejet de l'occupant

Une enquête commandée par Bremer et effectuée entre le 14 et le 23 mai 2004 –publiée le 15 juin– indique que 92% des Irakiens considèrent les «forces de la coalition» comme des occupants et non des «libérateurs». Une large majorité considère que leur sécurité serait accrue si les forces d’occupation partaient. En outre, 61% des personnes interrogées s’opposaient, plus ou moins frontalement, au premier ministre Alaoui.

Dans ce contexte, construire une «armée irakienne»– qui ferait la police dans les zones urbaines, avec les forces militaires américaines cantonnées dans des bases– relève d’une tâche plus que problématique. En avril 2004, face à des soulèvements dans diverses villes, les troupes irakiennes se sont évaporées. Comme le rapporte le New York Times (27 juin 2004), le sentiment des nouvelles recrues peut être résumé de la sorte: «Je ne suis pas prêt à combattre des Irakiens. Je jetterai mes armes; je me débarrasserai de nom uniforme.» Au-delà de mille et une négociations politiques entre partis irakiens, ce qui prime reste le rejet de l’occupant parmi la population.

 
         
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