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Fonction publique du canton de Vaud
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Un conflit exigeant fermeté et unité

Urs Zuppinger

L’offensive de l’Etat de Vaud, employeur public, contre la «classification salariale» (voir La brèche No 6 / 2007) a débouché sur un conflit social ouvert. Cela grâce à la large mobilisation du personnel

En octobre 2007 le personnel semblait être condamné à subir la contre-réforme que le Conseil d’Etat veut lui imposer. Il a réussi depuis lors à engager une riposte aux allures imposantes. Elle a déjà atteint un premier but. En effet, le Conseil d’Etat avait voulu prendre le personnel de court en engageant, depuis juillet 2007, des pseudo-négociations avec les associations du personnel: SSP [1], Sud [2] et FSF [3]. En parallèle, il menait auprès des employé·e·s, une campagne d’information lénifiante sur les prétendus avantages de son projet qui faisait le black-out sur tous les éléments qui permettent de comprendre les conséquences négatives – nombreuses et importantes – qu’il aura pour les salarié·e·s. Cette stratégie initiale de l’Etat-employeur a été mise en échec. 

Une riposte d’envergure

Le mouvement s’est enclenché dès que les organisations ont commencé à mobiliser. Le 6 novembre 2007 une première assemblée générale du personnel avait réuni 150 militant·e·s. Le 22 novembre, plus de 8 000 employé·e·s de l’Etat de Vaud et des institutions parapubliques cantonales ont manifesté dans les rues de Lausanne, à l’appel des trois organisations faîtières. Avec calme et détermination, ils ont exprimé leur refus de se faire imposer les «innovations» conçues par le Conseil d’Etat.

Ce changement d’attitude est aussi le résultat d’un travail syndical de fond. Des dizaines d’assemblées du personnel ont permis aux participants de comprendre les tenants et aboutissants du nouveau système et de réfléchir collectivement aux mesures à prendre pour assurer la défense collective de leurs intérêts. Les sites internet des organisations du personnel – SSP, Sud et FSF qui informent tous à leur manière et en détail sur ce qui est prévu – ont connu des centaines de visites par jour.

Le 6 décembre 2007, une deuxième assemblée générale du personnel avait lancé un préavis de grève. Il fut confirmé le 21 janvier 2008. La démonstration de force a eu lieu le 31 janvier 2008 avec le soutien actif des trois faîtières. Son succès fut retentissant: travail arrêté dans une large majorité des établissements scolaires du canton, au CHUV (Centre hospitalier universitaire) et dans plusieurs services de l’administration, manifestation de rue en fin de journée avec plus de 12’000 participants.

L’impact sur la partie patronale fut immédiat. La réaction, elle, surprenante. Le 4 février 2008, lors de sa rencontre avec les organisations du personnel, elle a unilatéralement suspendu les négociations jusqu’au 31 mars. L’Etat-employeur invoquait avoir besoin de temps pour évaluer la situation et avancer de nouvelles propositions.

Les employé·e·s des services publics vaudois ont-ils eu raison de crier victoire en apprenant cette nouvelle ou s’agit-il d’une manœuvre de la partie adverse dont ils auraient intérêt de se méfier?

Avant d’aborder cette question qui est évidemment essentielle pour la suite, il est utile de rappeler les éléments clefs du projet gouvernemental. Ils montrent que les innovations que l’employeur public vaudois veut imposer à son personnel représenteront en effet une modification majeure et très négative des rapports de travail. 

Les éléments clefs du projet patronal

L’Etat de Vaud compte des milliers de salariés qui fournissent les prestations les plus diverses. Le système salaire en vigueur part du principe que le salaire accordé à chaque employé doit correspondre au niveau d’exigences et à la lourdeur des conditions de travail de sa fonction. Il prévoyait que la classification d’une fonction puisse être améliorée en cas de modification de ces deux paramètres par l’intermédiaire d’une procédure dans laquelle les organisations du personnel avaient droit au chapitre, parce qu’une modification impliquait, du moins en partie, un caractère de négociation paritaire [4].

Le nouveau système est conçu pour assurer en priorité le contrôle du Conseil d’Etat sur la masse salariale. La classification des fonctions sera, dès lors, du seul ressort du service du personnel. Les employé·e·s et leurs organisations seront exclus de la procédure. Les critères objectifs de la méthode d’évaluation du système en vigueur seront remplacés par des critères subjectifs à caractère managérial. Pour donner un exemple, ce qui comptera ne sera plus la complexité des tâches à accomplir, mais l’aptitude à être flexible, à communiquer ou à gérer une équipe. Pour les fonctions administratives, le nouveau système introduira une différenciation salariale en fonction du cahier des charges des postes. D’autres fonctions actuelles seront dispatchées sur des fonctions nouvelles, modulables.

Bref, le passage de l’ancien au nouveau système s’accompagnera pour les salarié·e·s d’un effacement des repères connus. Il engendrera une atomisation accrue de leur situation salariale et une mainmise accrue de la hiérarchie sur le personnel, car c’est elle qui définit les cahiers de charges des postes.

Sur le plan matériel, la nouvelle échelle de traitement favorisera nettement les hauts salaires. Concrètement, le Conseil d’Etat veut relever le revenu maximal annuel possible de près de 30 %. Il passera ainsi de 184’619 à 237’899 francs (valeurs 2007). Le coût de cette «ouverture» antisociale ainsi que les quelques améliorations accordées à certaines catégories, seront compensés par des pertes infligées aux autres, car le Conseil d’Etat veut réaliser, à peu de choses près, une opération financière «blanche». Dans le nouveau système, un employé aura besoin, selon la proposition initiale du Conseil d’Etat, de 30 ans de services pour atteindre le sommet de sa classification. Dans le système encore en vigueur, il lui faut 18 à 20 ans. Après sept mois de «négociations» la délégation du Conseil d’Etat a déclaré être d’accord de descendre à 27 ans. Pour adoucir la pilule, la progression sera plus forte durant les premières années que par la suite et les écarts entre les minima et les maxima seront uniformisés à 45 %. C’est l’unique point positif du nouveau système, car dans celui en vigueur ce pourcentage est plus bas au bas de l’échelle qu’au sommet.

Tout ceci, les organisations du personnel et les employé·e·s à leur suite ne l’ont découvert qu’au compte-gouttes et de façon indirecte. En effet, le Conseil d’Etat et son service du personnel ne fournissaient aucune information précise sur les conséquences concrètes du nouveau système.

Ce qui a mis le feu à la poudre fut la découverte que les employé·e·s qui bénéficieront d’une meilleure classification salariale grâce au nouveau système n’atteindront ce nouveau salaire que très, très progressivement au cours des années à venir; et cela en fonction des ressources financières consenties par le Grand Conseil.

De plus, il s’est avéré que le Conseil d’Etat veut profiter de l’instauration du nouveau système pour supprimer le principe même des droits acquis en matière de progression salariale, en s’octroyant la compétence de retrancher, d’une année à l’autre, tout ou partie de ces droits en fonction de la situation des finances cantonales et du pouvoir de décision du Grand Conseil.

La déception que la compréhension de ces innovations a suscitée chez les employé·e·s était le premier levier du mécontentement. Il s’est répandu parmi le personnel dès le mois de novembre 2007. En outre, a émergé la prise de conscience que seule la mobilisation collective était un moyen efficace pour amener le Conseil d’Etat à abandonner son attitude de refus à des concessions. 

Un apprentissage instructif

Le 6 juillet 2007, il avait convoqué les trois faîtières, SSP, Sud et FSF, afin d’annoncer vouloir engager des négociations. Or, en ouvrant la séance il faisait clairement comprendre qu’il n’était prêt à aucune concession. Dans son optique, la nouvelle méthode d’évalua­tion des fonctions (appelée Decfo) qui renferme le noyau dur du nouveau système était tout simplement «hors périmètre de négociation» et dans le nouveau système salarial (appelé Sysrem) seuls deux trois points étaient modifiables. Pendant quatre à cinq mois, l’exécutif cantonal est resté figé dans cette attitude. Les rencontres avec les organisations du personnel furent courtes, espacées, fixées d’une fois à l’autre. Pour l’essentiel, elles étaient consacrées à la présentation du travail préparé par le Service du personnel.

Il a fallu la manifestation du 22 novembre 2007 pour obtenir un premier assouplissement de l’attitude patronale. Lors de la rencontre suivante du 2 décembre, la Délégation du Conseil d’Etat pour les «ressources humaines» a annoncé qu’elle était en train d’examiner certaines revendications de la FSF et du SSP. De plus, il a été possible de fixer trois journées de négociations en 2008.

C’est parce que ces négociations étaient de nouveau décevantes, que le préavis de grève a été confirmé. Et c’est après avoir mesuré l’ampleur de la participation du personnel au mouvement du 31 janvier 2008 que la Délégation du Conseil d’Etat a annoncé le 4 février la suspension des négociations.

Quelles perspectives?

Les salarié·e·s des services publics vaudois ont donc raison de se réjouir de l’effet que leur action a eu sur l’Etat-employeur. C’est la grève qui l’a conduit à envisager un réexamen de sa position. Mais la bataille n’est de loin pas gagnée.En effet, en décrétant une pause de deux mois, la Délégation du Conseil d’Etat ne s’est pas seulement donnée du temps pour réexaminer sa position. Elle a aussi voulu couper le souffle à la mobilisation et miner la capacité des organisations du personnel d’agir dans l’unité.

De plus, elle n’est toujours pas prête d’aborder un quelconque élément clef du nouveau système lors du futur nouveau round de négociation. Or, en admettant cela, les organisations du personnel acceptent, dans les faits, d’être à l’avenir exclues de la procédure de fixation des salaires des employé·e·s de l’Etat de Vaud. Tout au plus, la Délégation du Conseil d’Etat sera-t-elle prête lors du prochain round à faire, le cas échéant, quelques concessions de détail supplémentaires de moindre coût portant sur le nouveau système salarial.

Pour les salarié·e·s, il est aussi très important d’obtenir encore de telles concessions. Ainsi, il ne serait par exemple pas anodin que le nombre d’années nécessaires pour atteindre le sommet de la classe soit encore abaissé ou que le salaire minimum soit encore amélioré. Les organisations du personnel doivent donc se battre pour de telles revendications. Or, pour avoir une chance de gagner sur ces revendications, elles doivent se plier au chantage du Conseil d’Etat qui ne veut négocier que ces points. Ce faisant, ne sont-elles pas en train d’abandonner le combat contre le nouveau système pris dans son ensemble et qui déroule sa propre mécanique destructrice?

Il n’y a pas de réponse simple à cette question. Que le personnel et ses organisations mettent donc à profit la suspension des négociations pour y réfléchir et pour en débattre de façon démocratique et sans effectuer des démarches séparées en direction du Conseil d’Etat.

Débat collectif et définition des objectifs restent le meilleur moyen de ne pas tomber dans le piège que la Délégation du Conseil d’Etat leur a tendu le 4 février 2008. Que cette discussion débouche sur des prises de position différentes n’est que normal, compte tenu de la complexité du sujet.

Nous espérons seulement que le débat ne soit pas organisé, de fait, autour du seul problème de l’envergure des concessions concrètes à obtenir lors du prochain round de négociation. Il faut que des voix se lèvent pour faire comprendre au Conseil d’Etat et à l’opinion publique que le système Decfo-Sysrem reste inacceptable sur le fond. Il faudra donc le mettre en échec, si ce n’est aujourd’hui, du moins à terme.

Le deuxième défi que le personnel et ses organisations doivent relever concerne le maintien et le renforcement de l’unité d’action sur des objectifs collectivement définis. Cela a permis le succès de la grève du 31 janvier. Cela reste une des conditions pour prolonger et renforcer la mobilisation et marquer des points. Pour y parvenir, il est essentiel que le SSP, Sud et la FSF se coordonnent pour assurer une relance commune de la mobilisation à l’approche du 31 mars 2008.

1. Syndicat des services publics, affilié à l’Union syndicale suisse

2. Fédération syndicale Solidaires, unitaires, démocratiques

3. Fédération des sociétés de fonctionnaires

4. Dans les faits, cette procédure a été gelée en 1995 lorsque le Conseil d’Etat vaudois avait pris la décision de liquider le système en vigueur pour le remplacer par un système nouveau. Ce n’est pas parce que le service du personnel a pris 12 ans pour mettre au point ce nouveau système et lui coller le sigle Decfo-Sysrem qu’il est devenu inutile de le comparer avec le système qui fonctionnait auparavant et ce durant 26 ans.

(25 dévrier 2008)

 
         
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