La Chaux-de-Fonds:
Des SI à la SA., sur le chemin de la privatisation
«Ni-toute puissance, ni humiliation: il est indispensable d'être lucide: pour contribuer à changer la réalité, il faut commencer par la voir»
Eduarno Galeano
La décision du Conseil général du 24 juin 2002 de transformer les Services Industriels (SI) de La Chaux-de-Fonds en une société anonyme (SA) a été présentée essentiellement comme une volonté de meilleure collaboration entre les deux villes du haut du canton (alors que Le Locle n'a encore rien décidé !). Une décision somme toute naturelle. Alors que sa signification politique va bien au-delà.
Tout d'abord il faut poser le cadre dans lequel s'inscrit cette décision. Ce cadre est celui de la privatisation et du démantèlement des services publics à l'échelle européenne et mondiale, pour en faire des centres de profit. Au niveau international cela se traduit par la phase de négociation de l'AGCS. Cette situation permet de mieux appréhender les futurs choix d'une SA.
La transformation de statut n'est pas innocente dans ce contexte. Elle est le préalable à toute privatisation, l'étape indispensable qui ouvre la possibilité de modifier facilement la composition du capital. Cette disposition est d'ailleurs explicitement prévue dans l'arrêté, et c'est un des arguments avancés en faveur de la SA qui mentionne la «facilité» avec laquelle ce statut permet des «alliances».
Avec la libéralisation du marché de l'électricité, la pression sur les prix, basée exclusivement sur des critères de concurrence et de marché, sera évidemment très forte, ce qui poussera à des alliances, des fusions et des rachats. (dans son étude, Ernst & Young prévoit que le nombre de sociétés électriques passera de 900 à une cinquantaine). Dans tous ces cas, et plus particulièrement si la LME est acceptée, la première conséquence sera de transformer ces sociétés en SA, pour que des capitaux privés, uniquement intéressés par les profits possibles, achètent ces futures sources de bénéfices: «..selon une enquête de Ernst & Young, 75% des services industriels ont annoncé vouloir adopter le statut de la SA. La fusion d'EEF/ENSA s'effectue dans le cadre d'une SA et les EEF ont dû abandonner leur statut de régie autonome» (page 28) [*] .
Cette logique d'actionnaire est d'ailleurs nettement visible dans la place qu'occuperait les SI du Locle dans la nouvelle société. Puisque dans les faits il s'agirait d'une OPA (Le Locle 17% du capital contre 83% à la Chaux-de-Fonds), ce sera l'actionnaire majoritaire qui dirigera le conseil d'administration, en la personne d'ailleurs d'un ancien cadre bancaire, élu aussi du Parti libéral. Il est tout de même paradoxal d'avoir un discours de dénonciation des banques et de la droite, et en même temps signer un chèque en blanc (que le banquier en expert a jugé valable) en acceptant toutes les «assurances» (verbales !) du futur PDG sur la préservation du service public.
Pour juger de la sincérité de tels propos, prenons l'exemple de l'emploi. Sa sauvegarde, nous assure-t-on a été aussi une des motivation de la création de la SA. Or les ces dix dernières années, les responsables des SI (SIC + SIL) ont réduit le nombre d'emplois de 23%, passant de 232 postes en 1992 à 179 en 2001. Voilà un label de crédibilité ! Avoir pressé les employés comme des citrons, et maintenant faire un chantage à l'emploi pour dissuader le syndicat de lancer un référendum. Et pour comble, la nouvelle convention collective de travail n'est pas encore prête. Cela ne ressemble-t-il pas beaucoup à un jeu de dupes ?
Autre exemple de double langage. D'un côté, nous dit-on, «le respect des exigences service public». De l'autre «une culture orientée vers le client»:
« Depuis plus d'un décennie, la Direction des SI a inculqué l'esprit d'entreprise aux SI … C'est ainsi que la notion «d'abonné» a été abandonnée au profit de celle de «client»», , (page 7)
«pour permettre la gestion d'une entreprise selon les critères du marche» (page 22)
La logique véritable de cette nouvelle société s'inscrit parfaitement dans le processus de libéralisation. Quant à l'étape de privatisation, elle est présentée comme la suite logique de cette transformation en SA:
«partenariat et alliances éventuelles facilités ; certaines activités telles que la partie commerciale et les nouveaux services devront être réalisés en collaboration avec d'autres acteurs du marché (entre autres Avenis Trading, Médiane Energie, autres Services Industriels» (page 29).
La logique libérale et financière qui a guidé ce projet aurait mérité une nette opposition, dans la perspective de la défense effective des services publics comme un secteur productif qui n'est pas soumis à la concurrence et aux lois du marché, avec les mêmes arguments opposés la LME. En anticipant une acceptation de la LME et se soumettant aux arguments du marché et de la libéralisation, la gauche a révélé une nouvelle le grand écart entre les grandes déclarations d'intention et sa pratique politique concrète, illustrant l'adage «faites comme je dis, mais pas comme je fais». Une opposition au Conseil général pouvait préparer une campagne pour référendum, qui aurait donné la possibilité d'expliquer à la population l'enjeu de la défense des services publics. En outre cette campagne se serait inscrite naturellement dans l'opposition à la LME.
A Neuchâtel, le Conseil général vient aussi de discuter de la réorganisation des SI (rapport du Conseil communal du 3.6.2002). Or dans ce projet, le statut public du SIN a été conservé. Etonnant que les conclusions d'un service équivalent et de taille semblable à celui de la Chaux-de-Fonds ne soient pas les mêmes ! Et les SIN vont adopter simplement leur comptabilité analytique pour respecter la future LME (rapport cité, page 10).
Enfin l'argument de la collaboration intercommunale ne justifie pas non plus la création d'une SA. Dans le domaine informatique, une étroite collaboration fonctionne depuis plusieurs années entre les services informatiques du canton, des villes de la Chaux-de-Fonds et Neuchâtel, des écoles et de l'Université, avec une politique de choix et d'investissements communs pour le matériel et les logiciels, et y compris une infrastructure pour un réseau cantonal pour tous les services, les hôpitaux, les communes et les écoles. Un exemple de prestations d'un service public pour des services publics.
Le vote à l'unanimité du Conseil général a créé un précédent, qui est injustifiable d'un point de vue politique anti-capitaliste, dont certains élus s'en réclament pourtant.
Une des motivations de la création d'un nouveau mouvement politique à l'échelle suisse, le Mouvement pour le Socialisme (MPS) est justement de rendre cohérentes les déclarations politiques d'une force anti-capitalisme avec ses pratiques politiques, d'engager des forces sociales dans une opposition sans concession aux lois du marché. Ainsi, nos camarades du Tessin, après avoir lancé un référendum victorieux à Bellinzona contre la privatisation des SI, préparent un nouveau référendum contre son changement en SA (ce qui est une manière déguisée de cacher le projet initial !) Donner à des militants les arguments pour s'affirmer face aux défenseurs de l'ordre libéral, dépasser le cadre local pour s'inscrire dans les actions du mouvement anti-mondialiste: non seulement un autre monde est possible, mais surtout un autre monde socialiste est possible.
José Sanchez, le 21 août 2002 , Mouvement pour le socialisme
[*] rapport du Conseil communal (CC) du 4.6.2002
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