N°13/14 - 2003
Des études qui éclairent le quotidien des sans-papiers Les sans-papiers, révélateurs de la «société d'accueil» Dario Lopreno Des estimations crédibles évaluent de 100 000 à 300 000 le nombre de sans-papiers en Suisse. Le chiffre de 200 000 revient le plus souvent, ce qui représente 5 % du total des personnes actives occupées. Le BIT affirme que, généralement, ils représentent 10 à 15 % de la population étrangère dans les pays riches: cela donnerait entre 152 000 et 230 000 «clandestins» pour une population étrangère enregistrée de 1 529 000 toutes catégories comprises 2. Selon trois rapports sur les sans-papiers / clandestins / migrants illégaux sortis récemment 3, le travailleur·euse sans-papiers «moyen» a le profil suivant. Agé de 20 à 30 ans, c'est, dans la majorité des cas, une femme (de 1 / 2 à 2 / 3), en majorité sud-américaine, mais aussi d'ex-Yougoslavie, des pays de l'Est ou du Maghreb, en situation sociale et professionnelle des plus précaires. Il / elle touche un salaire brut de 1300 à 1500 francs tout compris pour un plein temps. Il / elle travaille principalement (jusqu'à 40 %) dans le nettoyage, les travaux ménagers et la garde d'enfants ou de personnes âgées, dans l'hôtellerie-restauration (jusqu'à 15-20 %), mais aussi dans le bâtiment, dans l'agriculture et dans nombre de petites entreprises privées de services (entretien, déménagement, jardinage, distribution, etc.). Il / elle habite dans un petit appartement partagé avec la famille large ou des semblables ; son séjour moyen en Suisse dure environ trois ans. Ces nouveaux rapports, malgré leurs limites, sont riches d'informations. Ils nous permettent de cerner plus clairement que par le passé ce qu'est le calvaire du sans-papiers, comment il est quotidiennement inquiété, discriminé ou harcelé par «le système en place». Du travailleur clandestin au sans-papiers Le rapport de la Commission externe d'évaluation des politiques publiques (CEPP) du canton de Genève, portant sur les sanctions visant l'emploi clandestin des étrangers, explique clairement comment les autorités et la police genevoises répriment le «séjour illégal» beaucoup plus durement et plus systématiquement que le «travail clandestin». En d'autres mots, le travailleur sans-papiers a toutes les raisons de craindre le pire dans sa vie quotidienne, qu'il soit au travail ou non, tandis que l'employeur de sans-papiers ne risque pas grand-chose. La CEPP reprend à son compte la position du Conseil d'Etat genevois de novembre 2000 4. Ce dernier critique, avec une grande clairvoyance - mais aussi avec une grande hypocrisie 5 - les effets potentiels de l'application de la nouvelle Loi sur les étrangers (LEtr), qui doit encore être débattue aux Chambres. Ils peuvent être énumérés de la sorte: 1° (re)production des sans-papiers par une législation et des autorités fédérales qui accordent moins de permis de séjour et de travail que n'en demandent les entreprises et les familles ; 2° utilisation des contingents cantonaux de permis de travail pour satisfaire les demandes en main-d'úuvre qualifiée des plus grandes entreprises, laissant aux autres et aux demandeurs de services personnels (femmes de ménage, garde d'enfants, etc.) l'engagement de sans-papiers ; 3° limitations drastiques à l'égard des immigrants extra-européens (politique dite des deux cercles, reprise de facto dans la LEtr), ce qui conduit au confinement d'un très grand nombre de non-Européens dans la clandestinité ; 4° parallèlement à ces dispositions qui aboutissent à accroître le nombre de sans-papiers, leur insertion contrainte dans le «marché du travail» précarisé et donc le travail au noir, la LEtr renforce la répression des sans-papiers et du travail au noir. A cela peuvent être ajoutées les nouvelles «mesures d'urgence» de la conseillère fédérale démocrate-chrétienne Ruth Metzler et de son Office fédéral des réfugiés (ODR). Ces «mesures d'urgence» sont mises en consultation au cours de l'été 2003. Elles prévoient l'«allégement du domaine de l'asile» en excluant de ce dernier - et donc de tout moyen de survie - tout requérant d'asile dans un délai de cinq jours après qu'il a reçu une non-entrée en matière. Les non-entrées en matière ont touché, en 2002, 6500 requérants. Combien ont-elles créé de sans-papiers, en Suisse 6 ou ailleurs en Europe ? Sept fois coupable d'être sans-papiers La CEPP énumère les organes de répression du sans-papiers dans le canton de Genève: la police, les gardes-frontières, l'Office cantonal de la population (OCP), l'Office de la main-d'úuvre étrangère (OME). Elle précise que les employeurs de sans-papiers ne relèvent que de l'OME. Cet office ne compte que huit inspecteurs. Pratiquement tous les employeurs qui sont interpellés au sujet d'un employé étranger sans-papiers ont affaire à l'OME. Par contre, parmi les travailleurs étrangers sans-papiers interpellés, 77 % ont affaire à la police, 13 % aux douanes, 5 % à l'OME. Le rapport indique que 888 interdictions d'entrée ont été prononcées par l'Office fédéral des étrangers (OFE) pour des cas transmis par le canton de Genève entre 1999 et 2001. Que peut bien signifier ce chiffre ? Pour une interdiction d'entrée, combien y a-t-il d'interpellations ? En effet, pour une première interpellation sans délit il n'y a vraisemblablement pas, de manière systématique, de renvoi, selon le rapport. Si, pendant ces trois ans (de 1999 à 2001), le nombre d'interdictions d'entrée s'est élevé à 888, elles doivent correspondre à un nombre d'interpellations se situant entre 1800 et 2700, soit au moins 600 à 900 par an. Or, on évalue le nombre moyen de sans-papiers à Genève aux environs de 10 000. Les interpellations toucheraient donc 6 à 9 % de la population des sans-papiers ! C'est un peu comme si la population totale du canton (bébés, enfants, vieillards, compris) subissait 25 000 à 38 000 interpellations par an ! Il y a là la confirmation de l'acharnement policier contre les sans-papiers. Durant ces trois mêmes années, 1304 employeurs ont été sanctionnés, ce qui représente annuellement moins de 4 % des 12 086 entreprises ayant au moins un employé dans le canton. Ce sont des sanctions découlant souvent d'une intervention visant un sans-papiers sur son lieu de travail ; la police étant plutôt indulgente avec les employeurs en tant que tels. Le rapport de la CEPP ajoute que, lorsqu'il y a dénonciation, seulement 32 % «des employeurs identifiés se voient infliger une amende» et que, parmi eux, 20 % «ne paient pas l'amende». Ainsi, seuls 12 % des employeurs identifiés sont sanctionnés, soit une cinquantaine par an entre 1999 et 2001. Il faut avoir à l'esprit que l'interpellation d'un sans-papiers est déjà une sanction: fichage, dans le meilleur des cas, «première» interpellation en attendant la seconde qui implique l'expulsion. Toujours selon le rapport de la CEPP, l'amende moyenne infligée à un sans-papiers pour avoir commis le délit de travailler s'élève à 1735 francs, bien que la LSEE(Loi sur le séjour et l'établissement des étrangers) prescrive un maximum légal de 2000 francs. Par contre, l'amende moyenne infligée à un employeur est de 2072 francs, pour un maximum légal de 3000 francs en cas de «négligence» et de 5000 autrement. Ainsi, les amendes moyennes extorquées aux sans-papiers représentent 87 % du maximum légal ; celles frappant les employeurs représentent entre 41 et 69 % du maximum légal. De surcroît, l'amende impartie au sans-papiers représente nettement plus d'un salaire mensuel entier ; pour rappel, le salaire brut moyen oscille entre 1300 à 1500 francs, y compris la part en nature (logement, nourriture, etc.)7. L'amende à un employeur devrait être comparée à la part de la plus-value (c'est-à-dire au temps de travail non payé) que s'approprie ce dernier en utilisant la force de travail d'un sans-papiers. La surexploitation - mesurée à partir du salaire usuel pour un emploi légal analogue - des sans-papiers doit être évidemment prise en considération. Le recours massif à cette force de travail indique, à lui seul, la disproportion entre le «profit» qui en est retiré par l'employeur et le «coût» d'une amende plus ou moins probable. De plus, pour l'employeur l'amende est, généralement, son seul désagrément. Par contre, le sans-papiers risque une seconde amende. Car, en plus de l'amende pour travail au noir, le «migrant en situation irrégulière», pour reprendre la formule du rapport de la municipalité de Lausanne 8, risque une autre amende pour séjour illégal, qui peut aller jusqu'à 10 000 francs selon la LSEE ! En outre, l'autorité peut, suivant la LSEE 9, expulser (renvoyer, refouler), y compris avec effet immédiat, l'illégal interpellé, ce qu'elle fait dans un nombre important de cas. Combien ? Les estimations sont toutes approximatives. Les polices et les administrations cantonales et fédérales doivent évidemment le savoir. Mais, l'opacité totale qui règne à ce sujet dans les cantons, comme à l'échelle fédérale, fait que ces données «n'existent pas», ou plutôt n'existent pas officiellement. Le renvoyé immédiat est amendé à raison de 26 % des cas, mais le renvoyé «par le biais d'une remise sur le trottoir assorti d'une carte de sortie comportant un délai de départ» (qui va donc généralement rester) est amendé dans 42 % des cas. Dans les deux situations, l'amende est presque toujours largement en dessous des maxima légaux, faute de solvabilité et de moyens de poursuite. Et «selon nos informations, dit le rapport de la CEPP, il n'existe pas de consignes strictes pour définir le mode de renvoi». Mais le chemin de croix du sans-papiers est plus long encore. En effet, l'autorité, en attendant l'expulsion, peut le mettre en détention pendant trois à neuf mois, si «des indices concrets» (sic !) font craindre qu'il «entend se soustraire au refoulement». Alors s'appliquent les mesures liberticides dites de contrainte 10. Par ailleurs, une interdiction d'entrée en Suisse, le plus souvent pour deux et surtout trois ans - mais pouvant aller jusqu'à cinq ans -, peut frapper le sans-papiers interpellé 11. Dans certains cantons, comme celui de Genève, cela se passe en principe lors de la seconde interpellation s'il n'y a pas eu «délit». Mais, là encore, d'une manière générale, cela dépend aussi de critères partiellement flous (tête du client, humeur et dispositions du moment des policiers, pressions spécifiques ?). Enfin, septième et dernière pénalisation possible du sans-papiers interpellé pour le même «délit» - celui de vouloir vivre et travailler quelque part sur la planète Terre - a trait à la peine infligée à un sans-papiers qui revient en Suisse. En effet, il n'est pas rare qu'un sans-papiers cherche à reprendre un travail. Or, l'interdiction prononcée implique que, s'il est à nouveau interpellé, les amendes seront plus élevées et le risque d'être placé en détention sera accru. Sans compter que le risque de se faire interpeller par la police dépend, toujours selon la CEPP, «de certains paramètres: nationalité (ressortissant de l'Union européenne ou non), couleur de peau». Face à cet acharnement contre les sans-papiers, le risque encouru légalement par l'employeur - de faire six mois de prison, de devoir prendre en charge les frais d'assistance et de rapatriement de l'expulsé ou de se voir refuser de nouvelles demandes de permis pour son entreprise - est dérisoire. Tout d'abord, parce que les sans-papiers interpellés ne dénoncent pas leur employeur «dans la majorité des cas». Ensuite, parce qu'«aucune démarche systématique n'est entreprise par les autorités pour récupérer les cotisations sociales et les impôts non versés par les employeurs». Enfin, parce que, lors de la disparition d'un sans-papiers, l'employeur va simplement en engager un autre et n'a évidemment pas besoin de permis ni de commission tripartite (Etat-patronat-syndicat) pour le faire. En outre, l'autorité publique semble plutôt complaisante avec les employeurs. Un accès plus que précaire aux soins Un autre élément s'inscrivant dans l'abaissement maximum du coût de reproduction de la force de travail des sans-papiers concerne l'accès aux soins de santé. Un rapport de Médecins sans frontière (MsF) 12 nous explique que l'accès aux soins pour les sans-papiers est lié à l'accès aux assurances, au prix des médicaments non couverts, à la possibilité de déclarer la maladie à l'employeur et, dès lors, de n'être pas payé, voire d'être viré. Si la loi suisse (LAMaL - Loi sur l'assurance maladie) prévoit que toute personne domiciliée en Suisse a le droit d'être affiliée à une assurance maladie et de percevoir des subsides si nécessaire, seuls les cantons de Genève depuis 2001 et, depuis peu, Vaud 13 reconnaissent ce droit aux sans-papiers. Si les sans-papiers scolarisés sont plus fréquemment couverts dans les cantons de Genève (plus de 1000 enfants scolarisés) et de Vaud (500), il n'en reste pas moins que dans ces deux cantons, en général, les sans-papiers craignent l'affiliation à une caisse et la demande de subsides. Les raisons: peur d'une dénonciation, surtout en prévision de situation de non-paiement ou de retard de paiement des primes ; le montant des primes représente une somme qui ne peut pas être envoyée à la famille restée au pays, ce qui représente une obligation financière déterminante pour beaucoup de sans-papiers. En outre, souvent le sans-papiers ne touche pas de subside car cela exige des démarches spécifiques qui suffisent à le dissuader. Même avec des subsides, la franchise (230 francs, elle va être augmentée), les 10 % à charge des frais médicaux et traitements, et les médicaments non couverts représentent des montants «dissuasifs» rapportés au revenu d'un sans-papiers. Le rapport de MsF met en relief l'importance des facteurs de risque auxquels sont soumis les sans-papiers: conditions de travail difficiles et inexistence de normes ergonomiques au travail ; promiscuité dans le logement facilitant la contamination (notamment galle et tuberculose) ; stress associé à leur condition et à leurs peurs quotidiennes (surreprésentation des migraines, des insomnies, des problèmes gastriques ou dermatologiques, etc.) ; nombre élevé des cas de violence ou de harcèlement au travail, ce qui accroît le stress ; peu ou pas de congés et de vacances avec leurs effets sur la fatigue ; manque de prévention en général ; méfiance vis-à-vis des structures qui pourraient les aider étant donné leur situation spécifique ; report des soins dans le temps, aussi longtemps que cela est possible, ce qui aboutit à aggraver les affections. L'Unité de médecine de soins communautaires (Umsco) à Genève, le Point d'eau Lausanne (PEL) sont les deux «points d'entrée» des exclus du système de santé qui traitent ou réorientent les patients. Plus de 90 % des patients de l'Umsco et 80 % du PEL sont des sans-papiers. Les deux tiers sont des femmes, en majorité latino-américaines, et 60 % ont entre 20 et 40 ans. Les deux institutions, qui font un travail énorme, sont totalement sous-dotées financièrement et en postes. Pour l'Umsco: trois-quatre infirmières et un médecin plein temps, deux assistants sociaux une demi-journée par semaine et un psychiatre tenant une permanence deux fois par mois. Pour le PEL: trois infirmières, quatre médecins une demi-journée par semaine, deux dentistes et des thérapeutes. Et cela pour des populations de 10 000 et 5000 sans-papiers dans les cantons de Genève et Vaud respectivement. Il faut y ajouter des médecins bénévoles et quelques pharmacies qui fonctionnent en lien avec ces institutions ; sans compter un certain nombre de «bonnes volontés» individuelles non organisées. La question du coût des soins est déterminante A l'Hôpital cantonal de Genève, dont fait partie l'Umsco, les consultations spécialisées sont prises en charge à concurrence de 250 francs. Au-delà, le patient doit participer aux frais. Il peut alors se faire aider par un fonds spécial (Fonds patients précarisés), via les assistants sociaux de l'hôpital ou, ponctuellement, par des úuvres d'entraide. Or ce fonds n'est doté que de 250 000 francs et n'a pas augmenté depuis 1997, alors que les patients sans-papiers ont triplé. Cette dotation misérable implique évidemment que les personnes atteintes de pathologies graves (sida, cancer, hépatite, diabète, etc.) - et donc impliquant des coûts élevés - soient traitées à part. Dans ces cas, le financement devient un casse-tête. Dans le canton de Vaud, il n'existe pas de fonds spécial pour ce type de patients. Ainsi les cas graves, comme des personnes atteintes d'un cancer, peuvent être refusés par l'hôpital. Un nombre important de femmes ont affaire à la gynécologie / obstétrique: 330 à Genève en 2001 (les données n'existent pas pour Vaud). Les femmes enceintes se font suivre généralement très tard au cours de leur grossesse, voire pas du tout, ce qui pose de nombreux problèmes. Elles sont en majorité célibataires, en situation de grossesse non désirée. Dans la plupart des cas, elles se retrouvent, alors, sans gains et, plus souvent encore, tout simplement sans travail lorsque la grossesse devient visible. Financièrement, elles entrent dans un processus complexe et angoissant de facturation due, avec réductions, aides, mesures charitables. Toutefois, elles doivent débourser des montants significatifs. Dans les cantons de Vaud et Genève, les nouveau-nés sont déclarés à l'état civil comme étant nés de «touristes de passage», ce qui permet tout de même d'obtenir un acte de naissance et... de pouvoir faire exister officiellement l'enfant dans le pays d'origine de la mère. Le Fonds social de la maternité est doté de... 4000 francs par an à Genève et d'une somme nulle dans le canton de Vaud. Ainsi le temps d'hospitalisation des femmes - comme des patients sans-papiers en général - est souvent réduit au minimum. On ignore quelle est la proportion de sans-papiers atteints du sida qui vient consulter. Néanmoins, on sait qu'ils viennent, généralement, lorsque leur situation est dramatique. Ce type de patient est traité par des examens «simplifiés» à Lausanne, «afin de réduire les coûts». Dans les deux cantons, les médecins traitant ces cas à l'hôpital collectent ou essaient de collecter, à grand-peine, les médicaments et les fonds nécessaires et le patient est mis sous pression pour s'assurer. A Genève, le groupe SIDA et des úuvres liées aux Eglises apportent la contribution de réseaux de médecins, d'aides financières, de médicaments et de conseils. En ce qui concerne les affections psychologiques, MsF souligne le fait que, proportionnellement, un grand nombre de patients des Centres médico-pédagogiques, à Genève, est constitué d'enfants de sans-papiers. Ils développent toutes sortes d'attitudes de haine, de méfiance ou de distance par rapport à la société d'accueil. En matière dentaire, le sans-papiers souffrant d'une affection qui nécessite plus qu'une intervention banale minimale, va devoir... «trouver des fonds» pour se faire soigner. Quant à la prévention médicale et hygiénique, elle résulte du dévouement de groupes privés dotés de peu de moyens, comme Aspasie (femmes et prostitution) et le Groupe SIDA, à Genève, et de structures issues du mouvement du Collectif des sans-papiers à Lausanne. Dans son rapport, MsF fait un très bref tour de Suisse (Bâle, Berne, Fribourg, Tessin et Zurich) pour conclure que dans le reste du pays «aucune structure de santé n'y serait officiellement ouverte aux sans-papiers [et] il n'y aurait pas toujours de véritable réseau médical organisé». L'essentiel de ce qui existe est le résultat du bénévolat des milieux (para-)médicaux ou, pouvons-nous ajouter, des úuvres d'entraide qui n'ont pas de moyens pour cela. L'arbitraire et l'obscurité qui caractérisent les décisions et les modalités d'expulsion de sans-papiers ont des conséquences encore plus tragique lorsqu'elles concernent des personnes malades. Cet aspect n'est pas abordé par MsF, faute de données. Nous sommes alors enchantés d'apprendre que les «étrangers dont le séjour est illégal» atteints de «maladies chroniques ou graves» et dont «le traitement adéquat n'est pas envisageable dans le pays de provenance» représentent, pour l'autorité fédérale des étrangers, «un cas de rigueur» 14. Pour conclure De ces rapports, il ressort que le contingent des travailleurs et travailleuses sans-papiers s'insère au point extrême de l'éventail des mesures visant à abaisser le coût du travail, c'est-à-dire à réduire le salaire social (aussi bien le salaire direct que le salaire indirect, retraites comprises et que les dépenses sociales). En outre, la gestion légalo-répressive de la force de travail des sans-papiers aboutit à créer des situations qui anticipent, en quelque sorte, une partie des mesures pouvant être prises demain pour fragiliser encore plus la situation des salarié·e·s précarisés ou en voie de désaffiliation du marché du travail. Tant que la question des sans-papiers sera traitée, par les appareils syndicaux, en dehors des problèmes d'ensemble diversifiés touchant les femmes travailleuses et une part importante du salariat, l'impasse sera faite sur un travail d'unification des salariés par des revendications concrètes. Enfin, pour illustrer la logique avec laquelle est posé aujourd'hui le problème des sans-papiers, il est utile de citer quelques derniers chiffres. De septembre 2001 à mai 2003, Ruth Metzler (Département fédéral de justice et police) - avec évidemment l'aval de tous les partis gouvernementaux fédéraux y compris celui dit de gauche - a reçu pour leur légalisation les dossiers de 1089 personnes sans papiers (soit 377 «dossiers», car il peut s'agir de familles) considérées comme «cas de rigueur». Elle a rendu une décision positive pour 563 d'entre elles. Cela représente, sur deux ans, 0,3 % du total si l'on admet l'existence de 200 000 sans-papiers en Suisse ! A ce rythme, dans 666 ans, la démocrate-chrétienne Metzler et le Conseil fédéral auront légalisé les sans-papiers de Suisse... 1. Cf. Message du conseil fédéral concernant la loi fédérale sur le travail au noir du 16 janvier 2002 et Enquête suisse sur la population active (ESPA) 2002 de l'Office fédéral de la statistique. 2. Il y a ainsi en Suisse, en 2000 (sources: OFS, OFE, ODR, statistiques et entretiens directs ; les chiffres et les estimations des trois offices ne concordent pas nécessairement), 1 529 000 étrangers dont 334 500 permis annuels (permis B), 1 041 500 permis d'établissement (permis C), 40 800 requérants d'asile (permis N ou attestation de départ) qui sont en attente de décision ou en recours, 32 114 admissions provisoires (permis F), 30 000 diplomates et fonctionnaires internationaux (en grande partie localisés à Genève et à Berne), 27 800 autorisations de courte durée (permis L, de 4 à 18 mois suivant le cas, non renouvelable et sans regroupement familial) et 22 400 saisonniers (permis A, sans regroupement familial). Il faut ajouter à ce total les quelque 200 000 sans-papiers, ce qui donne en tout environ 1 729 000 étrangers (cf. statistiques et entretiens directs avec l'OFS, l'IMES ex-Office fédéral des étrangers OFE, l'ODR, les chiffres et les estimations des trois offices ne concordant pas nécessairement) 3. Emplois clandestins: quelles sanctions ? Evaluation des mesures cantonales de répression, rapport de la Commission externe d'évaluation des politiques publiques (CEPP) sur mandat de la Commission de gestion du Grand Conseil, Genève, avril 2003 ; Médecins sans frontières, Accès aux soins des personnes en marge du système de santé Genève-Lausanne, Genève, août-septembre 2002 (publié en mai 2003) ; Marcello Valli, Les migrants sans permis de séjour à Lausanne, rapport à la demande de la Municipalité de Lausanne, mars 2003. 4. Lettre du Conseil d'Etat du 15 novembre 2000 au Conseil fédéral (réf. 14154 - 2000) concernant la révision de la LSEE. 5. En effet, ce même Conseil d'Etat fait constamment preuve de zèle en matière de liberté de répression policière contre les sans-papiers, de dénonciation à Berne et d'exécution des expulsions. 6. 4e modification de l'ordonnance du 11 août 1999 sur l'exécution du renvoi et de l'expulsion d'étrangers (OERE ; RS 142.281) et 2e modification de l'ordonnance sur l'asile relative au financement (Ordonnance 2 sur l'asile, OA 2 ; RS 142.312) ; voir aussi «Mesures d'urgence dans le domaine de l'asile. Les sans-papiers reviennent meilleur marché» in Solidarité sans frontières, juin 2003, p. 7. 7. Nous reprenons ici les estimations du CCSI (Genève) et de l'étude de Marcello Valli, Les migrants sans permis de séjour à Lausanne, rapport rédigé pour la Municipalité de Lausanne, mars 2003 8. Idem. 9. LSEE, art. 12. 10. LSEE, art. 13 b. 11. LSEE, art. 13 al. 1. 12. Médecins sans frontières, Accès aux soins des personnes en marge du système de santé Genève-Lausanne,Genève, août-septembre 2002 (publié en mai 2003). 13. Idem. 14. Circulaire de l'Office fédéral de l'immigration, de l'intégration et de l'émigration (IMES) du 21 décembre 2001, Pratique des autorités fédérales concernant la réglementation du séjour s'agissant de cas personnels d'extrême gravité. Haut de page
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