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La Poste
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Au service des «affaires»

Jean-Marie Gerber

Au nom de l’efficacité technique La Poste accentue la ségrégation sociale.

Dans le courant de l’année 2009, la réalisation du projet REMA (Reengineering Mailprocessing) sera achevée. Préparé à partir de 2001, ce projet a entraîné la suppression de 18 centres de tri du courrier, remplacés par trois nouveaux centres principaux (situés à Eclépens, Härkingen et Zürich Müllingen) et six centres secondaires. Cette «rationalisation» aboutit à la concentration et à la standardisation de nombreuses activités liées au traitement du courrier. Ces deux facteurs sont censés permettre une réorganisation permanente du traitement.

«Stratégie logistique 2009-2012»

Ainsi, la direction de La Poste élabore une stratégie logistique pour les années 2009-2012, ayant pour titre: L’efficacité du dépôt à la distribution. Par la mise en œuvre ou l’expérimentation de neuf projets différents, l’ensemble du cheminement emprunté par les 500’000 colis et 15 millions de lettres traités quotidiennement par les salarié·e·s de La Poste sera rendu «efficace».

Parmi ces neuf projets, nous en mentionnons trois:

1° Le «regroupement» des sites de distribution du courrier: pour 2009, la direction de La Poste souhaite en réduire le nombre de 1800 à 1200. A cette concentration des activités «courrier» succédera, à l’avenir, le regroupement en des sites communs des différentes catégories d’activités postales (colis, express, etc.).

2° La mécanisation accrue. Au printemps 2009, le tri mécanisé des tournées de facteurs (appelé sequencing ou, en français, «tri séquentiel mécanisé») sera testé à Gossau (Zh) et dans la région de Saint-Gall. Actuellement, près d’un tiers de la journée de travail d’un facteur est consacré au tri du courrier: A le matin, B l’après-midi. Le remplacement du tri «manuel» par un tri mécanique entraînera de nouvelles transformations de l’organisation du travail dans le secteur de la distribution: horaires variables, augmentation du personnel employé à temps partiel (de 35 à 60%, à taux variable), suppression d’emplois, etc.

3° Depuis l’automne 2008, et pour une durée de six mois, un «projet pilote» de «distribution alternatif du courrier» est testé dans trois sites. Ce projet procède à une division des quartiers en deux catégories: «quartiers d’affaires» et «quartiers résidentiels». La tournée unique est donc supprimée et remplacée par une triple distribution. Dans un premier temps, les postiers effectuent la distribution des quotidiens tôt le matin; puis, dans la matinée, ils acheminent le courrier dans les «quartiers d’affaires» qui concentrent bureaux, administrations et magasins; enfin, l’après-midi, s’effectue la distribution dans les «quartiers résidentiels». Par ce test, la direction de La Poste indique quelles catégories de la population et quelles activités elle souhaite privilégier: les secteurs économiques et commerciaux. Secteurs qui constituent 80% de son chiffre d’affaires. C’est un choix social, guidé par une logique de rentabilisation. Il se fait au détriment de la majorité de la population.

Les «revendications» de Kunz

Le successeur d’Ulrich Gygi, qui prendra sa place en avril 2009, Michel Kunz, responsable PostMail, indique que cette orientation «entraînera certainement une réduction de postes de travail». Le bulletin que La Poste destine aux parlementaires précise dans son édition d’octobre 2008: «La Poste continuera à l’avenir de procéder par étapes, cherchant le dialogue avec les individus, les régions et les clients concernés par le changement. Les communes, les cantons, les syndicats et les milieux politiques seront informés en toute transparence de l’évolution future. La Poste souhaite s’assurer la compréhension des différents acteurs pour les développements nécessaires.» Cela nécessite une modification du «cadre législatif» passant par l’octroi de «la liberté entrepreneuriale.» [1]

Cette méthode de communication visant à «s’assurer la compréhension des différents acteurs» est connue. Elle est utilisée depuis 1998: des «consultations publiques» accompagnent l’application des grands programmes de restructuration. Pour mémoire: la réduction drastique du réseau postal (projet Optima); les nouveaux centres de traitement des colis (Colis 2000) et du courrier (REMA). La comparaison entre les projets initiaux et leur réalisation illustre la forte capacité qu’a la direction de La Poste d’imposer ses projets sans résistance effective des salariés et des usagers. Dans ce contexte, elle pousse l’avantage.

Ainsi, dans un communiqué du 8 mai 2008 [2], au titre explicite de La libre concurrence implique la liberté d’entreprise, la direction de La Poste développe ce que la notion de «liberté d’entreprise» signifie pour elle. Trois points en ressortent:

1° La volonté de se défaire d’un certain nombre de «contraintes» imposées par son «mandat d’infrastructure». Ce mandat est directement lié à l’obligation légale qu’a La Poste d’assurer la desserte de base sur l’ensemble du territoire. L’argument utilisé est le suivant: il «faut, non pas s’attacher à tout prix à conserver des structures historiques, mais adapter la desserte de base à la demande de la clientèle». Traduisons: centrer les activités postales sur les secteurs rentables (grandes entreprises, administrations, etc.) avec une «réactivité» face à leurs exigences. Le reste de la population passe au second rang. Cela ressort des termes mêmes du communiqué: «un mandat d’infrastructure manquerait la cible et empêcherait La Poste de réagir de façon innovante aux changements d’habitudes de ses clients».

2° La demande d’octroi d’une licence bancaire permettrait à La Poste de distribuer «crédits et hypothèques pour son propre compte». Cette licence constitue «la seule solution pertinente en termes de politique de la concurrence». Plus loin, on peut lire: «Postfinance doit pouvoir devenir une banque de détail à part entière comme toutes les entreprises postales florissantes d’Europe [...]. La suppression de la garantie de l’Etat dans ce cas n’en serait que la conséquence logique.» Pourtant, en octobre 2008, dans le mensuel du personnel de La Poste, Jürg Bucher, responsable PostFinance, indiquait sa préférence pour que les fonds de la clientèle de PostFinance soient investis «dans des hypothèques et des crédits aux PME en Suisse, ce qui n’est pas possible sans licence bancaire». PostFinance gère des «fonds de la clientèle» de plus de 48 milliards de francs (La Poste, n° 10, octobre 2008). Nous reviendrons sur les développements de PostFinance, qui sont en partie conditionnés par la réorganisation du secteur bancaire helvétique et l’appétit des concurrents pour des produits que PostFinance propose.

3° Une modification des conditions de travail (salaires, horaires, etc.) afin de «pouvoir lutter à armes égales» avec les entreprises concurrentes (UPS, DPD, DHL…). Entreprises qui n’ont pas – ne cesse de préciser La Poste – le «désavantage» d’avoir à assurer une desserte de base. Le discours est clair à ce propos: «Alors que les opérateurs privés peuvent se contenter de respecter les conditions de travail usuelles dans la branche, La Poste se voit obligée, en plus, de négocier une convention collective de travail, de favoriser l’égalité et de tenir compte des intérêts régionaux.» Afin d’éviter les «pertes considérables de parts de marché et des déficits majeurs», la direction de La Poste revendique «l’élaboration rapide d’une convention collective sectorielle».

Cette nouvelle convention, si l’ensemble des entreprises du secteur parviennent à un accord, ne manquera pas d’être un instrument supplémentaire dans les atteintes aux conditions de travail et à l’abaissement des salaires afin de «lutter à armes égales»…

Pour avoir les mains totalement libres, La Poste souhaite se transformer en «Une société anonyme de droit privé dont le capital serait détenu en majorité par la Confédération».

Une étape intermédiaire

Le 28 octobre 2008, le Conseil fédéral apporte une première réponse aux «revendications de La Poste». Le communiqué de l’exécutif fait suite aux «résultats de la consultation sur la législation postale» et définit une «marche à suivre». Dont les éléments les plus importants sont les suivants:

1° Le calendrier de «libéralisation du marché postal» est modifié comme suit: le 1er juillet 2009, par voie d’ordonnance, le monopole des lettres sera abaissé à 50 grammes. Le projet initial proposait un calendrier de libéralisation totale du marché des lettres en deux étapes. Le Conseil fédéral dissocie la révision de la loi sur la poste et l’ouverture complète du marché, ces deux points pouvant faire l’objet d’un référendum.

2° Le Conseil fédéral renonce à l’élargissement des activités de La Poste au secteur financier.

3° Pour ce qui a trait à la garantie du service universel, le projet mis en consultation proposait deux variantes: un mandat légal attribué à La Poste ou une procédure d’appel d’offres. Dans le premier cas, c’est le maintien de la situation actuelle où La Poste est contrainte par ce mandat de remplir une «mission de service universel» sur l’ensemble du territoire. Dans le second, une telle procédure devait aboutir à une mise en concurrence de différentes entreprises pour tout ou partie de cette «desserte de base». Le Conseil fédéral tranche en faveur de la première option.

4° Par contre, la transformation de La Poste en société anonyme (de droit public, alors que La Poste réclame une structure identique mais de droit privé) est acceptée.

Le même jour, dans un communiqué de presse, La Poste se déclare insatisfaite: «Le gouvernement manque non seulement une occasion de faire du groupe Poste une entreprise florissante mais pénalise également l’économie suisse en général» et réclame les «améliorations nécessaires».

La stratégie «revendicative» de la direction de La Poste a pour but d’obtenir, par tranches, gain de cause, afin de coupler restructurations et nouveau statut juridique. Tout cela dans un climat socio-politique assurant un «consensus raisonné» dans un cadre où le fédéralisme politique a encore ses inerties. Toutefois, il faut avoir à l’esprit que le dispositif légal actuel n’empêche pas, pour l’essentiel, La Poste d’avancer sur la voie d’une privatisation effective et la détérioration des conditions de travail. Sans même parler de la liquidation d’un service postal obéissant au «service du public».

Repolitiser l’action syndicale

Le saut qualitatif envisagé – et déjà engagé – est justifié par des arguments techniques. La «technisation» des débats vise à dépolitiser des choix qui s’opèrent au bénéfice des secteurs socio-économiques dominants.

Face à cela, il importe de «repolitiser» ces questions. Mentionnons les axes sur lesquels pourrait s’engager une discussion politique et démocratique sur le sens des activités postales:

• La définition démocratique des besoins en matière d’activités postales sur l’ensemble du territoire, et plus généralement à l’échelle de l’Europe.

• La coordination, à l’échelle nationale et européenne, des différents syndicats et regroupements actifs dans les secteurs des communications, les transports (de biens et de personnes) et les télécommunications.

• L’extension des droits syndicaux et sociaux à l’ensemble des travailleurs et travailleuses de ces secteurs.

• Une transformation radicale de l’organisation du travail dans laquelle la mécanisation s’accompagne d’une réduction du temps de travail et une modification qualitative de l’activité productrice.

La récente attaque portée, mi-février 2009, par la direction de La Poste – nouvelle suppression de 500 offices et nivellement par le bas des conditions salariales de l’ensemble du personnel du Front-Office (guichets) – exige de redéfinir la convention collective de travail. Cette redéfinition doit être l’affaire de l’ensemble des salarié·e·s de La Poste et non pas la seule propriété des sommets des appareils syndicaux. C’est aussi l’occasion d’ouvrir enfin un débat national sur l’avenir de La Poste.

1. L’ensemble des données et des citations utilisées jusqu’ici sont tirées de: Stratégie logistique: l’efficacité du dépôt à la distribution, entretien avec Michel Kunz et Christian Fritz (dirigeants de PostMail) publié dans le journal du personnel La Poste (n° 10, octobre 2008) et de Poste et politique, édition d’octobre 2008 du bulletin que La Poste publie à destination des parlementaires afin que «la politique fasse preuve de cohérence dans ses décisions»(p. 2).

2. Communiqué de La Poste Suisse en date du 8 mai 2008. Visible sur le site www.poste.ch

(5 mars 2009)

 
         
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