N°9 - 2002

Une restructuration en profondeur du système sanitaire suisse

De la santé publique aux soins privés

Au cours de la première quinzaine du mois d'août 2002, le chef de la section maladie de l'Office fédéral des assurances sociales (OFAS), Fritz Britt, laissait entendre, dans un entretien accordé au «Tages-Anzeiger», que les primes de l'assurance maladie obligatoire augmenteront de 6 à 9 % l'année prochaine 1.

Après des années de croissance exponentielle des coûts nominaux de la santé, la nouvelle n'est guère surprenante. Elle survient dans une période où les questions liées à la réforme du système sanitaire suisse occupent l'avant-scène sociale et politique. Et pour cause: la deuxième révision partielle de la loi sur l'assurance maladie (LAMal), en cours actuellement, incite l'ensemble des partis gouvernementaux et les lobbies économiques à proposer leurs remèdes. Le débat parlementaire, qui aurait dû se tenir cet automne, était censé opérer un choix décisif sur l'organisation future de l'assurance maladie en Suisse. Ce débat est repoussé jusqu'à une date non encore définie. Toutefois, la configuration du système sanitaire suisse est en voie d'être modifiée.

Suzanne Peters

Dire que l'organisation du système sanitaire helvétique est complexe relève de l'euphémisme. Raison pour laquelle cet article n'en donne qu'un aperçu et ne trace que quelques aspects, qui nous semblent fondamentaux, de son évolution.

Un diagnostic commun, des thérapies semblables

Si un très grand nombre de propositions de modifications de l'assurance maladie et du système sanitaire helvétique ont été faites au cours des deux dernières années, il faut bien constater que, dans ce concert de commentaires, aucune voix fondamentalement discordante ne se fait entendre. Dans son ensemble, le diagnostic posé est le même d'un bout à l'autre de l'hémicycle politique: les coûts de la santé explosent, d'une part, en raison de causes externes au système proprement dit qui sont l'évolution démographique, les progrès de la médecine, de la pharmaceutique et de la technologie médicale et, d'autre part, pour des raisons inhérentes au système lui-même. Ici, l'élément le plus souvent cité porte sur l'offre médicale. Elle serait trop abondante et inciterait les assuré·e·s à consommer des soins. Certains allant jusqu'à estimer que le système d'assurance déresponsabilise les assurés en leur masquant les coûts réels des actes médicaux qu'ils requièrent 2.

Pour un même diagnostic, toutes les cures proposées par les partis bourgeois et ladite gauche tendent au même objectif. Seuls les posologies, les rythmes d'application changent. Une phrase extraite d'un rapport du Credit Suisse, dernier protagoniste à entrer dans le cercle des médecins-conseils du système, résume bien le consensus général autour duquel se déroulent ces «débats»: «La qualité et le niveau d'approvisionnement du système de santé suisse sont très bons. Le bât blesse du côté des coûts et plus précisément de leur évolution. Des réformes sont donc absolument nécessaires. [...] Nous considérons qu'un changement radical du système n'est ni nécessaire, ni opportun. La LAMal contient tous les éléments importants permettant d'atteindre l'objectif d'un approvisionnement sanitaire de qualité, économique et suffisant.»3

Le marché de la santé

D'avis unanime donc - le Parti socialiste suisse ne s'étant, de facto, pas réellement éloigné du discours dominant jusqu'ici, ses propositions s'inscrivant dans le cadre de la LAMal actuelle - il faut maintenir le cadre existant.

Du point de vue de «l'économie privée», ce choix s'explique au moins par deux facteurs.

Premièrement, le système de santé est aujourd'hui une puissante branche économique au sein de laquelle de très nombreux groupes s'affrontent pour dégager des marges de profits aussi substantielles que possible. Qu'on pense aux grandes assurances maladie, bien sûr, mais également aux entreprises pharmaceutiques et à toutes celles actives dans les technologies médicales de pointe. Au-delà de l'accélération des fusions et acquisitions dans le secteur de la pharma et de l'instrumentation médicale, les réorganisations touchent de même le secteur des assurances. Ainsi, la concentration s'est accentuée dans le segment de l'assurance maladie en Suisse 4. En outre, le corps médical constitue un lobby actif mais dont le statut et l'homogénéité sont affaiblis et qui fait face aux exigences des assurances.

Dans ce cadre, le système sanitaire helvétique, qui, comme l'ensemble des systèmes européens, se caractérise par une demande en soins en continuelle augmentation, représente assurément un marché «d'avenir» pour les entreprises privées. Or, la LAMal telle qu'elle existe actuellement ouvre d'ores et déjà très largement la porte au secteur privé. Nul besoin donc de reconstruire le bâtiment ; tout au plus d'en ouvrir plus largement l'accès...

Deuxièmement, si les coûts augmentent, c'est également parce que les chiffres d'affaires et les bénéfices de bon nombre des acteurs privés engagés sur le marché de la santé, à l'instar de l'industrie pharmaceutique, croissent. Or, le cadre actuel de la LAMal permet aisément d'accroître cette marge bénéficiaire, puisqu'il ne prévoit aucune restriction aux profits privés.

La pathologie ne touche donc pas au corps, mais à ses fonctions internes. Et dans ce domaine, les éléments centraux des cures proposées se résument à une option thérapeutique: accroître et faciliter la présence du secteur privé sur le marché de la santé en lui donnant un rôle plus important encore dans l'organisation de ce secteur. Sans pour autant lui imputer de nouvelles charges.

Quand la LAMal fait le jeu de l'austérité

Pour saisir la logique de la cure préconisée, il vaut sans doute la peine de revenir sur les circonstances dans lesquelles la LAMal telle que nous la connaissons aujourd'hui a été introduite.

La LAMal est entrée en vigueur en 1996, soit au cours d'une décennie durant laquelle les différents programmes d'austérité budgétaire - qu'ils soient cantonaux ou fédéral - avaient déjà connu de grandes avancées au plan national. C'est donc dans un contexte de démantèlement des services publics qu'est venue se greffer l'introduction de la nouvelle assurance maladie. Or, tout laisse à penser que cette loi, dans le secteur de la santé, a servi d'appui, voire de catalyseur aux réformes structurelles en cours.

En parallèle à l'instauration d'une assurance maladie obligatoire pour tous 5, financée au moyen de «primes par tête», cette nouvelle loi a également introduit quelques règles de fonctionnement du secteur sanitaire qui font très largement le jeu du secteur privé et en impose les règles. Elle implique ainsi:

•   Une limitation à hauteur de 50 % de la couverture par les assurances maladie des frais liés à l'hospitalisation en division commune, le reste étant à la charge des cantons 6.

•   Une obligation de planification de l'offre de soins par ces mêmes cantons incluant l'obligation de tenir compte «de manière adéquate» des établissements privés 7. Pour le dire plus simplement, chaque canton établit une liste des hôpitaux autorisés à faire valoir leurs prestations au titre de l'assurance maladie obligatoire. Les établissements qui ne sont pas sur cette liste seront payés par des privés ou par des assurances complémentaires. Or, la LAMal oblige les cantons à inscrire des établissements privés sur cette liste, dans la mesure où ils faisaient partie de l'offre en soins estimée «nécessaire» au moment de la constitution de cette liste. Ce qui pose le problème de l'accès à ces établissements pour celles et ceux qui ne bénéficient pas d'assurances complémentaires...

•   Une obligation, pour les autorités cantonales, de supprimer lesdites «surcapacités» faute de quoi les coûts leur en incombent en plein 8.

•   Une surveillance par l'Etat du caractère «économique» - le terme n'étant pas défini - des prestations des hôpitaux et des établissements médico-sociaux 9.

•   La possibilité, pour les assureurs, d'exiger des cantons, à titre extraordinaire et «pour limiter une augmentation des coûts au-dessus de la moyenne», qu'ils fixent un budget global, soit une enveloppe budgétaire, pour le financement des hôpitaux et des établissements médico-sociaux (EMS) 10.

De la même manière, la LAMal établit comme condition du droit au remboursement le fait que les prestations qui y prétendent soient «efficaces, appropriées et économiques» 11. Autant d'éléments qui, inscrits dans un cadre général d'austérité budgétaire, ne pouvaient conduire qu'à un rationnement des soins plus ou moins ouvertement déclaré selon les cas.

Moins d'Etat

Pour s'en convaincre, il suffit probablement de citer le cas exemplaire du canton de Vaud. Son Conseil d'Etat, en 1997, un an après l'introduction de la LAMal, expliquait ainsi l'introduction d'un Nouveau Plan de planification sanitaire (NOPS): «La restructuration en cours du réseau hospitalier répond à une exigence de rationalisation. Elle est imposée par la situation économique du canton et par les nouvelles dispositions LAMal. La loi fédérale attribue en effet au canton la responsabilité de la planification hospitalière et, cas échéant, celle du financement des «frais liés à des surcapacités» (...). Les enjeux qui en découlent sont donc déterminants. Ils sont au centre du programme de réduction de l'offre et d'économies décidé par le Conseil d'Etat, à partir de 1992.» 12

Les autorités vaudoises n'ont pas fait cavaliers seuls dans cette voie. En moyenne - ce qui recouvre naturellement des différences cantonales - on constate le même désengagement des autorités publiques dans les différents systèmes sanitaires cantonaux, au moins jusqu'en 1998. Ainsi, si les coûts du seul secteur hospitalier ont augmenté au plan national de 13,2 % entre 1995 et 1999 ; dans le même temps, les subsides des pouvoirs publics versés à l'ensemble des fournisseurs de prestations sanitaires n'ont, quant à eux, progressé que de 10,8 % 13. En d'autres termes, l'augmentation des coûts de la santé a été directement prise en charge, pour une part de plus en plus importante, par les ménages et cela sous les formes les moins équitables, à savoir par le biais des primes par tête à l'assurance maladie 14 et par des dépenses privées et individuelles de santé. Le graphique numéro 1 (ci-dessous) présente clairement la part des coûts du système de santé ainsi prise en charge par les ménages.

Or, la Suisse est un des pays dont les dépenses publiques en matière de santé sont les plus faibles, comme le démontre l'étude effectuée en 2000 par l'OCDE (voir graphique n° 2, p. 30).

Mais il y a plus, car ce désengagement des collectivités publiques n'est pas resté sans conséquences sur l'offre en soins, puisque les effets conjugués des programmes d'austérité cantonaux et de l'application des dispositions de la LAMal ont conduit, sur le plan national, jusqu'en février 1999 et pour le seul secteur des soins aigus 15, à la fermeture ou au changement d'affectation de 8 hôpitaux, à la suppression de 2000 lits et, par voie de conséquence, à la suppression de 600 à 700 emplois «plein temps» 16. Le tout pour une économie nette de près de 215 millions de francs par an 17.

Pour compléter le tableau, il faut également souligner que cette économie a été réalisée au cours d'une période durant laquelle le nombre de malades traités à l'hôpital et la lourdeur des pathologies ont été croissants. Or, qui dit fermetures de lits, d'établissements hospitaliers, suppressions de postes et augmentation du nombre de cas traités et de la lourdeur de ceux-ci dit obligatoirement restructuration à la baisse de l'ensemble de la chaîne des soins couverts par l'assurance maladie obligatoire et accroissement des difficultés d'accès à ces soins.

Cette restructuration des soins, qui s'est imposée dans tous les pays européens, est en partie - argument très souvent répété - le fruit des progrès de la médecine: ceux-ci permettent d'intervenir de manière moins invasive qu'auparavant et, donc, de réaliser des opérations moins lourdes et de diminuer la durée des séjours en hôpital. Toutefois, elle est également la conséquence d'un choix délibéré visant à réduire les coûts du système de santé. Pour le dire rapidement, ce processus débouche sur une diminution massive de la durée moyenne de séjour en hôpital et une augmentation substantielle du taux d'occupation des lits des mêmes hôpitaux. Traduisez: plus de patients qui changent plus rapidement dans les services et qui sortent plus rapidement des hôpitaux pour moins de personnel (voir ci-dessous graphique n° 3). Voilà la cure d'amaigrissement imposée à la santé publique et parapublique par l'effet conjugué d'une politique du «moins d'Etat» et le cadre économique imposé par la LAMal.

Et le problème ne s'arrête pas aux portes de l'hôpital. Il faut, en effet, y ajouter la question du passage des patients sortis prématurément des soins aigus à des unités d'hébergement telles que des hôpitaux de réhabilitation, des établissements médico-sociaux (EMS) ou des soins à domicile.

Dans ce domaine également, l'exemple du canton de Vaud mérite d'être cité. En effet, les conséquences de l'application de quatre programmes d'austérité, des NOPS et de la LAMal s'y sont soldées, jusqu'en 1999: par la fermeture, dans les soins aigus, de 210 lits, et de quelques services dans les hôpitaux publics 18 ; par la suppression d'un hôpital subventionné, d'un service de maternité ainsi que de lits dans tous ces hôpitaux. On peut y ajouter la suppression de 340 lits de long séjour dans les EMS vaudois 19 et un développement totalement insuffisant des soins à domicile 20.

Conclusion d'une commission d'enquête parlementaire vaudoise: le secteur des soins non aigus doit et devra accueillir une population de plus en plus importante. Elle provient d'hôpitaux de soins aigus de plus en plus pressés de les «voir sortir». A cela s'ajoutent les effets du vieillissement de la population. Or, le secteur des soins non aigus était déjà en 2001, «...exploité au maximum de ses capacités»21. On pourra aisément en déduire qu'il sera préférable, dans les années à venir, de disposer des moyens financiers pour s'adresser aux établissements privés afin d'être sûr d'être pris en charge.

La LAMal version 1996 a donc servi de support à une restructuration en profondeur du système sanitaire suisse. Elle lui a donné un cadre qui, tout en maintenant un niveau élevé de prestations médicales, garantissait une place de choix au secteur privé et permettait aux gouvernements cantonaux de démanteler progressivement l'offre publique de soins en y instaurant les règles d'économicité pratiquées dans le secteur privé.

Le premier pas d'une refonte de cette partie des services publics qu'est la santé a ainsi été effectué. Et les conditions nécessaires au second sont largement réunies.

Deuxième révision partielle de la LAMal

Cette nouvelle avancée s'effectuera dans le cadre de la deuxième révision de la LAMal, ou, au plus tard, à l'occasion de la troisième.

Pour l'esquisser rapidement, on pourrait dire qu'il s'agit d'asseoir plus solidement encore le secteur privé aux commandes du «marché de la santé». L'image ici ressemble fort à ce qui se passe dans le cadre de la prévoyance professionnelle: l'affaiblissement du premier pilier exige le renforcement du deuxième, jusqu'à ce que sa «réorganisation» accroisse la nécessité du troisième.

Trois axes fondamentaux

Les débats menés actuellement dans le cadre de la deuxième révision partielle de la LAMal portent sur une multitude de propositions. La commission du Conseil national chargée d'étudier la question a été saisie de plus de 110 interpellations, propositions ou autres. Néanmoins, pour esquisser l'essentiel, on peut dire que les discussions de fond portent sur trois points: une réforme du financement des hôpitaux ; la suppression de l'obligation faite aux assureurs de contracter avec tous les fournisseurs de soins ambulatoires 22 ; et un plafonnement des primes d'assurance maladie pour les assuré·e·s de condition modeste.

Sur ces trois points, les propositions faites par les partis bourgeois et acceptées récemment par le Conseil fédéral 23 sont les suivantes.

Réformer le financement des hôpitaux

Au plan du financement des hôpitaux, l'année 2001 a d'ores et déjà signifié un changement important. En effet, comme on l'a vu, la LAMal obligeait jusque-là les cantons à participer aux frais d'hospitalisation en division commune dans les établissements publics et subventionnés à hauteur minimale de 50 %. Ce qui signifie qu'ils ne prenaient pas en charge les hospitalisations faites dans les établissements ou les divisions privés. Or, deux arrêtés du Tribunal fédéral des assurances, relayés et amplifiés par le message du Conseil fédéral relatif à la deuxième révision partielle de la LAMal du 18 septembre 2001, ont contraint les cantons à négocier un accord avec «santésuisse», l'organe faîtier des assureurs maladie.

En effet, les décisions du tribunal comme les choix du Conseil fédéral obligent les cantons à participer également aux hospitalisations dans les établissements et divisions privés inscrits sur les listes hospitalières. Coûts des négociations entre les assureurs et la Conférence des directeurs cantonaux des affaires sanitaires: une contribution forfaitaire des cantons de 300 millions de francs qui sera augmentée chaque année de 100 millions jusqu'en 2004. Autant d'argent prélevé sur le budget des cantons pour subventionner les secteurs privés. Ce qui signifie également, pour prendre l'exemple du canton de Vaud, que cet argent sera enlevé à un poste destiné à des dépenses de santé publique...

Cette concession faite aux assureurs pourrait être suivie d'une seconde, bien plus importante. Elle a déjà obtenu le soutien du Conseil des Etats et un appui du Conseil fédéral 24. Il s'agit du passage à un financement «moniste» des hôpitaux. Suivant ce précepte, les cantons ne participeraient plus directement aux frais des hôpitaux, mais ils subventionneraient les caisses maladie qui se chargeraient elles-mêmes de subventionner les hôpitaux. Ainsi, on remplacerait l'actuel système «dual» où les cantons fixent les listes hospitalières et subventionnent directement les hôpitaux, généralement sous la forme de budgets annuels, par un système où le seul partenaire payeur des hôpitaux serait les assureurs. Un pouvoir supplémentaire leur est donc clairement attribué, tant il est vrai que «qui paie commande». Une question reste ouverte: dans ce cas de figure, quelle sera l'instance habilitée à dresser les listes hospitalières prévues par la LAMal ?

De plus, le Conseil des Etats s'est prononcé pour une réforme du financement des hôpitaux qui verrait l'actuel budget attribué annuellement à chaque établissement par les cantons remplacé par un financement «lié aux prestations». Les modalités exactes de ce financement ne sont pas encore arrêtées, mais il y a fort à parier qu'elles représenteront une incitation, pour les hôpitaux, à soigner chaque cas au meilleur coût, afin de ne pas manquer de moyens. Ce qui pourrait accélérer encore le rythme de sortie des hôpitaux...

Supprimer l'obligation de contracter

La suppression de l'obligation de contracter octroierait aux assurances maladie la possibilité de refuser à un fournisseur de prestations ambulatoires 25 le remboursement de ses actes. En d'autres termes, les assurances seraient mises en position de limiter l'accès à l'exercice de la médecine pour une partie des praticiens, la clientèle de ces derniers ne pouvant pas faire usage de son assurance maladie obligatoire lors des consultations. Plus encore, les caisses maladie seraient habilitées, par exemple, à refuser le remboursement à des médecins qui appliqueraient des traitements qu'elles jugeraient trop coûteux ou peu efficients...

Fin novembre 2001, le Conseil des Etats s'est prononcé en faveur de la suppression de l'obligation de contracter sous réserve de la création d'une commission tripartite (assureur-médecin-canton) appelée à trancher en dernier ressort si une caisse devait refuser de conclure une convention avec un médecin. Les critères retenus seraient «le caractère économique et la qualité des prestations» 26. Cette proposition fait, du reste, l'unanimité au sein des partis gouvernementaux, du Parti socialiste à l'UDC. Le Conseil fédéral, quant à lui, estime que la suppression de l'obligation de contracter dans le secteur ambulatoire devrait être un objectif et que son entrée en vigueur devrait intervenir à l'issue du moratoire de trois ans qui vient d'être décrété sur l'ouverture de nouveaux cabinets médicaux, soit en juillet 2005 27.

Plafonner les primes d'assurance maladie

La charge représentée par l'augmentation continue des primes d'assurance maladie «par tête» devenant de plus en plus lourde, le Parti socialiste suisse a lancé, il y a de cela quelques années, une initiative intitulée «La santé à un prix abordable».

Le PSS réclame que le financement de l'assurance maladie obligatoire ne se fasse plus au moyen de primes par tête, mais par des recettes dont l'affectation serait fixe et qui proviendraient de la TVA - impôt social s'il en est ! - et, pour une part d'au moins 50 %, de cotisations des assurés fixées en fonction de leur situation financière. Cette initiative, qui a abouti, sera discutée prochainement par le parlement.

En réponse à cette demi-mesure sociale, le Conseil des Etats a choisi de lui opposer un contre-projet indirect: il propose un plafonnement des primes d'assurance maladie à 8 % du revenu des ménages. Plafonnement qui ne s'appliquerait qu'à condition que ceux-ci aient choisi la caisse dont les primes seraient les plus basses.

Cette proposition a cependant été récemment revue à la baisse par le Conseil fédéral, inspiré par la Conférence des directeurs cantonaux des finances qui redoute les impacts financiers d'une telle mesure pour les cantons. L'exécutif fédéral a choisi une troisième voie qui créerait quatre catégories d'assurés individuels dont la plus basse se verrait garantir que la charge des primes ne dépasserait pas 4 % de son budget. Ce plafond s'élèverait ensuite progressivement pour atteindre 12 % pour la catégorie la plus élevée. Cette méthode permettrait de réduire de moitié les frais incombant aux collectivités publiques selon le modèle choisi par le Conseil des Etats... On est donc bien loin d'un financement de l'assurance maladie obligatoire qui garantisse une vraie redistribution sociale par le biais de cotisations liées au revenu. La prime par tête et l'imposition sur la consommation (TVA) ont de beaux jours devant elles.

Pour un service public de la santé

La refonte du système sanitaire suisse vise à en faire un marché essentiellement privé où la «responsabilité individuelle» jouera un rôle central. Formuler des contre-propositions qui sortent du cadre prédéfini dans lequel se déroulent les débats présents exige la claire définition de quelques principes fondamentaux.

La «santé» est un droit inaliénable auquel chacun doit pouvoir accéder dans la même mesure. En conséquence, le système sanitaire devrait remplir une mission de service public et, par là même, échapper aux critères du marché. Ce qui signifierait non seulement que l'Etat et les cantons devraient être les seuls partenaires payeurs du système sanitaire, mais également qu'une caisse maladie nationale unique devrait être mise sur pied. Cependant, contrairement aux propositions formulées actuellement à gauche, cette caisse nationale ne pourrait avoir un effet réel de redistribution sociale que si ses primes sont basées exclusivement sur les revenus des assurés. De plus, une telle caisse et un tel système devraient impliquer le dépérissement des assureurs privés dans ce domaine... Dans le contexte politique présent, l'élaboration radicale, sujette à un vrai débat, constitue un élément nécessaire à une mobilisation sociale.

1. Voir Le Temps, 14 août 2002.

2. Voir, par exemple, à ce propos, le papier de position du Parti radical démocratique, adopté le 13 janvier 2001, p. 6, qui donne le principe suivant comme mot d'ordre pour l'assurance de soin obligatoire: «responsabilité personnelle prioritaire, assurance subsidiaire». Tout un programme...

3. Credit Suisse Economic Research & Consulting, Le système de santé suisse - diagnostic pour un patient, Economic Briefing n. 30, Zürich, juillet 2002, p. 22.

4. On y constate une concentration importante du nombre de grandes assurances. En 2000, sur les 101 compagnies d'assurance maladie existantes en Suisse, les cinq plus grandes d'entre elles (Helsana, CSS, Visana, Concordia et Swica) regroupaient ainsi, à elles seules, 52 % des assurés, contre 72,5 % pour les 10 plus grandes. Voir le compte rendu de la séance spéciale du Conseil fédéral du 22 mai 2002, L'assurance maladie sociale. Analyse, Berne, DFI, p. 7, et l'étude du Credit Suisse.

5. Instauration dont l'objectif social est indiscutable.

6. Art. 49, al. 1.

7. Art. 39, al. 1, lt. d.

8. Art. 49, al. 1.

9. Art. 21, al. 4.

10. Art. 54, al. 1.

11. Art. 32, al. 1.

12. Conseil d'Etat vaudois, Rapport NOPS, 1997, p. 49.

13. Credit Suisse Economic Research & Consulting, op. cit., p. 20.

14. Selon l'économiste genevois Yves Flückiger, entre 1990 et 1998, le coût des primes d'assurance maladie s'est élevé d'environ 10 % par année. Augmentation qui a représenté une part de près de 19 % du revenu disponible des ménages les plus défavorisés.NZZ, 17 mai 2002.

15. Les soins aigus sont les soins stationnaires dispensés dans les hôpitaux habilités à prendre en charge des cas d'urgence et des opérations, ils se distinguent des soins ambulatoires qui sont les soins donnés par les médecins, en consultation et des soins donnés en hébergement de longue durée, dans les EMS, les centres de réabilitation ou les CMS.

16. Ce qui représente un nombre de postes de travail nettement plus important, les emplois dans le secteur sanitaire étant rarement des emplois à 100 %, vu la charge de travail dans ce domaine.

17. Compte rendu de la séance spéciale du Conseil fédéral du 22 mai 2002, L'assurance maladie sociale. Analyse, op. cit., p. 10.

18. Conseil d'Etat vaudois, Rapport NOPS, 1997, p. 49.

19. «Rapport de la Commission d'enquête parlementaire sur les EMS vaudois», Lausanne, Grand Conseil du Canton de Vaud, janvier 2001, pp. 79-80.

20. Ibid, p. 41.

21. Ibid, p. 42.

22. Soit les soins donnés hors hospitalisation ou en hospitalisation d'un jour.

23. NZZ, 22 août 2002, Le Temps, 22 août 2002.

24. Le Conseil des Etats souhaite que ce changement s'opère dans les cinq ans à venir, le Conseil fédéral, quant à lui, prévoit ce changement dans le cadre de la 3e révision partielle de l'AVS à venir. Communiqué de presse du Département fédéral de l'intérieur, 21 août 2002.

25. Soit un médecin ou un professionnel de la santé reconnu, installé ou donnant des consultations sans hospitalisation dans un établissement sanitaire.

26. Credit Suisse Group, Economic Research & Consulting, Le système de santé suisse - propositions de traitement pour un patient. Une étude spéciale sur le potentiel de réforme du système de santé suisse, Zurich, juin 2002, p. 19.

27. Le Temps, 22 août 2002.

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