N°13/14 - 2003

Initiative israélo-américaine pour «une solution de la question palestinienne»

-Les faux-semblants de la «feuille de route»
- Comment Israël a «accepté» la feuille de route
- Le mur de la séparation


Les faux-semblants de la «feuille de route»

Le succès de la «feuille de route» - dont le contenu et les étapes ne sont guère précisés dans les médias - semble reposer sur l'acceptation par les diverses forces palestiniennes du «renoncement à la violence». Autrement dit, si l'occupé obéit aux exigences de l'occupant, la «paix» serait possible.

Dans ce scénario, les Etats-Unis apparaissent comme garants d'une «solution pacifique du conflit israélo-palestinien». Que l'espoir d'une issue pour le peuple palestinien suscite la réaction de s'accrocher à tout «processus de paix», cela peut être compréhensible. Mais ce n'est certes pas une raison pour mettre la réalité cul par-dessus tête. La politique des Etats-Unis au Moyen-Orient, plus spécifiquement envers ledit conflit israélo-palestinien, est connue et très documentée depuis longtemps. L'influence des lobbies sionistes et fondamentalistes chrétiens dans l'administration Bush et dans le Congrès des Etats-Unis a donné lieu à de nombreuses études (voir à ce propos l'article de Serge Halimi dans «Le Monde diplomatique» de juillet 2003).

De même, l'emprise israélienne sur les territoires occupés ne fait que s'accentuer, quelles que soient les déclarations d'Ariel Sharon. Amira Hass écrivait le 2 juillet 2003: «L'establishment militaire israélien affiche son scepticisme quant aux chances de succès du nouveau plan de paix. Et il a de bonnes raisons pour cela. Les militaires sont parfaitement conscients qu'ils devront éliminer tous les barrages routiers et tous les poins de contrôle établis entre les villages et les villes et abroger les restrictions à la circulation s'ils veulent que les Palestiniens de Cis­jordanie ressentent aussi un changement dans leur quotidien. Or, ces dispositifs ont été mis en place pour assurer le bien-être des habitants israéliens des colonies de Cisjordanie, lesquels ont proliféré au cours des dix dernières années. En attendant, on croit rêver... car ce qui se passe devant leurs yeux [ceux des Palestiniens] c'est l'expansion continue des colonies. Ces colonies qui résultent du transfert illégal de la population occupante dans les territoires occupés, qui illustrent le pillage cynique des réserves territoriales vitales pour les villes et les villages pales­tiniens...» Amira Hass conclut son article ainsi: «Les colonies [pour l'establishment politique israélien] sont aussi naturelles et éternelles que Tel-Aviv.» («Haaretz») Voilà le monde remis à l'endroit par Amira Hass. C'est ce que fait aussi, de façon détaillée, l'article de Tikva Honig-Parnass. - Réd.

Tikva Honig-Parnass*

La «réussite» de l'invasion de l'Irak par les Etats-Unis est interprétée par beaucoup d'Israéliens du «camp de la paix» comme annonçant que la «solution» au conflit israélo-palestinien arrive en second sur la liste des priorités d'une Pax Americana pour le Moyen-Orient. Les commentateurs «libéraux» qui font autorité, comme les politiciens de «gauche», ont trompé le public israélien en lui promettant que les prétentions de Washington à stabiliser son hégémonie dans la région allaient impliquer une pression sur Israël pour lui faire accepter la «feuille de route». Ainsi, les «grands sacrifices» qui seraient exigés d'Israël, dont l'acceptation d'un «Etat palestinien», assureraient bientôt la fin du conflit.

Cette perspective trompeuse que dessine ainsi la gauche sioniste découle de sa position plus généralement favorable à l'impérialisme des Etats-Unis ainsi que de son adhésion aux idéologies et aux politiques néolibérales. La vision du monde réactionnaire de la gauche sioniste explique son soutien à la «croisade contre le terrorisme», déclarée par l'administration Bush, qui, à ses yeux, justifiait l'occupation de l'Irak. Qui plus est, la rhétorique de la «guerre internationale contre le terrorisme» a ajouté une dimension supplémentaire à l'arsenal d'arguments qu'emploient les sionistes de gauche pour justifier la version locale de la guerre contre le «terrorisme» (c'est-à-dire la résistance du peuple palestinien, la seconde Intifada) que mène Ariel Sharon du Likoud et que menaient déjà ses prédécesseurs du Parti travailliste.

L'objectif à long terme:la solution des bantoustans

Chaque aspect de l'occupation sauvage par Israël, depuis les mesures d'oppression prises chaque jour jusqu'aux réunions diplomatiques avouées ou cachées, ne saurait être plus éloigné de ce scénario trompeur que dessine la «gauche» sioniste pour la période suivant la guerre ouverte contre l'Irak (une guerre d'occupation se poursuit). Remplacer Arafat par Abou Mazen comme condition pour publier enfin la «feuille de route» concoctée par les Etats-Unis signifie qu'on prépare les conditions qui permettront de concrétiser. au bout d'une longue route sanglante, le projet de bantoustan d'Ariel Sharon.

Akiva Eldar, un des rares commentateurs influents et honnêtes en Israël, a récemment fourni la preuve que Sharon utilise explicitement l'idée de bantoustan, alors que c'était habituellement la gauche radicale qui recourait au concept de bantoustan pour décrire la nature du type d'Etat palestinien qu'envisagent aussi bien la «feuille de route» que diverses autres initiatives palestino-israéliennes qui sont des avatars des accords d'Oslo de 1993, par exemple l'accord entre Abou Mazen et Yossi Beilin conclu en octobre 19951. Ainsi, Akiva Eldar écrit: «Lors d'un dîner dans un hôtel de Jérusalem auquel l'ancien premier ministre italien Massimo d'Alema [dirigeant des démocrates de gauche italiens] avait invité un bon nombre de figures publiques et d'ex-politiciens, un des invités israéliens affirma que les déclarations de paix d'Ariel Sharon lui inspiraient toute confiance et que Sharon lui paraissait avoir compris que la solution au conflit est l'établissement d'un Etat palestinien aux côtés d'Israël. D'Alema répondit alors que trois ou quatre ans plus tôt, il avait eu à Rome une longue conversation avec Ariel Sharon, lorsque celui-ci avait visité brièvement l'Italie. Sharon lui avait expliqué en détail que le modèle des bantoustans était la solution la plus appropriée au conflit.»

Akiva Eldar avance d'autres indices confirmant les dires de Massimo d'Alema. Ainsi il fait référence à une brochure préparée par le ministre du Tourisme Benny Elon, qui est aussi le chef du parti Moledet2 - qui défend une solution de deux Etats mais qui pour lui sont Israël et la Jordanie. Sous le titre «La route vers la guerre: un minuscule protectorat, surpeuplé, dépecé et démilitarisé», Benny Elon décrit la nature du futur «Etat» palestinien et présente «la carte de l'Etat palestinien, selon la proposition d'Ariel Sharon». Akiva Eldar ajoute que «la carte de Sharon est de manière surprenante similaire au plan des protectorats en Afrique du Sud au début des années 1960. Même le nombre des cantons est le même: dix en Cisjordanie, et un de plus à Gaza.» (Haaretz, 11 mai 2003)

Ce plan de Sharon n'est nullement la vision personnelle du sanguinaire général d'extrême droite. Les droits de propriété intellectuelle de ce projet cynique devraient être attribués, plus justement, à feu le général de réserve Ygal Allon, qui était un influent dirigeant travailliste. Ygal Allon avait été durant la guerre de 1948 le très admiré commandant de la Palmach3 et se trouvait être vice-premier ministre au moment de la guerre des Six Jours de 19674. Peu de temps après la guerre de 1967, Ygal Allon avait proposé son esquisse de la solution structurée autour de bantoustans. Cette dernière sera ensuite à plusieurs «peaufinée» par les gouvernements successifs tant du Parti travailliste que du Likoud.

Tous ont travaillé dur afin de préparer le terrain à cette solution. Pour cela ils ont suivi la carte planifiée de l'implantation des colonies et de la construction des routes de contournement dont la fonction était d'assurer une domination sans lacunes territoriales par Israël, tant directement sur les terres confisquées déclarées «propriétés de l'Etat» que, indirectement, en encerclant pratiquement chaque agglomération palestinienne, soit par des colonies, soit par des «zones de tir» ou des terrains d'exercice militaires.

Les colonies ne sont donc pas simplement un «obstacle à la paix» comme le répète le «camp de la paix» en Israël. Elles sont véritablement la colonne vertébrale de la sorte de «paix finale» qu'Israël planifie et que George W. Bush soutient. Cette paix finale est destinée à être conclue après l'existence, sur des années, d'un Etat palestinien «provisoire» qui est, de la sorte, censé fournir la preuve du mérite d'une solution de bantoustans «permanente».

Il n'est nul besoin d'entrer ici dans les formulations de la «feuille de route». Dans un entretien accordé récemment au mensuel américain Monthly Review5, Noam Chomsky a souligné une phrase du discours prononcé par Bush à la mi-mars. «Bush révèle ainsi sa feuille de route: il a dit qu'à mesure que le processus de paix progressait, Israël devrait mettre fin à ses nouveaux programmes de colonies. [...] Cela signifie donc que tant que le processus de paix n'aura pas atteint un point que lui, Bush, approuvera, et qui pourrait donc se situer dans un futur indéfiniment éloigné, Israël devrait continuer à construire des colonies.»

Il n'est pas non plus nécessaire d'entrer dans les détails des «phases» qui, selon la «feuille de route», conduiront à cette solution finale parce que le plan est en réalité condamné d'avance à échouer avant même d'avoir commencé. Les démarches qu'ont réalisées les Etats-Unis durant la dernière semaine de mai afin «d'exiger» d'Israël qu'il accepte la «feuille de route», de même que les déclarations de Sharon qui se dit d'accord, ne sont qu'un théâtre pour convaincre l'opinion publique des efforts sincères de ces deux alliés.

Les commentateurs israéliens suivent à ce propos le Shabak [service de la sécurité intérieure israélien] et reproduisent y compris les pronostics des Etats-Unis selon lesquels il est peu probable qu'Abou Mazen réussisse à prendre le contrôle véritable de l'Autorité palestinienne et à écraser le «terrorisme», tout cela en faisant de telle sorte qu'Israël n'apparaisse pas comme à l'origine de cet échec préprogrammé6.

Garantir le contrôle israélien total

Quels que soient les termes de la «feuille de route» ou ses chances réelles de connaître un début de mise en application, la seule question réellement dotée de signification réside dans la répartition géographique existante des colonies. Elle révèle mieux que tout les convictions politiques et idéologiques partagées tant par le Likoud que par le Parti travailliste. C'est-à-dire qu'Israël doit maintenir une souveraineté presque entière sur l'entièreté du territoire situé à l'ouest du Jourdain et cela, aujourd'hui, par le moyen d'une réoccupation militaire directe, et dans le futur par le moyen d'un Etat bantoustan.

Dani Rubinstein a décrit récemment dans Haaretz (19 mai 2003) à quel rythme frénétique se déroule actuellement la construction de colonies dans le but de renforcer la domination israélienne: «Plus s'accroît l'échelle de la destruction de la possibilité de mener une vie normale [pour les Palestiniens], et cette destruction a connu une escalade avec la reconquête depuis septembre 2002 des Territoires [occupés en 1967], plus s'accroît le développement des colonies. Ce qui a été renforcé considérablement en particulier, c'est l'infrastructure civile et sécuritaire des colonies en Cisjordanie. Il y a aujourd'hui un contrôle israélien presque total sur les routes de Judée et de Samarie [les noms bibliques de la Cisjordanie]. Le réseau électrique, l'eau courante et tous les autres systèmes de services des colons ont été déconnectés de ceux des Palestiniens et sont devenus indépendants. Toutes les institutions de planification du territoire de Cisjordanie ont été mises à la disposition des colons. L'administration civile du Ministère de la défense qui assumait précédemment toutes les questions civiles des Territoires [entre 1967 et 1994, avant l'institution de l'Autorité palestinienne, quand Israël administrait directement les territoires occupés] fonctionne depuis longtemps comme un instrument des mécanismes de contrôle d'Israël sur la moitié de la superficie de la Cisjordanie.»

Comme nous l'avons dit plus haut, faire évacuer les colonies n'est pas sur la liste des priorités de George W. Bush. La feuille de route ne parle pas de démantèlement des colonies mais se contente d'un «gel de l'activité de colonisation» qui devrait avoir lieu dans une phase ultérieure sous réserve de la condition, impossible à réaliser, que les Palestiniens désarment pleinement et démantèlent l'organisation «terroriste». Et qu'ils effacent des manuels scolaires palestiniens toute «incitation» à la violence. En clair, cela veut dire qu'entre-temps Israël prolongerait son occupation sauvage. Comme le souligne Alouf Ben7, Colin Powell a manifesté sa compréhension pour la position israélienne quand il a déclaré à la télévision égyptienne que les «postes avancés construits par les colons après le début de la seconde Intifada devraient être évacués, mais qu'il était impossible d'exiger la disparition des colonies déjà anciennes où des gens ont déjà vécu toute une génération».

Ce qui apparemment est stipulé par la feuille de route, c'est l'évacuation d'un certain nombre de postes avancés «illégaux» installés depuis mars 2001. Cela revient à essayer de faire oublier au monde que toutes les colonies de peuplement dans les Territoires occupés en 1967 sont illégales au sens de la IVe Convention de Genève. Les 105 postes avancés qui ont remplacé ces toutes dernières années l'implantation de nouvelles colonies sont l'expression de la poursuite ininterrompue de l'effort d'Israël pour gouverner toutes les régions possibles de la Cisjordanie.

Comme nous l'avons à maintes reprises expliqué8, les efforts de l'armée israélienne pour démanteler les postes avancés des colons consistent en un petit jeu qui se poursuit ici et là, accompagné de disputes et d'affrontements médiatisés avec les colons. Mais chaque fois le démantèlement de postes avancés est compensé par l'implantation de nouveaux postes ailleurs. Depuis juin 2002, quand le travailliste Ben Eliezer, alors ministre de la Défense d'un gouvernement d'union nationale présidé par Ariel Sharon, avait fait évacuer deux postes avancés, ce sont 30 nouveaux qui ont été créés9.

Le rôle important que ces postes avancés jouent pour consolider le contrôle israélien sur la Cisjordanie explique l'apparente «impuissance» de l'armée vis-à-vis des «colons fanatiques». Certains officiers, familiers des manoeuvres visant à faire progresser la colonisation au moyen de postes avancés, estiment que, dans la majorité des cas, Ariel Sharon a été un partenaire actif dans la conception des plans, le choix des endroits et des moments de l'implantation de postes avancés. Amos Harel a écrit que Sharon et Hanan Ever, un des leaders du mouvement des colons, se rencontrent chaque semaine, la nuit, pour examiner ensemble les cartes10.

Daniela Weiss, qui est une activiste célèbre du mouvement des colons de la colonie de Kdumim, explique au journaliste de Haaretz, Amos Harel: «Notre intention en érigeant les postes avancés est de créer une continuité des colonies juives dans la longueur et dans la largeur de l'ouest de la Samarie [le nom biblique de la moitié nord de la Cisjordanie] à l'est, c'est-à-dire jusqu'au Jourdain, entre Jérusalem et Ofra [une colonie située juste au nord de Ramallah] et entre Ofra et Shilo [une colonie située entre Ramallah et Naplouse] qui est devenu depuis longtemps un bloc de colonies qui s'étend vers l'est. Une autre de nos intentions en érigeant les postes avancés, c'est de créer une enveloppe qui puisse se refermer autour des villages et groupes d'agglomérations arabes d'une manière telle qu'ils soient privés de la possibilité de s'étendre et de se développer. Aujourd'hui, il n'y a pas une seule agglomération [juive] dans les Territoires [occupés en 1967] qui n'ait pas autour d'elle un cercle de postes avancés pour l'élargir.» 11

Sous la protection des baïonnettes américaines

Le premier mois qui a suivi la guerre en Irak a vu s'accroître encore l'arrogance d'Israël qui approfondit sa domination sur les gens et les terres. Tout en prétendant être d'accord avec l'initiative hypocrite des Etats-Unis pour renouveler les «pourparlers de paix» au moyen de la feuille de route, Israël a décuplé son oppression et ses assassinats «ciblés» tout en resserrant le siège auquel il soumet les villes, les villages et les camps de réfugiés palestiniens et en accaparant de plus en plus de terres palestiniennes au moyen de la construction en cours des «murs de séparation» (tant celui de l'Ouest que celui de l'Est) et sur toute l'étendue de la Cisjordanie (voir carte).

Que Sharon ait répondu d'une manière si cynique au «rappel poli» - concernant le gel de la colonisation que lui a adressé Colin Powell, lors de sa visite en Israël en mai - indique à quel point le premier ministre a de plus en plus confiance dans le soutien de Bush et des néo-conservateurs victorieux de son administration. Au lieu de répondre à la question de Powell, Sharon lui a demandé en riant si ce qu'il «recommandait, c'était l'avortement pour les femmes des colons». Qui plus est, une semaine avant la date initialement fixée pour sa rencontre avec Bush (qui a eu lieu finalement à Akaba, en Jordanie, le 4 juin), Sharon n'a pas hésité à revenir sur sa déclaration faite à Haaretz à la mi-avril. Il avait alors déclaré qu'il était prêt à des «concessions douloureuses» en faveur d'une paix réelle et qu'il serait nécessaire de quitter «certains de ces endroits comme Bethléem, Shilo et Beth El». Or, un mois plus tard, dans un entretien publié dans le Jerusalem Post (13 mai 2003), Sharon déclarait: «Si vous me demandez si à Beth El il n'y aura pas des Juifs, eh bien non, des Juifs vivront là-bas.» Le journaliste lui a alors demandé si ces Juifs continueront à vivre à Beth El et à Shilo sous la souveraineté israélienne. Et Sharon de répondre: «Voyez-vous une possibilité que des Juifs vivent sous la souveraineté arabe ? Je vous le demande, voyez-vous cette possibilité ?» 12 Effectivement, Sharon a tenu ses promesses: Le matin du 21 mai, le Ministère du logement publiait un appel d'offres pour la construction de 502 nouveaux appartements à Maale Adumim, cette immense colonie qui s'étend à l'est de Jérusalem presque jusqu'à Jéricho, en coupant la Cisjordanie en deux. Depuis le début de l'année, le gouvernement a publié des appels d'offres pour 635 nouveaux appartements dans les territoires occupés en 1967, entre autres dans les colonies de Mitzpe Navo, Maale Adumim, Givat Hazayit, Efrat, Ariel et Elkana.

Dans la nouvelle période ouverte par la guerre en Irak, Israël est un partenaire actif des plans des Etats-Unis pour consolider leur hégémonie sur le Moyen-Orient en intensifiant leur campagne visant à soumettre la Syrie, l'Iran et les autres. Avant et pendant l'invasion de l'Irak, Israël a été forcé de garder le silence et de mettre une sourdine à la glorification de l'invasion américaine. Ce silence a été récemment levé. L'establishment israélien a pu célébrer enfin la défaite de «la plus grande menace venant de l'Est» (Iral). Au ministre israélien des Affaires étrangères, Silvan Shalom, on a demandé si «la prochaine visite de Colin Powell était superflue» puisqu'il exprimait des réserves quant aux exigences «encore toujours trop extrêmes» d'Abou Mazen. Silvan Shalom avait répondu: «Non, il y a là une occasion pour un nouveau Moyen-Orient. Après la guerre en Irak, les règles du jeu ont désormais changé. Ceux qui adhèrent encore aux vieilles règles du jeu en seront exclus. Les Etats-Unis ont prouvé qu'ils étaient déterminés à combattre le terrorisme. Qui a menti aux Etats-Unis paie un prix sévère. Saddam a payé [...] et Arafat également.» 12

Jamais auparavant l'Etat sioniste ne s'était senti si sûr de lui avec le soutien de l'impérialisme occidental pour réaliser son vieux projet d'écraser le nationalisme arabe et palestinien et recevoir sa part de l'hégémonie impérialiste sur le monde arabe. Les conditions fixées par Israël pour qu'il accepte de faire des concessions ont été récemment révélées: que les Palestiniens renoncent au droit au retour pour leurs réfugiés et qu'ils acceptent non seulement l'existence de l'Etat d'Israël mais sa «judéité».

Ariel Sharon déclare: «J'estime qu'Abou Mazen comprend qu'il est impossible de vaincre Israël par la force et qu'il est nécessaire d'essayer d'arriver à un accord. En outre, Abou Mazen n'est pas un membre du mouvement sioniste. Comme la plupart des Arabes de la région, il n'a pas reconnu le droit des Juifs d'établir un Etat juif dans leur patrie. On arrivera à la fin du conflit seulement quand les Arabes auront reconnu cela [...].» 13

Ariel Sharon sait très bien que ni Abou Mazen, ni aucun autre leader fantoche imposé par les Etats-Unis et Israël, ne peut réussir à faire accepter au peuple palestinien ce qui est en fait le principe du sionisme. Israël ne peut pas non plus espérer qu'un tel changement d'état d'esprit se produira parmi «la rue arabe» dans tout le Moyen-Orient. C'est la raison pour laquelle, sous le faux-semblant de la feuille de route auquel Israël participe, réside la conviction de la direction militaire israélienne et du gouvernement Sharon que la bataille va durer encore longtemps: «Tout ce qu'il faut, c'est tenir bon encore durant trente ans et n'abandonner aucun de nos atouts d'ici là.» Voilà ce que Sharon a dit à un haut fonctionnaire qui occupait un poste clé dans la direction de l'establishment militaire israélien. Et il a encore ajouté: «D'ici là une technologie moderne pour des alternatives énergétiques à bon marché aura surgi, ce qui coupera les ailes du monde arabe [où les se trouvent les réserves pétrolières] et réduira ses possibilités de pression sur l'Occident.» 14

Ariel Sharon assume même ce qu'a révélé, en août 2002, l'entretien accordé par le chef de l'état-major général, le général Yaalon15, à Haaretz. Yaalon y déclare qu'Israël n'acceptera pas un accord qui laisse quelques restes d'esprit humain ou d'existence physique et sociale minimale parmi les Palestiniens (allant même jusqu'à proposer leur déportation en masse si nécessaire, leur «amputation»).

Après que Yaalon a prétendu que le but des Palestiniens était d'exterminer Israël, Ari Shavit lui a demandé: «Si c'est là la position des Palestiniens, où tout cela nous conduit-il ? Pendant combien de temps devrons-nous encore vivre par l'épée ?» Réponse de Yaalon: «Les gens qui demandent ce que sera l'aboutissement final, je les renvoie à une célèbre citation du général Moshe Dayan. Quand on lui demandait, en 1969, ce que serait l'aboutissement final, sa réponse était toujours la citation biblique: «Ne crains rien, mon serviteur Jacob.» Moshe Dayan disait qu'il fallait donner la priorité au chemin et non à l'objectif, au processus de la lutte et non à la destination finale. En tant qu'êtres humains, nous voulons une solution maintenant. Mais le «maintenant-isme» est un faux messianisme. C'est la mère de tous les péchés. [...] Cela nous ramène donc à la confrontation d'avant la fondation de l'Etat d'Israël en 1948, d'avant la proposition de partition et d'avant notre guerre d'indépendance. Il est clair aujourd'hui que notre Etat d'Israël est toujours encore un corps étranger dans la région.»

Nous sommes effectivement revenus en arrière, à l'essence même du conflit entre, d'une part, le colonialisme sioniste et impérialiste et, d'autre part, le peuple palestinien et les masses du monde arabe. Au travers des 55 ans qui se sont écoulés depuis la Naqba16 palestinienne, l'Etat juif n'a pas encore réalisé son projet d'éliminer le nationalisme palestinien et le nationalisme arabe. Il n'a pas non plus réussi au moyen de ses politiques oppressives à arracher ceux des Palestiniens qui sont citoyens d'Israël du reste du peuple palestinien avec ses aspirations nationales. Qui plus est, alors que l'OLP a depuis longtemps abandonné la cause du million et plus de Palestiniens qui vivent à l'intérieur des frontières d'Israël d'avant 1967 et qui sont exposés à son racisme, c'est Israël lui-même qui n'exclut pas de les prendre pour cible dans sa guerre déchaînée contre le peuple palestinien. Le grignotage incessant du peu qui leur reste de terre et la récente arrestation de quinze des principaux leaders du mouvement islamique au sein d'Israël, avec parmi eux son chef, le Sheikh Raed Salah, illustre bien l'escalade dans la guerre coloniale que mène le mouvement sioniste au Moyen-Orient.

Plusieurs universitaires israéliens ont décrit l'idéologie fasciste camouflée et la culture de la force au sein de la société israélienne. Cela a été confirmé par des récentes enquêtes d'opinion. Un tel climat garantit la marche en avant acharnée de Sharon, main dans la main avec les Etats-Unis, sur leur chemin sanglant pour conquérir l'hégémonie. - Juin 2003.

1. Yossi Beilin a été un des initiateurs israéliens des discussions qui ont abouti aux accords d'Oslo de 1993, puis, en 1995, à un plan pour un accord de paix avec Abou Mazen, qui représentait l'OLP. Yossi Beilin a aussi participé aux négociations de Taba, en Egypte, en janvier 2001. - Réd.

2. Moledet (La Patrie) est un parti d'extrême droit qui a été créé en 1988 par le général Rehavam Zeevi. Moledet envisage un transfert de population des territoires occupés vers les pays arabes. Zeevi fut tué en octobre 2001. Benny Elon lui a succédé à la tête du parti. - Réd.

3. Palmach regroupe dès 1941 des forces d'élite de l'organisation militaire sioniste clandestine la Haganah mise sur pied dès 1920. A la tête de Palmach, on retrouve les leaders sionistes tels que le général Moshe Dayan ou le premier ministre Yitzhak Rabin. - Réd.

4. Voir l'ouvrage de Gilbert Achcar, L'Orient incandescent,à paraître aux Editions Page deux, septembre-octobre 2003. - Réd.

5.Numéro de mai 2003.

6. Voir à ce propos Alouf Ben, Haaretz, 22 mai 2003.

7. Haaretz, 22 mai 2003.

8. «Virtual Evacuation of Virtual Outposts», Between The Lines,décembre 2002.

9. Dani Rubinstein, Haaretz, 19 mai 2003.

10. Haaretz, 16 mai 2003.

11. Idem.

12. Shalom Yerushalmi, Yediot Ahronot, 5 mai 2003.

13. Interview avec Nahum Barnea et Shimon Shifer, Yediot Ahronotdu 16 avril 2003.

14. Akiva Eldar, Haaretz, 18 avril 2003.

15. Interviewé par Ari Shavit, Haaretz, 30 août 2002, voir également le numéro d'octobre 2002 de Between The Lines.

16. Voir à propos de la Naqba le numéro 10 de à l'encontre, «La Naqba de 1948 et son actualité», pp. 7-12.

* Directrice de la revue Between the Lines, éditée à Jérusalem. Article paru dans le numéro de juin 2003.

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Comment Israël a «accepté» la feuille de route

Le 25 mai 2003, le gouvernement israélien décidait enfin d'«accepter la feuille de route» et donc de se joindre à la farce menée par Bush dans le but de faire croire à l'opinion publique, aux Etats-Unis et dans le monde, que les Etats-Unis et Israël ont décidé de concrétiser le droit national à un Etat des Palestiniens. Etant donné que ce message mensonger est condamné à échouer, les deux alliés auront les mains libres pour continuer leur guerre sans limites contre les Palestiniens.

L'article d'Akiva Eldar paru dans «Haaretz» le 27 mai 2003, dont nous reproduisons ci-contre un extrait, constitue une exception dans les grands médias israéliens. La plupart de ces derniers, même quand ils expriment quelques doutes, voient dans le ralliement d'Ariel Sharon à la «feuille de route» un «tournant historique» du conflit, en soulignant le consentement surprenant de Sharon à un Etat palestinien. (T. H.-P.)

«Les réserves d'Israël à la feuille de route la transforment en un diktat israélien

Les réserves à la feuille de route attachées à la décision du gouvernement israélien (de l'accepter) transforment ce qui était censé être une initiative diplomatique en un diktat israélien imposant une capitulation palestinienne. [...]

Dans la prise de position du gouvernement israélien, il n'y a pas le moindre effort pour modérer les réserves, et aucun effort n'est fait non plus pour cacher que l'intention est de neutraliser la feuille de route. Cela revient à faire un pied de nez aux Etats-Unis, à l'Union européenne, à la Russie, et aux Nations unies [le quartette]. Il ne faut pas s'étonner si les Palestiniens ont multiplié hier les manifestations quand ils ont connu les réserves. [...]

Pendant des mois, Israël avait insisté sur le fait que la feuille de route devait suivre le principe de la progression en ligne et non en parallèle [d'abord les Palestiniens doivent assurer unilatéralement toute une série d'engagements]. Simultanément, Israël insistait pour que la première priorité en ligne soit ses exigences de sécurité qu'il adresse aux Palestiniens, de préférence aussi difficiles à réaliser que possible. Pour qu'un progrès soit fait, Abou Mazen et Mohammed Dahlan [le responsable de la sécurité du côté palestinien, autrement dit celui qui doit assurer la «mise au pas» des terroristes] doivent réussir là où la plus puissante armée du Moyen-Orient a échoué durant plus de 30 mois. [...]

Ce ne sera que le jour où le gouvernement israélien sera convaincu que toutes les organisations dans les Territoires ont été dissoutes et leurs armes confisquées que Jérusalem voudra bien geler les colonies et leurs postes avancés illégaux.

Ce n'est qu'après qu'Israël aura été satisfait par la baisse du niveau d'incitation (à la révolte) et par l'éducation à la paix dans les écoles palestiniennes qu'il cédera le gouvernement civil à l'Autorité palestinienne.

En d'autres termes, Israël fera alors une faveur à Abou Mazen en lui permettant de ramasser les débris. D'un autre côté, même si le calme complet devait régner, l'armée israélienne ne se retirerait pas sur les lignes de septembre 2000, quand la seconde Intifada a éclaté.»

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Le mur de la séparation

«Pendant que nous sommes tous préoccupés par la guerre en Irak, des choses bien plus graves sont en train de se passer avec la construction du mur de séparation, jusqu'au point de rendre stratégiquement impossible d'arriver jamais à un accord avec les Palestiniens. Sans qu'aucun débat public n'ait eu lieu, un mur de séparation oriental est en train d'être construit; sa longueur sera d'approximativement 300 km. Sa fonction est de séparer de la vallée du Jourdain les régions palestiniennes peuplées de Cisjordanie. Le premier ministre [Ariel Sharon] a annoncé, comme en passant, sa construction à ses ministres, tout surpris, au moment où il visitait la région avec eux. Ce mur sera continu et sera construit rapidement, à la différence du mur occidental qui est en train d'être construit de manière plus hésitante et discontinue parallèlement à la ligne verte (et dont le plan n'a même jamais été dessiné en entier et pour lequel Sharon déclare qu'il n'existe même pas un budget pour achever sa construction). Néanmoins, il doit exister quelque raison pour laquelle on trouvera sans problème le budget de plusieurs milliards de shekels pour construire le mur oriental.

Le mur de séparation oriental pourrait créer des conséquences permanentes et irréversibles sur le conflit israélo-palestinien, et il pourrait même empêcher tout accord dans le futur. Ce mur va mordre sur à peu près la moitié de la superficie qui reste pour le futur Etat palestinien et va donc éliminer toute option raisonnable pour un accord de compromis ces prochaines années. Les Palestiniens seront emprisonnés dans une longue bande nord-sud (entre le mur occidental et le mur oriental) et il est clair qu'une telle cage va définitivement déchaîner les esprits parmi les Palestiniens, encore plus que maintenant, puisque les conditions chaotiques dans les territoires occupés et en Israël vont continuer pendant des années encore.

Le mur qui est planifié déconnecte également la Cisjordanie du royaume de Jordanie, privant les Palestiniens de la possibilité de s'étendre vers l'est, par exemple sous la forme d'une confédération jordano-palestinienne. La seule alternative qui leur restera, c'est de s'étendre vers l'ouest, c'est-à-dire vers Israël. Cela est-il bon pour nous ?»

Extrait de l'article de Guy Bchore paru dans «Yediot Ahronot», le 23 mars 2003.

 

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