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Genève: nouvelle loi sur le chômage
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Quand une loi vise à exercer la contrainte sur les salaires

Alain Balsa

Lors de la votation du 16 décembre 2007, la population ayant le droit de vote dans le canton de Genève s’est prononcée à 68,5% pour la modification de la loi sur le chômage. Elle introduisait entre autres la suppression des Emplois temporaires cantonaux (ETC) [1]. Les votants ont suivi l’indication du gouvernement et de la majorité du Grand Conseil dont les Verts sont membres.

Rappelons tout d’abord que ces emplois temporaires étaient un droit. Grâce à ces emplois, les chômeurs et chômeuses en fin de droits obtenaient la possibilité d’être engagés soit dans un service de l’Etat, soit auprès d’une association ou d’une institution, et cela durant une année. Cette mesure permettait d’ouvrir un nouveau droit auprès de l’assurance chômage, ce qui évitait à une partie des sans-emploi d’émarger à l’assis­tance publique. Toutefois, n’oublions pas qu’environ 35 % d’entre eux retrouvaient un emploi. En été 2007, les ETC comptaient 1106 personnes dans les services de l’Etat, les régies publiques et les établissements pour personnes handicapées; 159 dans les communes du canton; et environ 700 pour le monde associatif [2].

Les nouveautés de cette loi!

Un des points mis en avant par le Conseil d’Etat était une «prise en charge rapide, dès la première semaine» [3] par l’Office cantonal de l’emploi (OCE) des salarié·e·s venant de perdre leur travail. Cet argument était de la poudre aux yeux jetée aux citoyennes et citoyens. Le but: permettre de faire mieux passer la modification. Par contre, une nouveauté est presque passée inaperçue: il s’agit du changement des tâches attribuées à l’OCE. Ce dernier va déléguer à des entreprises privées le soin de placer et de «réinsérer» les personnes privées de leur emploi. Pour cela il n’a pas eu besoin d’attendre le résultat de la votation. En effet, déjà le 6 novembre 2007, la Tribune de Genève affirmait: «L’OCE a modifié sa manière de travailler et multiplie les expériences, notamment avec des sociétés privées de placement.» [4]

Un autre point de la loi portait sur la modification des Allocations de retour en emploi (ARE). Celles-ci sont octroyées en priorité aux entreprises privées, mais également aux collectivités publiques, ce qui est une nouveauté par rapport à l’ancien texte. Les ETC sont pourvoyeurs d’emplois pour l’Etat et les communes, avec leur disparition l’intérêt de cette nouvelle mouture [5] devient évident. Les ARE représentent un financement jusqu’à 50 % en moyenne de l’employeur, mais elles sont versées de manière dégressive jusqu’à une période de deux ans pour un chômeur ou une chômeuse de plus de 55 ans.

Or, toutes ces nouvelles mesures ne sont plus des droits, mais sont octroyées à bien plaire par les fonctionnaires de l’OCE. Pour ce qui a trait à la perception des ARE, voici ce qu’en dit l’association Trialogue: «Dans le cadre des mécanismes incitatifs existants, les ARE cantonales aboutissent trop souvent à un mariage bancal car ils mettent en relation des petits employeurs en difficulté et des chômeurs de longue durée fragilisés. Les uns y voient là un simple moyen de réduire leurs coûts salariaux, les autres sont mis sous pression et ne se sentent pas assez encadrés. Nous voyons trop souvent surgir des problèmes relationnels, voire du mobbing, dus à une trop grande fragilité de l’entreprise qui accueille le chômeur… Or ce sont souvent ces entreprises qui sollicitent ces mesures.» [6]

Un autre changement de la loi n’était en fait que l’extension d’une disposition existante dans la loi fédérale: le Programme cantonal d’emploi et de formation (PCEF) de 6 mois (12 mois dès 55 ans).

Une part importante de la loi modifiée – qui semble-t-il a convaincu la majorité [7] – a été l’introduction de la possibilité pour les chômeurs en fin de droits de recourir à un programme d’emploi de solidarité sur le marché complémentaire de l’emploi. Pour mieux en saisir l’enjeu, ayons recours à la présentation faite par «APRES, Chambre de l’économie sociale et solidaire» à l’occasion de l’assemblée générale des Verts, en octobre 2007. Selon cette chambre, l’ESS (Economie sociale et solidaire) inclut: l’habitat durable, la production agricole bio-locale, la mobilité douce, la gestion des infrastructures (tels que les bains des Pâquis ou des clubs de sports), la finance et les fonds de pension durables (Ethos, Rai­ffeisen, BAS-Banque alternative), la formation et l’intégration, l’accès au savoir (librairie), la culture, la récupération (Caritas, Emmaüs), l’insertion sociale et professionnelle, les buvettes et la restauration durable.

Tout d’abord un amalgame est fait entre entreprise sociale – qui a pour but de réinsérer des salarié·e·s handicapé·e·s – et des entreprises plus traditionnelles dont le fonctionnement directement ou indirectement est régi par les impératifs d’une rentabilité capitaliste. Or ces entreprises recouvrent un large champ d’activité, et pourtant elles ne verseront que des salaires proches de ceux octroyés par l’assistance publique [8]. La modicité des salaires est validée comme critère de survie d’une petite entreprise dans un environnement capitaliste et peut servir, demain, de référence pour aligner vers le bas les salaires d’autres entreprises non classées dans le secteur «social et solidaire». Selon l’APRES, les emplois de ce segment économique représentent 6 % du total. La progression de ce secteur – qui va de pair avec la précarisation d’un grand nombre de salarié·e·s – devrait plus que doubler selon les estimations de l’APRES. En effet, cette dernière compte 200 organisations [9] et espère en regrouper 500 à l’avenir.C’est ce potentiel de croissance qui explique le soutien de l’APRES à la nouvelle loi sur le chômage et particulièrement à son volet d’emplois solidaires.

Les participant·e·s à ce vaste réseau estiment, de bonne foi, qu’il est possible d’améliorer le capitalisme de l’intérieur. Et ceci explique, en grande partie, le vote massif en faveur de cette loi. D’autant plus que la solidarité est vécue positivement par une large frange de salarié·e·s. Mais de la coupe aux lèvres il y a la réalité effective, c’est-à-dire une économie capitaliste que les dominants façonnent à leur profit, ce qui implique une exploitation féroce, quels que soient les slogans utilisés pour la dissimuler. 

L’application étatique de la loi

Eric Etienne, directeur adjoint au Dépar­tement de la solidarité et de l’emploi, travaille d’arrache-pied depuis plusieurs mois pour matérialiser les emplois de solidarités. Voici ce qu’il déclare à la Tribune de Genève du 6 novembre 2007: «Mais pour 2008, notre objectif est d’en lancer une trentaine [d’emplois] de plus chaque mois […]. Il existe des créneaux intéressants dans les domaines de l’environnement, de la mobilité douce, du recyclage et des aides à la personne.» [10] On est loin de la longue liste de l’APRES concernant l’ESS (Economie sociale et solidaire). Il faut aussi relever que les «aides à la personne» touchent les EMS (établissements médicaux-sociaux) et les soins à domicile. Ici aussi le risque de sous-enchère salariale est évident. 

Chômage, chômeurs et statistiques

On cite souvent le canton de Genève comme le mouton noir du chômage en Suisse avec son taux de chômage avoisinant les 6 à 7 %. Mais si l’on prend les chiffres de la précarité donnés par une étude de la CGAS (Communauté genevoise d’action syndicale) [11], Genève se retrouve juste au-dessus de la moyenne suisse (chiffres de 2004). Suisse: 10,58 %; Zurich: 11,64 %; Genève: 11,81 %; Vaud: 12,33 %; Neuchâtel: 12,73 %; Jura: 12,76 %; Bâle-Ville: 16,63 %.

Ces chiffres indiquent que chômage et précarisation de l’emploi font partie d’un ensemble. Leur fonction est reconnue en système capitaliste: faire pression sur les salaires, sur les revendications des salarié·e·s, sur l’astreinte à un emploi attribué après une période de chômage, etc. D’ailleurs, dans la loi, le montant de 80 millions mis à disposition pour les mesures envisagées n’est pas mentionné. Il ne s’agit ni d’un oubli, ni de la difficulté à évaluer les coûts. Le montant et sa possible fluctuation annuelle permettent de «réguler» le taux de chômage ouvert et celui camouflé (emplois précarisés et aidés). Ainsi, la pression du chômage – d’autant plus forte lorsqu’elle est statistiquement explicitée – peut s’exercer en vue d’une réorganisation du marché du travail et des salaires. C’est malheureusement à ce jeu qu’ont participé les Verts et les associations de l’ESS. Lors de la réévaluation de la loi, dans deux ans, il sera nécessaire de tirer un bilan.

Loi fédérale en ligne de mire  

Les pressions du Conseil fédéral (CF) ont pesé sur les débats. En effet, le conseiller fédéral Joseph Deiss, en charge du Département de l’économie, avait déjà mené campagne lors de la votation cantonale du 24 avril 2005 modifiant la loi sur le chômage. En 2007, ce fut au tour de la présidente de la Confédération, la «socialiste» Micheline Calmy-Rey, d’intervenir lors de cette votation [12]. Dans un courrier daté du 28 mars 2007, elle avait déjà informé le Conseil d’Etat que le Conseil fédéral ne tolérerait pas plus longtemps que les emplois temporaires permettent l’ouverture d’un deuxième délai-cadre. A l’occasion de la nouvelle révision de la LACI (Loi fédérale sur l’assurance chômage) – dont le projet a été mis en consultation le 14 décembre 2007 – la menace proférée par Calmy-Rey deviendra la réalité.

Le projet soumis à consultation a comme unique but d’économiser sur l’assurance chômage, et tout doit être fait selon le patronat pour éviter l’augmenta­tion des cotisations. Augmentation qui devient quasi automatique dès que la dette approche les 2,5 % de la masse totale des salaires soumis à cotisation [13]. Les économies envisagées sont de l’ordre de 480 millions de francs. Elles sont faites sur le dos des chômeurs et des chômeuses. Les cotisations seraient augmentées de 0,2 %, ce qui amènerait une rentrée supplémentaire de 460 millions de francs. Actuellement, le financement de l’assurance chômage est prévu pour 100’000 chômeurs. Le projet propose de l’orienter sur un effectif de 125’000, un chiffre qui, dans le climat économique des prochains 24 mois, sera à coup sûr dépassé.

On pourrait poser une question. Dans la gauche officielle, ledit principe du «pollueur-payeur» est admis. Pourquoi faudrait-il refuser le principe du «licencieur-payeur«? Dans cette perspective, une cotisation de 1 % payée par les employeurs suffirait à générer 2,3 milliards de francs et la dette serait ainsi supprimée en cinq ans, sans toucher aux maigres prestations actuelles.

1. «Une révision qui signe l’arrêt de mort des emplois temporaires. Et qui réduit du coup la prise en charge des chômeurs de 48 à 18 mois.» Tribune de Genève du 17 décembre 2007.

2. Source: Département de la solidarité et de l’emploi, voir aussi Le Courrier du 4 décembre 2007. L’exemple du fonctionnement du Palais de justice est significatif puisque 9 % des effectifs sont dû à des ETC.

3. Tiré de la brochure officielle pour la votation, sous le titre «Explications des autorités».

4. Dans le même article Patrick Schmied directeur de l’OCE rappelait qu’une société privée «Hestia, avec qui nous avons mené la première expérience va doubler sa capacité, pour la porter à 200 ou 300 dossiers […] De plus huit autres sociétés se sont portées candidates. L’objectif final est de déléguer, en tout environ mille dossiers de chômeurs de longue durée.»

5. Dans Le Courrier du 17 décembre 2007 on pouvait lire: «L’ensemble de l’opération pourrait prendre entre neuf et dix-huit mois évalue le ministre», le conseiller d’Etat radical François Longchamp. Si l’on réfléchit bien il s’agit du temps nécessaire pour pallier le manque d’effectifs dans l’administration publique pendant la mise en place de la nouvelle loi.

6. L’association Trialogue a comme activité essentielle, depuis dix ans, de recevoir des personnes en recherche d’emploi. Cette citation du 21 novembre 2007 est parue sur le site Domaine public, numéro 1756, suite à un éditorial de Jean-Daniel Delay soutenant la nouvelle loi cantonale genevoise.

7. Rappelons que la participation a été de 40,4 %. Dans les quartiers populaires la participation a oscillé entre 33 et 37 %. En 2005, lors d’une votation qui tentait également de supprimer les ETC, mais sans les emplois dit de «solidarité», un projet de loi a été rejeté avec un score de 53,7 %.

8. C’est d’ailleurs ce que laisse entendre Christophe Dunand, président de l’APRES dans un entretien accordé à la Tribune de Genève au lendemain de la votation: «L’objectif que nous allons poursuivre consiste à créer des emplois durables, payés décemment, au niveau des conventions collectives ou juste au-dessous, mais au-dessus de l’assistance publique.»

9. Telles que: le GLAJ, Groupe de Liaison des Associations de Jeunesse; le CSI, Coopérative de Soins Infirmiers; le BASIS, Bureau Arts de la Scène des Indépendants; les jardins des Charro­tons, Coopérative Maraichère; la Déclaration de Berne, commerce équitable; le SEL du lac, association d’échange de services et de biens; Oliomobile, collectif d’utilisateur de biocarburants; la CIGUË, Coopérative de logement pour personnes en formation; Imagia, coopérative audio-visuelle; les vergers d’Epicure; etc.

10. C’est aussi une possibilité pour l’Etat de transférer une partie de ses tâches à des entreprises dites «solidaires».

11. «Le taux de précarité» in Le Courrier, 24 novem­bre 2007. Ces chiffres comprennent le chômage, les personnes à l’assistance et les personnes à l’AI.

12. Tribune de Genève, 6 novembre

13. Le plafond d’endettement est fixé à l’art.90c al.1 de la LACI (en 2008 la dette totale devrait s’approcher des 5 milliards de francs; le 2,5 % correspond environ à 6 milliards). Une fois le seuil des 2,5 % dépassé, un projet de loi de modification de la LACI doit être présenté par le Conseil fédéral dans l’année qui suit. Mais auparavant il doit augmenter les cotisations de 0,5 %.

(25 février 2008)

 
         
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