Les coulisses de l'arnaque
Christian Jacquiau , Les coulisses de la grande distribution Albin Michel, 2000, 367 p.
Dans le monde entier, les chaî'nes de supermarchés se sont enga''gées dans des opérations de fu'sions (Carrefour-Promodès), de réorganisations brutales de leurs relations avec les «four'nisseurs» et d'élargissement de leur périmètre d'activités. Ou sont en difficulté: faillite de Kmart aux USA.
Migros et Coop - qui figurent parmi les vingt premières entreprises de Suisse - réagencent en permanence leurs structures d'achat, de production et de distribution, comme leur gestion interne. Migros contrôle Herren Globus, Globus Waren'häuser, ABM-Au bon Marché, Interio, Office World et Globi-Verlag; pour ne pas citer son expansion dans la branche du «bien-être» (fitness), de la «formation» ou de la banque. Coop tient TopTip, Inter''discount, Import Parfu'me'rie. Elle étend son réseau de ven'te dans des ni'ches: coop-brico + loisirs, coop-pronto, coop-railshop. Son secteur productif se renforce: argo, Bell, PastaGala, Steinfels Clea'ning Systems, Swiss Cosmetics, Swissmill, Nutrex, Silag...
Coop et Migros font un chiffre d'affaires qui, respectivement, avoisine les 14 et 20 milliards de francs. La politique de communication des deux groupes se centre sur: les services aux consomma'teurs/trices, des «prix bas» et le «respect de l'environnement».
Le groupe français Carrefour - qui se place dans le peloton de tête mondial - s'est associé, en 2001, au groupe Maus qui contrôle la chaîne Manor. L'ouverture de quelque 19 hypermarchés en Suisse est prévue. Un rachat de Maus par Carrefour n'est pas à exclure.
Payer trois fois
Un récent ouvrage de Chistian Jacquiau, expert comptable et délégué consulaire de la Chambre de commerce de Paris, tombe à point pour découvrir la machinerie des géants de la distribution (le chapitre 3 est consacré «Au modèle Carre'four»). Les différences existant entre la «grande distribution» en France et celle dominant en Suisse n'enlèvent rien à l'utilité d'un tel ouvrage, dont les points forts seraient confirmés par les agriculteurs qui se sont mobilisés il y a quelques mois face à Coop et à Migros.
Christian Jacquiau nous démon'tre que le consommateur faisant ses achats dans un supermarché paye trois fois. Tout d'abord, il le fait en passant à la caisse. Ensuite, il participe à la subvention du segment agricole le plus pro'duc'tiviste, dont l'impact sur l'environnement est le plus négatif (chapitre 13 «L'agri'culture dénaturée»). Enfin, l'acheteur participe, en tant que contribuable, à «l'assistance sociale» et «médi'cale» nécessaire à apporter: 1° à celles et ceux qui travaillent dans des entreprises produisant pour le distributeur; entreprises soumises à une pression extrême afin de dégager des marges et qui reportent l'effort de la «compression des coûts» sur les salaires et les rythmes de travail de «leurs colla'bora'teurs» (Micarna de Migros en est un bon exemple!); 2° à celles et ceux qui sont licencié·e·s par des entreprises ne pouvant plus tourner car le «donneur d'ordre» (la grande surface) les étrangle: le prix de vente imposé est en dessous du prix de revient (mais le marché serait libre!); 3° à celles et ceux qui sont des employé·e·s préca'ri'sé·e·s et flexibilisé·e·s de ces grands magasins et qui craquent; 4° aux paysans en voie de paupérisation.
Accaparer les marges
Jacquiau démonte le mécanisme qui voudrait que le producteur agricole, à cause de la suppression des intermédiaires, gagne à avoir un rapport direct avec les hypermarchés. Le calcul indi'que pourtant que le rapport est resté, en gros, de 1 à 4 entre ce que gagnait il y a cinquante ans l'agriculteur (alors que les intermédiaires étaient nombreux) et le prix de vente. Les centrales d'achat - celles de Coop, par exemple - s'octroient les marges des anciens intermédiaires.
En plus, les grandes surfaces exigent des fournisseurs des investissements, ce qui est qualifié de «marges arrière». Voilà la description du mécanisme. Un supermarché dit vendre 70 francs un produit acheté 63 francs. Mais pour avoir accès à un réseau de grande distribution - donc être agréé par une centrale d'achat qui écrase les prix, tant elle est puissante - le petit ou moyen fournisseur devra payer une somme importante pour être référencé; c'est-à-dire pour que son produit soit porté à la connaissance des distributeurs. Ainsi, il pourra, peut-être, devenir un vrai fournisseur! Afin de s'assurer les bonnes grâces de la centrale d'achat, il devra fournir des échantillons gratuits. A part cela, toute promotion d'un produit (d'une publication ou d'une bouteille de vin), sous la forme d'une mise sur un présentoir ou d'une pyramide à l'entrée du magasin, se paie.
Une commission parlementaire fran'çaise a identifié (pp. 66 et suivantes) un nombre effarant de prétextes visant à exiger de l'argent aux fournisseurs. Celui qui ferait un procès risquerait de n'être plus référencé... et de disparaître dans l'anonymat et la faillite.
Pauvreté et environnement
L'auteur met en lumière la hiérarchie sociale des hypermarchés... donc l'existence de la grande surface pour «les pauvres». Denner, pour faire image en Suisse. Contrairement à l'apparence, ce réseau spécifique de vente qui s'adapte aux bas revenus... ne casse pas les prix. En fait, y sont vendus des produits appauvris pour impécunieux: du poulet nourri avec... on ne sait quoi; du poisson qui reçoit les farines animales «interdites» pour les bovins. Abaisser le coût de reproduction de la force de travail - donc être fonctionnel à des bas salaires -, voilà une fonction de cette catégorie de grands distributeurs.
Les effets de la grande distribution sur l'environnement sont sobrement décrits. Cela va du suremballage - le packaging- à une pression pour éliminer le verre recyclable car la manipulation est du coût de main-d'úuvre! Sans parler des voyages multiples des camions remplis pour livrer et partant vide; et de l'arrivée d'autres vides qui sont remplis afin de se rendre à la déchetterie. En outre, les hypermarchés - décentrés - contraignent aux déplacements motorisés. Ce qui crée l'occasion de remplir le réservoir de la voiture à la station de la grande surface!
Une lecture à conseiller aux animatrices et animateurs du syndicat Unia... qui agitent leur réflexion pour tenter de gonfler le ballon d'essai d'une syndicalisation poussive à la Migros.
C.-.A. Udry