N°5 2002

Réorganisations et concentrations dans l’industrie des médias (II)
L’univers Vivendi
Le cinéma du PS
Premiers sur les «marchés secondaires»


Réorganisations et concentrations dans l’industrie des médias (II)

Des géants qui se partagent le monde

«Communication: les nouveaux maîtres du monde». C'est avec ce titre que le quotidien français «Le Monde» (28 décembre 2001) introduit un dossier consacré à la poignée ' au sens strict du terme ' de géants qui dominent aujourd'hui les médias à l'échelle internationale, du cinéma à Internet, de la presse à la télévision en passant par l'industrie musicale ou l'édition scolaire. Après avoir décrit la réorganisation des médias en Suisse (cf. «à l'encontre» N° 4), nous prendrons le groupe Vivendi Universal comme «fil rouge» pour illustrer quelques facettes de cette réalité internationale, et pour poser une question: que signifie une telle concentration de la propriété ' et donc du pouvoir ' du point de vue des droits démocratiques de la majorité de la population?

J.-F. Marquis

A la mi-décembre 2001, le très médiatique patron de Vivendi Universal, Jean-Marie Messier, annonçait le rachat pour 10,3 milliards de dollars du groupe de télévision USA Networks.

Vivendi fait son marché

Cette prise de contrôle est le cinquième achat d'importance réalisé par Vivendi aux Etats-Unis, en une année. Il a été précédé par:
-le rachat de fait, pour 34 milliards de dollars, de Universal (studios de cinéma et labels de musique) au groupe Seagram (propriété de la famille Bronfman, centré à l'origine sur les spiritueux);

- le rachat de la société spécialisée dans la gestion de la musique sur Internet MP3.com (272 millions de dollars);

- le rachat de Houghton Mifflin, maison américaine spécialisée dans l'édition scolaire (2,2 milliards de dollars);

- une prise de participation de 10% dans EchoStar (1,5 milliard de dollars), entreprise qui vise à devenir le premier diffuseur aux Etats-Unis de télévision par satellite.

En douze mois d'emplettes, Vivendi a ainsi allongé 50 milliards de dollars pour se tailler un empire aux Etats-Unis et pour devenir le deuxième plus important conglomérat de l'industrie mondiale des médias, derrière AOL Time Warner. Pour faire bonne mesure, Vivendi Universal a acquis à New York (Park Avenue) un pied-à-terre américain pour Jean-Marie Messier et sa famille, un modeste appartement de 17 millions de dollars.

Concentration jamais égalée

L'exemple Vivendi met en évidence les forces qui refaçonnent les médias et leur contrôle, à l'échelle mondiale. On assiste également dans cette industrie à un extraordinaire mouvement de concentration - la taille des entreprises ou des unités de production ne cesse de croître - et de centralisation - un nombre toujours plus petit d'individus et de groupes contrôle des pans entiers de l'activité économique ' du capital, qui se déploie autour de trois axes essentiels:

- Un contrôle des contenus, c'est-à-dire de ce qui peut être diffusé sous les formes les plus diverses: information, musique, films, illustrations (photos, etc.), livres, divertissements, jeux électroniques, etc. Il s'agit de s'approprier à la fois des stocks (catalogues de livres, de films, de disques, de photos) et de la production actuelle et future (rédactions, studios de cinéma, musiciens sous contrats'). Donc également des droits relatifs à cette production intellectuelle ou artistique. Le contrôle des contenus est décisif puisque c'est pour leur y «accéder» que les client·e·s sont prêt·e·s à «consommer» des médias.

- Un contrôle des «contenants»,des «tuyaux» dans le jargon. C'est-à-dire des moyens de diffusion des contenus: journaux, magazines, marques musicales, chaînes de télévision, réseaux câblés, diffuseurs satellites, portails Internet, etc., ainsi que des pools d'abonnés qui peuvent être liés à ces différents supports. Les «tuyaux» sont à l'industrie des médias ce que les réseaux de distribution de Migros, Coop ou Carrefour sont à l'industrie agroalimentaire ou textile.

La maîtrise combinée des contenus et des contenants est ce qui permet de capter la part la meilleure possible du marché publicitaire, qui joue un rôle décisif dans les revenus de la plupart des entreprises de médias. (Vivendi Universal fait figure d'exception, avec seulement 5% de recettes en provenance de la publicité; un argument que ne manque pas de faire valoir la direction du groupe pour défendre la valeur des actions ' attaquées ' de l'entreprise, en cette période de fort recul de la publicité, lié au retournement conjoncturel.)

' La construction de synergies entre différents médias, pour démultiplier les possibilités de distribution des contenus, donc pour maximiser leur rentabilisation comme celle de la propriété des «tuyaux». L'engagement d'AOL dans la promotion des films Harry Potterou Le seigneur des anneaux' sortis des studios du groupe ' en est un exemple.

Ces objectifs sous-tendent les rachats, les fusions, les alliances ' qui se font et se défont très rapidement ' dans lesquels sont engagés une dizaine de conglomérats cherchant à se tailler une position de force dans l'industrie médiatique mondiale. L'enjeu est à chaque fois la recherche de positions dominantes, fondements de véritables rentes de situation.

C'est par rapport à ces enjeux que la fusion entre AOL et Time Warner, annoncée en janvier 2000 et réalisée une année plus tard, a eu une importance majeure. Pas à cause de la prétendue «victoire», montée en épingle à l'époque, du premier de classe d'Internet ' AOL ' sur Time Warner, le «dinosaure» des «vieilles» industries (presse, cinéma). Mais parce qu'elle a fait faire un nouveau pas de géant dans la course à la taille engagée pour dominer le monde des médias (AOL Time Warner a un chiffre d'affaires annuel de 38 milliards de dollars). Vivendi a été le premier à emboîter le pas, avec force. Sa campagne d'emplettes 2000-2001 l'a hissé au deuxième rang mondial (27 milliards de dollars de chiffre d'affaires, uniquement dans les médias et la téléphonie), devant News Corp (25,4 milliards), l'empire du magnat de la presse et de la télévision Rupert Murdoch. Walt Disney (25 milliards), le groupe américain Viacom (23 milliards; il regroupe notamment le réseau de télévisions CBS, MTV et les studios Paramount) et l'allemand Bertelsmann (17 milliards) sont également, pour l'instant encore, aux premiers rangs de cette compétition implacable.

D'autres conglomérats sont de tailles imposantes: Sony, avec sa présence dans le cinéma et la musique; le groupe de télévision Kirch en Allemagne, l'entreprise américaine Liberty Media, centrée sur la télévision et les réseaux câblés, le groupe de presse et d'édition britannique Pearson (Penguin Books, Financial Times), Berlusconi, etc. Mais ils évoluent déjà dans une autre «ligue».

Course à la taille' et à l'endettement

Cette compétition pour occuper les premières places dans l'industrie des médias ' et pour capter les rentes que ces positions de force permettent de prélever ' a été dans une très large mesure financée à crédit, sous de multiples formes, dans la seconde moitié des années 90.
Croissance économique et contrainte, dans le cadre de la compétition entre capitaux, à occuper des positions dominantes sous peine de périr ou d'être racheté ont nourri, comme dans chaque phase ascendante du cycle capitaliste, une vague d'anticipations déconnectées de la réalité ' «spéculatives» ' portant sur les secteurs perçus comme «porteurs», en l'occurrence ladite «nouvelle économie» dont les médias et les télécommunications font partie.
Ainsi, c'est l'extravagante valeur boursière d'AOL fin 1999 ' 181 milliards de dollars pour un chiffre d'affaires annuel de 4,8 milliards de dollars ' qui lui a permis d'acquérir en janvier 2000 le mastodonte Time Warner, six fois plus grand qu'AOL en termes de chiffre d'affaires. D'autres groupes ont eu un accès des plus larges au crédit comme Vivendi (20 milliards de dollars de dette fin 2001) ou l'empire de Leo Kirch en Allemagne (les chiffres concernant les dettes et les engagements de ce groupe oscillent entre 8,6 et 13 milliards d'euros!).
Dans ce cadre, le retournement conjoncturel de 2001 a sonné l'heure d'une consolidation. Les recettes publicitaires ont fortement baissé. Les valeurs boursières ont chuté ' AOL Time Warner a reculé de 50% depuis janvier 2000; l'entreprise a annoncé, début 2002, une provision extraordinaire de 60 milliards de dollars pour tenir compte de l'effondrement de la valeur de ses actions entre le moment où la fusion a été annoncée et celui où elle a été réalisée, ces actions ayant servi à financer le rachat ' et ne permettent plus de tirer des traites sans limites sur le futur. Les crédits pèsent davantage, sont beaucoup moins facilement renouvelés et mettent sous pression les entreprises. Vivendi Universal s'est ainsi engagé dans une opération de désendettement, en plaçant à la Bourse une partie de ses propres actions qu'elle détenait en auto-contrôle (les actions de Vivendi Universal ont perdu 25% de leur valeur du 1erjanvier au 6 février 2002). Le groupe Kirch sera en partie démantelé, probablement sous l'autorité d'un pool de banques allemandes, pour éviter un dépeçage en bonne et due forme par ses alliés-rivaux internationaux. Des sociétés de câbles (cf. infra.) se sont tout simplement effondrées. Les conditions pour des redistributions de cartes et une nouvelle phase de concentration se mettent ainsi en place.Pour éclairer, dans ce contexte, quelques-unes des facettes de cette industrie mondiale, reprenons notre «fil rouge» Vivendi Universal.

Hollywood sous contrôle

En décembre 2000, J6M (Jean-Marie Messier Moi-Même Maître du Monde, comme est appelé ce modeste personnage) annonce la fusion de Vivendi, Canal+ et Seagram et la naissance de Vivendi Universal1.
La chaîne Canal+, fondée en 1984 et contrôlée par Vivendi, avait déjà un pied dans le cinéma. La concession qui lui a été accordée d'être la seule chaîne à péage ' payante ' en France diffusée sur les ondes hertziennes est en effet liée à l'obligation de consacrer au moins 20% de son budget annuel à l'achat de droits de films, dont au moins la moitié pour des films français. C'est ainsi que Canal+, qui a depuis lors tissé sa toile en Europe, est devenu le principal bailleur de fonds du cinéma français.
Cependant, la fusion avec Seagram permet un pas d'une tout autre ampleur: la prise de contrôle d'Universal, un des grands studios de Hollywood, le centre incontesté de l'industrie cinématographique, diffusés à l'échelle mondiale. Jurassik Park IIIou Le retour de la momie, par exemple, sont des produits Universal. Vivendi entre ainsi dans la cour des grands. En effet, AOL Time Warner contrôle la Warner Bros (Harry Potteret Le seigneur des anneaux); News Corp (Rupert Murdoch) possède la 20thCentury Fox (Star wars, Titanic); Viacom a absorbé Paramount (Le Flic de Beverly Hills); Walt Disney a bâti son empire sur les studios du même nom; Sony détient les studios Columbia2.
Cet automne, AOL Time Warner a fait une démonstration de comment un conglomérat de sa taille peut faire converger ses ressources pour assurer la publicité et l'ensemble des opérations de «merchandising» ' la déclinaison sous la forme d'une multitude de marchandises (jouets, livres, figurines, T-shirts, jeux électroniques, etc.) des personnages et des thèmes d'un film ' qui accompagnent désormais les «événements» que constituent les grands succès. Un seul exemple. Avant la sortie du film Le seigneur des anneaux, AOL a créé une communauté de fans sur son portail Internet. Ceux-ci ont eu accès à des extraits du film avant sa sortie dans les salles. Ils pouvaient participer à un concours pour gagner une place pour assister à la première, dès lors qu'ils installaient le nouveau système AOL 7.0. En d'autres termes, AOL a été un support publicitaire très actif pour Le seigneur des anneaux(comme pour Harry Potter) et, en même temps, les «événements» créés sur le site en lien avec le film sont une incitation à s'abonner à AOL.

Quand cinéma et télévisions convergent

Les liens entre cinéma et télévision sont forts et nous font revenir à la stratégie de Vivendi Universal.
La télévision est un canal important pour contribuer à la rentabilisation de la production hollywoodienne (tout comme la distribution en cassettes vidéo et DVD). D'une double façon. D'une part, c'est un support pour diffuser des films ' donc pour valoriser les droits sur ces films ', récents comme ceux des catalogues des grands studios. La multiplication des chaînes câblées ou satellites spécialisées dans le cinéma en est une illustration.
D'autre part, les scénarios produits à Hollywood peuvent être le point de départ de divers sous-produits -séries télévisées, jeux, etc. - qui contribuent eux aussi à la rentabilisation des productions hollywoodiennes.
Réciproquement, un accès privilégié à un catalogue de films peut être le moyen d'assurer le succès d'une chaîne télévisée, et donc de capter une part importante du gâteau publicitaire. Le succès de Canal+ en a été une illustration.
Vivendi Universal n'est pas à la tête d'un groupe de chaînes de télévision, généralistes ou spécialisées, diffusées librement par voie hertzienne, contrairement à AOL Time Warner (CNN, Cartoon Network, etc.), News Corp (groupe Star), Berlelsmann (RTL), Walt Disney (ABC, Disney Channel) ou Viacom (CBS, MTV)3.
La position de Vivendi dans cette industrie est différente. En Europe, le groupe Canal+ est le pôle dominant des télévisions à péage. Dans ce secteur, Vivendi vient de consolider sa position en Italie: il rachète à Rupert Murdoch la chaîne payante Stream, ce qui permettra un rapprochement avec l'autre chaîne italienne payante qu'il possède (Telepiu) et une possible sortie des chiffres rouges. Vivendi contrôle également les chaînes du groupe Multithématiques (Planète, canal Jimmy, Ciné Cinémas, etc.).
Aux Etats-Unis, la stratégie télévisuelle de Vivendi a progressé dans deux directions. En s'assurant le contrôle complet de USA Networks, Vivendi Universal intègre un groupe qui produit de nombreuses émissions de télévision et qui, en même temps, diffuse dans les réseaux câblés américains des programmes touchant quelque 160 millions de ménages.
Simultanément, Vivendi Universal est entré sur le marché américain de la télévision par satellite en acquérant 10% d'EchoStar. L'importance de cette participation apparaît lorsque l'on sait qu'Echo Star n'attend que le feu vert des autorités américaines de la concurrence pour acquérir Direct TV. Ensemble, ils formeraient alors le plus important groupe de diffusion de chaînes de télévision par satellite aux Etats-Unis (15 millions d'abonnés). La fusion EchoStar/Direct TV a d'ailleurs des ramifications en Suisse: Kudelski est le fournisseur d'EchoStar pour les décodeurs et cartes d'abonnement permettant de réceptionner les chaînes cryptées; l'entrepreneur helvétique s'est engagé à soutenir financièrement cette opération qui lui ouvrirait un véritable marché en or. L'affaire n'est cependant pas encore conclue: des groupes importants, comme Walt Disney, cherchent à s'opposer à cette concentration, qu'ils ne maîtrisent pas. Ils redoutent une position dominante qui serait en mesure de marginaliser des chaînes ou de rediscuter ' à la hausse ' leurs conditions de diffusion.

La bataille des «tuyaux»

On touche ici à une réalité que nous ne pouvons qu'effleurer: la bataille engagée, et très incertaine, pour le contrôle de deux supports essentiels pour l'avenir des médias: le satellite et le câble.
L'accès au réseau câblé est l'enjeu d'une compétition encore plus dure. Le câble offre en effet des possibilités d'accès à large débit. Celles-ci sont nécessaires pour développer les services Internet et pour envisager des prestations combinées ' télévision, téléphone, Internet, PC ' qui devraient être au c'ur de la «maison branchée» de demain.
Sur ce terrain, Vivendi a de facto noué une alliance (provisoire?) avec le groupe américain Liberty Media, de John Malone. A l'occasion du rachat de USA Networks, Liberty Media est devenu un actionnaire majeur de Vivendi Universal (3,5%). Liberty Media s'est lancé dans l'acquisition à marche forcée de réseaux câblés, particulièrement en Europe. Il a notamment en point de mire les deux tiers du réseau que doit vendre Deutsche Telekom et qui lui assureraient une position dominante sur le principal marché européen. Cette arrivée en force ne fait pas que des heureux, particulièrement  parmi les grands de la télévision en Allemagne (RTL, ProSiebenSat1, ZDF et ARD), et l'autorité allemande de la concurrence a décidé le 26 février de bloquer l'opération.
La compétition pour le contrôle des réseaux câblés européens n'en est, de toute manière, qu'à ses débuts. Le groupe britannique NTL, qui s'était imposé comme numéro un en Europe à coups d'acquisitions (dont notamment Cablecom en Suisse), croule désormais sous les dettes (17 milliards de dollars, soit 160 fois sa valeur boursière) et il est à deux doigts de la cessation de paiement. Le numéro deux européen, le néerlandais UPC, est aussi lourdement endetté (8,2 milliards, 40 fois sa valeur boursière). Des réorganisations/concentrations sont inévitables. Liberty Media pousse à une fusion sous sa houlette entre NTL et Telewest, l'autre grand opérateur britannique; Microsoft, qui a des participations partout ' NTL (moins de 3%), UPC (6,3%), Telewest (23,6%) ', a beaucoup à perdre, ou à gagner, dans ces restructurations.

Microsoft sort du bois

Aux Etats-Unis, la compétition est encore plus féroce et elle souligne une autre dimension de la bataille pour le contrôle des médias. AOL Time Warner détient un réseau câblé comptant 13 millions d'abonnés, le deuxième plus important aux Etats-Unis, après celui du groupe de téléphonie ATT (16 millions d'abonnés). Or, ATT a décidé de se séparer de ce réseau. AOL Time Warner s'est mis sur les rangs des acheteurs. Cela a mobilisé les oppositions de concurrents craignant un renforcement de la puissance d'AOL. Microsoft (actionnaire d'ATT), en particulier, s'est engagé. C'est finalement la société Comcast qui a racheté le réseau d'ATT pour 72 milliards de dollars. Microsoft est aussi un actionnaire de Comcast, qui contrôlera désormais un réseau câblé de 24 millions d'abonnés.

Pourquoi cette intervention de Microsoft pour bloquer la route à AOL Time Warner? Parce que les deux groupes sont en compétition pour la maîtrise de l'accès à Internet. AOL a pour l'instant une longueur d'avance avec ses 33 millions d'abonnés. Mais Microsoft poursuit une stratégie, visant à s'appuyer sur sa position de force dans les programmes d'exploitation des PC ' le quasi-monopole de Windows ', pour s'imposer comme la porte d'accès obligatoire à Internet et, plus largement, aux multiples usages domestiques des connexions en ligne de demain.

Microsoft a ainsi gagné la bataille contre Netscape, en imposant son logiciel Explorer (Netscape a été racheté en 1999 par AOL). Microsoft construit son portail Internet msn, qui compte déjà 8 millions d'abonnés. Microsoft veut continuer à imposer, par le biais de Windows, ses nouveaux programmes pour exploiter les services offerts en ligne. Dans cette bataille, Microsoft peut compter sur sa puissance financière: 38,2 milliards de dollars accumulés sous forme de cash ou d'investissements libérables à court terme, 1 milliard de dollars de revenu chaque mois.

C'est dans ce contexte que s'inscrit la lutte pour le contrôle des réseaux câblés à large bande. Microsoft a stoppé son grand rival. Réponse du berger à la bergère: AOL vient de déposer plainte contre Microsoft et sa politique de «lier» son programme d'exploitation Windows à ses programmes spécifiques (comme Explorer, pour l'accès Internet). AOL est par ailleurs en négociation pour racheter Red Hat, le premier distributeur américain du système d'exploitation Linux'

Sur le terrain d'Internet, Vivendi n'a pour l'instant rien qui ressemble à la puissance d'AOL ou de Microsoft. Le portail qu'il a lancé en lien avec le géant de la téléphonie mobile Vodaphone, Vivazzi, ne s'est pas imposé dans sa première phase de lancement.

Par ici la musique

L'industrie musicale est également très concentrée à l'échelle mondiale (cinq grands groupes détiennent 85% du marché) et elle est contrôlée pour l'essentiel par les géants des médias, qui détiennent à la fois les catalogues les plus riches et ont sous contrat les artistes qui «tirent» l'industrie. La pression à une concentration encore accrue est d'autant plus vive que ce marché est en recul et qu'il a été déstabilisé par les possibilités de distribution offertes par Internet.

Vivendi Universal occupe le premier rang. Il contrôle environ 22% du marché mondial du disque, avec des labels aussi connus que Mercury, Polydor, Barclay, Deutsche Grammophon, Philips ou Decca. AOL Time Warner avait, en 2000, l'ambition de devenir le numéro mondial en fusionnant les activités de Warner Music avec celles du britannique Emi. La fusion n'a finalement pas eu lieu; Warner Music continue cependant à faire partie des cinq grands de la branche, avec BMG (Bertelsmann) et Sony.

Avec les logiciels de compression MP3, Internet est devenu un moyen de diffusion des enregistrements musicaux qui a, pour un temps, échappé aux grands de l'industrie. Ces derniers sont cependant en train de s'appuyer sur leur puissance pour réimposer leur contrôle. Ainsi, Universal Music et Sony se sont alliés pour mettre en place le portail musical Pressplay. En face, le portail Musicnet réunit Warner, BMG et Emi. Pour ces deux coalitions, l'enjeu est de refidéliser une clientèle (sous forme notamment d'abonnements), de marginaliser les portails musicaux indépendants (qui ont des difficultés à avoir accès aux grands catalogues) et de tenter de limiter la diffusion gratuite de musique, faussement appelée piratage.

Un marché sûr: l'éducation

Le rachat par Vivendi Universal de Houghton Mifflin attire l'attention sur l'enjeu que constitue le marché de l'éducation pour les entreprises de presse et d'édition ' et Vivendi Universal est aussi un géant de l'édition! Les commandes publiques ' sûres et rentables ' y jouent un rôle majeur. La valeur socialement accordée à l'éducation assure qu'une part importante des budgets familiaux y est consacrée. Les conditions de bonnes affaires sont ainsi réunies pour ceux qui occupent une position dominante sur ce marché. En France, au XIXe siècle, à l'époque de la généralisation de l'école obligatoire, le marché de l'éducation a d'ailleurs été un des piliers de la fortune d'Hachette.

Aujourd'hui, Vivendi Universal est le numéro un du marché de l'éducation dans les mondes francophone (Larousse, Bordas, Nathan') et hispanophone. Avec Houghton Mifflin, il devient le numéro deux dans le monde anglo-saxon, derrière Pearson (Penguin Books). Pour consolider sa position, Vivendi a aussi lancé un site Internet «éducatif» ' education.com ' visant pour l'instant quatre pays (France, Grande-Bretagne, Etats-Unis, Allemagne).

Vivendi Universal Publishing (VUP) est par ailleurs un géant de la presse et de l'édition. En France, il est le numéro un, avec un quart du marché, devant Hachette Livre (17%), propriété du groupe Lagardère. Il a également une présence dans le secteur des magazines (L'Express, L'Expansion').

Cette position de force dans les médias écrits se retrouve, sous diverses formes, chez les autres grandes multinationales des médias. AOL Time Warner est à la tête du groupe Time, qui publie 64 magazines touchant plus de 250 millions de lectrices et lecteurs. News Corp détient notamment 175 journaux dans le monde (Grande-Bretagne, Etats-Unis, Australie, Pacifique). Bertelsmann contrôle d'importantes maisons d'édition et clubs de livre en Europe (France Loisirs), aux Etats-Unis, en Chine, ainsi qu'un pôle presse, combinant journaux et magazines (Berliner Zeitung, Femme actuelle, Stern, Capital, Géo), très fort particulièrement en Allemagne.

Une appropriation privée intolérable

Ce survol rapide donne une idée de l'ampleur qu'a prise aujourd'hui le contrôle, à l'échelle mondiale, d'une poignée de gigantesques entreprises privées (et leurs actionnaires) sur la formation et l'information, les loisirs et les divertissements, la production intellectuelle et artistique, ainsi que sur les moyens d'accès à ces divers produits de la créativité humaine. L'autre face de cette médaille est l'expropriation de l'écrasante majorité de l'humanité, dans ces domaines qui sont intimement liés à ce qui est propre à l'être humain ainsi qu'à sa capacité à construire la vie en société (la communication, la représentation, le symbolique).

Ce contrôle signifie, d'une part, que les fabuleux moyens que se sont appropriés ces empires ' résultat accumulé sur plusieurs générations d'un travail collectif et de la créativité d'une multitude d'hommes et de femmes ' sont systématiquement subordonnés à un objectif: la rentabilité. Comme l'explique Agnès Touraine, responsable de Vivendi Universal Publishing: «Toutes[nos maisons d'édition en France] ont une rentabilité à deux chiffres' Certaines, comme Univers Poche, beaucoup plus.» Ce qui ne contribue pas au profit du groupe n'existe pas, ou est écarté.

D'autre part, ces multinationales ont entre leurs mains des instruments incomparables pour façonner la représentation que les femmes et les hommes se font du monde, de ce qui est souhaitable ou regrettable, de ce qui est possible ou impossible, de ce qui juste ou injuste, etc. Ce qui signifie aussi que l'essentiel de l'humanité n'a pas accès à ces moyens, qui contribuent à orienter notre avenir. L'usage de ce pouvoir incroyable est plus souvent indirect que manifeste. Il n'en est pas moins puissant. De plus, des Rupert Murdoch, Leo Kirch (à la tête d'un empire télévisuel en Allemagne; très lié aux conservateurs bavarois de la CSU) ou Silvio Berlusconi ont fait de leurs entreprises un moyen direct pour diffuser, ou soutenir, des conceptions extrêmement conservatrices du monde.

De ce point de vue, le degré sans précédent de concentration dans les médias met en évidence une exigence démocratique: les sociétés humaines doivent pouvoir se réapproprier la maîtrise des médias les plus importants, à l'échelle de la planète comme des régions et des pays. Cela passe nécessairement par une prise de contrôle public sur les géants qui les monopolisent aujourd'hui. n

Sources:
Autrement, Atlas des médias dans le monde, 2001; Télérama, 23.1.2002; l'agefi, 29.1.2002; Business Week, 24.12.2001, 11.1.2002; The Economist, 27.10.2001, 26.1.2002; Financial Times, 18.12.2001, 21.1.2002, 23.1.2002, 24.1.2002, 6.2.2002, 13.2.2002; Le Monde, 13.9. 2001, 18.12.2001, 21.12.2001, 28.12.2001, 22.1.2002, 24.1.2002, Neue Zürcher Zeitung, 18.12.2001, 9.1.2002; New York Times, 24.1.2002.

1. Formellement une fusion, l'opération est de fait un rachat. Vivendi prend le contrôle du secteur de Seagram qui l'intéresse: Universal, musique et cinéma. Il revend le secteur des spiritueux de Seagram. La famille Bronfman a quitté en décembre 2001 la direction de Vivendi Universal. Elle reste cependant un des tout grands actionnaires du groupe (environ 10%).

2. Des grands de Hollywood, seul MGM (Metro Goldwin Mayer) constitue un pôle indépendant. Il est cependant en négociations pour une intégration à un des grands groupes. Des premiers contacts avec Sony viennent d'échouer.

3. Aux Etats-Unis, les trois grands réseaux de chaînes de télévision «généralistes» sont contrôlés par de grands conglomérats: à ABC (Disney) et CBS (Viacom) s'ajoute en effet NBC, aux mains de General Electric (GE), le plus important groupe industriel et de services au monde.

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L’univers Vivendi

Le magazine français Téléramaa consacré dans son édition du 23 janvier 2002 un intéressant dossier critique à Vivendi. L'introduction, signée Olivier Milot, nous donne une bonne illustration de l'enveloppant univers Vivendi. Nous la reproduisons ici:

«Imaginons un jeune de Saint-Etienne (France, près de Lyon) dans les instants les plus banals de sa vie. Il boit un verre d'eau, téléphone en faisant le 7 [indicatif de Cegetel], fait ses devoirs avec des manuels Nathan ou Bordas, cherche un mot dans le Larousse, une précision dans le Quid. Il lit L'Etudiantpour s'orienter, écoute un cédé de Nirvana ou d'Eminem, s'en va au cinéma voir Mulholland Driveou Un homme d'exception. De retour, il se met à son ordinateur, où son petit frère jouait à Adibou, introduit Diablo II, puis se connecte sur le site de jeu Flipside. com. A côté, son père laisse tomber L'Expresset L'Expansionpour lire Le Monde n'est pas une marchandisede José Bové (éd. La Découverte), tout en écoutant un opéra de Verdi (Deutsche Grammophon). Il allume la télévision. Après un bref passage sur i>télévision, il zappe sur Canal+ puis s'arrête sur un documentaire de Planète diffusé par CanalSatellite. Avant d'aller se coucher, il descend les poubelles collectées par Onynx. Sa femme revient en tramway (exploité par Connex) du cinéma UGC, se connecte sur le site Divento pour acheter des places pour Guy Bedos à l'Olympia et passe un coup de téléphone sur son portable SFR. Dans toutes ses activités, cette famille n'a pas quitté un seul instant Vivendi Universal.»


Radiographie de Vivendi Universal


La présence de Vivendi Universal dans l’industrie des médias est celle qui retient le plus l’attention. L’empire a cependant commencé à se bâtir sur d’autres bases. La Compagnie Générale des Eaux (CGE) a été fondée en 1853, par décret impérial de Napoléon III, avec une concession pour la gestion des eaux de la ville de Lyon. Les concessions par les autorités publiques de la gestion de l’eau des communes de France et les travaux publics (BTP) ont été durant plus d’un siècle les piliers de la CGE, comme de sa grande rivale, la Lyonnaise des Eaux, intégrée aujourd’hui au groupe Suez, chantres du tout-au-marché par ailleurs. S’étant taillé, avec l’aide de solides connivences politiques, des royaumes en France – un des pays au monde où la gestion de l’eau est la plus privatisée – la CGE et la Lyonnaise des Eaux sont ensuite parties à la conquête du monde et ont diversifié leurs activités. C’est en 1998 que la CGE a changé de nom pour devenir Vivendi.
Aujourd’hui, Vivendi s’est séparé de son secteur BTP ainsi que d’activités dans la restauration et la santé. Ses principaux pôles d’activités sont les suivants:

-Vivendi Environnement, leader mondial dans le secteur, présent dans 100 pays, 29,1 milliards d'euros de chiffre d'affaires en 2001. Vivendi Environnement est coté en Bourse et contrôlé à hauteur de 63% par Vivendi Universal. Ce pôle comprend en particulier:

- Vivendi Water, numéro un mondial, gère l'eau pour des collectivités regroupant 110 millions de personnes ainsi que pour 40000 installations industrielles.

- Onyx:numéro trois mondial dans la gestion des déchets.

- Dalkia, qui assure des services dans le domaine de l'énergie en Europe, en Asie et en Amérique latine.

- Connex, première entreprise européenne privée de transports publics, présente dans 4000 villes dans le monde.

- Vivendi Telecom International (7,9 milliards d'euros de chiffre d'affaires en 2001).
Le centre de gravité de ce secteur est la France, avec à la fois une présence dans le réseau fixe (Cegetel, 2,7 millions d'abonnés) et mobile (SFR, 12 millions d'abonnés, 35% du marché). S'y ajoutent des présences au Maroc (où Vivendi est en compétition, sur ce terrain comme sur celui des services ' transports publics, eau, déchets ', avec des entreprises espagnoles, qui doivent céder du terrain), en Espagne, en Hongrie, à Monaco et en Pologne.

- TV et films(9,5 milliards d'euros de chiffre d'affaires en 2001).

Pour le cinéma, les point forts sont:

- Studios Universal (La Liste Schindler, Out of Africa, Jurassic Park III').

- Studio Canal (Terminator 2, Le Pacte des Loups, Apocalypse Now').

- Studios de USA Networks (Traffic).

Pour la télévision:

- Canal+, 15 millions d'abonnés dans 11 pays d'Europe (France, Benelux, Espagne, Pologne').

- Canal Satellite (en alliance avec Lagardère).

- Multithématiques, en alliance avec Lagardère (Ciné Cinémas, Ciné classics, Canal Jimmy, Planète) et d'autres chaînes de télévision thématiques (40 au total).

- Universal Music Group(6,56 milliards d'euros de chiffre d'affaires en 2001). 22% du marché mondial; 850000 copyrights; des noms comme Elton John, Johnny Halliday, Serge Gainsbourg, Sting, Pavarotti, U2; et 40% du marché mondial de la musique classique (Deutsche Grammophon et Decca).

- Vivendi Universal Publishing(4,7 milliards d'euros de chiffre d'affaires en 2001).

- En France: Larousse, Nathan, Bordas, Plon, Laffont, Les Presses-Solar-Belfond, Pocket.

- En Espagne (Alianza Editorial et Alianza Bolsillo) et aux Etats-Unis (Houghton Mifflin).

- Le portail éducatif education.com.

- Des programmes éducatifs et des jeux (Diablo II, Half Life').

- Vivendi Universal Net (184 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2001).

- Le portail Vivazzi, créé en janvier 2000, avec Vodaphone, présent dans 8 pays en Europe.

- Allociné, système d'information et de réservation en ligne pour les cinémas en France.

- Vivendi Universal occupe la position que l'on sait dans les magazines et la télévision (cf. «Radiographie de Vivendi Universal», p. 29).

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Indépendance de la presse en France
Le cinéma du PS


La présidentielle approche en France. L’occasion de se rafraîchir la mémoire. En 1995, le Parti socialiste avait fait campagne notammentpour une loi interdisant aux grands groupes financiers vivant des commandes publiques de contrôler les médias. Sept ans plus tard:

- Le groupe Lagardère, qui est au c'ur du groupe militaro-civil européen EADS (Société européenne de l'aéronautique, de la défense et de l'espace), est non seulement un géant de l'édition (Hachette, Stock, Fayard, Grasset, etc.) et de la distribution (premier distributeur de presse dans le monde; il contrôle notamment en Suisse Naville, Payot et le diffuseur de livres OLF). Il est aussi un géant de la presse: magazines (Paris-Match, Elle, Télé 7 jours, les titres du groupe Marie-Claire; en tout 158 titres dans le monde), journaux en France (Journal du dimanche, La Provence, Nice-Matin et Var-Matin, Corse Presse, 25% dans le groupe Amaury ' Le Parisien, L'Equipe ', 20% de L'Alsace, 12% de la Dépêche du Midi, 10% du Midi libre). Lagardère, c'est en plus les radios Europe 1 et Europe 2, une présence dans CanalSatellite, 27,4% des chaînes Multithématiques, etc.

- Le groupe Dassault (aviation, armement) a fait son entrée (30%) dans la Socpresse, qui chapeaute l'empire Hersant (Le Figaro et ses magazine, les quotidiens régionaux Presse Océan, Maine libre, Courrier de l'Ouest, Groupe Progrès, Dauphiné Libéré, Nord Eclair, La Voix du Nord et des imprimeries qui sortent notamment' L'Humanité).

- Le groupe Bouygues est propriétaire de TF1.
Commentaire du Canard enchaîné (6.2.2002): «Sept ans plus tard, ce programme [du PS] est pleinement réalisé et l'indépendance de la presse française est plus éclatante que jamais.»
Derrière ce bilan, il y a aussi les liens très étroits tissés entre toute une couche de «cadres» du Parti socialiste et le monde des affaires. Interviewé par Télérama (23.1.2002), Jean-Philippe Joseph, professeur d'économie, qui participe à l'Observatoire des transnationales (transnationale.org), en donne un aperçu à propos de Vivendi Universal:

- Catherine Tasca, actuelle ministre «socialiste» de la Culture, censée représenter le contre-pouvoir de l'autorité publique face aux géants privés des médias, a été présidente du conseil d'administration de Canal Horizon, une filiale de Canal+, de 1993 à 1997.
- De nombreux «conseillers de» ou «proches de» socialistes ont été recrutés dans les différentes filiales de Vivendi. Les va-et-vient entre Vivendi et les ministères sont tels qu'au sein du groupe dirigé par Jean-Marie Messier ' lui-même ancien conseiller du premier ministre Eduard Balladur après un passage par la banque d'affaires ' on explique que Vivendi signifie «VIVier pour ENarques1 en DIsponibilité».
- Laurent Fabius a accordé à Vivendi une exemption fiscale de 5 milliards de francs français, pour soutenir le groupe dans sa fusion avec Universal. Cette somme est l'équivalent du budget annuel de France 2, la chaîne leader du service public audiovisuel français'

Mais n'allez pas raconter cela aux membres du «Cercle d'Olten des sociaux-démocrates de gauche» (cf. à l'encontre N° 4, p. 28): emmenés par Pierre-Yves Maillard, ils sont convaincus que le Parti socialiste français ' qui a d'ailleurs plus privatisé depuis 1997 que la droite auparavant ' est à gauche.

1. Enarque de ENA, l'Ecole nationale d'administration, une haute école, où l'on entre sur concours, et où se forme toute une partie de l'élite, politique et économique, française.

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L'expansion internationale de Ringier et d'Edipresse'

Premiers sur les «marchés secondaires»

Ringier et Edipresse sont les deux grands groupes de médias helvétiques à déployer, depuis plus d'une décennie, une stratégie d'implantation en dehors de la Suisse.

Au début des années 90, Ringier s'est retiré du marché allemand (presse) ainsi que de celui des Etats-Unis (impression). Depuis lors, ni Ringier ni Edipresse n'ont cherché à prendre pied sur les «grands marchés» européens ou du reste du monde, très contrôlés par de puissants groupes. Le «prix d'entrée» est hors de leur portée. Par contre, ces deux entreprises ont construit des positions dans des pays «souvent considérés comme des marchés secondaires» (Edipresse, Rapport annuel 2000): avant tout en Europe de l'Est et du Sud.

On peut repérer une double stratégie dans ces politiques d'expansion: 1° prendre appui sur un «savoir-faire» ' quotidien de boulevard (Blick) ou magazine économique grand public (Cash) pour Ringier, magazines femmes, people ou vie quotidienne pour Edipresse ' et reproduire ces formules dans de nombreux pays; 2° chercher dans chaque pays à occuper une position de force dans le segment de la presse visé.

De ce point de vue, les ex-«pays de l'Est» offrent le double avantage, d'une part, de permettre l'acquisition d'actifs (titres, imprimeries) à bas prix et, d'autre part, après des années de chape bureaucratique, d'avoir a priori accordé à ce qui vient de l'Occident un capital de curiosité. Comme, de plus, le niveau scolaire et culturel dans ces pays est élevé, on saisit mieux l'ampleur de la «ruée vers l'Est» des groupes de médias occidentaux.

En 2000, Ringier a réalisé 18,2% de son chiffre d'affaires (1018,8 millions de francs) en dehors de Suisse; pour Edipresse, cette proportion se monte à 41,6% (sur un total de 729,7 millions de francs).

Blesk, Blikk, Profit, Cash, Capital...

Le centre de gravité de l'expansion internationale de Ringier est en Europe de l'Est, où le groupe a rapidement pris pied après la chute en 1989 du Mur de Berlin. Des adaptations locales du quotidien de boulevard Blick et de l'hebdomadaire économique Cash ont servi de fer de lance, accompagnés, suivant les pays, de magazines (TV, people). Souvent, Ringier a développé son implantation en partenariat avec des groupes internationaux plus puissants et disposant d'une forte expérience de gestion d'une présence multinationale. Jusqu'en 2000, Springer (qui édite en Allemagne le géant du boulevard Bild et le quotidien «de qualité» Die Welt; le groupe Kirch détient 40% de Springer) détenait 49% des parts des sociétés assurant la présence de Ringier en Tchéquie et en Slovaquie. L'américain Gannett a collaboré avec Ringier en Roumanie. Depuis l'automne 2001, l'allemand Gruner + Jahr (un des pôles presse de l'empire Bertelsmann) est le nouvel allié de Ringier dans plusieurs pays.
Ringier occupe ainsi une position dominante en Tchéquie (62,1 millions de francs de chiffre d'affaire en 2000), avec notamment Blesk, le plus grand tirage quotidien du pays. Gruner + Jahr détient depuis l'automne dernier 25% de Ringier Tchéquie. Ringier possède aussi deux grandes imprimeries, à Ostrava et à Prague.
Ringier s'est fortement renforcé en Hongrie (36,7 millions de francs de chiffre d'affaires en 2000). A la fin 2000, Ringier a racheté à l'éditeur helvétique Jürg Marquard deux quotidiens, dont un journal de boulevard, Mai Nap. Cela a permis à Ringier de fusionner ce titre avec son Blikk et de dominer la presse de boulevard hongroise. A la fin 2001, Ringier a racheté la part de 49,9% détenue par Gruner + Jahr dans Népszabadság, l'ancien organe du PC hongrois, aujourd'hui le quotidien (de tendance libérale) de référence du pays (200000 exemplaires). Gruner + Jahr a dû se séparer de cette participation pour éviter que l'extension de Bertelsmann dans la télévision hongroise (via RTL) ne soit bloquée par les autorités de la concurrence. Ringier publie également des titres sportifs et est désormais le principal éditeur de quotidiens en Hongrie (535000 exemplaires de tirages cumulés).
En Slovaquie, Ringier a conclu un joint-venture avec Gruner + Jahr; l'entreprise helvétique y détient une participation minoritaire (49%). Ce nouveau pôle est le premier éditeur du pays. En 2000, Ringier avait réalisé un chiffre d'affaires de 13,4 millions de francs, en recul depuis plusieurs années.
Ringier est aussi implanté en Roumanie avec de nombreux magazines (dont Capital) et un quotidien, Libertatea, d'un tirage de 100000 exemplaires en 2000 (chiffre d'affaires en 2000: 19 millions de francs).
Ringier a depuis de nombreuses années une présence en Asie (49,3 millions de chiffre d'affaires en 2000). Le point fort de cette implantation est Hong Kong, où Ringier détient, seul depuis octobre 2001, une très importante imprimerie, Times-Ringier. Cette présence est le point d'appui pour un début d'extension vers la Chine elle-même. Ringier collabore ainsi avec le Ministère pour le commerce extérieur chinois pour éditer le magazine China International Business. Ou avec les autorités chinoises de la navigation aérienne, pour le magazine de bord de 16 compagnies aériennes. Hommage aux martyrs de Tienanmen. Ringier a également une petite présence au Vietnam, avec notamment une adaptation locale de Cash.

«Tout sur la vie de Jean-Paul II»

Edipresse a commencé son expansion à l'étranger en 1990 en Espagne, en prenant le contrôle du groupe barcelonais Hymsa, une vieille entreprise familiale éditrice de nombreux magazines et en possession d'une importante imprimerie. En 1997, par le biais de Hymsa, Edipresse a pris le contrôle, avec 50% des actions, du groupe madrilène Semana, lui aussi spécialisé dans l'édition de magazines et propriétaire de la troisième plus grande imprimerie d'Espagne, Rivadeneyra à Getafe, près de Madrid. Avec plus de 20 titres (dans des domaines aussi divers que: femmes, people, intérieur, parents-enfants, santé, mode, cuisine, voiture, etc.), Edipresse est le second éditeur de magazines en Espagne. En 2000, cela a correspondu à un chiffre d'affaires consolidé de 155,6 millions de francs. Cette présence sert aussi de tête de pont pour des contacts en Amérique latine, en particulier au Mexique.
Le Portugal est le second pays où Edipresse a pris pied en 1992. En 1998, Edipresse a intégré ses activités dans la société ACJ, le premier groupe de presse portugais. Chacun des trois partenaires d'ACJ ' Abril (Brésil), Controljornal (Portugal) et Edipresse (Suisse) ' détient un tiers du capital de la société. ACJ édite une vingtaine de magazines et a réalisé en 2000 un chiffre d'affaires total de 140,4 millions de francs, ce qui correspond, pour Edipresse, à 46,8 millions de francs de chiffre d'affaires consolidé.
Edipresse s'est ensuite implanté en Pologne en 1995. Son entrée sur ce marché s'est faite par l'intermédiaire du groupe Jean Frey (Weltwoche, etc.) ' pour le rachat duquel Ringier vient de se faire coiffer au poteau ' qui était alors en possession du Basler Mediengruppe. En deux étapes, en 1995 et en 1998, Edipresse a pris le contrôle total de la présence polonaise de Jean Frey et en a fait le plus fort pôle de croissance d'Edipresse à l'étranger. En 2000, Edipresse Polska a réalisé un chiffre d'affaires de 58,2 millions de francs. Magazines féminins (dont Przyjaciólka, hebdomadaire créé en 1948, plus de 560000 exemplaires) et people(Viva!, 280000 ex.) tirent le groupe, qui offre une gamme de huit titres sur le modèle de celle établie en Espagne. En février 2002, Edipresse a racheté deux magazines féminins afin de compléter son offre dans le «haut de gamme». Edipresse édite aussi le mensuel Jan Pawel II Kolekcja, tiré à plus de 328000 exemplaires et présenté ainsi sur le site Internet du groupe: «Tout sur la vie du Pape, de sa Pologne natale au Vatican. Un très grand succès de vente qui débouche sur le deuxième tome de la collection:2000 ans de christianisme.» C'est à partir de la Pologne que le marchand du temple Edipresse a tenté le lancement, en octobre 2000, d'un titre en Ukraine.
En 1998, Edipresse a établi un partenariat avec l'éditeur grec Antonios Liberis, avec prise de participation à hauteur de 50% dans la société Liberis Publications SA ainsi que dans l'imprimerie Hellenic Printing SA, qui imprime les titres du groupe. Liberis publie des magazines (il est le numéro un en Grèce) et il mise notamment sur les Jeux olympiques 2004 d'Athènes afin de développer ses affaires. En 2000, Edipresse a réalisé un chiffre d'affaires consolidé de 23,6 millions de francs dans ce pays.L'implantation grecque a été le point de départ d'une extension en Roumanie. Liberis et Edipresse ont ainsi pris le contrôle en 1998 de The Romanian Publishing Group, spécialisé dans l'édition roumaine de magazines internationaux connus (féminins, people). Ensemble, ils ont construit une imprimerie moderne dans la banlieue de Bucarest. En février 2002, cette expansion roumaine a pris une nouvelle dimension avec la fusion des activités roumaines de Axel Springer (40%) et celles du pôle gréco-helvétique (60%) au sein de The Romanian Publishing Group. Edipresse ne publie pas de chiffres concernant ses activités en Roumanie.
Enfin, Edipresse a une petite présence en France, avec un magazine (Vital, mensuel féminin; 110000 ex.) et, surtout l'imprimerie Darantière, à Dijon, spécialisée dans l'impression de livres pour le compte d'éditeurs comme Payot, Actes Sud, Gallimard ou Le Seuil. Darantière occupe une position de force pour l'impression sur papier bible, notamment pour la bibliothèque de La Pléiade de Gallimard. J.-F. M.

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