Nouvelle gouvernance
Charles-André Udry
La scène politique suisse a vécu, en décembre 2007, un spectacle digne d’une mise en scène pas des rois de l’illusionnisme. Un avantage: les papiers pouvaient être produits plus facilement par les journalistes. Enfin, il n’était plus nécessaire de comprendre ces «sujets techniques» qui contraignent le préposé aux «nouvelles fédérales» à faire du copier-coller avec les dépêches issues des divers départements du Conseil fédéral.
Tout était simple. Il fallait «renverser Blocher», «élire un nouveau Conseil fédéral», «soutenir la courageuse» présidente de la Conférence des directeurs cantonaux, membre de la direction de la Banque nationale et Conseillère d’Etat des Grisons: Eveline Widmer-Schlumpf, membre de l’UDC.
Une personnalité appréciée par le représentant le plus direct du Capital au Conseil fédéral: le radical appenzellois Hans-Rudolf Merz. L’homme qui impose le diktat d’une politique budgétaire hyper-néo-conservatrice mettant à bas le très faible édifice de redistribution social. Merz utilisera les pertes fiscales provoquées par les opérations douteuses de l’UBS ou du Credit Suisse ainsi que la récession qui pointe son nez en 2008 et 2009 pour exiger, une fois de plus, des restrictions budgétaires dans le domaine social.
Sur ce terrain Eveline Widmer-Schlumpf – de concert avec le reste du Conseil fédéral – va le sanctifier. Dans le domaine du «renvoi d’étrangers», la remplaçante de Blocher appliquera la ligne blochérienne, sans fracas, certes. Une sorte de normalisation feutrée. Rien que de très normal pour ceux qui connaissent les mécanismes du fonctionnement de l’appareil politique helvétique.
En fait, comme l’a écrit le nouveau directeur, Pascal Gentinetta, de l’officine patronale economiesuisse – dont le trésorier est Marcel Ospel de l’UBS! – «le Conseil fédéral n’a jamais été aussi proche de l’économie».
En réalité, ces quelques remous devraient stimuler une réflexion – entre autres parmi ceux qui ne rechignent pas à utiliser, par psittacisme, le terme «anticapitaliste» – sur les modalités de gouvernement qui s’imposent dans les actuelles sociétés capitalistes soumises à la mondialisation.
Tout d’abord, sont prescrites avec automatisme – en dehors de tous débats parlementaires – des normes de gouvernance issues d’accords internationaux; qu’ils soient ceux dictés par l’OMC ou par des accords bilatéraux avec l’Union européenne. Or, ces normes ont des effets directs pour les salarié·e·s, les consommateurs, les paysans, etc. A ces normes s’ajoutent les contraintes que dictent les transnationales industrielles et bancaires dans un grand nombre de domaines: fiscalité, propriété intellectuelle, aménagement du territoire, législation du travail, type de sécurité sociale, etc.
Ensuite, le rôle du personnel des administrations est formaté par les exigences d’une gestion imposée par les canons en vigueur dans les grandes firmes. L’intégration du public et du privé se traduit non seulement par le passage des «cadres» de l’un à l’autre, par les formes du «new public management», mais aussi par la soumission, dans tous les domaines, au «style» imposé par le «pouvoir économique». La présence de membres du Conseil fédéral à Davos en est une expression caricaturale.
A cela s’ajoute une intrication dans la façon dont sont présentés – avec des aspects de pipolisation – les chefs des sociétés bancaires et industrielles et les dirigeants politiques. Experts en médiatisation, publicitaires en produits de luxe comme en produits politiques et experts en «libre-marché» constituent l’entourage des «élus du peuple». Ces derniers deviennent dès lors élus des sondages, fort bien téléguidés.
Enfin, s’impose parmi les élus des législatifs et des exécutifs l’acceptation d’une règle: «l’économie commande, il faut s’y adapter». Jamais ce dogme n’a été aussi largement partagé dans tout le spectre politique institutionnel.
Le tout fait système. Dans ce cadre, les nouvelles couches de salarié·e·s – d’autant plus si les mobilisations sociales sont faibles ou restent fragmentées – ont le sentiment qu’elles sont piégées par une machinerie dont elles ne maîtrisent pas le fonctionnement. Face au danger – réel ou fantasmé – de la précarité, de la non-réussite sociale, la voie des solutions individualistes (illusoires mais validées par les exceptions mises en relief par les médias) est privilégiée. Dans ce décor et ce carcan, les instruments pour dégager, avec patience, les voies d’une réappropriation de l’action collective se trouvent-ils, d’abord, dans le champ institutionnel? Il faut être collé aux schémas d’une autre période historique pour le croire.
(25 janvier 2008)
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