N°9 - 2002

Afghanistan: les réseaux de l'administration du guérillero Gucci

Karzaï & Co et la «reconstruction»

Quelques jours avant Noël 2001, une banderole accrochée dans le hall de l'Hôtel Intercontinental de Kaboul annonçait: «Christmas Party le 25 décembre dès 18 h là où la vie nocturne à Kaboul s'anime le plus: au 5e étage dans notre Club du dîner» 1. Il ne pouvait pas y avoir meilleure métaphore du projet pour l'Afghanistan de messieurs Hamid Karzaï & Co que l'Hôtel Intercontinental de Kaboul. Le parallèle s'impose. L'Hôtel Intercontinental qui domine aujourd'hui Kaboul est partiellement en ruine et traverse un passage difficile sans eau courante et avec des lumières vacillantes. A son image, ce qu'on appelle aujourd'hui l'«économie afghane» est dans sa plus grande partie en bien mauvais état.

Le projet pour l'Afghanistan de messieurs Hamid Karzaï & Co est élaboré par les légions de soi-disant experts étrangers, professionnels des médias occidentaux et autres aventuriers politiques et profiteurs venus d'Occident qui sont descendus à l'Hôtel Intercontinental ou dans de plus modestes manoirs, tel l'Hôtel Moustapha au centre-ville.

Marc W. Herold*

Leur perspective pour l'Afghanistan sera marquée par la ségrégation spatiale: d'un côté Kaboul, de l'autre côté «le reste». Le premier espace sera hors d'atteinte pour les millions d'Afghans pauvres. Leur «modèle» de l'Hôtel Intercontinental existera à côté, et séparé, de l'immense économie de marché de subsistance, nomade et foisonnante du secteur dit informel. Voir encadré page 13.

Une vitrine, Kaboul... et le reste

Leur modèle a trois piliers:

1° Une priorité donnée aux importations de biens destinés aux classes moyennes et supérieures occidentalisées qui rentrent de l'exil.

2° La centralité du secteur des services qui constitue aussi le principal lien avec les masses paupérisées qui pourront aspirer à être porteur, gardien de piscine...

3° Une glorification de la consommation à l'occidentale du capitalisme postmoderne le plus récent, qui pourrait être symbolisé par le Coca-Cola pétillant et artificiellement parfumé, largement disponible à Kaboul depuis les années 1970 2, ou le lancement en avril 2002 d'un «magazine afghan par ELLE qui montrera ce qu'il y a derrière la bourqua et dans la tête de la femme afghane»3.[...]

C'est une reconstruction de l'Afghanistan qui s'appuierait sur le pipeline de pétrole et de gaz naturel qui est souvent évoquée en Occident 4. Au Kazakhstan voisin, on souligne plutôt «les richesses minérales fabuleuses» de l'Afghanistan: pétrole et gaz naturel dans le nord, fer, cuivre, or, rubis et émeraudes. L'édition 1911 de l'Encyclopedia Britannica mentionnait une mine d'or abandonnée à 5 km au nord de Kandahar et les récits parlent de l'or extrait à Mokor et transporté par caravanes. Les rubis sont extraits dans la province de Badakhshan depuis l'époque de Marco Polo 5.

Plus récemment, les hommes d'Ahmad Shah Massoud, le chef tadjik assassiné de l'Alliance du Nord, pratiquaient l'extraction des pierres précieuses, émeraudes et lapis-lazuli dans la gorge du Panshir au moyen de méthodes primitives et très nuisibles à l'environnement, ce qui rapportait environ 60 à 100 millions de dollars par année 6. D'ailleurs, Rashiddoudine, le très select marchand d'émeraudes et principal actionnaire de plusieurs mines se trouve être le beau-frère de Massoud. C'est du pays afghan lui-même qu'on a tiré de force les ressources pour financer la guerre civile de 1996 à 2001: pour l'Alliance du Nord les émeraudes, pour les talibans les pavots. [...]

Quelques jours après son entrée en fonctions comme président, Hamid Karzaï réquisitionnait une partie de l'Hôtel Intercontinental: «Nous avons besoin du 2eet du 3eétage. Les journalistes furent expulsés des chambres tandis que s'installait une élite de nouveaux ministres, chefs militaires, fonctionnaires et hôtes d'Etat.» 7

Le nouveau ministre de l'Irrigation, Mangal Hussein, était tout juste revenu de son exil à Atlanta, le malheureux ministre du Tourisme et de l'Aviation civile, Dr Abdoul Rahman, qui sera assassiné sur le tarmac de l'aéroport de Kaboul le 14 février 2002, revenait, lui, de cinq années passées à Rome aux côtés du roi Zaher Chah 8. Le ministre de l'Education, le professeur Razoul Amin, avait été à Peshawar l'homme de liaison du roi exilé.

Il y a aussi des parallèles historiques. L'Hôtel Intercontinental de Kaboul, «le premier hôtel à l'américaine du pays, d'une grande chaîne et hygiénique» 9,a été inauguré en septembre 1969. C'était alors une construction de la Pan American World Airways (Panam) qui contrôlait alors la compagnie d'aviation civile afghane Ariana. Les racines politiques, non militaires, du régime Karzaï plongent dans la monarchie inefficace de Zaher Chah de 1933 à 1973. Même Helen Hughes, qui avait été au début des années soixante-dix une économiste employée par la Banque mondiale, a écrit récemment: «La cour du roi était l'épicentre de la corruption... Les élites afghanes étaient corrompues de part en part... La corruption de la cour devint si extrême qu'elle a dû fuir. La Banque mondiale dirigée alors par Robert McNamara s'enthousiasma pour le plan de développement en sept ans du gouvernement socialiste (du prince Dahoud en 1973), à condition qu'il respecte "la société traditionnelle propre à l'Afghanistan".»10

Les Dupree, ce couple américain qui dans les années soixante-dix était ami avec toute l'élite dominante de Kaboul, racontent que le roi Zaher manquait de perspective mais aimait cultiver les fraises et les choux de Bruxelles dans sa grande ferme au nord de la ville11.

Karzaï, des racines monarchiques et pétrolières

La famille Karzaï a joué un rôle important dans la politique afghane depuis très longtemps. Le père fut un proche collaborateur de Zaher Chah, le grand-père avait présidé la Wulfi Jirga qui avait proclamé le jeune Zaher roi en 193312. Dans les années 80, Karzaï avait collaboré avec les Américains pour organiser les transports clandestins d'armes pour les moudjahidin qui combattaient les Soviétiques. Il dirigeait le bureau de Peshawar de Sebghatullah Modjadeddi qui était le chef de l'un des sept groupes de moudjahidin armés et financés par la CIA. Que Karzaï soit fortement appuyé par les Américains et qu'il ne jouisse d'une «indépendance» que très limitée a été plusieurs fois mis en évidence. Début décembre 2001, il a proposé un rameau d'olivier au mollah Omar mais a tout de suite rectifié la position quand Donald Rumsfeld a laissé entendre que cela était inacceptable. Quand, en janvier 2002, il a déclaré mollement que les bombardements par l'aviation américaine devraient cesser, il s'est aussitôt rétracté et depuis lors il ne s'exprime plus que sous le label de La Voix de son maître.

Les liens de Hamid Karzaï avec l'entreprise Unocal [société pétrolière américaine] et avec la CIA, le MI6 [service britannique] et le 5e Groupe des forces spéciales de l'Armée des Etats-Unis sont bien connus. Karzaï était employé comme consultant bien payé de l'Unocal quand celle-ci négociait avec les talibans. L'homme qui a repéré le «potentiel de leadership» de Karzaï et qui l'a recruté pour les Américains, c'est Zalmay Khalilzad qui était alors directeur de programme à la RAND Corporation [société travaillant étroitement avec le gouvernement américain]13. Zalmay Khalilzad, qui est diplômé de l'Université de Chicago, a été nommé envoyé spécial de l'administration Bush en Afghanistan neuf jours après que Karzaï fut devenu président. C'est ce Zalmay Khalilzad – qui était aussi consultant de l'Unocal et dont le père avait été un assistant du roi Zaher – qui avait établi personnellement l'analyse de risque du pipeline à 2 milliards de dollars de la Centgas depuis le Turkménistan à travers l'Afghanistan occidental jusqu'au port de Moultan au Pakistan14.

Zalmay Khalilzad fut sous-secrétaire à la Défense de George Bush père durant la guerre du Golfe. Après un bref passage à la RAND Corporation, le fameux bureau d'études en tous genres, il a dirigé l'équipe de transition pour le Département de la défense du ticket Bush-Cheney fraîchement élu. Il conseillait aussi Donald Rumsfeld. Mais il ne fut récompensé d'aucune nomination. C'est que les auditions par le Sénat qu'aurait impliquées sa confirmation à un poste officiel auraient soulevé des questions extrêmement inconfortables quant à son rôle comme conseiller de l'Unocal. Il aurait été mis en évidence qu'il fut à un certain moment un avocat acharné des talibans. En lieu et place, il se vit attribuer un siège au Conseil national de sécurité, ce qui ne requiert aucune confirmation par le Sénat. Il y est subordonné à la conseillère pour la Sécurité nationale Condoleezza Rice qui, elle, avait été membre du conseil d'administration d'un autre géant du pétrole: Chevron.

L'Afghanistan des contrats

C'est la fameuse société Enron, un des principaux contributeurs financiers de la campagne de Bush, qui avait réalisé l'étude de faisabilité de l'affaire du pipeline Centgas. Le soutien qu'a apporté l'administration Bush aux talibans jusque vers la fin d'août 2001 était motivé par des considérations pétrolières, en particulier par l'intention d'arracher aux Russes le contrôle des réserves de pétrole et de gaz naturel encore largement inexploitées d'Asie centrale. La Russie a maintenu les vastes réserves de pétrole et de gaz naturel d'Asie centrale fortement enfermées en restreignant l'accès à des pipelines d'exportation qui tous passent par le territoire russe. Le pipeline de Unocal, lui, passerait directement du Turkménistan au Pakistan à travers l'Afghanistan, pour autant qu'un gouvernement afghan, celui des talibans ou celui de Karzaï, puisse garantir sa sécurité15.

Aujourd'hui, Hamid Karzaï et compagnie se délecteraient sans aucun doute des perspectives d'investissements qui étaient discutées, fin 1998, avec les talibans. En effet, l'administration Clinton, en même temps qu'elle faisait pleuvoir des missiles de croisière Tomahawk sur les bases d'Al-Qaida en Afghanistan, négociait des bonnes affaires avec les talibans. Unocal, elle, se retirait des négociations en décembre 1998, mais d'autres investisseurs internationaux étaient engagés dans des négociations qui avaient avancé au stade de projets sérieux.

Une entreprise du New Jersey, la Telephone Systems International (TSI) annonçait, en septembre 1998, qu'elle avait signé un contrat de 240 millions de dollars avec les talibans pour installer un réseau de centrales d'appel de satellites dans les principales villes afghanes ainsi qu'un système sans fil de 30 000 lignes téléphoniques à Kaboul. Huit pour cent des profits devaient revenir à la TSI et 20 % aux talibans. Le contrat de partenariat contenait une clause évolutive qui aurait attribué la pleine propriété aux talibans au bout de quinze ans.

Un deuxième grand projet d'investissement émanait de la Afghan Development Company qui est un consortium international constitué en novembre 1998 avec accès à un milliard de dollars de financement. Il s'intéressait à ouvrir: une immense mine de cuivre à Aynak, dans la province de Loghar à 35 km au sud de Kaboul ; une cimenterie à Hérat ; une usine de liquéfaction de gaz naturel à Sheberghen ; et une nouvelle mine d'or près de Kandahar. Ce sont là les projets mêmes qui ont été sans cesse discutés depuis vingt-cinq ans.

Un troisième projet impliquait un group d'engineering grec, Consolidated Contracts International, qui cherchait du pétrole et du gaz naturel dans la région occidentale d'Hérat16.

Aujourd'hui, seul le premier de ces projets s'est concrétisé: la Afghan Wireless Communication Company (AWCC) – qui réunit en partenariat des investisseurs des Etats-Unis, de Dubaï et le gouvernement afghan – exploite un service GSM de téléphones portables et d'Internet à Kaboul et à Kandahar. AWCC recourt pour cela au système de télécommunications par satellite Thuraya et à sa technologie de Boeing-Hughes. D'ailleurs, AWCC est la propriété de Thuraya qui est, elle, une société par actions dont le siège est dans les Emirats arabes unis. Le gros de ses actionnaires sont 18 importants opérateurs de télécommunications et sociétés financières17.

AWCC a inauguré le 8 avril à Kaboul le premier réseau commercial de téléphones portables. A cette occasion son directeur exécutif déclarait: «Un service de télécommunications fiable est une contribution indispensable à la reconstruction de l'économie...» 18On rapporte que AWCC a dépensé à ce jour 50 millions de dollars en équipements à Kaboul, aménagement du site à Mazar et Hérat, et équipements à Jalalabad et Kandahar. La cheville ouvrière du projet aura été Ehsan Bayat, un émigré afghan qui vit aux Etats-Unis depuis 1979. Il a créé en 1995 au New Jersey l'entreprise Telephone Services International.

Reconstruire pour la majorité ?

Je ne prétends pas suggérer qu'il n'existe pas une perspective alternative à celle que je décris, voire plusieurs19. La principale, on pourrait l'appeler un modèle de reconstruction. Elle viserait à restaurer pour l'Afghanistan la possibilité de vivre frugalement et sur ses propres ressources. Elle ciblerait la majorité pauvre des Afghans: 72 % des 22,5 millions d'Afghans que l'ONU comptait en 2001 vivent à la campagne et dépendent de l'agriculture pour leur survie. Presque 90 % de l'économie de l'Afghanistan est liée à l'agriculture. Des 22 % d'Afghans qui vivent dans les villes, la plus grande partie réside à Kaboul qui concentrait, en temps de paix, une population de 2 millions d'habitants. Les autres villes principales sont Kandahar (plus de 400000 hab.), Mazar-e-Charif (presque 300 000 habitants), Jalalabad, Hérat, Koundouz et Taloqan.

Cette perspective de restauration s'exprime dans les écrits et les pratiques de certaines organisations non gouvernementales et de certains programmes bilatéraux d'aide: des Suisses, des Français, des Britanniques, des Norvégiens, etc., dont les efforts se concentrent sur la réparation du système traditionnel d'irrigation afghan et sur la fourniture d'eau potable à la population. En effet à Kaboul, par exemple, seuls 20 % de ses habitants ont accès à l'eau potable20.

Divers organismes s'efforcent aussi de débarrasser les champs et les abords des habitations des mines, bombes et munitions non explosées, de procurer des soins sanitaires de base ainsi que des outils simples, et de développer des projets pour que les plus démunis s'entraident (comme les boulangeries des veuves de guerre à Kaboul...), etc.

Les autres catalyseurs souhaitables qui sont évoqués pour faire renaître l'économie afghane étaient prévisibles: le rétablissement en temps de paix de l'industrie traditionnelle d'exportation des tapis 21. Mohammed Younous, de la fameuse banque indienne Grameen, a récemment argumenté qu'en accordant aux femmes afghanes pauvres qui sont couturières ou tissent des tapis des micro-crédits on soulagerait considérablement la «pauvreté extrême» 22.

La cible prioritaire devrait être les pauvres et les régions rurales. L'agriculture du pays ne se rétablira que quand les mines et les bombes à fragmentation auront été ramassées et que les paysans pourront revenir.

Une autre manière de saisir la différence entre les deux perspectives serait de comparer d'un côté une économie basée sur la «satisfaction des besoins» et de l'autre côté une économie basée sur la satisfaction de la «demande» et la maximisation individuelle des revenus réels, des consommateurs ou encore des profits.

Vers quelle dépendance ?

Etant donné que la structure productive de l'Afghanistan est totalement détruite et que les niveaux de revenus sont si bas (ceux qui ont la chance d'être employés gagnent de 0,50 dollar par jour à 2 dollars dans le cas de ceux qui travaillent pour le projet japonais de déblaiement et reconstruction de Kaboul), même le marché afghan dépend des dollars ou des afghanis qui tombent de la table de la petite élite privilégiée. C'est-à-dire celle qui participe directement ou indirectement du modèle de l'Hôtel Intercontinental. Les comptes rendus venant de Kaboul soulignent combien la vie a peu changé pour les plus pauvres durant les derniers mois. Comme le dit Hamida qui a 12 ans et doit nourrir une famille de 10 personnes: «Sous les talibans ou sous le nouveau gouvernement, c'est la même chose. Je ne peux pas imaginer que quoi que ce soit change jamais.»23

C'est sur le salaire de Abdoul Majid qui a 12 ans que repose principalement la survie de sa famille de sept personnes. En cirant des chaussures, il gagne en un bon jour 1,5 dollar, assez pour acheter du pain et des pommes de terre pour tous. Son père est aveugle, sa mère est sourde et seul un autre de ses frères travaille, Abdoul Martin, 15 ans, qui gagne 50 cents par jour pour tisser des tapis. Jawad, qui a 13 ans, travaille dans une boulangerie privée de Kaboul. Il commence son travail à 4 h du matin pour gagner 35 cents par jour. Il doit nourrir sa mère qui est veuve et ses quatre frères et súurs. Avant qu'en novembre 2001 à Kaboul une bombe américaine ne détruise la boulangerie du Programme alimentaire mondial où Razia travaillait, elle y gagnait presque 1,7 dollar par jour 24.

La journaliste canadienne Kathy Gannon, qui a une vieille expérience de l'Afghanistan, note qu'«en dehors de Kaboul les conditions sont encore pires». Selon les chiffres des Nations unies, le revenu annuel par personne est de 178 dollars, la malnutrition affecte 70 % des Afghans, l'espérance de vie est de 44 ans pour les hommes et de 43 ans pour les femmes 25. Selon l'OMS, seulement 24 % des Afghans ont accès à l'eau potable, ce qui est une grande cause de maladies 26.[...]

Sous les talibans, l'Afghanistan était économiquement et idéologiquement une extension du Pakistan. Celui-ci fournissait 80 % du déficit afghan en céréales et les agences internationales le reste. Les prix de la nourriture s'alignaient étroitement sur ceux du Pakistan. La contrebande sur la frontière pakistanaise était et continue d'être importante.

Au fond, les talibans représentaient le triomphe de la paysannerie musulmane pauvre sur les couches urbaines occidentalisées, que ce soit celles de l'ère soviétique ou celles d'auparavant, des années du roi Zaher. Les talibans ont amené le village dans la ville en imposant par la force à Kaboul les normes sociales habituelles de la vie villageoise 27.

Reconstruction Intercontinentale

Le modèle de l'Hôtel Intercontinental repose totalement sur des ressources rassemblées à l'étranger. Karzaï a voyagé loin, sur d'autres continents, pour tenter de les réunir. Quand les diverses grandes agences internationales qui donnent des fonds parlent de «reconstruction», elles donnent la priorité à la reconstruction des routes, à la production et à la distribution de l'électricité, à l'adduction d'eau et aux égouts, à l'installation de systèmes modernes de télécommunications, à la reconstruction des édifices démolis et plus particulièrement à la création de grands corps de police et militaires afin de protéger le modèle de l'Hôtel Intercontinental de ses détracteurs afghans.

Le modèle de l'Hôtel Intercontinental souligne la nécessité de payer les fonctionnaires, de mettre sur pied un système de droits de propriété, de reconstruire un système financier qui puisse accorder du crédit, de réparer les routes et les services publics. Néanmoins, il est assez évident que la plupart de ces projets s'adressent de manière écrasante aux couches urbaines, éduquées et mobiles, en termes d'emplois, de revenus et de satisfaction des consommateurs.

L'Agence France-Presse rapporte qu'en janvier 2002, l'AID (Agence pour le développement international du gouvernement des Etats-Unis) a commencé à fournir à certains cultivateurs afghans des semences à haut rendement génétiquement modifiées 28. Grâce à une subvention de 12 millions de dollars que l'AID a accordée au Consortium de la Prochaine Récolte pour Reconstruire l'Agriculture en Afghanistan, quelque 3500 tonnes de semences de blé ont été distribuées à 60 000-70 000 paysans afghans au début avril 29.

Fin janvier 2002, une délégation du FMI et de la Banque mondiale qui visitait l'Afghanistan proposait que le pays adopte le dollar américain comme monnaie pour remplacer les afghanis si volatils et souvent contrefaits. L'idée a été gelée.

Peu de temps après, le gouvernement Karzaï nommait en avril un nouveau gouverneur de la Banque centrale: Anouar Ul-Haq Ahady, le dirigeant du parti social-démocrate afghan ou parti Mellat. Ahady a vécu aux Etats-Unis depuis la fin des années soixante-dix. Il y a acquis un MBA de la Northwestern University. Il était professeur de science politique et de finance internationale au Providence College de Rhode Island. Surtout ce qui est plus important, Ahady est marié avec Fatima Gailani, la fille du Sayed Pir Gailani, un leader tribal pachtoun, dans les années 80 participant modéré des moudjahidin anti-soviétiques et partisan proche du roi Zaher 30.

L'autre conseiller économique de Karzaï est Ashraf Ghani Ahmadzai qui travailla à la Banque mondiale dont il était le dirigeant scientifique du Département du développement social. Il est arrivé aux Etats-Unis en 1977 et a enseigné l'anthropologie à l'Université Johns Hopkins de Baltimore. Son concept de la reconstruction de l'Afghanistan est basé sur l'amélioration des relations commerciales extérieures. Il parle d'exporter en Europe du safran et du cumin, et de créer des industries d'exportations reposant sur l'abondante main-d'úuvre bon marché.

Quand des combats ont éclaté début 2002 dans la province de Paktia, Karzaï y a nommé comme «son» gouverneur Taj Mohammed Wardak. Il s'agit d'un citoyen américain rappelé de North Hills près de Los Angeles où il vivait depuis plus de dix ans dans une confortable retraite. Sous le roi Zaher, il avait été un puissant gouverneur de trois provinces afghanes.

Un homme influent et en accord avec les conceptions de la Banque mondiale et des Etats-Unis, c'est Heyadat Amin-Arsala qui est vice-président adjoint et ministre des Finances. Il est le rejeton d'une famille pachtoune éminente et influente de la tribu Ghilzaï. Mais il a travaillé pendant presque vingt ans comme fondé de pouvoir de prêts à la Banque mondiale, de 1968 à 1987. En 1989, dans l'ère post-soviétique émergente, il avait été nommé ministre des Finances du gouvernement intérimaire afghan en exil et en gestation. Il était tenu en haute estime par les diplomates et journalistes occidentaux parce qu'il était «occidentalisé», un fonctionnaire de la Banque mondiale, un familier de ce qu'un diplomate occidental appelait «le sens pratique de la finance internationale». Son «américanisation» avait débuté en 1963 quand il était arrivé aux Etats-Unis, avait fait un passage au Peace Corps [organisme devant assurer une présence civile des Etats-Unis dans divers pays du tiers-monde] comme enseignant avant de commencer un doctorat à l'Université George Washington... Puis il avait trouvé un emploi à la Banque mondiale. Il a épousé une fille de Rye dans l'Etat de New York et «s'est entouré de tous les conforts enviables de la bourgeoisie américaine» 31.

Amin-Arsala avait été ensuite un des fondateurs de l'un des groupes de moudjahidin anti-soviétiques que les Etats-Unis soutenaient, celui que dirigeait le Sayed Pir Gailani depuis Peshawar au Pakistan. Il fut ministre des Affaires étrangères du gouvernement des moudjahidin entre 1993 et 1996 pour devenir durant l'époque des talibans un des plus proches collaborateurs du roi Zaher à Rome et un conseiller de l'USAI. En 1999, il était devenu un directeur d'une des principales entreprises de fibres optiques des Etats-Unis: FibreCore Inc.

Tant Ahady que Arsala semblent personnifier ce qu'écrivait un journaliste dans The Observer:«... une fois terminée la crise immédiate (de l'Afghanistan)... le développement à long terme sera abandonné en sous-traitance aux technocrates qui vont rabâcher les sempiternelles mêmes panacées: libéralisation du commerce, libéralisation financière et déflation à forte dose pour garantir la stabilité macro-économique.»32

Les mêmes remèdes appliqués à la Russie et à l'Argentine présagent du sort de tous ceux qui ne fréquentent pas l'Hôtel Intercontinental.

Les leviers économiques semblent ainsi bien tenus par les monarchistes cosmopolites ayant fait leurs études en Occident mais dont l'influence ne s'étend guère en dehors de Kaboul. Par contre, les forces de répression et le ministère des Affaires étrangères sont dans les mains de trois Tadjiks du Panchir [fief de feu le commandant Massoud] membres de l'Alliance du Nord, le ministre de l'Intérieur Kanouni, celui de la Défense Mohamed Fahim, celui des Affaires étrangères le Dr Abdullah.

Hors de Kaboul commencent les fiefs de toute la coterie bigarrée de seigneurs de la guerre. Après la prise du pouvoir par les talibans en 1996, des membres de l'Alliance du Nord aujourd'hui influents dans le gouvernement avaient imprimé en Suisse, chez une entreprise russo-helvétique Appleline Ltd, d'énormes quantités d'afghanis pour financer leur guerre: de 1996 à 2001, quelque chose comme 7000 milliards d'afghanis ou 175 millions de dollars au taux de change d'aujourd'hui.

Personne ne prétend savoir qui dans l'Alliance du Nord a mis la main sur les liasses d'afghanis. En décembre 2001, juste avant l'intronisation du gouvernement Karzaï, on en imprima vite encore pour 8 millions de dollars 33. Les afghanis furent à la fois dépensés et thésaurisés ce qui fit s'effondrer leur valeur à près de zéro aujourd'hui.

On voit bien ce qui va arriver. Un fossé s'élargira de plus en plus entre un Kaboul occidentalisé et un monde rural paupérisé, sous-éduqué et sans pouvoir.

Le seul espoir d'un rural reste ou bien de trouver un emploi auprès du gouvernement, mais cela reste illusoire face au système de pistonnage contrôlé principalement par les Panchiri [qui monopolisent les services de sécurité afghans et ont des relations tendues avec l'administration Karzaï], ou alors de vivre frugalement à nouveau au village, en comptant sur l'assistance des aides canalisées par les institutions qui s'efforcent de reconstruire.

Mais alors que les gars du Pantchir sont fortement armés et peu disposés au compromis, les monarchistes de Karzaï n'ont pas de canons et dépendent totalement des forces occidentales.

Si les milliards de dollars promis par les donateurs occidentaux devaient se concrétiser – ce qui plus qu'improbable –, ils percoleraient au travers d'une structure politico-commerciale que certains appellent une cleptocratie, engendrant de généreuses rentes au passage jusqu'à ce que le restant aboutisse à payer des salaires aux couches urbaines chargées de superviser et aux travailleurs engagés pour réaliser les projets en question. Le ministre de la Planification du gouvernement Karzaï est le général Hadji Mohammed Mohaqiq, de l'ethnie hazara, qui a été impliqué par le passé dans le pillage des organisations humanitaires à Mazar-e-Charif 34.

La demande «étrangère»

Des légions d'étrangers sont arrivées à Kaboul. En janvier 2002 déjà, on comptait à Kaboul seulement 65 ONG internationales, 20 agences des Nations unies ou organisations internationales 35. Cela a dopé la «demande» et fait s'envoler les prix. Ainsi, une maison dans le quartier de Wazir Akbar Khan [quartier résidentiel] se loue pour 10 000 dollars par mois et une maison avec trois chambres à coucher à Shar-i-nau pour environ 2000 dollars par mois. Les militaires occidentaux en quartier libre, touristes d'un certain genre, sont devenus un élément du paysage quotidien de la principale rue commerçante de Kaboul, Chicken Street, et ne sont pas les derniers à chercher les meilleurs prix 36. C'est une demande solvable dotée d'un profil particulier qui façonne le marché afghan désormais. [...]

Tous les éléments d'information disponibles laissent à penser que l'offre en retour sera fortement basée sur l'importation, vu les traditions du passé et le manque quasi total de quelque industrie indigène que ce soit, mis à part un petit nombre de carcasses détruites d'usines de ciment, d'huile végétale et de textiles, etc. 37 [...]

Tous les observateurs ont été frappés par la nouvelle animation dans les rues des villes afghanes. Par exemple, Steven Gutkin de l'Associated Press, écrivait: «Les ventes de téléviseurs, magnétoscopes, cassettes de musique, vidéos et paraboles, tous les tabous des talibans, sont parties en flèche. Les prix de l'immobilier à Kaboul ont doublé.» 38

A peine une semaine après que les talibans ont précipitamment abandonné Kaboul, les choses changeaient: Ahrash, 17 ans, faisait des affaires en vendant des paraboles TV improvisées découpées dans des bidons. Son père importe des TV en contrebande depuis le Pakistan et les vend plus vite qu'il n'arrive à les livrer 39.

Fin décembre 2001 déjà, les médias occidentaux racontaient avec effusions comment «les femmes afghanes renouent avec la mode»40. Les couturiers de Kaboul faisaient des heures supplémentaires pour coudre des vêtements occidentaux. Une dépêche de Reuters qui sera abondamment citée disait: «Sous les plis amples de sa bourqua bleu ciel, une jeune femme afghane révèle la jambe d'un pantalon cousu par un excellent tailleur en soie pourpre bordé d'un ourlet en or et finement serré sur la cheville. A côté d'elle, une amie peu voilée arbore fièrement une paire de toutes nouvelles chaussures de cuir blanc à très hauts talons qu'elle porte sous une riche jupe de satin vert brillant. Après cinq ans de règne des talibans qui obligeaient les femmes à s'enfermer de la tête aux pieds sous la bourqua et interdisaient aux tailleurs de prendre les mesures du corps de leurs clientes, l'industrie de la mode renaît à Kaboul... "La mode de l'an 2000 ne les intéresse pas, c'est 2001 qu'elles veulent", dit Salah qui possède un magasin de confection à Kaboul, "elles veulent des ensembles pantalon coupés serrés, des jaquettes cintrées et de longues jupes moulantes..."»41[...]

L'arrivée mythique des investissements

Le dynamisme espéré du modèle de l'Hôtel Intercontinental repose entièrement sur une injection continue d'argent venu du dehors. La Conférence de la reconstruction de l'Afghanistan qui s'est tenue à Tokyo en janvier 2002 a abouti à 4,5 milliards de dollars promis à l'Afghanistan sur cinq ans, dont 1,8 milliard pour l'année fiscale 2002.

La plus grande partie des 4,5 milliards, soit 1,2 milliard, a été réservée à la réparation des routes ; 95 % des 50 000 km de routes du pays ont été détruits ou endommagés par la guerre ou la négligence 42. Les routes sont presque infranchissables et la violence et le banditisme y règnent.

Mais la plus grande partie de l'aide promise devra être approuvée par les parlements respectifs, ce qui permet d'étirer les délais. De toute façon, l'aide promise comportait très peu de subventions directes en argent.

Lors de la conférence, Hamid Karzaï a promis que «l'Afghanistan assumera ses responsabilités pour la dette extérieure laissée par tous les gouvernements précédents». En 1990, l'année où les principaux prêteurs internationaux ont cessé de prêter à l'Afghanistan ravagé par la guerre civile, la dette de l'Afghanistan s'élevait, d'après la Cnuced, à 5,5 milliards de dollars. En 1999, le PIB du pays calculé en équivalents dollars de pouvoir d'achat réel, était estimé à 20 milliards de dollars. En postulant un taux d'intérêt annuel de seulement 2 %, cela donne 110 millions de dollars à rembourser chaque année aux créanciers 43.

Mais l'Afghanistan n'a en place aucun système d'impôts et prélever des taxes sur les importations ferait retomber un fardeau écrasant sur les millions de pauvres Afghans qui ne survivent que parce que les biens de première nécessité importés du Pakistan sont très bon marché: le blé, le riz, l'huile de cuisson, l'huile diesel, etc.

Rien ne peut être gagné par le gouvernement au moyen de privatisations, car toutes les centrales hydroélectriques, ainsi que le réseau téléphonique construit par les Chinois, plus moderne que celui du Pakistan, ont été bombardés par l'aviation des Etats-Unis.

Hamid Karzaï est allé à Tokyo avec deux objectifs visibles: réintégrer l'Afghanistan dans la communauté financière capitaliste mondiale et réunir des fonds pour payer les fonctionnaires et ses troupes, et pour pouvoir débaucher quelques bataillons supplémentaires parmi les trop nombreux militaires qui échappent à son autorité 44. Fin février, Amin-Arzala, le ministre des Finances admettait: «Nous ne sommes capables de financer que 3 à 4 % de notre budget en cours sur nos propres ressources.»

Le modèle de l'Hôtel Intercontinental souffre d'un vice de forme fondamental: la croyance que les capitalistes vont investir dans un Afghanistan post-talibans raisonnablement stable.

Mais les capitalistes vont là où il y a des marchés existants et ne créent pas de marché là où il n'y en a pas. Les capitalistes sont des opportunistes du marché et non des faiseurs de marchés. Etant donné la terrible pauvreté de l'Afghanistan, il n'y aura pas d'investissements amorcés par le marché lui-même, mis à part ceux marginaux qui s'adressent à la petite communauté expatriée des étrangers et des exilés plus ou moins rentrés au pays, comme le téléphone satellitaire AWCC ou le transporteur aérien DHL.

A quoi peuvent ressembler «les occasions de faire des affaires dans le nouvel Afghanistan» a été le mieux traduit par Islamoudine Khorami. Il avait fui en 1983 et s'était installé à Long Island près de New York. Il y avait créé l'entreprise Le ciel bleu Afghan. Il fait aujourd'hui un chiffre d'affaires de 150 000 dollars par année en important des bonnets de laine et de la bijouterie manufacturés par des réfugiés afghans au Pakistan. Il prévoit aujourd'hui d'engager 500 salariés dans sa ville natale de Mazar-e-Charif pour tricoter des gants et des pull-overs destinés à l'exportation 45. Ce ne sera qu'un exemple de plus de production à bas salaires dans un pays du tiers-monde pour l'exportation.

Les exemples abondent déjà, du Sri-Lanka à la République dominicaine, du Tibet à la Jamaïque, du Salvador à la Malaisie. Tous visent la même demande concentrée dans les pays les plus riches. Plus il y en a, plus les prix sont bas et plus les salaires sont bas, plus les prix sont encore plus bas, et ainsi de suite, selon en une fameuse spirale descendante «mondialisée». Dans tous ces pays pauvres, la seule connexion avec le marché intérieur sont les salaires de misère payés aux travailleurs.

La véritable source du dynamisme économique en Afghanistan, on la trouve dans la prolifération explosive de petites affaires commerciales en partie basées sur le troc et les échanges de revenus. L'effet global sur le pays résulte de leur volume total et de la diversité de cette sorte de transactions appartenant pour la plupart à l'économie informelle. Une proportion significative de ces échanges ne sont que des achats pour revendre en exploitant des avantages de lieu ou des économies de convenance. Un clair exemple est cité dans un article de Business Week intitulé «Reconstruire l'Afghanistan»: «Les Afghans sont remarquablement débrouillards. Voyez par exemple Sakhi Mohammad qui possède le supermarché de Kaboul dans la rue des Fleurs, une des rares rues commerçantes importantes de la ville à ne pas avoir souffert trop de dommages. Au moment où il a appris que la capitale était sur le point de se remplir de fonctionnaires des Nations unies et d'employés des organisations humanitaires, il a réussi à mettre la main sur les marchandises dont les étrangers sont friands: cigares du Roi Edouard, chocolat Toblerone, biscuits Carr's Crackers, fromage Camembert. Il prétend faire 350 dollars par jour ou cinq fois ce qu'il faisait sous les talibans. "Par le passé, je n'achetais rien de trop chic, dit-il, personne ne l'achetait".»46

Les médias occidentaux ont essayé désespérément de dépeindre une image positive des premiers six mois du système Karzaï. Ils citent à son actif les milliards d'aide qui vont arriver pour reconstruire les écoles et déminer le territoire, les pluies bienvenues après trois ans de sécheresse, et la vitalité commerçante de la rue.

Les troupes occidentales sont censées garantir la sécurité et la stabilité. Mais tout observateur ayant les yeux ouverts doit constater que le panorama n'est guère rose: des tirs de mortiers et de roquettes retentissent encore, les seigneurs de la guerre se battent entre eux, les enlèvements sont quotidiens, l'extorsion est florissante, etc. L'optimisme de commande repose sur la présence de l'armée des Etats-Unis, l'argent étranger, la météorologie favorable, la demande refoulée sous les talibans qui peut s'exprimer sur le marché depuis leur renversement, l'impression frénétique d'afghanis, la renaissance des marchés locaux et les interviews de personnes qui ne risquent pas d'exprimer un avis critique: membres du gouvernement Karzaï ou officiels occidentaux. [...]

En avril, la compagnie aérienne DHL Worldwide Express inaugurait sa représentation à Kaboul: trois vols de ligne par semaine et un bureau dans une villa délabrée située pas loin de l'ambassade des Etats-Unis. C'était la première entreprise étrangère à réaliser un engagement financier direct en Afghanistan. Le principal client de DHL, c'est le Pentagone: pour transporter des composants électroniques de ses hélicoptères Black Hawk endommagés au combat vers une usine Lockheed Martin à Tampa Bay en Floride.

Le 6 avril 2002 a eu lieu l'inauguration du nouveau réseau de téléphone mobile de l'Afghanistan par la AWCC mettant en úuvre une technologie Boeing-Hughes. Un mollah barbu a psalmodié une prière pour l'occasion et le premier appel a été adressé à un émigré afghan en Allemagne depuis l'Hôtel Intercontinental, au moyen d'un téléphone portable à 350 dollars la pièce, par Hamid Karzaï en personne, celui que les correspondants américains à Quetta dans les années 80 appelaient le «guérillero Gucci»47.

1. Dhananjay Mahapatra, «Christmas Party at Kabul's Liveliest Nightspot !», Hindustan Times,26 décembre 2001.

2. Voir «Afghanistan 1977 – Kabul, The Capital City», sur le site: http://www.neseabirds.com /  Afghanistan / Kabul.htm. Les troupes allemandes ont passé leur première nuit à Kaboul, le 11 janvier 2002, dans la vieille fabrique de Coca-Cola.

3. Titre d'un article par Paul Haven daté du 1er avril 2002. Voir aussi la dépêche de l'Associated Press, «ELLE Funding Afghan Women's Magazine» du 1er avril 2002.

4. Uwe Parpart, «Reconstructing Afghanistan – On Oil and Gas», Asia Times Online,24 novembre 2001.

5. Pour plus de détails sur les rubis en Afghanistan, voir Richard W. Hughes, «The Rubies and Spinels of Afghanistan – A Brief History», Journal of Gemmology24,4, octobre 1994: 256-267.

6. Olga Borisova, «Afghan Mineral Wealth Will Turn Anti-terror War into Colonialism – Kazakh Paper», Hoover's OnLine,28 avril 2002. Il y a quinze ans environ, des émeraudes de très bonne qualité avaient été trouvées en Afghanistan. Un carat d'émeraude afghane non polie peut se vendre à plus de 300 dollars en Occident et c'est plus de 10 carats qui peuvent être extraits en lavant un mètre cube de roche. L'extraction est réalisée par des petits groupes d'hommes qui vendent à des marchands dans les villages de vallée comme Khenj, Safitchir, etc. Les mines sont souvent situées à plus de 4000 m d'altitude. Voir Joel Donnet, «Les émeraudes de la survie du Panshir», septembre 1999, et Lucian Kim, «Afghanistan's Emerald Heights. The Gem-Studded Mountains Are a Pot of Gold for Anti-Taliban Forces», Christian Science Monitor, 25 juillet 2000.

7. Ted Anthony, «Hotel is Annex of New Afghan Government», Associated Press, 9 janvier 2002. 

8. Abdul Rahman, un Tadjik, avait aussi été ministre de l'Aviation sous le gouvernement moudjahidin brutal de Rabbani de 1992 à 1996.

9. David Butwin, «Adventures in Afghanland – I. The Flying Bazaar», Saturday Review 52, 25 octobre 1969, pp. 44 et suiv. Quand les soviétiques avaient envahi l'Afghanistan en 1979, l'Hôtel avait été abandonné.

10. Helen Hughes, «What Future Exists for Afghanistan ?», The Australian Financial Review, 30 novembre 2001.

11. Luke Harding, «Memories of a Vanished Land», The Guardian, 29 septembre 2001.

12. Absar Alam, «Heir Apparent [Hamid Karzai]», Al-Ahram Weekly Online, 20-26 décembre 2001. Une excellente étude sur Karzaï est celle de Justin Huggler, «Hamid Karzai: Steel in an Afghan Cloak», The Independent, 2 février 2002.

13. Marc Erikson, «Analysis. M. Karzai Goes to Washington», Asia Times OnLine, 29 janvier 2002. 

14. D'amples détails à propos des aventures afghanes de l'équipe Bush et le pétrole sont racontées dans: Larry Chin, «Players on a Rigged Grand Chessboard: Bridas, UNOCAL and the Afghanistan Pipeline», OnLine Journal,10 mars 2002: http://www.onlinejournal.com / Special_ Reports / Chin031002 / chin031002.html

15. Ben Aris and Ahmed Rashid, «Control of Central Asia's Oil is the Real Goal», Sydney Morning Herald, 25 octobre 2001.

16. Shelley Alpern, «Slouching To [and From] Kabul», Trillium Asset Management Quarterly Newsletter, janvier 1999.  

17. «Customer Takes Control of Thuraya», Space Daily, 6 février 2002.

18. Ron Synovitz, «Afghanistan: First Commercial Mobile-Phone Network Launched», Radio Free Europe/Radio Liberty, 8 avril 2002, et Michael Zielenziger, «Cellphone Network Debuts in Afghanistan», Miami Herald, 7 avril 2002.

19. Parfois, des libéraux anxieux présentent le «Mozambique comme un modèle pour l'Afghanistan». Le Mozambique a mis fin en 1992 à 16 ans de guerre civile par un accord de paix et 6,5 milliards de dollars d'assistance de la part de la communauté internationale. En termes purement comptables, l'économie mozambiquaine a crû. Mais la comparaison ne tient pas. Le Mozambique n'a jamais eu les profondes divisions ethniques de l'Afghanistan. Le FRELIMO, avait mené la lutte de libération nationale contre le Portugal, a accédé au pouvoir, ce qui est très différent du gouvernement Karzaï bricolé à Bonn par les puissances étrangères. Le Mozambique d'après 1992 a adhéré à la prescription néolibérale et a fait très peu de progrès pour soulager la pauvreté. Plus de 70 % de ses 18 millions de citoyens vivent avec 45 cents de dollar par jour. Voir «Mozambique a Model for Afghanistan», South African Press Association [SAPA], 28 décembre 2001, et spécialement Nicole Itano, «Lessons for Afghanistan From Mozambique», Christian Science Monitor, 12 avril 2002. 

20. «Kabul's Water Crisis», Eurasianet, 10 février 2002.

21. Agence France-Presse, «Afghan Carpet Industry Unraveled by War», 11 novembre 2001.

22. Muhammad Yunus et Roshaneh Zafar, «Commentary: Help Poor Afghan Women to Help Themselves. Microcredit Empowers Third World Families by Funding Small Business», Los Angeles Times,29 avril 2002.

23. Niko Price, «Little Change for Kabul's Poorest», The San Francisco Examiner, 22 avril 2002.

24. Gwen Florio, «Afghan Widows' Hope Wear Thin», Denver Post, 3 décembre 2001. 

25. Terry McCarthy, «Eking Out an Existence in Kabul», Time Asia, 11 janvier 2002.

26. OMS Afghanistan, «Unsafe Water is A breeding Ground of Disease and Poverty. 3.4 million People, Mostly Children Die Annually From Water Related Diseases», Communiqué de presse de l'OMS en Afghanistan, 14 mars 2002.

27. Bernard Imhasly, «Notes From Kabul», Neue Zuricher Zeitung, 18/19 juillet 1998.

28. De http://www.globalresearch.ca/articles/PER202A.html qui cite Peripheries, 27 janvier 2002.

29. Détails dans «New Seeds Bring Hope to Afghan Farmers», Future Harvest News release, 22 avril 2002: www.futureharvest.org/news/afghanistan2.shtml

30. Margarette Driscoll, «I Thought I'd Never See Kabul Again [Fatima Gailiani]», Sunday Times, 3 février 2002. Dans le contexte de l'Afghanistan, les Gailanis étaient riches et privilégiés.

31. Tiré de la biographie très détaillée de Steve Coll, «The Afghan Exile's Tug of War ; Leaving His Chevy Chase Home, Hedayat Amin-Arsala Struggles to Unite His Countrymen», Washington Post, 30 août 1989.

32. Larry Elliott, «A Choice Only Afghanistan Can Make», The Observer, 15 octobre 2001.

33. Dexter Filkins, «In Afghan War, Top Exiles Printed Themselves a Fortune», New York Times, 2 mai 2002.

34. Manning, op.cit., mais aussi Andrew Bushell, «What's the Future Hold ? Officials of the New ‘Government' Steal Grain, Counterfeit Money, and Maintain Private Armies. Can the Interim Leader Karzai Fashion a Nation out of Feudal Chaos ?», The Boston Phoenix, 31 janvier 2001.

35. Larry Thompson, «Rebuilding From Within», Washington Post, 28 janvier 2002. Thompson travaille avec Refugees International.

36. Pour une excellente description de la «normalité» retrouvée à Kaboul: Bernard Imhasly, «New "Normalcy" in Kabul. Everyday Scenes Post-Taliban», Neue Zuricher Zeitung, 10 avril 2002: www.nzz.ch/english/background/2002/04/10_afghanistan.html.

37. Voir Marc W. Herold, «Stirrings of Modernity in the Monarchial Afghan State, 1930-1950» [Durham, N.H.: manuscript non publié, Department of Economics, University of New Hampshire, November 2001].

38. Steven Gutkin, «Rebuilding Shattered Afghan Economy Will Require Colossal Effort», Associated Press, 13 mars 2002.

39. «In Ancient, Traditional Kabul, Post-Taliban Change is in no Rush», Hindustan Times,21 novembre 2001.

40. «Fashion. Afghan Women Back With Fashion», Shiksha vol. I, issue 83, avec photos: http://www.skiksha.com/issue83/fashion.htm

41. Reuters, «Afghan Fashion Industry Reborn After Taliban's Fall», 28 décembre 2001.

42. Douglas Birch, «Afghanistan's Lost Highways. Disrepair: Broken by 20 Years of War and Neglect, The Nation's Roads Are Ruled by Bandits and Beggars, and the Disorder Could Threaten the New Government», The Baltimore Sun, 29 avril 2002.

43. Chiffres également cités dans Erikson, op. cit.

44. Tiré de Yoichi Shimatsu (The Japan Times Weekly), «Debt Collection, Not Aid,Was the Real Priority of the Afghan Reconstruction Conference», daté du 25 janvier 2002.

45. «Businesses See Opportunity in New Afghanistan», St. Petersburg Times, 26 novembre 2001.

46. «Rebuilding Afghanistan From Scratch. Can the Country's Untested Leaders Remake a Country in Shambles ?», Business Week Online, 31 décembre 2001.

47. Synovitz, op. cit. Le terme «guérillero Gucci» est de Erikson, op. cit.

* Départements d'économie et d'études féminines (Women Studies), Whittemore School of Business & Economics, Université du New Hampshire, Etats-Unis. Cette étude a été effectuée en mai 2002.


A lléguer qu'un des facteurs prépondérants de la guerre en Afghanistan résidait dans la volonté des Etats-Unis - exprimée depuis le milieu des années 1990 par des fractions des classes dominantes - d'étendre leur emprise en Asie centrale pouvait apparaître, il y a encore un an, comme relevant d'une conception quasi comploteuse de l'histoire.

Aujourd'hui, il est difficile de le dénier. En mars 2002, la revue française autorisée, Défense nationale, constatait: «L'intervention américaine en Afghanistan est, pour l'Asie centrale, un événement majeur, absolument nouveau[...]. L'implication occidentale, même économique était, sauf au Kazakhstan, plutôt limitée et peu orientée vers les problèmes de défense. Cependant, voici que la superpuissance mondiale est décidée à s'engager en Afghanistan avec un luxe de moyens militaires et humanitaires, et toute sa force moderniste. Par l'installation de bases aériennes, par les promesses politiques et financières, l'action entamée déborde déjà, du Pakistan à la Kirghizie, sur le pourtour afghan. L'ampleur de cet engagement, son développement systématique en profondeur, mais aussi les déclarations des responsables américains qui soulignent l'importance géopolitique de toute l'Asie centrale, amènent à se poser des questions sur les motivations de la Maison-Blanche. Ne dépassent-elles pas le cadre, somme toute étroit, de l'affaire afghane ? Ne concerneraient-elles pas aussi, à terme, le contrôle et la défense des ressources en hydrocarbures de la Caspienne et, à échéance plus lointaine, une prise à revers de la Chine ? A la longue, si les Etats-Unis insistent, toute l'Asie centrale devrait être concernée, en tout domaine, par ce «débarquement américain» et pourrait donc s'ouvrir en grand à l'influence occidentale.»Rien à ajouter. Si ce n'est confirmer que les Etats-Unis insistent. Ce qui confirme les racines impérialistes de cette guerre.

Quant à Karzaï, la presse fort peu «anti-américaine» se doit de reconnaître que: «Aux yeux des Afghans, le cabinet [de Karzaï] apparaît de plus en plus comme une marionnette des Etats-Unis.» (Le Monde, 12 septembre 2002). Le Financial Timescite, lui, un expert de l'ONU: «Sa dépendance envers les Américains ne convient pas au commun des Afghans» (9 septembre 2002). Il est vrai que le Département d'Etat américain discute, sans fard, de remplacer les soldats des Forces spéciales US qui protègent Karzaï par une société privée: DynCorp (société sise à Reston, en Virginie). Cette firme est engagée dans la contre-guérilla en Colombie (New York Times, 19 septembre 2002) !

Le 31 août, la Cour suprême de Kaboul confirmait la décision de Mohammad Isqah, un des dirigeants de l'Alliance du Nord et directeur de la télévision nationale, d'interdire les films indiens... car on y voit des femmes dévoilées. Les chanteuses sont aussi interdites d'onde sur les radios (BBC-News,28 août, et Dawn (Pakistan), 1er septembre 2002).

Les seigneurs de guerre afghans ont plus de pouvoir que Karzaï et leurs revenus reposent sur toutes sortes de commerce, de contrebande, de pillage. On se demande sur quoi reposera le nouvel afghani (monnaie) qui sera introduit en octobre! Car les promesses des donateurs de la conférence de Tokyo (21-22 janvier 2002) - 4,5 milliards de dollars sur cinq ans - restent en l'air ; les plaies de l'Afghanistan restent, elles, ouvertes.

Qu'importe. Le dictateur Musharraf est aux ordres. Et les dictatures d'Asie centrale sont coopératives. Les troupes américaines sont implantées en Ouzbékistan, au Tadjikistan et au Kirghistan. Pour la défense de quoi ? De la «démocratie», comme dans le Golfe, en Turquie et au Pakistan. - cau

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