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Convention nationale ou Conventions régionales?

Le «gros œuvre», la mobilisation nationale et la construction régionale

Charles-André Udry

Le 19 décembre 2007, un communiqué annonçait que Jean-Luc Nordmann – ancien patron de la Direction du travail au Secrétariat d'Etat à l'économie (SECO) et chef d’orchestre des contre-réformes dans le domaine de la loi sur le chômage comme de la loi sur le travail – avait trouvé un compromis acceptable pour les syndicats (UNIA et SYNA) et la SSE (Société suisse des entrepreneurs). Lors de la conférence de presse qui s’ensuivit Andreas Rieger, coprésident d’UNIA, montrait toute sa reconnaissance à Jean-Luc Nordmann. Il ne manqua d’ailleurs pas d’insister. Selon lui, pour faire vivre «le partenariat social», il est nécessaire que les solutions de compromis soient «défendues avec tout son engagement et «son cœur», comme l’a formulé Jean-Luc Nordmann, à la fin de la médiation». (Le Temps, 15 février 2008). Défendues contre qui? Contre les «critiques internes». Et en ce domaine, la direction d’UNIA ne démérite pas

.Or, il y a un lien social direct entre l’action des membres de ces appareils et le respect qu’ils manifestent pour les hauts fonctionnaires de la bourgeoisie, artistes en feinte sincérité. Cette déférence est inscrite dans l’ADN des sommets bureaucratiques dont l’existence médiatique – et surtout matérielle – est directement liée à ce type de «partenariat social» qui s’accompagne de versements en argent comptant à UNIA.

Dès lors, au moment où la SSE annonce le 24 janvier 2008 qu’elle refuse, à une très large majorité, le résultat de la médiation, le langage de la direction d’UNIA, en substance, se résume à dénoncer leur «perte de confiance» que cette décision patronale implique.

Une perte de confiance en qui et en quoi? Dans la «parole donnée» (sic) par les employeurs, nous confesse Andreas Rieger (Le Temps, 15 février 2007). Avec le capital intellectuel d’un sociologue, il constate dans le Sonntag.ch du 17 février 2008: «Nous connaissons une interruption du partenariat social. Malgré la haute conjoncture il y a toujours moins d’employeurs qui sont prêts à donner quelque chose.» On croit rêver. Avec le sourire contrit cher aux ex-séminaristes, le coprésident d’UNIA revient sur terre, cette terre que les membres d’UNIA connaissent bien.

Depuis combien de temps, le patronat suisse et son gouvernement – avec l’appui de ses diverses administrations – ont-ils mis en cause brutalement le salaire social – c’est-à-dire pas seulement le salaire direct, mais aussi les allocations chômage, l’AVS, l’AI, les cotisations à l’assurance-maladie, les coûts pour les crèches, etc. – et les conditions de travail? Depuis plus de 15 ans. Depuis combien de temps les quelques études sérieuses menées démontrent que la redistribution de la valeur ajoutée se fait de plus en plus massivement en faveur du capital? Pour le savoir, il n’est qu’à lire l’évolution des données fournies chaque année par Finanz und Wirtschaft sur les dividendes distribués aux actionnaires. Il y a dans ces chiffres la concrétisation de la brutalité de classe des dominants qui ont à leur service un gouvernement et des institutions étatiques.

C’est à partir de cette réalité qui crève les yeux et brise de nombreux travailleurs – et non du respect ou non de la «parole donnée» – que doit être envisagée la guerre déclarée par la SSE depuis la rupture unilatérale de la Convention collective au printemps 2007. Faut-il rappeler qu’en 2006, pour 1000 travailleurs à plein-temps dans le secteur de la construction, 208 accidents professionnels ont été enregistrés?

Or, pour faire face à ces attaques, il faut avoir à l’esprit, à la fois, la disponibilité à la mobilisation qui s’est manifestée au second semestre 2007 et la situation d’UNIA, plus exactement de sa force effective en membres.

Dans le secteur principal de la construction, qui est au centre de l’affrontement, UNIA organise: à Genève: 1450 membres; à Lausanne: 2 000; à Nyon: 700; à Yverdon et Nord vaudois: 900; à Vevey et l’Est vaudois: 840; à Neuchâtel: 780; à la Chaux-de-Fonds: 530; dans le Valais (Haut et Bas): 3 000; dans la «Transjurane«: 1040; dans le canton de Fribourg: 1700; dans l’ensemble du Tessin: 5 300; dans la région Bienne-Soleure: 1800; dans le canton de Berne: 4 300; en Argovie: 1900; dans le canton de Zurich: 4 800; en Suisse centrale, y compris Zoug: 1350; dans le canton de Saint-Gall (y compris Appenzell): 1100.

Ces chiffres, le patronat les connaît. Il sait aussi que le «recrutement» – en tant que tel – est devenu l’objectif d’une organisation syndicale fonctionnant de plus en plus sur le modèle d’une simili-entreprise ayant une direction envieuse et admirative de ladite «efficacité managériale». On se demande de quoi est constitué un syndicat. Et, avant tout, quelle est la qualité attribuée aux rapports avec les membres. Une orientation organisationnelle est, à ce propos, aussi un révélateur social et culturel.

En outre, les patrons sont tout à fait conscients de la ligne déclinante des revendications avancées dans le secteur de la construction. La mémoire ne lui fait pas défaut. Ainsi, en juin 2001, dans un éditorial de la feuille consacrée au renouvellement de la Convention nationale 2002, Voilà, le responsable du secteur – comme aujourd’hui – Hansueli Scheidegger écrivait: «Ces dernières années, les entrepreneurs ont usé et abusé de la flexibilisation du temps de travail. Des exigences bien précises pour sa rerégulation et une forte réduction de la durée hebdomadaire du travail à 37,5 heures doivent corriger cette pratique aujourd’hui.» Le résultat fut: plus de flexibilité. Et les 250 francs d’augmentation générale sont restés à l’état de vœu.

Actuellement, en 2008, les articles 24 (Durée annuelle du travail) et 25 (Durée hebdomadaire du travail et travail par équipes) issus du «compromis» béni par Jean-Luc Nordmann offrent un champ favorable à l’application d’une flexibilité rampante et arbitraire. Mais le patronat n’est toutefois pas satisfait.

Des secteurs décisifs des entrepreneurs – qui ont en vue la conjoncture économique internationale déclinante et les avantages qu’ils tirent d’une gestion dure de la main-d’œuvre dans un marché du travail de plus en plus dérégularisé – ne veulent plus d’une Convention nationale.

Ainsi, à partir d’une prise en compte des forces syndicales indiquées ci-dessus, des sous-marchés régionaux et des différences encore existantes dans la structure de l’industrie de la construction, se profilent des accords régionaux éclatés en Valais, au Tessin, à Genève et ailleurs.

Cet éclatement pourra aussi permettre une sorte de «partenariat social» fédéraliste et «féodal». Cela permettra également une nouvelle réorganisation de l’appareil d’UNIA, selon des méthodes où se combineront les combines de la FTMH, le féodalisme régional du SIB et les recettes issues de manuels de management clonés pour usage syndical. Une période est close.

(25 février 2008)

 
         
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