Industrie des machines
 
 

La convention collective a été prolongée jusqu'à fin 2005

La paix du travail à nouveau dans le vent

J.-F. Marquis *

La nouvelle est tombée le 9 avril: la convention collective de travail (CCT) de l'industrie des machines est prolongée telle quelle, de deux ans et demi jusqu'à fin 2005. Cette CCT est la plus importante de Suisse. Il est donc nécessaire d'apprécier la portée de cette décision.

La CCT de l'industrie des machines - industrie MEM: industrie des machines, des équipements électriques et des métaux - s'applique à 611 entreprises et quelque 120000 salarié·e·s.

Paix du travail, article de crise, annualisation...

L'importance de cette CCT n'est pas seulement numérique. Elle tient aussi à sa place dans la politique sociale et syndicale en Suisse. C'est ce que s'empresse de rappeler l'organe de l'Union patronale suisse (UPS): «De manière traditionnelle, la CCT de l'industrie MEM pose des jalons pour de nombreuses CCT en Suisse.» (Employeur suisse, 30 avril 2003).

En effet, en 1937, c'est cette CCT qui a donné à l'idée de paix du travail la dimension d'une règle quasi constitutionnelle en Suisse, ce qui est une des causes essentielles de l'insigne faiblesse de l'organisation syndicale en Suisse.

Plus près de nous, en 1993, c'est cette même CCT qui a introduit l'idée d'un «article de crise», autorisant les employeurs «en difficulté» à augmenter le temps de travail ou à couper dans le 13e salaire. La FTMH - dirigée par Christiane Brunner, l'actuelle présidente du Parti socialiste suisse - justifia déjà cet incroyable feu vert donné aux exigences patronales par la nécessité de défendre les emplois. Le patronat des autres branches s'est immédiatement emparé de cette «idée» pour revendiquer des concessions analogues. Les travailleurs de l'imprimerie, notamment, avaient été confrontés à cette pression lors du renouvellement de leur contrat en 1994.

Enfin, en 1998, c'est toujours cette CCT qui a consacré l'annualisation du temps de travail. Avec, une fois de plus, la bénédiction de la FTMH, toujours présidée par Christiane Brunner. Le mécanisme se répéta: en 1999, l'association patronale des arts graphiques, Viscom, fit de l'annualisation une de ses principales revendications.

L'«idée» de prolonger une CCT telle quelle a donc de bonnes chances de faire école. Cela n'a d'ailleurs pas tardé: la CCT des CFF vient aussi d'être prolongée d'une année. On doit par conséquent se préparer à une proposition de ce genre dans les arts graphiques.

Avant, après...

«Moins de cinq ans après son introduction, tout le monde le reconnaît. L'actuelle convention collective de l'industrie des machines, entrée en vigueur en juillet 1998, n'est pas satisfaisante»: Géraldine Savary résume ainsi dans L'Evénement syndical (ES) du 25 septembre 2002 l'opinion dominant au sein la FTMH à la veille du début des négociations pour le renouvellement de cette CCT.

Renzo Ambrosetti, président de la FTMH, pointait au même moment un des aspects particulièrement «insatisfaisant» de cette CCT: «Ce sont avant tout les employeurs qui ont profité de la flexibilisation du temps de travail.» (work, 27 septembre 2002). Voilà une contribution utile au débat concernant la position des syndicats en matière de temps de travail. A noter toutefois qu'en février 2002, les syndicats de l'USS, FTMH y compris, appelaient les salarié·e·s à soutenir leur initiative «Pour une durée du travail réduite», inscrivant justement dans la Constitution fédérale l'annualisation du temps de travail... dont les employeurs profitent «avant tout».

Fort de ce constat, la direction de la FTMH affichait ses ambitions. Renzo Ambrosetti annonce qu'il s'agit de «regagner le terrain perdu» (work, 27 septembre 2002) et qu'il n'y aura «pas de CCT sans rien en contrepartie» (work, 6 décembre 2002). Et il ne se laisse pas impressionner par la mauvaise conjoncture économique: «Nous faisons un contrat pour les prochaines années, pas pour le prochain trimestre» (work, 6 décembre 2002).

La plate-forme revendicative que la direction de la FTMH fait adopter à l'automne 2002 se veut dès lors d'une «tonalité combative» (ES, 25 septembre 2002): introduction de salaires minimaux (dans une CCT qui n'en connaît pas depuis des décennies), compensation du renchérissement, diminution du temps de travail retraite anticipée, obligation de plan social, etc. Même la paix du travail absolue y est écornée. Conclusion d'Ambrosetti: «Le renouvellement de la CCT est ainsi un signal fort envers les patrons, mais aussi envers le nouveau syndicat interprofessionnel [à naître en 2004 de la fusion du SIB et de la FTMH] (ES, 25 septembre 2002)

Six mois et deux rondes de négociations plus tard, ces revendications sont écartées. La CCT, qui n'est «pas satisfaisante», est prolongée telle quelle. Les patrons ont bel et bien gagné deux ans et demi de contrat, et de paix du travail, «sans rien en contrepartie». Et Renzo Ambrosetti a adapté son opinion: «Le CCT prolongé n'est pas un mauvais contrat, mais au contraire un très bon contrat.» (work, 17 avril 2003).

Peut-on contribuer avec de telles contorsions à recréer une conscience syndicale parmi les salarié·e·s ? La question doit être posée. Et elle doit obséder les militant·e·s de comedia qui auront à conduire ces prochains mois la bataille pour le renouvellement du CCT des arts graphiques.

Nouvelle jeunesse pour la paix du travail

La nouvelle avait fait sensation: «La FTMH - mère de la paix du travail en quelque sorte, JFM - franchit le pas d'inscrire, dans le projet [de cahier revendicatif], la relativité de la paix du travail» (G. Savary, ES, 25 septembre 2002). La concrétisation était certes modeste: les parties contractantes auraient été déliées de la paix du travail absolue lorsqu'un employeur viole la CCT. Mais tout de même.

En prolongeant la CCT jusqu'à fin 2005 en avril déjà - alors que la CCT arrive à échéance fin juin - la FTMH a écarté la possibilité qu'il n'y ait ne serait-ce qu'un seul jour de vide conventionnel, donc sans obligation de paix du travail. Avant cette décision, aucune mobilisation d'ampleur n'a été organisée à l'échelle nationale pour soutenir les revendications du syndicat. On peut douter que cela soit le chemin pour «relativiser» la paix du travail et pour faire faire des expériences aux salarié·e·s leur permettant de mieux défendre leurs droits - même si le succès n'est pas immédiatement au rendez-vous.

Les déclarations qui ont accompagné cette décision tendent d'ailleurs à transformer le doute en certitude. La prolongation de la CCT a été annoncée par le biais d'un communiqué commun, signé «Les partenaires sociaux de l'industrie des machines» (Employeur suisse, 30 avril 2003). Renzo Ambrosetti y est cité: «Le syndicat FTMH voit dans cette solution un signe positif dépassant une simple prolongation de la convention. C'est une reconnaissance du maintien des emplois en Suisse et d'une collaboration permanente des partenaires sociaux et non pas seulement tous les cinq ans lorsqu'il s'agit de négocier une nouvelle convention collective de travail.» Six mois auparavant, on pouvait pourtant lire que «la FTMH critique le fait que les règles les plus élémentaires du partenariat social n'ont pas été respectées» en cas de licenciements collectifs (work, 27 septembre 2002).

Les opinions, de toute évidence, évoluent vite. Mais aujourd'hui, la conclusion de Renzo Ambrosetti est claire: «Des accords du type de l'accord de paix du travail de 1937 sont largement justifiés.» (work, 17 avril 2003) Voilà indiscutablement un «signal fort» à l'intention du SIB, le partenaire de fusion de la FTMH, comme de ceux qui, comme Pierre-Yves Maillard, secrétaire de la FTMH pour la région Vaud-Fribourg, ont soutenu cette prolongation de la CCT tout proclamant que la FTMH doit devenir «capable de faire mal aux patrons qui refusent nos revendications» (ES, 16 avril 2003). Provoquera-t-il un débat ?

Désorganisation syndicale

Pour justifier sa décision, la direction de la FTMH invoque deux types d'arguments, contradictoires par ailleurs.

Premièrement, cette prolongation constituerait «une sorte de pacte social de politique conjoncturelle» (work, 17 avril 2003). C'est le même argument que celui qui servit, à l'époque, à justifier l'accord de paix du travail en 1937, ou l'article de crise en 1993. Ces précédents nous ont montré que cela signifie que les intérêts des travailleurs sont subordonnés à ceux des employeurs. On n'a jamais construit une organisation collective des salarié·e·s pour la défense de leurs droits sur cette base.

Deuxièmement, la FTMH aurait dû faire cette proposition de prolongation - car elle en est l'auteur (work, 17 avril 2003) - afin d'éviter un cavalier seul de la VSAM, la Fédération des associations suisses d'employés des industries mécanique et électrique, qui est «à la botte des patrons» (ES, 16 avril 2003).

La VSAM s'est fortement développée durant les deux dernières décennies. Elle affirme aujourd'hui, sans être démentie, être la plus importante organisation de salarié·e·s de la branche. A la fin de l'année, elle fusionnera de plus avec Syna, également présent dans l'industrie des machines, pour créer la confédération Travail Suisse. La FTMH, le syndicat historiquement de loin dominant, est donc devenue aujourd'hui clairement minoritaire parmi les salarié·e·s.

A cela s'ajoute une autre réalité, dont on parle moins ouvertement: le rôle des commissions du personnel - particulièrement des grandes entreprises alémaniques - et des membres de la FTMH en leur sein. Ces commissions se sont très largement autonomisées du syndicat: les relations privilégiées que les employeurs entretiennent avec elles pèsent au moins aussi lourd que les liens formels existant encore entre elles et la FTMH. Si bien que l'on se retrouve dans un monde à l'envers: ces commissions ne relaient plus dans les entreprises les préoccupations syndicales, mais répercutent de tout leurs poids les pressions patronales au sein du syndicat.

Dans l'immédiat, une telle situation est évidemment paralysante. Mais elle ne tombe pas du ciel. La paix du travail - qui signifie le remplacement de l'organisation indépendante des salarié·e·s pour la défense déterminée de leurs droits par la subordination des appareils syndicaux à un «partenariat social» où prédominent les intérêts des employeurs - est justement ce qui a permis cette extraordinaire désorganisation syndicale. Ce n'est certainement pas en lui donnant une nouvelle jeunesse - ce que fait la direction de la FTMH aujourd'hui - que l'on inversera cette tendance.

Cela dit, personne n'est à l'abri de telles menaces. Dans les arts graphiques, Syna, qui avait fait le jeu du patronat en 1999, est certes marginalisé. Par contre, les employeurs n'ont pas renoncé à gonfler l'importance des commissions d'entreprise pour mieux chercher à les opposer au syndicat. Dans ce cas également, ce qui s'est passé dans l'industrie des machines est un sérieux avertissement.

* Cet article est paru dans m-magazine (8 mai 2003), organe de comedia, le syndicat des médias.