N°7 - 2002

Bilan de la grève des métallos. Entretien avec U. Bonn et T. Adler, membres de l'IG Metall

Un élan brisé net

Des dizaines de milliers de métallos ont participé à un mouvement de grève en Allemagne, du 6 au 15 mai. C'est la première fois depuis 1995 que le syndicat IG Metall dépasse le stade des grèves d'avertissement (Warnstreik) pour organiser une grève en vue d'un renouvellement du contrat collectif de travail de l'industrie des machines et de l'automobile. Le 15 mai, la direction de l'IG Metall et celle de l'association patronale, Gesamt­metall, ont conclu un accord, qui a de fait mis un terme au mouvement. Les salarié·e·s revendiquaient 6,5 % d'augmentation pour une période de 12 mois ; ils ont obtenu nettement moins: 3,36 % pour une période de 22 mois.

Compte tenu du poids économique de l'industrie des machines allemande en Europe, et de l'importance de l'IG Metall au sein du mouvement syndical allemand et européen, l'impact de cette grève, et de son abrupte conclusion, dépasse largement les frontières du secteur et de l'Allemagne. Cette mobilisation intervient de plus dans un contexte marqué, en Allemagne, par les élections fédérales en septembre prochain et, au niveau européen, par un certain renouveau des luttes ouvrières (la grève générale en Italie ; les mobilisations en Espagne, notamment lors du sommet européen de Barcelone ; les actions syndicales, qui affirment leur indépendance face au Labour, à La Poste et aux chemins de fer britan­niques ; en Allemagne même, dans le sillage des métallos, les revendications dans la construction, la vente et l'imprimerie, etc.).

Pour mieux se faire une idée de ce qu'a représenté cette lutte des métallos en Allemagne, nous nous sommes entretenus avec deux syndicalistes, membres de l'IG Metall: Udo Bonn, membre du con­seil d'entreprise (Betriebsrat) du constructeur de machines Atlas Copco à Cologne (Rhé­nanie du Nord-Westphalie), porte-parole des personnes de confiance de cette entreprise, et Tom Adler, membre du conseil d'entreprise de DaimlerChrysler à Stuttgart-Untertürkheim et membre de la commission contractuelle (Tarif­kom­mission) de l'IG-Metall pour de Bade-Wurtemberg.

Sortir du piège de l'«Alliance pour le travail»

Pourquoi le renouvellement du contrat de l'industrie des machines et de l'automobile a-t-il débouché cette année sur une grève, pour la première fois depuis 1995 ? Pour Udo Bonn, «une des premières causes est à chercher dans l'«Alliance pour le travail» (Bündnis für Arbeit) mise en place par le gouvernement Schröder et réunissant autour de lui les représentants des syndicats et des associations patronales. Durant trois ans, l'Alliance pour le travail a servi de fait à la mise en place d'une forte modération salariale. Le mauvais accord conclu par l'IG Metall en 2000 pour une durée de deux ans - et qui avait mécontenté de nombreux salarié·e·s - en est un exemple. L'argument était le suivant: cette modération salariale se traduira, d'une manière ou d'une autre, par des créations de places de travail. Or cela n'a nullement été le cas. L'appareil de l'IG Metall a fait le bilan qu'il n'était plus possible de continuer avec cette politique. En janvier, le syndicat s'est donc retiré préventivement de l'Alliance pour le travail, pour sortir de ce corset salarial.»

Pour les salarié·e·s, deux autres considérations ont aussi joué. «Premièrement, poursuit Udo Bonn, ils ont constaté les profits massifs engrangés par les entrepri­­ses ces dernières années. Deuxiè­me­ment, ils ont fait l'expérience que le passage à l'euro a été accompagné d'une forte hausse des prix des biens de consommation courants et des services, contrairement à ce qui avait été promis. C'est moins le cas des loyers ; par contre, les prix de l'alimentation, des billets de cinéma (+25%), de la bière, des repas au restaurant ont pris l'ascenseur. En ce début d'année, les salariés ont donc fait l'expérience qu'ils ont besoin de plus d'argent pour tourner.»

«Vraiment ras-le-bol»

Mais l'écho rencontré par la mobilisation parmi les salarié·e·s s'explique aussi par ce qu'ils vivent, et subissent, depuis des années dans les entreprises. «Flexibilisation, dégradation des conditions de travail, multiplication des tracasseries de la hiérarchie: les gens en ont vraiment ras-le-bol, constate Tom Adler. Dire oui à la grève, c'était aussi une manière de faire ses comptes avec son entreprise.»C'est exactement le même bilan que fait Udo Bonn: «Ces dernières années, les salarié·e·s ont vécu, dans un très grand nombre d'entreprises, une détérioration nette des conditions de travail, des formes de travail toujours plus flexibles, la suppression des acquis de boîte, supérieurs aux normes minimales du contrat national, etc. Les salarié·e·s ressentent très violemment ces changements. La grève est l'occasion d'exprimer son ras-le-bol à ce sujet.»

Une mobilisation qui démarre très fort

Ces différents éléments ont créé un contexte favorable pour agir. «En avril, constate Udo Bonn, la participation aux grèves d'avertissement a été excellente, dans toute l'Allemagne. La mobilisation était très nettement meilleure que les années précédentes: plus de 700 000 salarié·e·s y ont pris part. Le secteur des employés, moins organisé syndicalement, a davantage participé aux débrayages, dont certains ont duré plusieurs heures. Un argument revenait régulièrement: «Toute cette modération n'a rien apporté ; nous devons aujourd'hui faire en sorte que notre paie augmente.» C'était un bon signe pour la suite.»

Ce constat ne veut pas dire que l'état d'esprit était le même partout: «Il est probable que le climat est un peu moins revendicatif dans les Länder de l'est, analyse Udo Bonn. Même dans ceux de l'ouest, l'ambiance variait beaucoup selon les régions et les entreprises. Dans le sud, en Bavière ou en Bade-Wurtemberg, des entreprises ont par exemple revendiqué 10 % d'augmentation. Ici en Rhénanie du Nord-Wesphalie (RNW), une région où il y a davantage d'entreprises de taille moyenne installées dans des régions rurales, les revendications tournaient plutôt autour de 3 ou 4 %. Certaines entreprises étaient même pour ne rien revendiquer. Cependant, durant la discussion qui a précédé l'établissement de la revendication, ce sont les entreprises les plus combatives qui ont donné le ton.»

«En grève pour la première fois depuis des générations»

Cette disponibilité s'est ensuite retrouvée dans la grève. Tom Adler travaille dans l'Etat de Bade-Wurtemberg, le Land où la grève a effectivement été menée, avec un appui, dès la deuxième semaine, de Berlin-Brandebourg. «La participation à la grève a été très bonne. En Bade-Wurtemberg, la dernière grève date de 1984 [celle de 1995 s'était centrée sur la Bavière]. Cela signifie que la grande majorité des salarié·e·s qui ont fait grève l'ont fait pour la première fois ; seulement 30 % à 40 % des collègues qui étaient présents en 1984 sont encore là aujourd'hui.»

Le syndicat avait choisi pour cette bataille une nouvelle tactique de grèves tournantes. Cela a eu pour effet d'impliquer dans l'action un très grand nombre d'entreprises: «Dans le sud du Bade-Wurtemberg, dans des régions qui ne sont pas des centres industriels, c'était la première grève depuis des générations pour un grand nombre de salarié·e·s de petites et moyennes entreprises», explique Tom Adler.

De plus, de l'avis de Udo Bonn, les employeurs avaient «un problème avec l'opinion publique. Cette dernière n'était pas opposée à la grève, contrairement aux années précédentes au cours desquelles faire la grève était toujours ressenti comme quelque chose de terrible. Les employeurs n'avaient pas réussi à imposer leur vision des choses.»

Les raisons de la grève tournante

La direction de l'IG Metall présente son concept de «flexi-grève», c'est-à-dire de grèves tournantes d'un jour chacune, comme une tactique permettant d'éviter la mise au chômage technique d'entreprises. «Ce problème du chômage technique est un problème sérieux,explique Udo Bonn. C'est la conséquence d'une disposition antigrève introduite par le gouvernement Kohl, dans les années 80: les salarié·e·s qui se retrouvent au chômage technique suite à un mouvement de grève - ce qui arrive très rapidement compte tenu de l'importance de la sous-traitance et de la réduction massive des stocks - n'ont pas droit aux indemnités de chômage. Le syndicat ne peut pas non plus les indemniser et cette situation exerce une très forte pression pour interrompre le mouvement. Le gouvernement Schröder avait promis de modifier la loi de manière à ce qu'en cas de chômage technique, les personnes touchées aient droit au chômage. Or, il ne l'a pas fait. De plus, ce concept de grève est un bon moyen d'impliquer activement le plus grand nombre possible de salariés dans la grève. Les problèmes pouvaient apparaître s'il y avait blocage et que les grèves d'une journée restent la seule forme d'action. La pression sur les employeurs serait alors trop faible. Au début du mouvement, on avait discuté de faire une distinction entre les entreprises pouvant provoquer rapidement du chômage technique, où l'on s'en tiendrait aux grèves d'un jour, et d'autres, qui deviendraient des centres de gravité du mouvement, avec des grèves qui se prolongent sur plusieurs jours. Mais on n'en est pas arrivé là.»

Cet élargissement de la participation à la grève s'est-il aussi traduit par l'engagement de nouvelles couches de salarié·e·s ? Tom Adler et Udo Bonn sont prudents. «Je ne peux pas dire cela, estime Tom Adler. Les jeunes n'ont pas joué un rôle plus important qu'en 1984. Alors, les collègues étrangers jouaient un rôle très important ; c'est aussi le cas aujourd'hui.» Pour Udo Bonn, ce serait «aller trop loin que d'affirmer que l'on assiste à l'émergence d'une nouvelle couche combative de salarié·e·s». Certes, il y a eu «un engagement plus important des employé·e·s ; mais cela se fait pour l'instant plutôt de manière passive. Les apprentis sont aussi très présents. Lors du dernier renouvellement du contrat, ils n'avaient rien obtenu en termes de salaire, en échange de la prolongation de 6 mois à 1 année de l'obligation qu'ont les entreprises de les engager à la fin de leur formation.»

«Il y avait plus à gagner que cela»

C'est dans ce contexte qu'est tombé l'accord négocié le 15 mai, au 7e jour du mouvement (cf. encadré ci-dessous). Tom Adler est «d'avis que le syndicat n'a pas utilisé toutes les possibilités qui existaient et qui se sont accrues avec la forte mobilisation. Le résultat est non seulement inférieur aux attentes des membres, mais il est inférieur à ce qu'il aurait été possible d'obtenir. Si l'on prend en compte la dynamique de la mobilisation et de la confrontation, si l'on considère comment la combativité a pris de l'ampleur, si l'on observe les craintes qu'avaient les employeurs, le bilan est net: il y avait plus à gagner que cela.» Udo Bonn estime qu'avec cet accord, «on a gaspillé une grande chance de réaliser enfin ce que la direction de l'IG Metall et Zwickel [le président d'IG Metall] annonçaient depuis des années, à l'occasion du renouvellement des contrats: «en finir avec la modestie». Si l'on considère l'accord du strict point de vue financier, on arrive à une augmentation globale réelle de 3,36 % pour 22 mois, ce qui est très loin des 6,5 % pour 12 mois revendiqués.»

Quel est l'accueil de cet accord parmi les salarié·e·s ? Au moment des entretiens [20-21 mai], les votations générales n'avaient pas encore eu lieu et le recul manque pour une vue d'ensemble. Tom Adler et Udo Bonn sont prudents. Ils livrent cependant quelques éléments d'appréciation: «Je ne peux donner que des indications limitées, précise Tom Adler. Chez Bosch [accessoires automobiles], par exemple, l'accord a été très vivement critiqué par les personnes de confiance. Chez nous à DaimlerChrysler, il y a eu une assemble générale des militants syndicaux. Ceux qui défendaient l'accord ont dû essuyer de très fortes critiques. Il en a été de même chez Man Roland [machines à imprimer]. Cela dit, je ne sais pas encore comment cet accord sera vécu. Il y a une grosse colère ; mais je ne sais pas si cet accord aura un effet démobili­sateur.» Udo Bonn est également nuancé: «En Rhénanie-du-Nord-Westphalie, les gens ne sont pas si mécontents avec l'accord, à ce que j'ai pu constater. Il ne faut pas oublier qu'il n'y a pas eu de grève dans la région. De plus, même si l'impact réel sera une augmentation de 3,36 % sur 22 mois, pratiquement, les gens vont voir leur fiche de paie augmenter de 4 % en juin de cette année, et une nouvelle fois de 3,1 % en juin 2003. Je ne pense donc pas que l'accord aura un effet démobilisateur. Mais, en même temps, il n'y aura pas non plus de nouvelle dynamique combative, contrairement à ce qu'aurait pu faire espérer l'ampleur de la participation à la grève.»

Pour Udo Bonn, un point de l'accord va particulièrement susciter des critiques à l'échelle nationale: la clause d'exception introduite, qui permet aux entreprises en difficulté de déroger à l'application du contrat: «C'est la première fois qu'une telle clause est introduite en lien avec les salaires. Les conditions pour sa mise en œuvre sont relativement contraignantes, davantage par exemple que celles pour des clauses d'exception existant déjà dans le domaine de l'emploi. Mais le fait même d'introduire une telle clause est très négatif.»

«Un bon accord pour Schröder»

Comment expliquer la conclusion de cet accord ? Tom Adler voit un ensemble de causes. «La première est justement le fait que la mobilisation avait pris une certaine dynamique. Un appareil syndical a toujours peur d'en perdre le contrôle. L'autre cause est certainement le fait que le «corridor» pour un accord, prédéfini au niveau politique, était très étroit. Depuis des semaines, 4 % avait été présenté comme le maximum pour qu'un accord n'ait pas d'effet négatif pour le gouvernement Schröder. La direction de l'IG Metall a finalement respecté ce cadre, ce qui est une indication du fait qu'elle ne veut pas de vrai conflit avec le chancelier. Durant la dernière période, elle avait déclaré à de nombreuses reprises qu'il ne fallait pas, dans ce conflit, prendre en considération le gouvernement. L'accord conclu indique exactement le contraire.»

Lors d'un premier entretien, alors que la grève était encore en cours, Udo Bonn appréciait ainsi le rôle du gouverne­ment: «Pour l'instant, le gouvernement fait des pressions, mais en coulisses. Publiquement, le discours est: «Certes, la grève est possible ; mais elle ne doit pas affaiblir l'économie.» Il faut noter que c'est aussi ce qu'a dit Gregor Gysi du PDS [ex-SED de l'Allemagne de l'Est], sénateur [membre de l'exécutif] de Berlin, responsable de l'économie, devant des métallos de Berlin: une grève trop longue serait nocive. Il s'est aussi prononcé indirectement contre une égalisation des salaires entre les Länder de l'est et ceux de l'ouest, au nom de la défense des avantages comparatifs des premiers.» Udo Bonn poursuivait: «Il y a eu publiquement un conflit relativement violent entre la direction de l'IG Metall et le SPD. Klaus Lang, qui est le responsable du département de la politique contractuelle de l'IG Metall et qui est un peu le chef théoricien du syndicat, a tenu devant une conférence ouvrière du SPD des propos très durs contre la «politique du milieu» [Politik der Mitte] de Schröder. Il s'est aussi prononcé contre la campagne électorale de Schröder, qui vise à se présenter uniquement comme l'anti-Stoiber [le candidat du camp conservateur, président du Land de Bavière et patron de la CSU] et à utiliser l'épouvantail d'une victoire de droite pour refuser toutes les revendications syndicales. L'IG Metall veut garder son indépendance face au gouvernement. C'est aussi la conséquence du constat que Schröder n'a tenu aucune de ses promesses. Même les changements en matière de participation dans les entreprises sont si maigres que l'IG Metall ne peut pas les présenter comme un exemple de victoire acquise grâce au gouvernement. Et sur les autres terrains, comme les assurances sociales ou la politique fiscale, c'est pire: le gouvernement a fait subir des défaites aux salarié·e·s et aux syndicats. Cela ne veut évidemment pas dire que l'IG Metall va complètement changer d'orientation. On en est très loin et, de toute manière, les forces militantes manqueraient pour cela. Il n'y a d'ailleurs pas de discussion allant dans ce sens.»

L'accord conclu, Udo précise: «C'est un bon accord pour Schröder. Cela m'oblige à réviser un peu mon opinion au sujet des rapports entre le syndicat et le gouvernement et cela constitue pour moi, de fait, la plus grande déception. Avec cet accord, l'IG Metall s'est à nouveau rapprochée du gouvernement. Je ne sais pas comment cela va se répercuter sur l'Alliance pour le travail. Mais, deux jours après la signature de l'accord, le président du DBG [l'Union syndicale en Allemagne], Dieter Schulte, annonçait qu'il était indispensable que se tienne avant septembre [le mois des élections fédérales] une nouvelle ronde de négociations dans le cadre de l'Alliance pour le travail, afin de décider quelque chose au sujet du chômage. On verra comment l'IG Metall se réintégrera à ce processus. Je peux imaginer que cela se fera avec des réserves. Mais cela signifie que les syndicats font la campagne pour Schröder. Même si, simultanément, ils maintiennent, par exemple, une mobilisation nationale des jeunesses syndicales, conjointe avec Attac, à Cologne une semaine avant les élections de septembre, avec le mot d'ordre: «Maintenant, il faut redistribuer !»

Employeurs «plus que contents»

Pour Tom Adler, cet accord «ne posera aucun problème aux employeurs». Les gains de productivité, la poursuite des restructurations, l'extension de la flexibilité permettent sans problème d'absorber cette légère augmentation des charges salariales. Udo Bonn est encore plus catégorique: «Les employeurs sont plus que contents. Il n'y a qu'en Saxe-Anhalt qu'il y a une tentative patronale de torpiller l'extension nationale de l'accord conclu en Bade-Wurtemberg. C'est une région de l'est où il y a eu de forts investissements. Mais les associations patronales nationales font pression pour que tout rentre dans l'ordre. Il en est allé de même lorsque les associations patronales de Bavière et de Basse-Saxe ont écrit à leurs membres, au cours du conflit, pour les inviter à devenir des membres non soumis au contrat. Les centres patronaux ont violemment attaqué cette démarche et ces lettres ont dû être retirées.» Cela confirme son opinion que les menaces récurrentes, formulées lors de chaque renouvellement de contrat, de démissions en masse de l'association patronale, et donc des contrats nationaux négociés avec les syndicats, restent pour l'instant des moyens de pression et pas une stratégie.

Tentative de coordination de la gauche syndicale

Ce renouvellement du contrat de l'industrie des machines a été marqué par une campagne indépendante menée par les syndicalistes de gauche sur le thème «Un renouvellement contractuel 2002 mené à partir d'en bas» (Tarifrunde 2002 von unten). Quel premier bilan en faire ? Tom Adler explique que «c'était la première tentative pratique de mettre en réseau nos activités au sein du syndicat, afin non seulement de débattre mais aussi d'intervenir de manière coordonnée à l'occasion d'une échéance concrète. Durant la phase préparatoire, cela a relativement bien marché. Sans exagérer, je crois que la revendication retenue aurait été inférieure à 6,5 % si nous n'avions pas pu coordonner les voix s'exprimant à la base et intervenir ainsi dans le débat. De ce point de vue, cela a été un succès. Mais l'accord négocié et l'interruption brutale du mouvement montrent aussi les limites de la gauche syndicale. Si nous avons eu une influence sur la revendication, nous ne sommes pas suffisamment organisés pour pouvoir empêcher qu'un résultat de négociation marque de facto la fin d'un mouvement pour le renouvellement du contrat.»Udo Bonn ne veut également pas exagérer l'importance de cette campagne animée par un réseau syndical, l'«Initiative pour la mise en réseau des gauches syndicales», qui se réunit depuis 4 ans (cf. www.labournet.de / GewLinke /). «Nous avons essayé d'agir de manière plus coordonnée ; nous avons publié deux feuilles d'information. Mais, à l'exception peut-être du Land de Bade-Wurtemberg, on ne peut pas dire que cette action a eu vraiment une influence durant la campagne contractuelle. En fait, depuis 1989, la gauche syndicale s'est énormément affaiblie.»

Il est encore trop tôt pour anticiper la manière dont ces réseaux de syndicalistes combatifs pourront faire, avec des secteurs de salariés, un bilan de cette bataille contractuelle, et comment cette expérience va se traduire sur le rapport de force dans les entreprises. Pour Udo Bonn, cette bataille a permis «beaucoup de discussions avec les collègues, comme jamais depuis longtemps. Nous avons appris à mieux nous connaître. Mais, on ne peut actuellement pas en dire plus» au sujet de son impact sur l'influence des syndicalistes combatifs. «Dans les entreprises, estime Tom Adler, le rapport de force va largement dépendre d'une chose: est-ce que les collègues qui ont critiqué l'accord, et qui ont joué un rôle moteur dans la mobilisation, vont le vivre comme une défaite ? Pour l'instant, je ne le sais pas. D'un autre côté, que la grève ait eu lieu a fait faire l'expérience qu'il est possible de fonctionner autrement. Cela aussi va peser sur les réactions face à la flexibilisation - à laquelle l'IG Metall a laissé jusqu'à maintenant les portes ouvertes - et aux dégradations des conditions de travail.»


De la grève à l'accord du 15 mai

1-La revendication présentée par le syndicat IG Metall portait cette année essentiellement sur deux points: 1) une augmentation salariale de 6,5 % pour une période de 12 mois ; 2) l'harmonisation des accords-cadres salariaux des employés et des ouvriers (ERA, cf. ci-dessous).

2-Si l'accord (Tarifvertrag) conclu entre syndicat et association patronale a, de fait, une dimension nationale, il est formellement négocié à l'échelle régionale, au niveau d'une région tarifaire (Tarifgebiet). Conclu, l'accord est ensuite repris tel quel, ou avec quelques aménagements, dans les autres régions.

Cette année, l'IG Metall a choisi de faire avancer la négociation dans la région du Bade-Wurtemberg. C'est le centre notamment de l'industrie automobile (Daimler­Chrysler en particulier) et le siège d'entreprises qui ont réalisé des profits très élevés ces dernières années, comme Porsche. Le patron de l'IG Metall en Bade-Wurtemberg, Berthold Huber, est, par ailleurs, un des aspirants à la succession de Klaus Zwickel à la tête de l'IG Metall, en 2003.

C'est donc également dans cette région qu'ont eu lieu les grèves, après les débrayages d'avertissement qui s'étaient déroulés en avril dans toute l'Allemagne. Après une semaine de mouvement, l'IG Metall a étendu la grève à la région de Berlin-Brandebourg. Ce choix correspond à la volonté d'indiquer la dimension nationale de la lutte menée et de signifier que le syndicat n'accepte pas un accord au rabais pour les Länder de l'est.

3- Pour qu'il y ait grève, les membres du syn­dicat sont appelés à se prononcer lors d'une votation générale. Une majorité de 75 % des voix est nécessaire. Ces pourcentages ont été très nettement dépassés. En Bade-Wurtemberg, 96,2 % des membres du syndicat ont participé à la consultation et se sont prononcés à 90,04 % pour la grève. A Berlin-Brandebourg, la participation a été de 87,2 %, avec 85,7 % pour la grève.

4-Lorsqu'un accord est conclu, il doit également être soumis à la votation générale des membres. Dans ce cas, il ne faut cependant que 25 % de suffrages positifs pour que l'accord soit considéré comme accepté (puisqu'une majorité de 75 % serait nécessaire à la poursuite de la grève...).

5- Les principaux points de l'accord conclu le 15 mai sont les suivants:

•       Pour les mois de mars et avril 2002, il n'y a aucune augmentation des salaires.

•       Pour le moi de mai 2002, une indemnité forfaitaire de 120 euros, correspondant à 4 % du salaire moyen de la branche, sera versée.

•       A partir du 1er juin 2002, le volume global des salaires soumis au contrat augmentera de 4 %. Cependant, sur cette somme, 0,9 % sera affectée à la mise en place de l'ERA (cf. ci-dessous). Donc seuls 3,1 % se traduiront par une augmentation effective des salaires de réfé­rence.

•       A partir du 1er juin 2003, le volume global des salaires soumis au contrat augmentera une nouvelle fois de 3,1 %, pour une période contractuelle se terminant fin décembre 2003. A nouveau, sur cette somme 0,5 % sera affectée à la mise en place de l'ERA.

•       Ces chiffres ont permis au syndicat d'afficher un «quatre avant la virgule», ce qui avait été présenté comme le seuil à franchir pour que l'accord puisse être présenté comme bon. Cependant, les calculs faits en tenant compte des mois sans augmentation de salaire, du retard ainsi pris et des sommes affectées à l'ERA aboutissent au fait que l'augmentation réelle des salaires sera de 3,36 % pour une période de 22 mois. Il est tout à fait possible que ce montant soit inférieur à l'inflation durant cette période.

•       L'accord prévoit que lorsque ces augmentations constitueraient un «danger pour la capacité de survie de l'entreprise», l'employeur et le conseil d'entreprise peuvent demander aux parties contractantes du contrat, le syndicat et l'association patronale, de prévoir une exception. La condition est que l'entreprise présente un plan d'assainissement et renonce à des licenciements économiques durant la période où cette exception est en vigueur. «Je suis personnellement pour aller vers plus de possibilités de différenciation, selon la situation des entreprises. Mais ce n'est pas là un point de vue majoritaire à l'IG Metall», explique Berthold Huber (Libération, 17 mai 2002).

6.    L'ERA renvoie à des enjeux un peu difficiles à comprendre à partir de la réalité helvétique. Le contrat de l'industrie des machines, comme d'autres en Allemagne, prévoit deux grilles salariales différentes en fonction du fait que les salarié·e·s sont considérés comme des ouvriers ou comme des employés. Cette distinction, qui remonte à la fin du XIXe siècle, a des conséquences importantes. «L'écart entre les rémunérations des ouvriers et celles des employés, qui ont tous deux fait un apprentissage de trois ans et demi, se creuse au cours de leur vie professionnelle, explique Udo Bonn. En Rhénanie-du-Nord-Westphalie, un ouvrier avec de nombreuses années d'expérience gagne 400 euros de moins qu'un employé ayant une expérience analogue. Dans d'autres régions la situation est similaire.»

Face à cette réalité, que l'évolution des professions a rendue encore plus intenable, le syndicat a porté la revendication d'une harmonisation des accords-cadres salariaux des employés et des ouvriers, l'ERA. Udo Bonn considère que cela correspond à un sentiment «très largement partagé parmi les salarié·e·s: il doit y avoir égalité de salaires entre ouvriers et employés». Tom Adler estime également que c'est, en tant que tel, une revendication légitime que de vouloir corriger ces injustices.

Tout le problème est: comment ? L'harmo­nisation se fera-t-elle vers le haut, ou vers le bas ? Quelles ressources seront-elles mises à disposition pour cela ? Par qui seront-elles financées ? Il y a de mauvais exemples: dans la chimie, cette harmonisation a abouti à des pertes pour une partie des employés. «C'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles les employeurs ont aussi intérêt à un tel accord: ils espèrent pouvoir baisser les salaires des employés», explique Udo Bonn.

Les négociations au sujet de l'ERA se poursuivent jusqu'à la fin de l'année. Les salariés n'ont donc pour l'instant qu'une idée très floue de ce à quoi l'ERA pourrait finalement aboutir pour leurs salaires. Il peut y avoir de mauvaises surprises. L'accord conclu le 15 mai fixe à la fois un calendrier pour l'introduction de l'ERA (qui devrait être achevée au plus tard 2007) et une première affectation dans un fonds de l'équivalent de 1,4 % (0,9 % + 0,5 %) de la masse salariale soumise au contrat pour financer cette harmonisation des normes salariales.

7.    La votation générale sur l'accord du 15 mai a eu lieu en Bade-Wurtemberg les 21 et 22 mai: l'accord a été accepté par 56,63 % des vo­tant·e·s (participation: 88,99 %). Pour Udo Bonn, c'est «un faible taux d'approbation, qui doit donner quelques soucis à la direction de l'IG Metall. Un réel mécontentement, pas organisé mais largement ressenti, s'est exprimé.»


Derrière la grève...

Alors que la grève démarrait dans l'industrie des machines, l'hebdomadaire Business week (BW) consacrait une page de son édition datée du 13 mai 2002 à la consolidation de la position patronale dans l'est de l'Allemagne et, par ricochet, à l'échelle nationale. «Une force de travail flexible attire les investissements dans l'est de l'Allemagne», titrait BW. Qui enfonce le clou: il ne faut pas se laisser distraire par la grève. En effet, «IG Metall a aussi une autre facette, mieux connue des patrons et des salariés de l'ex-Allemagne de l'Est communiste. L'année dernière, par exemple, IG Metall voulait persuader BMW de construire une nouvelle usine à Leipzig plutôt qu'en Tchécoslovaquie. Le syndicat a donc signé un accord permettant à BMW de moduler les heures travaillées en fonction de la demande. «IG Metall a été infiniment flexible à l'est. Aucun employeur ne peut dire le contraire», affirme Sieglinde Merbitz, chef de l'IG Metall pour la région de Leipzig.»

L'hebdomadaire économique donne d'autres exemples. Ainsi l'entreprise californienne AMD (producteur de microprocesseurs, 3,9 milliards de dollars de chiffre d'affaires en 2001) s'est installée à Dresde. «Avec des équipes de 12 heures jusqu'à 4 jours de suite, les salariés de AMD à Dresde maintiennent l'usine ouverte 24 heures sur 24, toute l'année. Ce type d'arrangement est quasiment inouï à l'ouest de l'Allemagne.» «En une année, poursuit BW, un salarié travaille en moyenne à l'est un mois de plus que son collègue de l'ouest. Ses coûts salariaux horaires s'élèvent en moyenne à 14 dollars contre 22 dollars à l'ouest. La productivité est certes plus faible, mais, selon les économistes, cela a davantage à voir avec les infrastructures qu'avec la productivité du travail.» Enfin, BW rappelle qui si 62,8 % des salariés sont couverts à l'ouest par un contrat national négocié avec le syndicat, cette proportion n'est que de 45,5 % à l'est. «L'est pourrait bien apprendre à l'ouest une ou deux choses au sujet du capitalisme», conclut BW.

The Economist du 18 mai 2002 titrait, de son côté: «Malgré les titres sur les grèves, le marché du travail en Europe apparaît plus flexible». Et de rappeler que selon une étude de Lombard Street Research, au cours de la dernière décennie, les salaires ont augmenté en Allemagne et en Europe de 0,7 % de moins par an que la productivité. Un tableau qui invite à ne pas confondre la grève de début mai avec le rapport de force social effectif entre salariat et patronat en Allemagne... et en Europe.

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