N° 1 octobre 2001 "5000 x 5000": le nouveau"modèle VW" est arrivé Pas de terminus sur la ligne des renoncements syndicaux! Le 28 août, Volkswagen (VW) et le syndicat IG Metall ont signé un accord présenté comme "révolutionnaire" (Financial Times, 29 août 2001) et désigné par la formule "5000 x 5000", cest-à-dire 5000 nouveaux emplois pour un salaire de 5000 DM (environ 3950 fr.). En 1993 déjà, la multinationale avait bouleversé les repères sociaux en Allemagne, et dans le reste de lEurope, en introduisant la semaine de 4 jours, le fameux "modèle VW", présenté urbi et orbi comme un exemple de "partage du travail". Huit ans plus tard, et avec une nouvelle récession qui pointe son nez, voici le "modèle VW" au carré. J.-F. Marquis Le 11 août, le Financial Times annonçait en première page que le chancelier allemand, le social-démocrate Gerhard Schröder, avait profité de la fête organisée à loccasion du soixantième anniversaire de Peter Hartz, le chef du personnel du groupe VW, pour organiser une rencontre informelle avec Jürgen Peters, le numéro deux de IG Metall, et Ferdinand Piëch, le patron de VW, et les enjoindre à trouver un accord sur ce fameux projet "5000 x 5000", bloqué depuis fin juin. Deux semaines plus tard, ses "vux" étaient exaucés. Lanecdote en dit long sur les liens de connivence existant entre la direction dun des groupes industriels les plus puissants dAllemagne et du monde, le chancelier social-démocrate et des sommets des directions syndicales. Gerhard Schröder a dailleurs longtemps siégé en tant que représentant du Land de Basse-Saxe au conseil de surveillance de VW (léquivalent du conseil dadministration) et il est un "ami" de Piëch. Elle montre surtout limportance accordée à cet accord. Lanalyse du contenu de ce dernier valable doctobre 2002 à fin mars 2006 permet rapidement de comprendre pourquoi. Un projet densemble VW veut lancer à lautomne 2002 en Allemagne (à Wolfsburg, la ville de VW dans un premier temps, à Hanovre, peut-être, dans un deuxième temps) la production dun nouveau modèle de véhicule, du type de la "Scénic" de Renault, construit sur la plate-forme de la Golf. Pour cela, VW a créé une nouvelle société Auto 5000 et a mis au point un "projet pour entièrement redéfinir et réorganiser lensemble du processus de production et de distribution. Cela signifie que toute la production, de la planification à la finition et jusquà la distribution, est entièrement rationalisée dans une conception densemble." (IG Metall Newsletter, août 2001, www.igmetall-bezirk-hannover.de) Un des fils rouges de cette réorganisation est lobjectif de réduire le délai entre la commande du client et la livraison du véhicule à 15 jours. VW veut ainsi acquérir un avantage concurrentiel important et se donner les moyens daugmenter sa rentabilité, en réduisant les stocks immobilisés et en accélérant les cycles de production. Une des conséquences de cet objectif est une redéfinition décisive des conditions de travail, des droits des salarié·e·s et du type de contrat qui les lie à leur employeur. Cest ce que fait laccord signé avec IG Metall. Laccord 5000 x 5000 ne porte donc pas seulement sur le salaire, le temps de travail et la flexibilité. Cest un accord qui prétend refaçonner les rapports mêmes entre employeur et employé·e·s. De plus, cest un accord qui est conçu pour faire modèle: ce qui a été expérimenté ici pourra être repris demain, sous une forme ou une autre, dans lensemble du groupe VW, et plus largement encore. Cest bel et bien un accord "révolutionnaire". Créer un travailleur nouveau Pour atteindre cet objectif, VW reprend à son compte lutopie stalinienne: créer un travailleur nouveau. La multinationale a en effet besoin de "ressources humaines" totalement malléables et pouvant devenir un rouage de la machinerie conçue pour produire plus, dans des délais toujours plus courts. Pour atteindre ce but sans provoquer trop de résistances, la caution syndicale est nécessaire. Auto 5000 ne va ainsi engager que des chômeurs·euses, 3500 pour la première étape, 1500 pour la seconde, si elle a bien lieu. Ce choix est présenté comme un "signal" dans la lutte contre le chômage. Le but effectif est autre: réunir un ensemble dhommes et de femmes toutes et tous fragilisé·e·s par lexpérience du chômage, nétant plus inséré·e·s dans des collectifs nourrissant les solidarités, ayant perdu les repères de ce qui est acceptable et de ce qui ne lest pas dans les rapports de travail, bref disponibles pour sadapter aux contours du nouveau moule VW. A lorigine, VW voulait dailleurs ne les engager que pour une durée déterminée de 3 ans. Il fallait créer une sorte de salarié·e·s durablement précaires, mercenaires à engager de cas en cas sur les champs de bataille de la course à la compétitivité. Ce point a été abandonné, mais tout le dispositif mis en place concourt néanmoins à cet objectif1. Formation, déformation Recrutés, ces anciens chômeurs devront se former. Durant trois mois, la formation sera financée par lassurance chômage. Puis, dès octobre 2002, elle se poursuivra durant six mois en entreprise, avec un salaire inférieur de 500 DM à la rémunération de base. Cette période terminée, les salarié·e·s dAuto 5000 continueront à suivre une formation hebdomadaire, de 3 heures en moyenne, dont la moitié seulement se fera sur le temps de travail payé. Ce dispositif est, bien sûr, présenté comme une contribution supplémentaire de VW à la lutte contre le chômage, dans le sillage de lidée largement diffusée, y compris par des responsables syndicaux, quun "déficit" de formation serait une cause majeure de la faible "employabilité" des sans-emploi. On peut parier que lobjectif réel est double et fort différent. Premièrement, une formation technique, brève et directement articulée à la production, contribue à tisser des liens de dépendance/fidélité à légard de lentreprise Auto 5000 dans un premier temps, du groupe VW dans un second (durant la durée de laccord, doctobre 2002 à mars 2006, les salarié·e·s dAuto 5000 ne pourront pas être engagés par dautres sociétés du groupe Volkswagen). Deuxièmement, cette formation ne vise pas seulement à lacquisition de connaissances techniques, mais également de "compétences sociales", correspondant à lexigence patronale didentification des salarié·e·s à lentreprise et à ses objectifs. Selon le contrat approuvé par IG Metall, il sagit dinculquer aux salarié·e·s "la capacité de coopérer et de communiquer, louverture aux nouvelles formes de partage du travail; la capacité à résoudre les conflits de manière coopérative et la capacité à venir à bout des tâches en travaillant en équipe, en développant son sens des responsabilités et en intégrant de hautes exigences en matière de qualité" (Qualifizierungstarifvertrag, art. 2). Flexibilité: no limits! La durée de référence du temps de travail est de 35 heures. Cette règle générale, pouvant apparaître "généreuse" vue depuis la Suisse, est la couverture pour une flexibilisation sans limite. 1. Lhoraire de 35 heures signifie en premier lieu que la fameuse semaine de 4 jours (28,8 heures) du "modèle VW", édition 1993, est officiellement morte et enterrée (pratiquement, cela fait des années que les horaires effectifs dépassent les 28,8 heures). La multinationale a ainsi réussi à imposer, fait sans précédent depuis longtemps en Allemagne, un allongement de la durée normale et pas seulement effective du temps de travail. La direction de VW avait même commencé les négociations en exigeant un horaire de 42,5 heures hebdomadaires, comme dans les années 50 et 60! 2. Le travail est organisé en trois équipes, ce qui est nécessaire pour tenir les délais très courts imposés. Traditionnellement, lorganisation du travail chez VW est en deux équipes. Cela fait plusieurs années que le chef du personnel de VW, Peter Hartz, veut passer aux trois équipes. Un membre du comité dentreprise des usines VW de Hanovre, Manfred Stöter, le dénonçait déjà au printemps 1997: "La flexibilité va encore saccentuer. On va probablement bientôt travailler en trois équipes." (cf. Page Deux, mai 1997, p. 41) Cest aujourdhui chose faite, au prix le plus bas, puisque tous les suppléments, y compris pour le travail de nuit, sont inclus dans le salaire forfaitaire de 5000 DM. 3. La semaine de travail va du lundi au samedi, qui devient ainsi un jour ouvrable comme les autres. La semaine effective de travail pourra par conséquent être de 42 heures. Les équipes du samedi matin seront régulières. En plus, lentreprise aura le droit de faire travailler des équipes le samedi après-midi 30 fois par an. Cela signifie que chaque salarié pourra être contraint de travailler 10 samedis après-midi par an. Sans la moindre compensation. 4. La durée du travail est annualisée. Chaque salarié·e aura un compte temps individuel. A la fin de lannée, son décompte pourra fluctuer dans une bande de plus ou moins 200 heures par rapport à la durée normale calculée sur la moyenne hebdomadaire de 35 heures. Cette marge énorme, correspondant à plus ou moins 6 semaines de travail, est la même que celle imposée par BMW pour louverture, annoncée en juillet dernier, dun nouveau site de production à Leipzig. Cest une illustration de la manière dont le patronat allemand organise la course au moins disant social, en sappuyant sur les régions de lancienne Allemagne de lEst, économiquement sinistrées depuis la réunification, et plus largement sur ses possibilités dimplantation en Tchéquie, en Hongrie, en Pologne, etc. 5. Dans laccord, le temps de travail est systématiquement désigné par lexpression de "temps de travail produisant de la valeur". Lhommage indirect à lanalyse marxiste, qui place le travail à la source de la richesse sociale, est à relever, au moment où des cohortes de syndicalistes et de politiciens "de gauche" rallient, avec armes et bagages, le camp des chantres de l"économie de marché". Lenjeu de la précision est cependant plus pratique: cest une porte ouverte à la chasse systématique au temps mort, à lexclusion du temps de travail payé de toutes les plages de présence ne "produisant [pas] de la valeur". Lenjeu nest pas mineur, puisque la définition concrète des horaires de travail fera lobjet de négociations ultérieures, et probablement permanentes. Le retour du travail à la tâche La nouveauté la plus radicale de laccord est la réintroduction dans les faits du travail à la tâche. Chaque jour, chaque équipe qui est organisée en team, cest-à-dire avec une responsabilité collective aura des objectifs, quantitatifs et qualitatifs, à atteindre. Le contrat prévoit que ces objectifs, et les effectifs correspondants, seront fixés dun "commun accord entre la direction le comité dentreprise". Comme dans le cas du travail aux pièces, la direction pourra stimuler la concurrence entre équipes pour pousser progressivement les exigences vers le haut. Laccord fait dailleurs explicitement référence à la méthode des "benchmarks" la méthode des "niveaux de référence", courante pour imposer des niveaux de rentabilité financière croissants pour létablissement des objectifs. Or, si ces objectifs ne sont pas atteints, léquipe devra immédiatement poursuivre son travail, jusquà la réalisation pleine et entière de lobjectif fixé. Si cela se produit pour des raisons dont la responsabilité peut être attribuée à lemployeur, ce travail supplémentaire sera comptabilisé dans le compte temps des travailleurs concernés. Si le retard est considéré comme imputable à léquipe, les heures supplémentaires que celle-ci devra faire ne seront pas payées. En cas de désaccord à ce sujet, les "partenaires sociaux" trancheront dans un délai dune semaine, avec possibilité de recours à une instance darbitrage. Inutile de spéculer sur la manière dont les disputes sur cette "responsabilité" se trancheront. Lessentiel est ailleurs: ce nouveau type de "travail à la tâche" plonge structurellement les salarié·e·s dans une situation où ils sont contraints de reprendre totalement à leur compte les objectifs de production de lentreprise, sous peine de voir leurs journées de travail sallonger fortement. Ce dispositif est indispensable pour VW, car cette obligation datteindre les objectifs quotidiens de production, à tout prix, est la condition pour tenir, avec des effectifs minimums, un planning de production extrêmement contracté par la contrainte du délai de 15 jours entre commande et livraison. Mais il signifie en même temps un nouveau degré dans la subordination des salarié·e·s aux exigences de lentreprise: le salarié cumule en effet les contraintes caractéristiques du contrat de travail avec les obligations typiques du contrat commercial. Dégringolade
escalier par escalier Le syndicat IG Metall, soucieux de "vendre" cet accord, insiste sur le fait que les salaires versés 5000 DM sont conformes à ceux fixés par le contrat collectif valable dans lindustrie des machines du Land de Basse-Saxe. Voilà une "bonne nouvelle", qui a pour fonction den cacher de nombreuses autres, nettement moins bonnes. 1. Le salaire mensuel sera en fait de 4500 DM. Sy ajoutera un bonus annuel minimum de 6000 DM. Cest ainsi quon arrive au chiffre de 5000. En fonction de la "marche des affaires", seront aussi versés un "bonus personnel au mérite" et une "participation aux résultats". Léclatement de la rémunération salaire de base, salaire "au mérite", primes est ainsi entériné. 2. Ce nest quen tenant compte de lensemble de ces primes dont certaines ne sont pas encore définies que la rémunération annuelle des salarié·e·s dAuto 5000 sera équivalente à celle dun travailleur de lindustrie des machines du Land de Basse-Saxe durant ses trois premières années de travail. Cependant, le niveau des salaires du contrat de Basse-Saxe est nettement inférieur à celui du contrat collectif de VW. En 1997 déjà, la direction de VW, qui voulait engager du personnel temporaire pour faire face à la pénurie de main-duvre sur ses chaînes tournant à plein régime, avait utilisé le même artifice pour imposer des niveaux de salaires différents pour des postes de travail équivalents (cf. Le Gutenberg, 15 mai 1997). Quoi quen dise IG Metall, cest donc bel et bien à un processus débranlement des normes contractuelles par mise en concurrence entre elles que contribue cet accord. 3. Lintroduction dun salaire unique pour tous les salarié·e·s à lexception des cadres, tout de même! peut être perçu comme une mesure dégalité. Mais alors dégalité de caserne, taillée sur mesure pour le patronat! Car elle aboutit, dune part, à un nivellement des niveaux de rémunération vers le bas. Et, dautre part, elle revient à exproprier les syndicats et les salarié·e·s de la possibilité de négocier collectivement leurs salaires, en fonction de leur qualification et de leurs années dexpérience notamment. Cest lemployeur qui, dans un acte dautorité, fixe ce dont le "bon peuple" a besoin pour vivre: 5000 DM. 20% déconomies
qui dit mieux? Pour faire avaler la pilule, VW a offert une "participation élargie" aux représentants du syndicat et du personnel, au sein du Comité dentreprise et du Conseil de surveillance, dont la moitié des membres seront des représentants du personnel. Lexpérience même de la négociation de ce contrat "5000 x 5000" montre cependant comment ce type de "participation" est davantage une manière dimpliquer le syndicat dans la mise en uvre des contre- "révolutions" imposées par le patronat ce qui est un moyen très efficace pour désamorcer lopposition potentielle parmi les salarié·e·s quun point dappui pour aider les salarié·e·s à défendre leurs droits. VW, dailleurs, ne se prive pas de diffuser un chiffre qui, à lui seul, est lindice synthétique qui indique à qui profite cet accord: lentreprise compte réaliser une économie de 20% par rapport à ce quelle aurait dû débourser si elle avait dû appliquer le contrat collectif VW. En dautres termes, 20% de perdu par les futurs salarié·e·s dAuto 5000; et 20% qui vont alimenter la concurrence au moins disant social, que le patronat allemand est décidé à accélérer dans les mois à venir. Emulation patronale Depuis des années, le patronat allemand fait campagne pour briser, dans les faits, le système de contrats collectifs de travail nationaux, pour "rompre la poigne de fer de la loi du travail" selon la formule de lhebdomadaire des milieux daffaires américains, Business Week (13 août 2001). Laccord signé par IG Metall lui confirme quil lui est possible, en utilisant sans vergogne le bras de levier du chômage, dimposer des exceptions massives aux contrats existants. La porte à léclatement du dispositif contractuel est ainsi encore davantage ouverte. Les employeurs vont sy engouffrer, comme ils se sont engouffrés dans louverture du premier "modèle VW" pour accélérer la généralisation de la flexibilité. Le quotidien du patronat italien, Sole 24ore, tire, dans un article de 1re page de son édition du 2 septembre 2001, la leçon très profitable pour tout le patronat européen de laccord "5000 x 5000": "Les multinationales et, de manière générale les entreprises qui sont en compétition avec des concurrents dans le monde entier doivent réagir aux défis auxquels ils sont confrontés, y compris en se débarrassant des obligations imposées par des réglementations locales. Si possible avec laccord des syndicats; sinon, sans cet accord et en sadressant directement aux salarié·e·s. [
] La morale [de laccord chez VW] est simple: des pratiques limitées jusque-là à lAmérique du Nord et au Sud-Est asiatique pénètrent dans le syndicalisme allemand. Mais si lon veut avoir 5000 postes de travail, il faut sadapter à la logique du marché global. A la fin, le syndicat la compris." Cet accord est aussi une indication de quel côté de la balance pèse le gouvernement, le parti social-démocrate et ses nombreux relais au sein des appareils syndicaux. A condition, élections en 2002 obligent, que les patrons permettent aux syndicats de "sauver la face" en participant à des "négociations" et en pouvant exhiber quelques "résultats" plus de "participation" par exemple , le chancelier Gerhard Schröder pèsera de tout son poids sur les directions syndicales pour quelles se montrent "raisonnables", au nom de la "lutte contre le chômage". Au début de lannée déjà, ce mécanisme renforcé par les interventions de la Banque centrale européenne (BCE) contre les revendications salariales "exagérées" avait étouffé la campagne salariale des syndicats, qui a abouti à des résultats très faibles. Laccord signé chez VW en août va encourager le patronat allemand à encore augmenter la pression en vue de la prochaine ronde de négociations, fin 2001/début 2002. La nouvelle récession qui plane sur léconomie mondiale va également peser. Les salarié·e·s dAllemagne auront donc à faire à forte partie et, par ondes de choc, chaque recul quils subiront se répercutera négativement sur le rapport de force des salarié·e·s des autres pays dEurope. Leçons dune faillite
Cet accord montre enfin que, sur la ligne des renoncements syndicaux, il ny a pas de terminus
On peut toujours tomber plus bas. Le premier "modèle VW" était censé contribuer à stopper lhémorragie demplois. Il nen a rien été (cf. p. 38); par contre, il a provoqué une première hémorragie des droits des salarié·e·s, en ouvrant complètement la vanne de la flexibilité. Huit ans plus tard, la direction de VW impose le franchissement dun nouveau palier: cest laccord "5000 x 5000", une nouvelle fois accepté au nom de la lutte contre le chômage. La leçon est claire, et valable pour lensemble des organisations syndicales et des forces politiques se disant de gauche. Lacceptation du cadre de l"économie de marché" du capitalisme, en clair comme la seule forme dorganisation possible de léconomie désarme complètement les salarié·e·s et leurs organisations: ils nont plus rien à opposer aux exigences patronales, présentées comme autant de conséquences inévitables de la course à la compétitivité, permanente dans une économie capitaliste. Chaque concession, justifiée aujourdhui comme étant la part du feu, ne contribue pas à relâcher la pression, au contraire. Elle alimente la poursuite, demain, de la course au moins disant social. Elle désoriente les salarié·e·s et rend plus difficile lorganisation dune résistance. Bloquer cette spirale descendante exige de renverser la perspective. Le respect des droits des salarié·e·s, qui constituent la très grande majorité de la population, doit devenir le point de départ pour déterminer à quoi les ressources de la société sont utilisées et comment léconomie est organisée. Cela suppose de mettre un terme à lautocratie dune infime minorité de grandes fortunes et de puissants actionnaires qui, adossés à leur propriété privée, imposent leurs choix et ravagent des entreprises ou des régions entières, au nom de la course au profit. Dans limmédiat, cela justifie le refus sans concession des prétentions patronales sans cesse croissantes. Ce rejet ne pourra simposer que sil est porté par un salariat convaincu de ses droits et par conséquent solidaire. Cest à cela que devraient uvrer les organisations syndicales, et non pas à cultiver la résignation, au nom du moindre mal. 1. Lhistoire enseigne quentre ce type d"utopie" patronale et la réalité, le chemin est souvent long et plein de surprises. Plus dune fois des salariats, que des patronats voulaient refaçonner de toutes pièces, se sont rebiffés, de diverses manières. Stéphane Beaud et Michel Pialoux en donnent un exemple récent dans le récit quils font de la reprise en main patronale des usines Peugeot dans les années 80 et des tentatives de la direction dy minoriser la vieille garde douvriers syndicalistes et de gauche par une nouvelle génération, marquée par le chômage. (Cf. Retour sur la condition ouvrière: enquête aux usines Peugeot de Sochaux-Montbéliard, Fayard, 1999.)
Le "modèle VW", modèle 1993 VW nen est pas à son coup dessai. En 1993, la multinationale a signé avec le syndicat IG Metall son fameux accord sur la semaine de "4 jours". Officiellement, cet accord devait permettre de "sauver 30000 emplois" en Allemagne. Pour cela, la durée du travail des salarié·e·s était officiellement réduite à 4 jours par semaine, soit 28,8 heures hebdomadaires au lieu de 36. Le salaire annuel global était réduit proportionnellement, les diverses primes annuelles permettant deffectuer cette coupe sans toucher fortement au salaire mensuel. Les coûts salariaux des usines VW en Allemagne ont ainsi baissé de 20%. Le "modèle VW" était né: nombre de responsables syndicaux et de politiciens "de gauche" sen sont emparés pour "prouver" quil serait possible détablir un nouveau compromis social, ménageant à la fois les exigences de rentabilité des entreprises et les besoins des salarié·e·s. Cette présentation idyllique ne correspond pas à la réalité. 1. Le "modèle VW" na pas stoppé les suppressions demplois chez VW: les postes de travail ont chuté dans ses usines dAllemagne de 128000 en 1991 à 95000 en 1997 (Die Zeit, 11.4. 1997). 2. Le passage à la "semaine de 4 jours" a été le point de départ pour imposer une flexibilité très large aux salarié·e·s et pour faire éclater les collectifs de salarié·e·s. Plus de 150 modèles dhoraires de travail différents ont été mis en place. Dès la reprise des affaires, les heures supplémentaires se sont multipliées, les 28,8 heures hebdomadaires ont été oubliées. 3. La caution syndicale apportée au "modèle VW" a crédibilisé une idée particulièrement pernicieuse: face au chômage, ce serait aux travailleurs de "partager" le travail, et les revenus, entre eux. Car les profits sont, eux, intouchables. De fait, le "modèle VW" de 1993 a accompagné une restructuration de la multinationale qui en a fait, dans la seconde moitié des années 90, une entreprise en pleine expansion et extrêmement rentable. Aujourdhui, le groupe VW contrôle 18,8% du marché automobile européen, 3% de plus quen 1993, et il a distancé tous ses concurrents. Quant aux profits déclarés, ils ont plus que triplé de 1997 à 2000, pour atteindre près de 1,8 milliard de dollars (Business Week, 23 juillet 2001).
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