N° 0 septembre 2001

Dossier: «Le mouvement des "sans-papiers"»

- Le mouvement des "sans-papiers"
- plate-forme du comité de soutien de fribourg
- Manifeste du "Collectif sans-papiers" de Genève
- Pétition au Grand Conseil vaudois
- Déclaration du mouvement national de soutien aux sans-papiers
- Sortir de la marginalisation,
collectif de" sans-papiers" de La Chaux-de-Fonds
-Travail et sans-papiers: l’exemple de la construction dans le canton de Vaud ,
Matteo Poretti
- Précaire chez Optigal, puis sans-papiers
,témoignage
-"Abolir des milliers de frontières qui divisent les salarié·e·s",
Pietro Basso, professeur de sociologie

Le mouvement des "sans-papiers"

Occuper un espace et y faire surgir le droit d’avoir des droits
Un "mouvement citoyen" impulsé par des femmes et des hommes ne disposant d’aucun droit a pris son essor cet été en Suisse.
Son écho a acquis une dimension imprévue. En effet, les défaites subies par les mouvements "pour le droit d’asile" avaient laissé l’empreinte d’un pessimisme.
Toutefois, le thème de la régularisation collective des sans-papiers, de celles et ceux qui, pour l’essentiel, travaillent en Suisse est entré en résonance avec la résurgence, timide, de revendications pour des droits sociaux élémentaires. Par exemple, un salaire minimum de 3000 francs. Cette jonction entre droits des sans-papiers et droits sociaux constitue un des éléments explicatifs de l’appui reçu par ce mouvement des "sans". La consolidation de cette convergence représente une des conditions du maintien et du développement de ce mouvement.
Mais rien n’est joué. Les autorités ripostent. Le débat réclamé semble être rayé de l’ordre du jour du Conseil national. Les attaques contre le droit d’asile, contre les "budgets pour l’asile", sont là pour indiquer que les milieux dirigeants, au-delà des déclamations, savent qu’un clandestin "coûte moins cher" qu’un requérant d’asile et qu’il est plus fonctionnel aux "besoins de l’économie".
La manifestation de Fribourg le 15 septembre a réuni plus de 1500 personnes. Le 19 septembre, à Lausanne, plusieurs centaines de personnes ont manifesté sur la place de la Riponne. Les "sans" deviennent des "avec" un visage.
Réflexions, échanges, contacts représentent une assurance pour cette bataille démocratique. Ce dossier prétend simplement contribuer à cela. (Réd.)

Depuis le 4 juin, le "mouvement des sans-papiers" de Fribourg a occupé l’église Saint-Paul jusqu’à s’en faire expulser par la police le 25 août dernier. Depuis lors, le collectif a été accueilli dans un "espace culturel", Fri-Art, qui se situe dans la Basse-Ville de Fribourg. Malgré les difficultés, ce lieu est devenu un endroit de réunion, où se rencontrent le collectif des sans-papiers et diverses associations.

Le mouvement, qui continue d’exiger la régularisation collective des sans-papiers, a non seulement abouti à rendre plus légitime cette revendication, mais a ouvert, par sa pratique, deux pistes utiles à tout mouvement social. La première: la force d’un mouvement revendicatif de ce type repose dans sa capacité à ce que s’affirme le dénominateur commun de celles et ceux revendiquant un droit. Dans ce but, les sans-papiers se sont organisés en tant que sans-papiers, quelle que soit leur origine, quelle que soit leur communauté. Ils n’ont pas introduit de frontières entre eux avec un système de représentation par communauté. La seconde: le dialogue a été engagé avec associations, mouvements politiques, syndicats suisses; le lieu d’occupation a été proposé comme un lieu de réunion à chacune de ces associations ou syndicats; des débats sur des thèmes divers s’y déroulent; la similarité des conditions de travail des sans-papiers, des immigrés et de secteurs de travailleurs et travailleuses suisses a été mise en relief.

Au moment où d’autres collectifs se sont constitués ou se constituent en Suisse, nous nous sommes entretenus, le 4 septembre 2001, avec Lionel Roche et Gaëtan Zurkinden, secrétaires du Centre de Contacts Suisses-Immigrés/SOS Racisme à Fribourg, qui dressent un bilan provisoire de cette lutte et de cette occupation et expliquent le fil conducteur de leur action. Cette réflexion pourrait constituer un élément utile à la consolidation du mouvement.

Quelles ont été les différentes impulsions pour faire naître le collectif des sans-papiers à Fribourg? Comment celui-ci a-t-il été concrètement mis sur pied?

Le travail que nous faisions depuis plusieurs mois au CCSI (Centre de Contacts Suisses-Immigrés) nous a rapidement fait comprendre quelle était l’ampleur du problème des sans-papiers. L’an dernier, plus d’un quart des consultations au centre étaient le fait de personnes dans une telle situation. Deux éléments ressortaient: d’une part, notre pratique à leur égard ne pouvait être que celle du cas par cas, de l’aide individuelle. D’autre part, cette aide était extrêmement limitée, puisque nous ne pouvions concrètement rien faire pour les personnes qui vivent dans cette situation. Inutile d’effectuer des démarches auprès des autorités ou de la police, comme nous pouvons le faire pour d’autres personnes qui consultent le CCSI.

Dès lors, nous avons décidé de mettre cette question au centre de notre travail politique en organisant plusieurs discussions sur ce thème à partir des témoignages de sans-papiers. Nous avons déclaré symboliquement le CCSI "ambassade des sans-papiers" tout en constituant des listes des personnes sans papiers qui venaient nous consulter.

En réfléchissant à la manière de pouvoir mener une lutte avec eux, nous nous sommes intéressés à ce qui s’était passé en France il y a quelques années. La question d’une action collective est rapidement apparue comme la seule chance de faire connaître plus largement la question des sans-papiers et de mener une lutte qui puisse porter des revendications à la fois larges et claires. De là, une vingtaine de personnes ont été réunies une première fois. Nous avons discuté avec eux à de nombreuses reprises: il leur fallait, autour du principe d’une action collective, un cahier de revendications précises et un mouvement de soutien. Trois ou quatre réunions ont suivi, durant lesquelles nous avons discuté des raisons — juridiques, politiques, socio-économiques — qui ont mené ces personnes à devenir sans-papiers. C’est notamment autour de ces thèmes qu’il fallait établir un cahier de revendications. Les sans-papiers eux-mêmes ont identifié l’action collective comme la seule possible, la seule qui puisse aboutir à leur régularisation. Cela a été répété constamment, avant l’occupation mais également pendant la vie à Saint-Paul. Il nous fallait également insister sur cette notion pour mettre ensemble des gens aux parcours et aux situations souvent très différents. Nous n’avons pas cherché à épauler ou à parrainer les sans-papiers, mais simplement à leur transmettre les instruments leur permettant de comprendre le fonctionnement de l’appareil juridico-politique suisse qui les a rendus sans droits. C’est par cette compréhension que les sans-papiers ont pu mener la lutte avec une conscience claire de leur situation et des multiples raisons de leur combat. Nous avons simplement contribué à leur rendre visibles les mécanismes qu’ils n’avaient pas pu toujours saisir auparavant, même s’ils vivaient quotidiennement cette réalité.

Comment avez-vous concrètement organisé la deuxième phase, celle qui a précédé l’occupation de Saint-Paul?

Les sans-papiers, en mai 2001, ont rédigé eux-mêmes leur manifeste, qui constitue leur premier acte politique fort [voir ci-contre]. A travers ce texte, ils donnent sens à leur lutte et, par là même, retrouvent un statut d’être humain, doté de droits inaliénables. De son côté, le mouvement de soutien, en collaboration avec le collectif des sans-papiers, a élaboré une plate-forme programmatique, qui essaie de tirer des perspectives de lutte sur le long terme [voir p. 9: "Contre la précarité et l’exploitation"]. Durant la rédaction et juste après, beaucoup de personnes, d’organisations ou de syndicats nous ont reproché d’aller trop loin dans l’analyse politique, de nous couper des milieux humanitaires ou de l’asile en élargissant le champ des revendications aux droits sociaux, par exemple. Certains ont signé cette plate-forme, même s’ils la critiquaient pour ses revendications trop larges et trop "politiques". D’autres ont d’abord refusé. Par la suite, il était frappant de voir que, dès les deuxième et troisième semaines d’occupation, les gens qui venaient à Saint-Paul demandaient à signer ce texte. Ils étaient certainement mis en confiance par ce qu’ils pouvaient lire dans la presse sur le mouvement, mais on peut aussi considérer qu’ils étaient favorables à notre axe politique une fois que celui-ci avait pu être clairement développé et discuté. Petit à petit, les syndicats ont également signé cette plate-forme, et finalement, tous les syndicats présents à Fribourg l’ont soutenue.

Le travail qui se poursuivait avec les sans-papiers qui étaient dans le collectif a été d’autant plus important que les membres du collectif n’étaient pas politisés auparavant et n’avaient jamais mené une lutte collective pour leurs droits. Le fait de parvenir à les réunir autour des revendications qu’ils ont formulées eux-mêmes nous fait également réfléchir à l’inactivité ou à l’incapacité des syndicats à mettre sur pied des luttes de ce type. Dans notre cas, avec des gens non politisés au départ, extrêmement précarisés puisque sans droits, et même pas celui d’être ici, mais conscients de leur situation et de leur exploitation, nous avons pu mener une action collective large, offensive, et qui s’attaque à la racine des problèmes à la fois de l’immigration et du rapport salariat-patronat. Cela montre qu’en effectuant un travail important, en refusant la logique générale à l’œuvre et la résignation, des mobilisations sont possibles.

Comment a été prise la décision d’occuper, une décision qui porte sur la stratégie du mouvement et de la lutte dans son ensemble?

Pour nous, l’occupation était le moyen de poser le problème des sans-papiers de manière à la fois immédiate et durable. Par ailleurs, dès la constitution du collectif, nous avions l’idée d’occuper un lieu car beaucoup des personnes membres du collectif étaient totalement excédées et "à bout" par rapport à leur situation. Après des années de vie en Suisse, ils étaient sous la menace permanente d’un renvoi et ne pouvaient ni ne voulaient continuer à vivre avec cette pression.

L’occupation elle-même a été décidée très rapidement: il y a eu moins de deux mois entre la première assemblée générale du mouvement et le début de l’occupation. Le lancement de l’occupation a été accéléré par le fait que plusieurs personnes devaient être cachées parce qu’elles allaient être expulsées. Nous ne pouvions pas les cacher pendant des mois, cela n’avait pas de sens et était même dangereux. Nous avons donc posé la question aux sans-papiers présents lors d’une assemblée: "Voilà, nous allons devoir occuper un lieu dans les prochaines semaines, voire les prochains jours. Qui est d’accord d’occuper avec nous?" Une main, puis deux, puis plusieurs se sont levées. L’occupation était à la fois l’aboutissement logique d’une première phase et le début d’une seconde étape. C’était une décision du collectif des sans-papiers et le mouvement de soutien s’est trouvé en quelque sorte devant le fait accompli, devant une décision prise en dehors de lui. La base de tout ce travail a été la relation de confiance avec les sans-papiers. Ils ont été, dans cette décision comme dans l’ensemble du mouvement, le moteur et le centre de toute l’action.

La décision a aussi été prise parce que nous voulions toutes et tous "faire quelque chose". On peut analyser pendant des années voire des décennies les problèmes liés à l’émigration ou à l’exploitation, sans mener de luttes. Si on ne met pas en pratique ces éléments, par une lutte concrète, on ne changera jamais rien au rapport de force.

L’occupation permettait aussi d’élargir le discours sur la politique d’immigration. Quand nous avons vu les positions de certaines organisations dans la lutte contre la LEtr (loi sur les étrangers), nous ne nous sommes pas reconnus dans la campagne qu’elles menaient. Pour nous, l’élargissement aux questions des conditions de travail et du rapport salariat-patronat est central. Nous ne voulions pas participer à une campagne qui dise seulement "Halte au racisme" ou qui fasse appel à des principes généraux qui ne permettent ni d’expliquer, ni de comprendre la condition des travailleurs immigrés en Suisse, avec ou sans papiers. Nous considérons que, par ce discours, nous sommes également plus proches des sans-papiers. Si on parle de racisme à un sans-papiers, il dit que c’est vrai, qu’il y a du racisme, mais cela ne l’aide pas et ne le fait pas avancer sur la compréhension de sa situation. En parlant de conditions de travail, de salaire et de conditions de vie en général, l’écho pour un travailleur sans papiers est beaucoup plus significatif. Il se retrouve évidemment beaucoup plus dans de telles revendications que dans des déclarations contre le racisme. De plus, dans la description publique de leur situation au travail, de nombreux salarié·e·s suisses reconnaissent une partie de leur propre situation.

Comment s’est organisée concrètement l’occupation, la vie sur place et en dehors de l’église?

L’occupation a commencé évidemment sans aucune autorisation, ni de la paroisse, ni des autorités. Nous avons donc rapidement mis en place les différents éléments nécessaires à la vie à Saint-Paul, notamment en ce qui concernait la sécurité des personnes présentes.

La recherche de soutiens, aussi bien nationaux qu’internationaux, a également été importante dans la phase qui a précédé l’occupation. Cela permettait de faire connaître le mouvement et de lui donner une plus grande légitimité, une plus grande assise. Mais nous n’avons pas sollicité n’importe quels soutiens, au prix, par exemple de concessions sur le fond de nos revendications. Nous avons eu des discussions avec ceux qui étaient réticents sur certains points de la plate-forme ou du manifeste des sans-papiers. Des discussions parfois assez dures, comme avec certains syndicats présents à Fribourg.

Nous avons aussi voulu immédiatement faire de ce lieu un lieu ouvert, dans lequel les membres du collectif pourraient rencontrer des associations, des syndicats, des partis. Nous avons donc ouvert les locaux à diverses organisations pour qu’elles y fassent leurs assemblées, ce qui a débouché sur de nombreuses discussions entre les sans-papiers et les membres de ces groupes. Par exemple Mgr Genoud est venu à Saint-Paul. Il ne voulait rencontrer qu’une délégation du collectif, mais d’autres personnes sont entrées et ont débattu avec l’évêque, qui était sur une position restrictive en matière de régularisation. Avec une vingtaine de sans-papiers autour de lui, nous ne savons pas s’il a changé d’avis, mais il est certain que les membres du collectif ont pu lui exprimer très clairement leurs revendications et les raisons de celles-ci… Ces rencontres, qui pouvaient parfois être de véritables confrontations, ont été importantes pour la construction d’un collectif ouvert vers l’extérieur. Dans ce sens, notre pratique va à l’encontre du terme "refuge" avec les connotations qu’il peut avoir.

Dans cette ouverture vers l’extérieur, l’action chez Optigal [voir ci-contre "Précaire chez Optigal…"] avait une dimension syndicale. Comment ont réagi les syndicalistes à cet "empiétement" sur leur terrain?

Nous n’avons pas empiété sur leur terrain, puisque c’est un terrain qu’ils n’avaient jamais réellement occupé auparavant. Les travailleurs d’Optigal n’avaient presque jamais vu de permanent syndical sur leur lieu de travail. L’un des sans-papiers leur a même dit, lors d’une rencontre entre le collectif et les syndicats, que quand le permanent faisait une visite du site, la direction d’Optigal ralentissait la chaîne de production…

Ce type d’action n’était pas pour nous une manière de faire le travail des syndicats, mais s’inscrivait totalement dans notre analyse et nos revendications, à savoir que les permis précaires (une partie des futurs sans-papiers) sont contraints de travailler dans des conditions extrêmement dures et pour des salaires souvent très bas. Ils sont également livrés à la direction sans moyen de défendre réellement leurs droits. C’est cela qui constitue la réalité des travailleurs immigrés avec des permis précaires. L’absence de syndicats dans de telles entreprises est, de ce point de vue, encore plus grave.

En fait, pour cette action, ce sont d’anciens salariés d’Optigal, membres du collectif, qui nous ont décrit les conditions de travail qui règnent dans cette entreprise et le type de main-d’œuvre qui y est employée. L’action s’imposait d’elle-même parce qu’elle avait été sollicitée par des (anciens) salariés de cette entreprise. D’ailleurs, tous les syndicats se sont joints aux sans-papiers pour cette action.

De manière plus générale, quelle a été l’attitude des syndicats face au mouvement?

Nous nous sommes immédiatement tournés vers les syndicats et avons eu plusieurs discussions, parfois très dures, avec eux au début du mouvement. Les syndicats étaient un peu mal à l’aise: ils soutenaient les sans-papiers dans leurs revendications générales, mais en pratique, ils effectuent les contrôles et la chasse au travail au noir avec l’Etat et les patrons.

Nous leur avons rapidement proposé la création d’un comité syndical de soutien aux sans-papiers. Par la suite, il y a eu une réelle ouverture des syndicats vers nous. Ils nous ont invités à des discussions. De ce point de vue, ce qui s’est passé au cours des dernières semaines du mouvement a été très important. Nous avons pu commencer un travail commun, que nous espérons pouvoir poursuivre. Même si nous continuons à considérer qu’il est faux de participer aux commissions tripartites qui débusquent les travailleurs au noir. Nous ne pensons par ailleurs pas que leur attitude sur la question des sans-papiers se modifiera radicalement. Mais nous avons pu créer des liens que nous espérons pouvoir poursuivre au travers de cours de formation, de débats sur les approches de la question des sans-papiers et des travailleurs migrants en général.

Comment les sans-papiers ont-ils élaboré le discours sur leur situation et les revendications avancées par le collectif et le mouvement de soutien?

Il faut le répéter: le mouvement de soutien et le CCSI n’ont servi qu’à éclairer certains aspects de la situation des sans-papiers et à indiquer les moyens d’action possibles.

Les sans-papiers ont très rapidement pris confiance et ne se sont jamais gênés de donner leur avis sans nuancer leur discours en fonction de leur interlocuteur. Ils ne sont pas impressionnés par qui que ce soit parce que, dans leur situation, ils n’ont pas beaucoup à perdre.

D’autre part, nous avions préparé ensemble les différentes réponses possibles qu’émettraient les autorités, car nous savions que ces dernières ne manqueraient pas d’essayer de détruire le mouvement. Quand il a été question de régularisation "au cas par cas", par exemple, les membres du collectif étaient prêts à répliquer et leur réponse a toujours été de refuser ce traitement arbitraire de leur situation. Le mouvement de soutien est resté ce qu’il était au début, à savoir un point d’appui. En aucune manière, il n’a été l’acteur central, qui fixe une ligne. Les sans-papiers étaient conscients de la justesse de leurs revendications et n’avaient besoin que d’un soutien, pas d’une ligne politique.

Quelles étaient les règles durant l’occupation et comment était organisé le processus de prise de décision au sein du mouvement?

Au début, les règles n’étaient pas très contraignantes. Les gens devaient assumer une certaine présence, mais il n’y avait pas véritablement d’exigences par rapport à l’engagement de chacun. Après quelques semaines, les sans-papiers ont décidé de revoir ces règles. Ils voulaient surtout montrer que la lutte devait être menée par toutes et tous. Certains portaient cette lutte presque à eux seuls et ce poids devenait parfois assez lourd. La règle est devenue la suivante: vingt-quatre heures de présence dans la semaine sur le lieu d’occupation et présence aux assemblées générales du dimanche soir. Cela a provoqué la sortie du collectif de quelques membres, parce que ceux-ci ne pouvaient ou ne voulaient pas assumer une telle présence, un tel engagement. Ces nouvelles exigences répondaient en fait à une demande du collectif, qui considérait que la liste ouverte pour la régularisation devait comporter les noms de celles et ceux qui étaient engagés dans le mouvement. C’était une manière de dire: "Nous luttons pour une régularisation collective, mais pour celles et ceux qui s’engagent." Certains nous ont accusés de faire du cas par cas. Ce n’était justement pas ça, puisque les autres sans-papiers ont pu s’inscrire sur une deuxième liste, ouverte plus tard, puis sur une troisième, qui vient de s’ouvrir. D’autre part, la revendication de fond est restée, à savoir celle de la régularisation collective de tous les sans-papiers, de Fribourg et de Suisse.

Pour la question de la prise de décision, il existait deux lieux de réunion et de décision pendant l’occupation: le premier, l’assemblée générale du dimanche soir durant laquelle étaient discutés les différents événements et problèmes de la semaine écoulée. Le second était le "bureau politique", qui comprenait des délégués des sans-papiers, des membres du mouvement de soutien et les permanents du CCSI. Le bureau était toujours ouvert à d’autres personnes qui voulaient y participer. Les discussions étaient plus politiques et c’est là que les différentes actions étaient proposées avant d’être soumises à l’assemblée générale.

Comment articuler des revendications aussi générales que la libre circulation pour toutes et tous et une lutte immédiate pour les droits et les intérêts des membres du collectif?

Le collectif des sans-papiers a eu le sentiment de constituer une sorte "d’avant-garde", dans la mesure où il voulait ouvrir une brèche dans laquelle d’autres mouvements pourraient s’engouffrer. Nous posons ainsi le problème de l’échec, du point de vue des salariés, de la politique d’immigration telle qu’elle a été menée jusqu’à aujourd’hui. C’est à partir de cette double analyse que les sans-papiers ont revendiqué la libre circulation totale des personnes, sans restrictions. Ce n’est donc ni une proposition purement propagandiste, ni une mesure que le rapport de force actuel nous permet d’imposer: c’est une perspective sur laquelle nous pouvons travailler à moyen terme, c’est la base d’un travail politique. D’autant plus que la libre circulation est inscrite dans la Déclaration des Droits humains. C’est ce qui a permis aussi aux sans-papiers de s’approprier cette revendication et de la considérer comme la seule manière d’aborder la question de la migration et des droits des immigrés.

Il est certain que la libre circulation est l’une des revendications qui ont le plus braqué certaines personnes contre nous. D’autres ont également créé des confusions sur cette revendication, en la soutenant, mais en disant aussi qu’il faut des contrôles répressifs du travail au noir ou qu’une régularisation collective générale provoquerait un "appel d’air" pour une immigration massive. Plusieurs syndicats sont sur cette ligne. Et ils continuent de penser, pour une bonne partie d’entre eux, que le dumping salarial est de la responsabilité de cette main-d’œuvre sans droits que sont les sans-papiers, et non des employeurs eux-mêmes.

Montrer que tous les salariés sont victimes de la même logique, dont les sans-papiers constituent en quelque sorte la forme extrême, c’est pour nous la meilleure manière de ne pas se marginaliser et de lutter contre le racisme. Certains préfèrent dire que le peuple suisse est raciste, etc. Nous, nous posons la question de l’égalité des droits, et de l’élargissement de ceux-ci pour tous les salariés en essayant de montrer constamment les logiques générales qui sont à l’œuvre. Refuser de placer la lutte des sans-papiers dans le rapport plus général capital-travail, c’est nier la réalité de la condition d’une partie des salariés en Suisse et la place des travailleurs migrants dans le système économique. De plus, du point de vue stratégique, des mouvements centrés sur le seul droit des étrangers à vivre en Suisse contribuent à isoler les travailleurs immigrés des travailleurs suisses et à maintenir les divisions créées volontairement par la droite et le patronat. Un tel raisonnement pousse évidemment à une approche strictement humanitaire, caritative qui marginalise la dimension des droits sociaux et syndicaux.

Le même raisonnement est valable pour la régularisation collective. A moyen terme, c’est notre objectif politique. A travers lui, nous pouvons également montrer quels mécanismes produisent systématiquement des sans-papiers. Donc que la politique du cas par cas est intenable. Avoir de telles perspectives est la seule manière de travailler à la fois pour les sans-papiers d’aujourd’hui et pour les droits des travailleurs migrants à plus long terme. L’échelon suisse, de ce point de vue, est l’échelon minimal.

Dans la pratique, nous savons que ces revendications sont irréalisables dans le court terme. C’est donc un combat en plusieurs étapes, dont la première est pour nous la régularisation collective des membres du mouvement. Une telle approche permet de combiner les intérêts immédiats et légitimes des sans-papiers qui ont lutté dans le mouvement tout en posant une perspective de travail à plus long terme. Si une première régularisation concerne un collectif constitué, que celui-ci compte 10 membres ou 80, il est possible de poser, immédiatement après, le principe de l’égalité de traitement, donc de revendiquer une régularisation collective de tous les sans-papiers.

Les conditions de travail sont également une question centrale dans la plate-forme et le manifeste des sans-papiers.

Le contrôle des conditions de travail est en effet une revendication centrale dans la lutte des travailleurs migrants en général. Le terme "social" a été ajouté pour éviter la confusion avec ce que font les syndicats en termes de répression du travail "au noir" [voir dans ce numéro l’article consacré au travail au noir dans le canton de Vaud]. Cela signifie, pour nous, que le contrôle de ces conditions doit s’effectuer par les travailleurs et par les syndicats, et non par des commissions tripartites, ou des institutions de ce type, dont le but avoué n’est que de faire respecter les conditions de la concurrence. De tels contrôles ne font que pénaliser les travailleurs, qui souvent doivent s’enfuir des chantiers lorsqu’ils voient arriver des inspecteurs, même si ce sont des "inspecteurs syndicaux"…

D’autre part, demander une régularisation collective sans demander une amélioration des conditions de travail n’aurait pas beaucoup de sens. Ce sont l’ensemble des droits des travailleurs, suisses ou immigrés, qui sont concernés par une telle proposition.

Vous avez refusé d’élaborer des critères (temps de vie en Suisse, emploi ou pas) préalables à la régularisation. Comment envisagez-vous concrètement une régularisation collective?

Il faut préciser que nous demandons la régularisation collective "systématique", ce qui va de pair avec la revendication de la libre circulation. Il ne s’agit pas de régulariser une fois tous les sans-papiers, et de durcir ensuite les conditions de l’immigration, comme l’a proposé Christiane Brunner. C’est pour nous la seule manière de ne plus produire constamment des sans-papiers. Remettre les "compteurs à zéro" et en même temps laisser les lois telles qu’elles sont aujourd’hui n’a pas de sens.

Le PSS a fait une nouvelle proposition, pendant notre mouvement: il faudrait que les sans-papiers soient en Suisse depuis quatre ans clandestinement et qu’ils aient un boulot fixe pour être régularisés. Et ils devraient le prouver! Cela correspond en fait à la création d’un nouveau statut, cette fois-ci "officiel", de sans-papiers. C’est le statut le plus précaire qu’il pourrait y avoir en Suisse. Cela montre à quel point le PSS est défensif et ne répond pas aux problèmes des salariés immigrés. Nous sommes convaincus que les travailleurs se reconnaissent davantage dans ce que nous disons, dans les revendications que nous portons plutôt que dans ces propositions "en réaction" qui entérinent et officialisent la situation inadmissible des travailleurs sans papiers en Suisse. D’autant plus que de telles propositions font le jeu du patronat. Le PS suisse comme celui de Fribourg n’ont jamais signé la plate-forme du mouvement de soutien, ce qui n’est assurément pas un oubli de leur part, mais qui montre bien qu’ils sont sur une ligne différente en ce qui concerne la politique d’immigration au sens large du terme.

Comment voyez-vous un éventuel élargissement du mouvement en Suisse romande et en Suisse alémanique?

Nous l’avons toujours dit, l’apparition de mouvements dans d’autres régions est la condition indispensable à l’élargissement du débat au niveau national [voir p. 15 "Déclaration du mouvement national de soutien aux sans-papiers"]. Il est important, dans le cadre du début du débat aux Chambres fédérales qui s’ouvre le 17 septembre, de rester mobilisés et de poursuivre le mouvement, Il faudrait idéalement un mouvement social fort au moment de cette discussion. Même si nous ne nous faisons pas beaucoup d’illusions sur le contenu de la LEtr qui sera votée. Nous nous rendons compte, par exemple au travers de l’émission Droit de Cité de la Télévision suisse romande à laquelle nous avons participé, que le fonctionnement institutionnel cherche à marginaliser totalement nos positions. Ces éléments illustrent bien le rapport de force actuel et les difficultés qui nous sont posées en vue d’un élargissement de la lutte.

Tous ces éléments annoncent des discours très durs de la part des autorités, avec l’appui de fait du PS. Nous nous attendons à un sérieux retour de manivelle de la part des différentes autorités. Ni le capital de sympathie dont nous avons pu bénéficier durant l’occupation, ni la couverture médiatique relativement importante que nous avons eue pour les actions menées ne nous ont leurrés sur l’état réel du rapport de force. Ce n’est pas parce qu’on passe dans les journaux presque tous les jours que les autorités vont reculer. Au contraire, elles ont largement durci le ton pour montrer qu’elles n’entreraient pas en matière sur le principe de la régularisation collective. Il faut s’attendre à ce que ce durcissement se poursuive et peut-être s’accélère.

En Suisse alémanique, il sera plus difficile de lancer de tels mouvements, même s’il a démarré à Berne depuis le 9 septembre. Avec l’appui des syndicats et de diverses associations, le mouvement peut toutefois commencer à prendre racine en Suisse alémanique. Pour stimuler cette dynamique, il faut qu’il se consolide en Suisse romande et que des mouvements durables puissent prendre forme. La coordination entre La Chaux-de-Fonds et Fribourg a été étroite. Le développement d’une initiative à Genève a rencontré une large audience [voir p. 14 le manifeste du "Collectif sans-papiers de Genève"]. Une coordination romande s’est réunie à La Chaux-de-Fonds et une coordination nationale se réunit le 15 septembre à Fribourg.

Finalement, le collectif de Fribourg a été évacué par la police. Comment voyez-vous la suite de votre action et la possibilité de relancer une dynamique autour de la question des droits des travailleurs immigrés?

La dernière semaine, celle qui a précédé l’évacuation policière, a été très dure. Nous avons vécu un rapport de force d’une violence jamais rencontrée jusque-là. Nous avions déjà eu des échéances, mais nous n’avions jamais cédé. Là, dans les derniers jours de l’occupation de Saint-Paul, il a fallu accepter de négocier pour gagner du temps et permettre d’assurer la sécurité des sans-papiers qui occupaient Saint-Paul. Cela a été très fort pour nous toutes et tous, physiquement et psychiquement. Ensemble contre nous se trouvaient réunis Conseil d’Etat, conseil de paroisse, préfet et, à un degré moins direct, Conseil fédéral. Pour les personnes du collectif, l’intervention signifiait la fin de la garantie de protection accordée par le Conseil d’Etat. Là, nous avons dû nous replier, pour gagner du temps et trouver un autre lieu où évacuer les gens à l’abri de la police et de la presse.

Mais nous allons poursuivre le mouvement avec les sans-papiers parce que l’évacuation ne constitue pas l’aboutissement du mouvement et ne règle en aucune manière la question des travailleurs sans papiers en Suisse. L’occupation actuelle, à Fri-Art, consolide le mouvement. Des délégations de sans-papiers de Fribourg participent aux discussions en cours, que ce soit à La Chaux-de-Fonds [voir p. 13 "Sortir de la marginalisation"], à Lausanne et demain à Genève et Berne.

Il serait d’autre part indispensable de réfléchir à un cadre européen, à une forme de coordination européenne des mouvements [de sans-papiers existant en Europe. C’est notamment ce qu’indiquait aussi Pietro Basso lors de son intervention à Saint-Paul en juillet dernier [voir en p. 21]. n

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plate-forme du comité de soutien de fribourg
Contre la précarité et l’exploitation
Pour une régularisation collective des sans-papiers en Suisse

Personne ne connaît exactement le nombre de ceux qu’on a appelés successivement les "clandestins", puis les "sans-papiers": non parce qu’ils seraient "invisibles" ou "cachés", mais parce que les milieux dominants (politiques et industriels) ont intérêt à ce qu’existe un stock de salarié·e·s largement précarisé·e·s et hors-droit (licenciables du jour au lendemain), qui s’adaptent aux aléas du marché. D’après certaines estimations, ils seraient plusieurs centaines de milliers de personnes à travailler et habiter en Suisse sans permis de séjour. Dans le canton de Fribourg, le CCSI/SOS Racisme les évalue entre 7000  10000.

Un système légal qui produit des sans-papiers

Contrairement au discours dominant, on ne peut réduire le "problème" des sans-papiers à celui de l’asile ou de l’immigration dite "illégale". Il s’agit très souvent de personnes à qui on refuse leur autorisation de séjour (regroupement familial) ou qui ne peuvent pas la renouveler pour des raisons diverses (divorce, chômage, échec aux examens, etc.): les sans-papiers ne sont donc pas des "illégaux", mais des "illégalisés" fabriqués par les lois. La nouvelle loi sur les étrangers (LEtr) — qui généralisera les permis de courte durée, pires encore que celui de saisonnier — et la prochaine révision de la loi sur l’asile (LAsi) ne feront que créer de nouveaux sans-papiers.

De l’utilité d’une armée de réserve

L’existence des sans-papiers n’a rien du hasard: les autorités apprécient les avantages de cette vaste armée de réserve, c’est pourquoi elles la tolèrent. Dans le contexte de mondialisation du capital — phase actuelle du capitalisme — l’existence de travailleurs précaires est essentielle: elle permet de fixer au plus bas le prix de la force de travail, d’aiguiser la "juste" concurrence mise en place entre travailleurs/euses par le patronat, et ainsi de diviser les salarié·e·s entre eux. Dans ces manœuvres de division, les différences d’origine (étrangers contre Suisses) — et donc la xénophobie — jouent un rôle central.

Une réalité qui concerne l’ensemble de la classe salariée, à l’échelle européenne

Contrairement à ce que laissent entendre les directions des partis bourgeois (PDC, radicaux), du PS et de certains syndicats — dont la ligne politique est largement influencée par l’extrême-droite xénophobe (UDC) — on ne peut pas séparer la réalité du/de la salarié·e suisse de celle du/de la salarié·e immigré·e ou étranger/ère: tous font partie de la même classe — ceux qui doivent vendre leur force de travail — et sont victimes des mêmes méthodes d’exploitation. En ce sens, le combat pour les sans-papiers s’inscrit dans le cadre plus large de la lutte de l’ensemble de la classe salariée pour de meilleures conditions d’existence.

Le drame des sans-papiers se pose à l’échelle de l’Europe entière: chaque semaine, des centaines de migrants — attirés par la richesse affichée des mégalopoles occidentales — sont arrêtés en tentant de franchir les barrières dressées autour des pays de l’Union européenne. Fuyant les guerres ou la misère de pays dévastés par les "plans d’ajustement structurel" du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale (BM) et écrasés par le poids de la dette, ces femmes et ces hommes vont jusqu’à sacrifier leur vie en espérant recueillir quelques miettes laissées par les puissants du club de l’OCDE (Organisation pour la coopération et le développement économiques).

Des luttes collectives, pour des solutions structurelles

Les luttes menées par des collectifs de sans-papiers se multiplient: en France, en Espagne, en Allemagne se constituent des réseaux solidaires. Tous refusent cette nouvelle forme d’esclavage imposée aux sans-papiers.

En Suisse également, des mouvements de protestation ont pris naissance. Contrairement aux mouvements dont nous avons pu prendre connaissance, aucun ne revendique la régularisation collective des sans-papiers, sans discrimination (d’origine, de classe, d’après le temps de séjour, etc.). En conséquence — et dans l’idée de rassembler le front le plus large de "ceux-d’en-bas" — le Mouvement de soutien aux sans-papiers avance les revendications suivantes:

• la régularisation collective de l’ensemble des sans-papiers et le refus de toute solution individuelle, au cas par cas;

• pour qu’il ne s’agisse pas uniquement d’une simple "remise à zéro des compteurs", le droit à la libre circulation des personnes;

• la revalorisation générale des conditions de travail des salarié·e·s suisses et immigré·e·s;

• l’égalité de traitement (conditions de travail, droits politiques et syndicaux, sociaux, culturels) entre Suisses et immigré·e·s.

Fribourg, mai 2001

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Manifeste du "Collectif sans-papiers" de Genève
Il y en a 0% et pourtant ils existent

Personne ne connaît exactement le nombre de ceux qu’on nomme les clandestins, les illégaux ou les sans-papiers. Ils ne sont pourtant pas invisibles. Mais nombreux sont ceux qui font tout pour maintenir ces personnes, largement précarisées et hors-droits, dans leur condition d’"individus inexistants". Soumis aux abus des logeurs, aux humeurs de l’employeur, obligés d’accepter des salaires en dessous de toute convention et de tout usage, ils sont en outre la cible des mesures du Conseil fédéral et de fréquents contrôles de police, victimes des comportements xénophobes.

Ils ont peur de sortir le soir, d’attendre trop longtemps un bus, d’aller à l’hôpital. Ils n’osent pas dénoncer un acte dont ils sont victimes: agression, harcèlement sexuel, mobbing, etc.

Ils n’existent pas, mais ils habitent le canton depuis 1, 2, 5 ou 10 ans. Ils n’existent pas, mais ils travaillent. Ils n’existent pas, mais ils paient des impôts, les assurances sociales (chômage, AVS/AI, LPP, accidents professionnels) que souvent ils ne touchent pas.

Un système légal qui produit des sans-papiers

Les sans-papiers ne sont pas seulement des requérants d’asile déboutés ou des travailleurs dits illégaux, ce sont également des personnes qui, suite au décès d’un conjoint, à un divorce, à la perte d’un emploi, à un échec aux examens, perdent ce qu’ils avaient construit ici, par refus de renouvellement de permis.

La politique des autorités en matière de (non-)permis est contraire à la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948, et est même en contradiction avec les prescriptions de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance et du Comité de l’ONU pour l’élimination de la discrimination raciale. Le projet de nouvelle loi sur les étrangers (LEtr), en remplaçant le statut de saisonnier par celui de courte durée et en rendant l’accès officiel du territoire national encore plus difficile aux non-Européens, durcit la loi actuellement en vigueur et, ce faisant, produit davantage de sans-papiers.

Une réalité qui nous concerne tous

L’existence d’une population précarisée affaiblit à terme tous les secteurs de la société: le combat pour les sans-papiers s’inscrit dans le cadre plus large de la lutte pour la défense et l’amélioration des conditions de travail et de vie de toutes et de tous.

Le drame des sans-papiers se pose à l’échelle de l’Europe entière et les autorités helvétiques sont encore plus dures que les autorités françaises, italiennes, espagnoles et belges qui ont procédé à des régularisations de sans-papiers. Chaque semaine, des hommes, des femmes et des enfants sont rejetés alors qu’ils fuient des persécutions, des guerres ou qu’ils tentent d’échapper à la misère de pays économiquement sinistrés, notamment par les "plans d’ajustement structurel" du Fonds monétaire international (FMI). Les inégalités économiques et sociales à l’échelle mondiale liées à la libéralisation totale de l’économie ne sont pas acceptables: elles provoquent des exodes dramatiques de population. Aucune mondialisation n’est possible qui ne prévoit pas la liberté de circulation des êtres humains et l’égalité de leurs droits sur la terre entière.

Des luttes collectives, pour des solutions collectives

Les luttes menées par des collectifs de sans-papiers se multiplient: en France, en Espagne, en Allemagne, en Belgique, en Italie se constituent des réseaux solidaires.

En Suisse également, des mouvements de protestation ont pris naissance: à Lausanne, à Fribourg, à Neuchâtel, à Berne, à Zurich, à Chiasso et peut-être encore ailleurs demain. Le Collectif sans-papiers de Genève s’est créé pour prendre part à cette lutte, sur le plan suisse et international.

Le collectif "sans-papiers" de Genève demande

• la régularisation collective de l’ensemble des sans-papiers;

• l’intervention du Conseil d’Etat et du Grand Conseil, des Conseils administratifs et municipaux auprès des autorités fédérales afin de demander et d’obtenir la régularisation des sans-papiers;

• au Conseil d’Etat, l’arrêt de toutes les expulsions de sans-papiers;

• aux autorités cantonales, leur intervention pour garantir les mêmes conditions de travail, de salaire, d’apprentissage, de formation scolaire, de soins médicaux, d’assurances sociales et de logement pour toutes les habitantes et tous les habitants du canton quel que soit leur statut.

Appelle

• les autorités, les élus et tous les habitants à soutenir les sans-papiers, à participer au Collectif et à signer le présent manifeste;

• les autorités, les élus, les fonctionnaires et les citoyens à prendre publiquement et personnellement la défense des sans-papiers qui s’exposent par leur engagement.

Genève, le 8 septembre 2001

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Pétition au Grand Conseil vaudois
Arrêt de tous les renvois, des contrôles et arrestations policières visant les sans-papiers
Pour une régularisation collective des sans-papiers et une législation contre les discriminations

Les personnes soussignées demandent au Grand Conseil vaudois de prendre position, dans les meilleurs délais, sur la situation des personnes vivant et travaillant en Suisse mais qui n’ont pas de permis de séjour, les sans-papiers.

Les soussignés demandent qu’un débat soit organisé au Grand Conseil, sur la situation dans laquelle vivent ces citoyens et citoyennes sans permis de séjour. Dans l’immédiat, ils-elles demandent au Grand Conseil vaudois de se prononcer pour:

• l’arrêt de tous les renvois, de tous les contrôles et arrestations policières visant les sans-papiers, décision qui est de la compétence du Conseil d’Etat;

• pour une régularisation collective de la situation de séjour des sans-papiers vivant en Suisse;

• contre une législation sur les étrangers qui cimente les discriminations (nouveau projet de loi sur les étrangers (Letr) en discussion aux Chambres fédérales);

• pour une législation anti-discriminatoire qui garantisse une égalité de traitement et de droits à toutes les personnes vivant en Suisse qu’elles aient ou non le passeport rouge à croix blanche.

Collectif vaudois de soutien aux sans-papiers

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Déclaration du mouvement national de soutien aux sans-papiers

On ne veut pas les voir et on renforce toujours plus les contrôles aux frontières. Voici, lapidairement dit, l’attitude de tous les gouvernements occidentaux face aux sans-papiers. Pourtant, ils sont là, ils travaillent ici et leurs enfants sont peu à peu scolarisés. La présence des sans-papiers est un état de fait en Suisse, en Europe et ailleurs dans les pays riches (USA, Canada, Moyen-Orient, Japon, Australie). Cet état de fait est ancien. Ce qui est nouveau, c’est que les sans-papiers commencent à sortir au grand jour, particulièrement en France, en Italie, en Espagne, en Grèce, en Belgique, en Suisse. Ils veulent être reconnus et bénéficier d’un statut conforme à leur humanité et à leurs droits.

On ne sait exactement combien ils sont. Dans notre pays, les estimations les plus récentes chiffrent à 200 000 à 300 000 le nombre de personnes n’ayant pas de titre de séjour. Du fait de leur extrême précarité et de leur absence de droits, les sans-papiers subissent pour la plupart des conditions de travail et de vie inimaginables: salaires misérables, horaires interminables, protection sociale inexistante, logements insalubres. Ces gens et particulièrement les enfants vivent de plus dans la peur constante de circuler dans la rue et d’être ainsi à la merci d’un quelconque contrôle de police.

Les raisons de leur présence, en Suisse comme dans les autres pays riches, sont à chercher du côté des inégalités profondes et croissantes qui déchirent la planète et des violations graves et permanentes des droits de la personne humaine dans un nombre très élevé de régions du monde. La globalisation de l’économie marchande accentue ces disparités et persécutions, aggrave les écarts et les injustices et accule une fraction toujours plus importante de la population mondiale au désespoir. La seule issue est, comme dans toute l’histoire de l’immigration, celle de l’exil incertain vers les zones riches, là où l’accumulation, voire le superflu, peut faire espérer d’en recueillir les miettes.

Face à cette réalité, les gouvernements occidentaux – placés quelle que soit leur couleur politique dans l’orbite des maîtres du monde et de la compétitivité prônée par le FMI, la Banque mondiale et l’OMC – adoptent une position dont la contradiction est choquante: tout est mis en œuvre pour une libéralisation aussi rapide que complète de la circulation des marchandises et des capitaux et tous les efforts sont faits pour restreindre, voire empêcher la libre circulation des personnes par la mise en place de coordinations réglementaires, policières, administratives et des moyens de contrôle électroniques.

Ainsi, le mécanisme qui produit les sans-papiers est la législation elle-même. Le statut de saisonnier a créé les enfants clandestins, la loi sur l’asile et sa révision produit les déboutés. En matière d’autorisation de séjour, l’actuelle loi sur les étrangers, comme sa révision en cours, produit les sans-papiers. Les sans-papiers sont de la sorte devenus les victimes d’un système vicié, discriminatoire et violemment contraire aux droits fondamentaux.

Car les sans-papiers doivent bénéficier, comme chacun d’entre nous, des garanties données par les droits fondamentaux, issus de l’éthique sociale universelle, proclamés par la communauté des nations le 10 décembre 1948 et mis en œuvre par les instruments juridiques internationaux consécutifs.

Au premier rang des droits fondamentaux pertinents, nous citons la liberté de mouvement, le droit à la sécurité de l’existence, le droit à la dignité et à la considération, le droit à l’égalité (le droit à l’Etat de droit).

Les sans-papiers ont le droit d’avoir des droits. Les personnes et organisations soussignées appellent à:

• La régularisation collective des sans-papiers en ouvrant le débat sur la libre circulation générale des personnes comme alternative à la politique migratoire actuelle.

• L’arrêt des expulsions des sans-papiers, pour leur permettre de participer au débat démocratique sans risquer d’être mis en danger en sortant de l’ombre.

• L’égalité de traitement en matière de condition de vie, de travail, de salaire et d’assurances sociales pour toutes personnes habitant en Suisse.

• Une réelle revalorisation des conditions de travail et de vie de tous les salariés par l’extension des garanties collectives bloquant tout dumping social et mise en concurrence de chacun contre chacun.

• Une telle régularisation est la seule manière de permettre l’effectivité de l’égalité des droits sociaux entre tous, nationaux et immigrés.

Texte approuvé par l’assemblée des mouvements de soutien
le 1er septembre 2001 à La Chaux-de-Fonds

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Sortir de la marginalisation

Début septembre, nous nous sommes entretenus avec un membre du collectif de sans-papiers de La Chaux-de-Fonds. A ce moment-là, le collectif occupait encore la Maison du peuple. Mi-septembre, il s’est déplacé dans une usine désaffectée.

Est-ce que tu peux te présenter?

J’ai 26 ans et je suis originaire du Burkina Faso. Je suis en Suisse depuis quatre ans. J’ai travaillé trois ans jusqu’au moment où j’ai été débouté, avec l’obligation de quitter la Suisse.

Pourquoi avez-vous créé le collectif des sans-papiers?

Nous avons décidé de créer le collectif pour des raisons simples. Premièrement, pour pouvoir sortir de l’ombre. Deuxièmement, pour dire que nous existons. Troisièmement, pour sortir de la misère, de la solitude et pour se faire entendre, pour dire que nous sommes importants sur terre.

Comment a été lancé le mouvement?

Nous avons commencé à discuter l’idée dans un petit groupe de trois personnes, suite aussi à l’affaire de Bellevaux. On s’est posé la question de comprendre pourquoi, lorsque l’on vient de l’Afrique de l’Ouest, nous n’avons même pas droit au système des quotas déterminés par l’ODR (Office fédéral des réfugiés). Quand on vient de cette région d’Afrique, on est vraiment marginalisés, nous devions trouver une issue. Dès lors, nous avons pensé qu’il fallait prendre une initiative. Finalement, on a décidé, pour créer le débat, de lancer un appel à des ressortissants sans papiers de tous les continents afin de construire le collectif. C’est sur cette base que nous sommes partis. Lors du 50e anniversaire de la journée des réfugiés, nous avons fait des contacts avec le comité de soutien aux sans-papiers de La Chaux-de-Fonds, qui était déjà en contact avec Fribourg. C’est comme ça que nous avons constitué le collectif.

Comment le collectif des sans-papiers s’organise-t-il dans la Maison du peuple que vous occupez?

Pour ce qui concerne les questions pratiques de la vie quotidienne, il y a ceux qui s’occupent du nettoyage, ceux qui font la cuisine, etc. Au plan du mouvement revendicatif nous avons un bureau, dans lequel il y a quatre délégués des sans-papiers. Cette instance travaille avec le comité de soutien. C’est sur cette base que nous fonctionnons. Pour ce qui a trait à la sensibilisation de la population, nous avons organisé un grand rassemblement à la Maison du peuple. Puis, nous avons fait des actions en ville. Nous sommes aussi intervenus devant le stade où nous avons établi des contacts avec les spectateurs. Au bout de 5 minutes, nous avons récolté 500 signatures de soutien à notre pétition.

Votre revendication principale est celle de la régularisation collective de tous les sans-papiers. Pourquoi cette revendication?

D’une part, il faut savoir que les sans-papiers sont des personnes qui sont restées longtemps dans la clandestinité sans vraiment avoir une vie meilleure. Vu qu’en Suisse il y en a 300000, on s’est dit qu’il fallait trouver une solution générale à ce problème. Il faut que les autorités nous permettent de vivre dans la dignité. De plus, il y a des personnes qui sont en Suisse depuis quinze ou dix ans, c’est toute une vie! Elles doivent avoir le droit d’y rester et de manière légale. Les autorités politiques ont les moyens de régulariser tous les sans-papiers, elles peuvent le faire.

Comment peut-on renforcer le mouvement pour la régularisation collective des sans-papiers?

Nous avons des forts contacts avec le collectif des sans-papiers de Fribourg. Dans notre motion même nous affirmons clairement notre collaboration directe avec le collectif de Fribourg. Nous menons la même lutte. Nous avons également des contacts avec les sans-papiers de Bellevaux. Pour renforcer le mouvement, il faut que d’autres "occupations" s’opèrent en Suisse romande et en Suisse alémanique. Il faut imposer le débat très largement dans la population parce qu’il y a des politiciens qui nient tout droit aux sans-papiers en Suisse.

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Travail et sans-papiers: l’exemple de la construction dans le canton de Vaud

Un marché du travail pas si clandestin que cela

Le secteur de la construction dans le canton de Vaud est le terrain, depuis le printemps 1999, d’un "projet pilote" quadripartite — Etat, patronat, syndicat, assurances — de "Contrôle des chantiers", censé être une arme décisive dans le combat contre le "travail au noir". Certains, au sein du mouvement syndical, veulent y voir un modèle d’intervention pour combattre le "dumping social", qui risque encore de prendre de l’ampleur avec la mise en œuvre des accord bilatéraux avec l’Union européenne; à ce titre, ils proposent d’étendre l’expérience vaudoise à d’autres branches et à d’autres cantons.

A notre avis, ce "Contrôle des chantiers" souligne au contraire l’impasse où conduit la politique syndicale officielle dans ce domaine. Une stratégie alternative doit partir d’un constat fondamental: dans un secteur comme celui de la construction, il existe un véritable marché du travail des "clandestins", qui n’est pas clandestin du tout, mais qui est au contraire étroitement articulé au marché du travail officiel.

Matteo Poretti

Trop souvent, la réalité du "travail au noir" apparaît au grand jour suite à des accidents du travail. Ainsi, en l’an 2000, un Cap-Verdien est retrouvé mort dans l’installation agricole où il travaillait. Trois ans plus tôt, son permis de séjour ne lui avait pas été renouvelé; cette décision en avait fait un clandestin. Travaillant dans le secteur de la plâtrerie et de la peinture, il avait, au moment de son accident fatal, été "prêté" à une entreprise de fruits en gros… qui, bien entendu, nie avoir employé cette personne. Fin 2000, un requérant d’asile titulaire d’un permis N, embauché depuis 1999 par une entreprise de nettoyages, chute alors qu’il nettoyait du matériel d’une petite compagnie ferroviaire; il décède le lendemain à l’hôpital. Il laisse une veuve et deux jumeaux. L’entreprise qui l’employait prétend qu’il ne travaillait qu’un nombre d’heures variables et très limitées; son revenu aurait été inférieur au montant de coordination. La veuve conteste formellement; mais comment prouver ce qu’elle affirme? Et si elle n’obtient pas gain de cause, elle se retrouvera avec ses deux enfants sans rente de la prévoyance professionnelle et avec une rente de veuve de l’AVS misérable. Et, en plus, avec la peur d’être expulsée: seul son mari bénéficiait d’un permis de requérant.

Travail au noir: le produit de l’"externalisation"

Ces deux exemples — on pourrait malheureusement en citer d’autres — mettent le doigt sur la réalité de la surexploitation de la force de travail immigrée clandestine et sur l’existence d’un véritable "marché du travail clandestin", alimenté par des filières "primaires" et "secondaires", largement utilisé par des entreprises qui, par ailleurs, se déclarent être de ferventes partisanes de la lutte contre le travail au noir et l’immigration clandestine.

C’est en particulier le cas dans le secteur de la construction. De grandes entreprises, cantonales ou nationales, ont mis en place un système qui leur permet de profiter des avantages qu’offrent les travailleurs "au noir", tout en n’ayant formellement rien à voir avec ce marché du travail clandestin. Mieux: tout en le condamnant avec la dernière énergie.

La sous-traitance, appelée aussi "externalisation", est la pièce maîtresse de ce système. Les grandes sociétés qui contrôlent le gros du marché — public et privé — de la construction sont tenues de respecter les normes de la convention collective de travail (CCT) du bâtiment. Elles ont dans ce contexte intérêt à sous-traiter un certain nombre de travaux à des petites entreprises. Fortes de leur position dominante sur le marché, les grands entrepreneurs peuvent en effet imposer aux "petits poissons" de faire des offres à des prix cassés. Pour survivre et conserver une marge de profit, les petites entreprises n’ont alors d’autre choix que de se débarrasser des normes conventionnelles — salaires minimaux, temps de travail — et d’une partie au moins des "charges" des assurances sociales. Pour cela, elles recrutent "au noir", pour une bonne part parmi des sans-papiers. Ainsi, la moitié du personnel de l’entreprise dont dépendait le Cap-Verdien décédé l’année passée était composé de travailleurs au noir et clandestins.

Un marché "au noir" très organisé

Comment ce marché du travail clandestin est-il alimenté? On peut distinguer deux types de filières.

• Les filières "primaires" constituent les véritables circuits d’approvisionnement. Elles se chargent de livrer directement les clandestins aux entreprises du canton. Elles assurent par exemple le lien entre les pays de l’Est et le canton de Vaud. Elles sont probablement connectées à des réseaux plus ou moins mafieux.

• S’y ajoutent les filières dites "secondaires": leur fonction est de gérer les clandestins à l’intérieur du canton et de les allouer aux secteurs et employeurs qui en ont besoin. Par exemple, elles s’occupent du "surplus" de clandestins travaillant dans l’agriculture, une fois les récoltes terminées: elles "achètent" ces clandestins et revendent leurs services à des entreprises travaillant dans d’autres secteurs, y compris à des agences de travail temporaire.

Ces filières "secondaires" contrôlent aussi en partie les clandestins produits par la politique suisse en matière d’étrangers: requérants d’asile dont la demande a été refusée, personnes ayant un permis d’admission provisoire, saisonniers auxquels on a refusé le permis B (annuel) et qui continuent néanmoins à travailler en Suisse, etc.

Ces marchands d’hommes et de femmes disposent de réels "stocks" de travailleurs précaires et de sans-papiers, loués à la journée ou pour des périodes plus longues selon les besoins des entreprises. A cela s’ajoute le fait que les entreprises qui emploient régulièrement des clandestins ont développé une véritable solidarité patronale: elles se "prêtent" ces travailleurs en fonction de leurs besoins respectifs.Ce marché de travailleurs clandestins joue un rôle vital pour nombre de patrons; son existence est largement connue dans les milieux intéressés du canton; les protections ne manquent pas; aujourd’hui, l’industrie du bâtiment ne fonctionnerait plus sans lui.

Contrôle des chantiers: au service de qui?

C’est par rapport à cette réalité qu’il faut mesurer la portée véritable du projet-pilote Contrôle des chantiers de la construction dans le canton de Vaud. Il est devenu opérationnel à la mi-avril 1999. Officiellement, il doit contribuer à combattre le "fléau" du travail au noir. Il réunit les organisations patronales de la branche, divers services de l’Etat (dont les organes de police), les assurances sociales et les syndicats (SIB, FTMH et Syna). Sa dimension la plus visible est l’engagement de deux "délégués" chargés de contrôler les chantiers et de dénoncer les infractions.

Derrière ces apparences paritaires, tout indique que ce projet a été conçu par les patrons pour répondre à leurs intérêts. Pourquoi? Les entreprises qui utilisent des travailleurs au noir et des clandestins sont de notoriété publique dans la branche. Les deux "délégués" de terrain de Contrôle des chantiers les connaissent. Dans certains syndicats, les classeurs collectant les dénonciations contre ces entreprises s’accumulent. Les grandes entreprises générales qui leur sous-traitent du travail — et dont elles dépendent donc — n’ignorent pas la situation: elles pourraient facilement agir directement pour mettre fin à cette situation. Elles n’en ont rien fait. Par contre, ce sont elles qui, avec les syndicats, ont joué un rôle décisif dans la création du projet-pilote1 et elles contribuent de manière déterminante au financement des deux délégués chargés de contrôler les chantiers2.

Cette apparente contradiction s’estompe si l’on considère que le véritable objectif de ce projet-pilote n’est pas celui affiché: la lutte contre le "travail au noir", dont profite l’ensemble du patronat de la branche, directement ou indirectement. Le Contrôle des chantiers est par contre un instrument pour protéger les entreprises vaudoises de la concurrence externe et préserver les prix dans la construction.

Avec la nouvelle loi sur les marchés publics, les concours pour l’adjudication des travaux sont également ouverts aux entreprises d’autres cantons et étrangères. L’enjeu pour les constructeurs vaudois est clair: empêcher que des entreprises extracantonales puissent s’adjuger des concours en proposant des prix inférieurs.

Un exemple. Certaines conventions collectives de travail (CCT) en vigueur dans l’industrie du bâtiment du canton de Fribourg sont moins contraignantes en matière de salaires que celles du canton Vaud. Lorsqu’un travail est effectué sur le territoire du canton de Vaud, ce sont les normes des CCT vaudoises qui doivent, en principe, être appliquées. Il est évident que la tentation est grande pour une entreprise fribourgeoise de chercher à décrocher le mandat avec des prix au rabais, en misant sur la possibilité de payer ses ouvriers aux tarifs fribourgeois et non vaudois. Une entreprise provenant d’un autre canton peut aussi plus facilement recourir aux travailleurs au noir ou clandestins. En effet, les contributions sociales sont versées dans le canton où siège l’entreprise. C’est également là que sont octroyés les permis de travail. Vérifier si une telle entreprise agit de manière illégale exige donc des contrôles administratifs qui prennent davantage de temps.

L’entrée en vigueur de la libre circulation des personnes prévue par les bilatérales va encore renforcer ces mécanismes. L’accord prévoit en effet que des entreprises étrangères pourront exécuter des mandats en Suisse pour une durée ne dépassant pas 90 jours sans avoir à demander la moindre autorisation. Pour les patrons "indigènes", le danger est évident et ils n’ont certainement guère d’illusions sur l’efficacité des mesures transitoires prévues et qui sont censées éviter le dumping salarial3. Ils sont convaincus que la protection de leurs intérêts exige une politique d’intervention directe, selon des directives qu’ils détermineront eux-mêmes. C’est à cela que sert le Contrôle des chantiers.

Deux perspectives opposées

Mais alors quel est le sens de la participation des syndicats à ce genre d’opérations? L’action syndicale dans ce domaine devrait être guidée par un principe simple: le syndicat se bat pour que, dans une entreprise et dans une branche, tous les travailleurs bénéficient des mêmes droits, des mêmes protections (salaires minimaux conventionnels, etc.) et des mêmes conditions de travail. C’est uniquement à cette condition qu’il est possible de mettre un cran d’arrêt à la course au moins-disant social, organisée en permanence par le patronat; c’est aussi sur cette base qu’il est possible de chercher à organiser tous les salarié·e·s pour une défense collective de leurs droits. La conséquence de cette approche sur la manière d’aborder la situation des clandestins est claire: il faut exiger leur régularisation collective immédiate et se battre pour qu’ils travaillent aux mêmes conditions que les autres salarié·e·s (salaires, horaires, etc.).

Cette démarche est cependant à l’opposé de celle considérant que la lutte contre le travail au noir devrait reposer sur des "sanctions" infligées aux patrons et sur la dénonciation des travailleurs en situation illégale. Cette politique a en effet pour seule conséquence de perpétuer le travail "au noir" tout en contribuant activement à l’expulsion de nombreux sans-papiers, donc à maintenir dans l’insécurité toutes celles et tous ceux qui n’ont pas des "papiers en règle".

Or cette politique de répression est justement celle adoptée par le Contrôle des chantiers. Le bilan que celui-ci établit pour ses activités entre avril 1999 et juin 2001 administre d’ailleurs la preuve que son action ne peut en aucun cas avoir un effet dissuasif sur les employeurs utilisant le "travail au noir". Durant cette période, 368 infractions ont été dénoncées concernant les horaires de travail, les paiements de salaires et d’indemnités, ainsi que d’autres dispositions conventionnelles plus spécifiques. Le montant total des amendes prononcées s’élève à 63000 francs. L’infraction revient donc, en moyenne, à quelque… 171 francs. Selon nos sources, un clandestin travaillant dans la construction vaudoise est payé en moyenne quelque 100 francs par jour4, ce qui correspond à un "salaire" mensuel de 2170 francs5. Or, le salaire mensuel moyen des travailleurs déclarés de la construction s’élève à 4500 francs. Face à de tels gains6, que pèse une amende de 171 francs?

Fausse réponse à la crise syndicale

Un autre argument invoqué pour justifier l’implication des syndicats dans ces commissions paritaires, tripartites ou quadripartites, est le fait que ces dernières donneraient accès aux syndicats à toute une série d’informations, notamment sur les salaires pratiqués. De plus, ces commissions garantiraient la possibilité de disposer de "délégués" de terrain reconnus par le patronat et par l’Etat, ayant un pouvoir d’intervention directe sur les lieux de travail. Ce serait par conséquent un moyen de renforcer l’application effective des CCT.

Cet argument est d’abord un cruel miroir de l’état de faiblesse dans lequel se retrouve aujourd’hui le mouvement syndical. Connaître les conditions de travail effectives dans les entreprises et sur les chantiers; assurer un contrôle du respect des normes contractuelles: cela devrait être une des premières tâches d’un réseau de militants syndicaux, appuyés par l’appareil permanent du syndicat. Le constat est là: non seulement un tel réseau s’est dans une large mesure effiloché et il ne permet plus d’assurer ce contrôle. Pire, nombre de secrétariats syndicaux se sont dans les faits résignés à cette situation. Retisser des liens avec des travailleurs pouvant devenir des militants, constituer des équipes motivées, qui se forment progressivement et qui occupent aussi une place centrale dans la vie du syndicat — trop souvent monopolisée par les permanents — ne font plus partie de leurs priorités.

La suite est logique: on délègue le contrôle des infractions aux CCT à des "policiers" de chantiers "paritaires", avec tous les effets pervers qui découlent de ce choix. Ainsi, "les délégués ont fait appel à la gendarmerie ou aux polices municipales à 76 reprises pour des cas où il a été constaté la présence de personnes non autorisées à résider en Suisse ou frappées d’une mesure d’expulsion"7. Les syndicats acceptent donc d’être partie prenante d’un organisme qui n’a pas le moindre scrupule à dénoncer des travailleurs clandestins à la Brigade des renseignements, des étrangers et de la sécurité (Police cantonale). Selon les statistiques officielles, 86 travailleurs clandestins sont tombés dans les filets des "délégués" au Contrôle des chantiers8.

Ces dénonciations — et les expulsions qui ont pu en découler — ne contribuent en rien à faire disparaître le travail au noir, encore moins à renforcer le respect des normes contractuelles. Par contre, elles sèment une solide méfiance parmi tous les travailleurs qui pourraient être concernés par de telles mesures: ils assimilent les syndicats aux forces de l’ordre qui pourraient, demain, les expulser. C’est un obstacle majeur à ce qui devrait être la tâche prioritaire d’un syndicat et qui constitue même sa raison d’être: l’organisation collective et solidaire de tous les salarié·e·s d’une branche, quels que soient leurs origines, leurs passeports ou leurs statuts, pour défendre leurs droits et intérêts communs — l’application d’une CCT pour commencer — face aux employeurs.

Ce bilan est d’autant plus important que les syndicats, vaudois et d’autres cantons, veulent élargir l’expérience du Contrôle des chantiers de la construction à d’autres secteurs économiques.

Mêmes droits et régularisation

Si le mouvement syndical ne peut vraiment pas, dans la situation actuelle, se tenir à l’écart d’opérations comme le Contrôle des chantiers, cette implication devrait alors être liée à une politique claire à l’égard des "clandestins". Ainsi, il devrait être interdit aux "délégués" de dénoncer les sans-papiers aux organes de police ou à d’autres instances pouvant déclencher des mesures conduisant à l’expulsion de ces travailleurs. D’une manière générale, toute mesure répressive à l’égard des sans-papiers devrait être bannie. La règle devrait au contraire être celle d’exiger la régularisation immédiate des clandestins découverts sur les chantiers, avec obligation pour les entreprises de leur fournir un contrat de travail normal, respectant les normes fixées dans les CCT. Enfin, plutôt que d’amender les entreprises concernées pour une somme ridicule, la sanction devrait être de leur imposer le versement intégral et rétroactif aux anciens clandestins du salaire et des contributions sociales fixés par la CCT et qui ne leur auraient pas été payés.

C’est à ces conditions élémentaires qu’un travail de contrôle des chantiers pourrait devenir un instrument contribuant à faire respecter les droits des hommes et des femmes qui travaillent — quel que soit leur statut – et non d’une arme d’une partie des employeurs pour se protéger de leurs concurrents, le tout sur le dos des salariés·e·s.

1. La première démarche dans ce sens date de septembre 1997, lorsqu’"une délégation des partenaires de l’industrie vaudoise de la construction a présenté une demande au Service de l’emploi visant à instaurer un système de contrôle des chantiers avec la collaboration des services de l’Etat et de la Caisse nationale suisse d’assurance en cas d’accidents, Suva", Contrôle des chantiers de la construction dans le canton de Vaud, Bilan après 500 jours d’activités, Tolochenaz, polycopié, 21 septembre 2000.

2. L’article 15 de la Convention sur le contrôle des chantiers de la construction dans le canton de Vaud statue que: "Sur le plan administratif, le contrat de travail du délégué est conclu par la Fédération vaudoise des entrepreneurs, désigné en qualité d’employeur. La FVE verse le salaire convenu et remplit les obligations du contrat de travail en matière de prestations sociales". L’article 26 spécifie que "La Fédération vaudoise des entrepreneurs gère la trésorerie et avance les frais courants de fonctionnement". Pour ce qui concerne le financement du projet-pilote, la convention prévoit la clé de participation suivante: 42,5% Etat de Vaud, 42,5% partenaires sociaux, 15% CNA. L’article 25, point 2, dit que "au vu des résultats, cette clé de répartition peut être revue en tout temps. Elle prendra effet au plus tard la deuxième année après la décision". Selon les comptes 1999, l’Etat de Vaud a contribué à hauteur de 138174 francs, les fédérations patronales de 138174 francs et la CNA de 48767 francs. Les syndicats, apparemment, ont été libérés en 1999 de toute contribution.

3. Il s’agit de la Loi sur les travailleurs détachés. En résumé, "des mesures sont prévues concernant les travailleurs dépêchés par une entreprise étrangère et qui viendront pour une période déterminée (moins de trois mois) exécuter une mission en Suisse. Dès l’instant où ces travailleurs détachés seront sur territoire helvétique, leurs employeurs devront respecter les normes sociales et salariales en vigueur chez nous (salaires, vacances, durée de travail, hygiène et sécurité)", Profil, n° 4, mai 2001, p. 4.

4. Le salaire horaire est compris entre un minimum de 10 fr., montant le plus courant, et un maximum de 18 fr. L’horaire de travail quotidien d’un clandestin se situe entre 9 et 10 heures.

5. Il s’agit d’un salaire virtuel puisque les sans-papiers ne travaillent jamais un mois de suite à plein temps; ils sont loués pour un ou quelques jours.

6. Il faut ajouter l'économie faite sur les contributions AVS, AI, APG, AC et sur le 2e pilier. .

7. Contrôle des chantiers de la construction dans le canton de Vaud, op. cit.

8. Même si les syndicats le voulaient, il n’est pas possible de connaître, officiellement, le sort de ces travailleurs puisque "par respect des contraintes légales liées à la protection des données, aucune statistique précise ne peut être communiquée au sujet des 86 dossiers traités", (cf. Contrôle des chantiers de la construction dans le canton de Vaud, op. cit.).

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Précaire chez Optigal, puis sans-papiers

Comment es-tu devenu sans-papiers?

J’ai été et je suis un demandeur d’asile. Je suis arrivé en Suisse en 1994, venant d’un pays dévasté par la guerre, et j’ai donc déposé une demande d’asile. Après trois mois ils m’ont dit que ma demande avait été refusée. On m’a donné donc un permis précaire, le permis N. Tout de suite après j’ai fait recours. Mais les autorités m’ont donné un autre permis précaire, le permis F, celui d’admission provisoire. Les autorités ont reconnu la réalité dramatique de mon pays, c’est pourquoi elles m’ont donné le statut précaire d’admission provisoire, mais elles ont aussi dit que je ne remplissais pas les critères nécessaires pour être considéré comme un exilé politique. J’ai continué à faire des recours. Depuis 1995, j’ai commencé à chercher du travail dans les agences de placement avec mon permis précaire F. Pendant l’année 2000, on m’a retiré le permis d’admission provisoire. A ce moment je travaillais déjà chez Optigal avec un contrat fixe indéterminé. La police est intervenue auprès de la direction de l’entreprise en disant que je devais arrêter le travail et rentrer chez moi. A ce moment précis je suis devenu un sans-papiers. J’ai donc fait six ans avec un permis précaire et une année comme sans-papiers. J’ai perdu le travail et je n’ai même pas pu bénéficier de l’argent que j’ai cotisé auprès de l’assurance chômage.

Quel genre de travail est-ce que tu as fait en Suisse?

J’ai eu du travail par les agences de placement. Ces agences font beaucoup d’argent avec les personnes qui ont des permis précaires. Si le prix du marché est de 25 fr. à l’heure, nous, nous sommes payés 13 ou 15 fr. à l’heure. De plus, il faut calculer qu’aux requérants d’asile on enlève à la source 10% du salaire brut. Je payais le loyer, la nourriture, etc., mais il m’était impossible d’économiser quelque chose.

Chez Optigal, le salaire était meilleur. J’ai gagné 3500 fr. brut, moins le 10% qui était retranché par Berne. Le salaire était meilleur, mais le travail était dur, très dur et toujours au froid.

Peux-tu nous présenter ton ex-entreprise Optigal?

Optigal est une grande entreprise située à Fribourg. C’est une boîte de Migros. On travaille du poulet et d’autres volailles. Le produit premier, c’est le poulet. On emballe des poulets entiers, on fait l’émincé de poulet. Il y a aussi un abattoir pour les dindes. Il s’agit donc d’une production industrielle et sur grande échelle de produits dérivés du poulet. Optigal dessert tous les magasins Migros de Suisse.

Les conditions de travail sont très dures. On travaille très souvent au froid, même si cela dépend aussi du département dans lequel on se trouve. On est protégé par des vêtements particuliers, des bottes, etc., mais le froid c’est le froid.

Comment le travail était-il organisé?

Normalement, on commençait le travail à 04h00 du matin et on arrêtait lorsque les commandes étaient remplies, en fonction donc aussi de la rapidité des gens. S’il y avait beaucoup de production de poulet, on ne tenait pas compte des horaires. La fin du travail sonnait avec le dernier poulet tué. Si une panne se produisait, il y avait interdiction de sortir et on devait attendre la réparation des machines. Et dans ces cas, même si on avait commencé à 04h00 du matin on terminait à 18h00, selon les besoins de la production.

Habituellement, on travaillait 10 ou 11 heures par jour. C’était l’horaire normal. Des fois on travaillait aussi 12 heures. Il arrivait aussi, plus rarement, d’avoir des journées de 14 heures. C’est la production qui détermine l’horaire. En tout cas, on n’a jamais travaillé moins de 9 heures. Si certains jours il y avait moins de commandes, on terminait le travail plus tôt. Dans ce cas, ce sont les travailleurs qui ont fait beaucoup d’heures qui sont renvoyés à la maison. Cela parce que les heures supplémentaires ne sont pas payées. Elles sont compensées avec des "vacances" forcées. A la fin de la journée de travail, le chef peut me dire que demain je dois rester à la maison. Des fois même, j’arrive le matin au boulot et le chef me communique qu’aujourd’hui je ne peux pas travailler et que je dois donc retourner chez moi. C’est clair qu’il s’agit de "vacances" qui ne sont pas rémunérées. Le chef veut casser les heures supplémentaires accumulées, sans les payer.

Il y a beaucoup de travailleurs avec des statuts précaires chez Optigal?

La plupart du personnel d’Optigal est composé de personnes avec des permis précaires. Ces personnes deviennent quasi toujours des sans-papiers. Souvent les précaires, lorsqu’ils travaillent encore avec un permis, ont déjà leur sort déterminé, dans le sens qu’à la fin du mois ils seront des sans-papiers. Le personnel est formé par des Espagnols, des Portugais, des Turcs, des Africains, des Kosovars. Les Suisses sont très minoritaires: ils sont essentiellement chefs de département.

Est-ce que chez Optigal il y a une présence des syndicats?

Non. Ils ne viennent même pas.

Penses-tu qu’une organisation syndicale des travailleurs précaires, comme des autres, serait nécessaire?

Bien sûr. Il faudrait une intervention syndicale surtout pour ce qui concerne les conditions de travail et le contrôle des horaires. Nous faisons un travail difficile et pénible. Il faut que les travailleurs puissent durer dans le temps et toucher la retraite en bonne santé. Mais avec notre travail, il est difficile d’arriver en bonnes conditions à l’âge de la retraite. Le premier problème c’est le froid. Ensuite la pénibilité du travail. Nous devons transporter des caisses de poulet pendant toute la journée et pendre des dizaines de milliers de poulets par jour. Ce travail est fait par 6 personnes seulement. Ce n’est pas facile. C’est le dos qui en paie le prix.

Je pense que, même si nous sommes des travailleurs avec des permis précaires, il est nécessaire d’appuyer notre organisation dans un syndicat. Les horaires de travail devraient être au centre des préoccupations syndicales, indépendamment du fait que les travailleurs précaires ne savent pas combien de temps ils vont rester dans l’entreprise. Il faut des horaires normaux. Le travail pénible est un problème surtout si l’on ne sait pas quand il va se terminer, si l’on ne respecte pas un horaire de travail normal. J’ai des collègues qui commencent le travail à 20h00 et ils terminent à 11h00, voire 12h00.

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"Abolir des milliers de frontières qui divisent les salarié·e·s"

Le 22 juillet, le collectif des sans-papiers de Fribourg avait invité Pietro Basso, professeur de sociologie à l’Université de Venise (institut d’études sur les migrations). Nous reproduisons ci-dessous son intervention. Les sous-titres sont de la rédaction.

Chères amies, chers amis, frères et sœurs immigrés, je suis profondément honoré d’être ici parmi vous et de vous apporter d’Italie la solidarité de ceux et celles qui voient dans votre lutte un combat de première importance pour l’ensemble des travailleurs et travailleuses. Une lutte dont la valeur, la signification et le message vont bien au-delà de Fribourg et de la Suisse.

Ce jeudi s’est déroulée à Gênes — avant les grandes manifestations des 20 et 21 juillet —, dans une Gênes monstrueusement militarisée pour protéger les grands seigneurs de l’exploitation et de la guerre, une manifestation de travailleurs et travailleuses immigrés. Ces derniers ont clamé en ces lieux vos propres revendications: régularisation collective et immédiate de tous les sans-papiers, plein droit à la libre circulation des personnes, complète égalité des conditions de travail et des droits syndicaux, sociaux, culturels, politiques entre travailleurs italiens et immigrés, amélioration générale des conditions de travail et d’existence pour tout le prolétariat.

On a pu voir les mêmes revendications chez les sans-papiers de Paris, les sin papeles de Barcelone, les immigrés marocains de El Ejido et les immigrés qui ont défilé à Bruxelles en septembre dernier lors de la Marche mondiale des femmes. Et à chaque fois, ces revendications n’ont pas été adressées aux gouvernements et aux Etats comme d’humbles suppliques venant de sujets agenouillés devant les nouveaux rois mais ont été affirmées face à eux, contre eux, en tant que besoins humains élémentaires, inaliénables, en tant que droits à conquérir sur le terrain par la mobilisation collective, l’organisation toujours plus large, multiethnique et internationale de nos forces.

Fatigués de la précarité, des discriminations, des chantages, des humiliations, de la surexploitation que nous réserve cette Europe — qui depuis des siècles s’engraisse de la sueur et du sang de l’Afrique, du monde arabo-islamique, des "braves" esclaves, des peuples plus lointains de l’Asie —, vous, frères et sœurs immigrés, vous vous dressez, vous devenez à nouveau les acteurs de votre destin. Comme un vent de fraîcheur régénérant, votre lutte nous stimule, nous réactive, nous travailleurs et gens simples d’Europe. Ici à Fribourg, comme ailleurs, vous avez recueilli une certaine sympathie, un soutien populaire. Cela est fondamental car notre arme principale, et peut-être même la seule, c’est l’unité de tout le mouvement des travailleurs, l’abolition des milliers de frontières qui, aujourd’hui encore, divisent travailleurs et travailleuses en races et en nations.

Avec votre belle preuve de dignité et de fermeté, vous affirmez une fois de plus que le temps de subir est terminé pour les sans-papiers de tout le continent. Définitivement.

C’est un grand but! Et pourtant, nous devons savoir que la lutte des sans-papiers n’est pas une lutte facile, ni brève. Nous devons le savoir non pour nous en retirer, mais, au contraire, pour nous préparer au mieux à livrer bataille et à l’emporter.

Un problème collectif, pas individuel

Prenons l’exemple de l’Italie. Après des années de pressions et de protestations de la part des immigrés, en 1998 a été promulguée une loi qui a accordé à ceux qui avaient émigré en Italie avant 1998, et avaient à cette date un emploi, un logement et aucun compte à régler avec la justice, la possibilité de régulariser leur position en présentant une demande aux préfectures de police. Pourquoi aux préfectures et non pas aux communes? S’agissait-il de criminels?

Il y eut environ 250000 demandes. Au printemps 2000, près de 70% d’entre elles avaient été satisfaites, mais 30% repoussées ou restées sans réponse. Pour réagir contre un tel comportement des forces de police et du gouvernement est né alors, au printemps de la même année, un mouvement de travailleurs immigrés qui, en même temps dans plusieurs villes italiennes — et avec le plus de force à Brescia et à Rome —, est entré en lice pour revendiquer le permis de séjour pour tous et immédiatement.

Ce fut le plus fort, le plus partagé et le mieux organisé des mouvements d’immigrés qui se soit organisé en Italie. Il fut le plus homogène, parce qu’en son sein le fait d’être d’un pays ou d’un autre pays, d’une "communauté" ou d’une autre comptait moins que le fait crucial d’être un sans-papiers, un travailleur, un exploité ou une exploitée sans aucun droit. Il fut le plus mûr, parce qu’il a su s’adresser à tous les immigré·e·s déjà régularisés et aux travailleurs et travailleuses italiens en demandant — et en obtenant partiellement, leur solidarité. Il fut le plus déterminé, parce que, malgré les nombreuses intimidations de la presse et de la police (dénonciations, arrestations, expulsions, etc.), il s’est poursuivi pendant plusieurs mois et se maintient encore aujourd’hui. Mais à un an et demi de sa naissance, la question des 50000 à 60000 sans permis de séjour reste ouverte. Elle a été laissée volontairement ouverte par les quatre gouvernements qui se sont succédé.

Peu à peu, après une première concession "en bloc" de plusieurs milliers de permis, la politique du renvoi a repris dans toutes les préfectures, afin de saper le mouvement et de le diviser. A partir d’un moment donné, les permis n’ont été accordés qu’au compte-gouttes. Aux "communautés" considérées plus faciles à "apprivoiser", oui; aux autres, trop actives dans la lutte, non. A certaines associations au sein de chaque "communauté", oui; à d’autres, non. A toi, oui, parce que tu as de "bonnes références"; à toi, non, mais tu peux repasser dans quelques mois… Et, le plus souvent, il a suffi du moindre prétexte pour dire non. Le gouvernement et les organes de la police font donc tout pour qu’à nouveau la question du permis de séjour soit un problème non collectif, mais individuel. (Il est inutile d’insister que sur ces "difficultés" se sont aisément greffés des individus et des organisations "spécialisés" dans la vente au prix fort de permis de séjour.)

Mais on ne peut pas s’arrêter là. Au cours de ce processus, la presse et la télévision se déchaînaient contre les immigré·e·s. En particulier contre ceux et celles qui étaient contraints à la "clandestinité", décrits comme de très dangereux criminels — dans cette Italie qui est la patrie historique du crime organisé, que "nous" avons exporté dans le monde entier et qui plus que jamais reste impuni et bat son plein à l’intérieur et à l’extérieur des institutions!

Ces immigrés "clandestins", c’est-à-dire privés de droits, on les a chargés toutes sortes de "fautes": atteinte à notre identité, à notre culture, à notre chrétienté, à notre race, à nos femmes, à nos hommes, à nos propriétés. Ils importeraient "chez nous" le crime, la drogue, la prostitution, la violence, des mœurs primitives, des maladies. Bref, nous devons les renvoyer chez eux (malheureusement, leur "chez eux", nous l’avons depuis des siècles envahi, exploité et dévasté, justement "nous" les Occidentaux, au point de le rendre inhabitable). C’est à cet objectif qu’incitait et incite cette campagne ignoble contre les immigré·e·s, campagne orchestrée par les hautes sphères du pouvoir, économiques et politiques, qui tiennent en main la presse et la télévision.

Les mots peuvent être des pierres. Ceux-ci le sont plus que d’autres. En effet, ces briques s’ajoutent à des pierres véritables: camps "d’accueil" pour sans-papiers arrêtés à la frontière, en tous points semblables à des prisons, et des prisons sévères! A cela s’ajoutent: le renforcement des opérations de police contre les immigrés (ces derniers ne représentent que 2% de la population italienne, mais jusqu’à 30% de la population carcérale, le pourcentage le plus élevé d’Europe); des expulsions en rafales (l’année passée, il y en a eu 60000, plus du double de l’année précédente); des circulaires ministérielles dictant des conditions toujours plus restrictives pour la délivrance du permis de séjour. Vous connaissez peut-être la dernière de ces circulaires. Elle date du mois d’avril 2001 et prescrit: ne peut renouveler son permis de séjour que le travailleur immigré pouvant prouver qu’il réside en Italie depuis au moins cinq ans et qu’il a toujours travaillé pendant ces cinq ans dans la même entreprise. Ce n’est pas dit avec autant de clarté, car la circulaire est ambiguë. Mais beaucoup de préfectures de police l’ont lue en ces termes et elles commencent à refuser le renouvellement du permis de séjour y compris à ceux et celles qui étaient certains de l’obtenir. Ainsi risquent de redevenir des sans-papiers nombre de ceux qui s’étaient mis en règle…

Même cela ne suffit pas au nouveau gouvernement Berlusconi, qui veut parachever et renforcer la législation sur les flux migratoires et sur les permis qu’avaient créée les gouvernements de centre gauche. Le nouveau gouvernement se prépare à introduire le "contrat de séjour", c’est-à-dire un permis de séjour qui sera valable exactement pour la durée du contrat de travail. Au moment où échoit le contrat (qui peut être d’un, deux ou trois mois, d’un seul jour même), la sanction tombe: dehors, retourne chez toi!

En 1998, le compteur fut, pour ainsi dire, remis à zéro. Mais la régularisation des sans-papiers de 1998 n’est pas encore résolue. Or, en même temps, ont été créées les conditions institutionnelles et légales pour la production légale d’une foule de sans-papiers, encore plus dense que celle de 1998. Et une nouvelle aggravation est en vue, avec l’introduction du délit de pénétration clandestine en Italie, passible d’emprisonnement… La seule nouvelle voie lumineuse que, peut-être, le parlement italien ouvrira à des immigrés est celle de l’enrôlement dans l’armée italienne; comme aux temps du fascisme on leur offrira la possibilité, pour se "racheter" ou se "libérer", d’aller tuer et mourir pour la grandeur du capitalisme italien, d’aller tuer peut-être leurs frères de classe, de race, de nation, leurs propres frères…

La fabrication des sans-droits

Pourquoi tout cela a-t-il lieu, et pas seulement en Italie? Pourquoi l’expérience des immigré·e·s est-elle — depuis dix, vingt, trente, quarante, cinquante, cent ans, et peut-être même plus — une voie toujours pavée d’obstacles à une existence vraiment humaine, un chemin de croix toujours recommencé, avec la précarité, l’insécurité, la peur du lendemain, et la vie suspendue à un fil que tiennent des mains connues et ennemies? Pourquoi?

Pourquoi cette fabrication légale de sans-papiers, c’est-à-dire de femmes et d’hommes sans droits, se poursuit-elle, sans fin, dans cette société, cette Europe, cet Occident, qui prétendent avec arrogance avoir étendu et vouloir étendre au monde entier "le respect des droits de l’homme"? Pourquoi, à la libre circulation des capitaux et des marchandises et — bien entendu — de leurs propriétaires ne correspond donc pas une "libre circulation" des êtres humains, dont la seule "propriété" est constituée de leurs propres bras? Pourquoi?

Parce que les lois du capitalisme n’ont de respect et d’intérêt que pour le profit des classes qui vivent sans travailler, en parasitant, comme des sangsues, l’organisme des classes laborieuses, du prolétariat. Parce que le dieu-profit, la plus abominable des idoles créées par l’homme (comme l’a dit Marx), le tyran qui dicte souverainement ses lois aux Etats et aux institutions internationales de l’exploitation, n’est jamais repu du travail humain qu’il dérobe, en ne les payant pas, aux ouvriers, et en exige toujours plus. Et pour accumuler ce travail humain, le dieu-profit a besoin de masses toujours croissantes d’esclaves totalement privés de droits, d’une force de travail à un coût dérisoirement bas afin de faire chanter et reculer la masse des salariés qui ont conquis quelques droits, quelques garanties contre la plus totale précarité et contre l’indigence; cela grâce à des luttes de générations d’hommes et de femmes prolétaires.

Du reste, le droit a toujours été inique (biaisé) dans la société capitaliste. Et cela dès le départ. La Révolution française, la mère du droit moderne, proclama les droits universels, naturels et imprescriptibles de l’homme et du citoyen. Cela sonne joliment à l’oreille, il n’y a pas à dire. Pourtant, cette révolution trouva adéquat de procéder à trois ou quatre "petites" exceptions: les femmes, les travailleurs, les esclaves et les non-Blancs. Elle renvoya les femmes à la maison en dissolvant leurs associations: "A la maison! Vous êtes par nature inférieures à l’homme, comment pouvez-vous prétendre à l’égalité des droits?" Aux ouvriers, elle interdit rigoureusement de se réunir, de s’organiser, de faire la grève, bref, elle leur interdit toute possibilité de se défendre [Loi Le Chapelier de 1791 qui interdit, de fait, le droit de coalition et de grève; cette interdiction, en France, resta en vigueur jusqu’en 1864 pour le droit de grève et jusqu’en 1884 pour le droit syndical]: "Travailler (pour les autres) et en silence, voilà le destin que la nature vous a réservé, votre seul droit." Et aux "braves Noirs" qui, à Saint-Domingue, lors du premier et magnifique soulèvement anti-colonial de l’histoire [dirigé par Toussaint Louverture, fin du XVIIIe-début du XIXe siècle — voir CLR James, Les Jacobins Noirs, Gallimard] revendiqueront pour eux les droits de 1789, la France bourgeoise répond: "Vous n’êtes pas Blancs, vous ne pouvez pas vous mettre sur le même plan que nous, vous ne pouvez pas vous gouverner vous-mêmes, c’est donc une bonne chose que vous restiez sous notre domination, à notre service, nous, hommes de race supérieure!"

En somme, les droits "universels" ne sont en réalité — dès le départ — pas autre chose que les droits que possède une petite minorité de brigands exploiteurs d’une prétendue race supérieure — les actuels brigands du G8 — d’exploiter, d’opprimer et de racketter la majorité écrasante de l’humanité qui, jour après jour, perd sa vie dans le travail et dans la sueur. Et qui y est contrainte par eux et pour eux.

Affirmer nos besoins, notre espoir, par la lutte

Aujourd’hui aussi, à plus de deux siècles de distance, la substance des choses, des rapports sociaux n’a pas changé. Maintenant, on parle des droits humains — voilà qui sonne encore mieux à l’oreille. Toutefois, si on examine qui administre ces droits, qui détient l’autorité de les refuser aux autres, et à qui ils s’appliquent, on trouvera d’un côté le FMI, la Banque mondiale, les principaux gouvernements, les grandes banques, les multinationales, les détenteurs d’actions, les loups-garous de la Bourse, les classes possédantes, anciennes ou récentes, l’OTAN, l’ONU et autres, qui ont tous les droits et même un peu plus; et de l’autre côté, à l’échelle mondiale, on trouvera l’immense camp des exploité·e·s, de ceux qui ne disposent pas de droits, qui n’ont que des droits partiels, conditionnés, révocables, provisoires, à durée déterminée, et de pure forme: les ouvriers, les salarié·e·s, les "non-Blancs", la masse des femmes, les paysans pauvres, les immigrés·e·s.

Le seul grand changement qui soit advenu entre-temps est que l’immense armée des classes laborieuses est toujours moins disposée à accepter et à subir passivement ces conditions, toujours moins disposée à croire que ce que veut le dieu-despote du Capital, c’est la nature qui le veut. Elle est moins disposée à croire que le sous-développement, les guerres, la faim, les maladies, la dette extérieure, la ruine de tant de pays du tiers-monde et de pays de Blancs de "seconde zone" (comme l’ex-Yougoslavie démembrée et occupée par les grandes puissances occidentales), bref que toutes ces circonstances qui vous ont contraints — et qui y contraignent des millions de travailleurs et travailleuses comme vous — à quitter votre terre natale, la mort dans l’âme, que tout cela est le fruit d’un destin injuste pour beaucoup et généreux avec une certaine partie du monde blanc seulement. Les manifestations de Seattle, de Prague, de Göteborg, de Québec, de Barcelone, de Naples, de Gênes le clament haut et fort: mais que se cache-t-il effectivement derrière cette "nature", ce "destin"? C’est la globalisation des intérêts capitalistes qui produit tous les maux sociaux que nous avons devant nous, par notre exploitation; c’est la globalisation capitaliste qui produit sans interruption les migrations forcées et, en même temps, qui les criminalise, qui déracine comme des brins d’herbe des millions d’êtres humains de leurs propres lieux de naissance, sans leur donner aucune perspective de sécurité, allant même jusqu’à leur offrir une seule assurance: celle d’une précarité permanente, d’une infériorité sociale et juridique continue.

Tout cela ne peut plus durer, ne durera pas. C’est ce que disent avec toujours plus de force et d’écho les luttes des sans-papiers. C’est ce qu’affirment votre lutte pour le permis de séjour régulier pour tous les sans-papiers et vos autres revendications.

Une des animatrices du collectif de soutien m’a posé la question suivante: "La régularisation a-t-elle un sens sans un changement de la loi et de la politique d’immigration? La libre circulation intégrale des personnes peut-elle être une véritable alternative à la politique actuelle et comment? Quelle est l’alternative à la politique actuelle de la "forteresse Europe"? Voilà ma réponse. Ce n’est pas nous, mouvement des sans-papiers et plus généralement le mouvement international des travailleurs et travailleuses, qui détenons le pouvoir; ce sont ceux qui nous exploitent qui le détiennent. Ce sont eux qui font les politiques, qui créent et renforcent les frontières, qui construisent les forteresses.

Pourtant, nous pouvons et nous devons faire notre politique, qui est par nature alternative et opposée à celle des exploiteurs. Elle consiste à affirmer nos exigences, nos besoins, notre espoir d’une vie finalement humaine, finalement libre, finalement sans guerre et à affirmer tout cela sans peur, en nous organisant et en nous unissant.

Au fond, c’est ce que vous faites déjà depuis deux mois. Vous êtes de 14 nationalités différentes, parlez des langues différentes, êtes de différentes couleurs de peau, mais vous avez donné vie à une lutte commune, une série commune de revendications, à un seul comité.

C’est cette pratique de la lutte, c’est cette pratique de l’organisation, c’est ce nouvel internationalisme qui doivent s’enraciner et se diffuser. Si nous voulons vraiment arriver à abolir les frontières et à vivre au sein d’une seule communauté mondiale, nous devons commencer par abattre les frontières qui nous séparent en tant que travailleurs, prolétaires. Et cela je le dis surtout pour nous les travailleurs blancs qui sommes sans cesse imprégnés de préjugés à l’encontre des travailleurs de couleur, et y compris de racisme (même si nous ne le reconnaissons pas toujours).

Si nous voulons abattre les murailles monstrueuses de cette monstrueuse forteresse Europe néo-coloniale, nous devons construire avec patience et systématiquement notre force de classe prolétarienne consciente d’elle-même. Nous devons faire en sorte qu’il y ait cent, mille Fribourg, et que ces mille Fribourg se rejoignent en une seule grande unité, en une seule grande organisation des sans-papiers, au moins au niveau européen, et que cette organisation se tourne vers le monde des exploité·e·s, afin d’unir nos forces avec les leurs…

 


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