Suisse

Salaires: les syndicats entendront-ils le message ?

Les résultats d'un sondage d'opinion sur le thème de la richesse, rendu public par le Bulletin du Credit Suisse à la fin 2001 (N° 6 / 2001 ; cf. www.credit-suisse.ch/bulletin pour l'enquête complète en allemand), méritent que l'on y revienne. Sur trois points.

Premièrement, ce sondage réalisé auprès de 1000 personnes par l'Institut de recherche GfS montre que 79 % des personnes interrogées se prononcent pour l'introduction d'un «salaire minimum légal garantissant un niveau de vie décent». Seuls 17 % y sont opposés.

Les dominants ont soigneusement entretenu en Suisse, depuis des décennies, la méfiance à l'égard de toute intervention publique dans les questions économiques et sociales. Il n'est pas rare que les organisations syndicales leur aient emboîté le pas, au nom du rôle des «partenaires sociaux» (c'est-à-dire de la défense étriquée de leur existence). Avec les résultats que l'on sait.

Dans ce contexte, un score de 80 % en faveur d'un salaire minimum légal est remarquable et indique une vraie opportunité pour populariser et faire avancer cette revendication, essentielle dans une bataille pour une revalorisation globale des salaires – réussir à fixer un «plancher», valable pour toutes et tous et suffisamment élevé, est décisif pour «pousser» tous les salaires vers le haut ou, au moins, pour stopper leur descente.

Mais, pour cela, il faudra que l'USS change de politique. Après avoir lancé en fanfare, en 1999, le thème de «pas de salaire en dessous de 3000 fr.» les dirigeants de la centrale syndicale ont en effet rapidement renoncé à la bataille pour un salaire minimum légal. Le train-train des négociations contractuelles traditionnelles, branche par branche dans le meilleur des cas, a repris le dessus. Le sondage du Credit suisse montre que les dirigeants de l'USS sont ainsi à côté du potentiel pouvant être mobilisé. Un réveil est-il encore possible ?

Deuxièmement, une part importante des personnes interrogées considèrent qu'elles ne disposent pas au sein de leur ménage de suffisamment d'argent. C'est le cas de la majorité (48 %) de celles et ceux avec un revenu familial inférieur à 3000 fr. par mois. Mais plus d'un tiers des personnes avec un revenu compris entre 3000 et 7000 fr par mois sont dans la même situation. De même qu'un quart de celles ayant entre 7000 et 9000 fr. par mois. En d'autres termes, un secteur considérable de la population doit régulièrement se débrouiller avec des budgets serrés.

Troisièmement, lorsqu'on demande à combien devrait s'élever le revenu mensuel net d'une famille de 4 personnes (2 adultes et 2 enfants) pour ne pas vivre dans la pauvreté, les résultats invitent à réfléchir. En effet, seuls 16 % des personnes interrogées indiquent un montant inférieur à 5000 fr. par mois. La majorité (49 %) donne par contre une somme comprise entre 5000 et 7000 fr. Enfin, 26 % indiquent un montant supérieur.

Comparons ces appréciations avec les données de la dernière enquête (2000) de l'Office fédéral statistique (OFS) sur les salaires en Suisse en l'an 2000 (cf. à l'encontre N° 3, «Salaires: le coup de force patronal», pp. 32-33). Selon cette étude, 63,2 % de l'ensemble des salarié·e·s gagnaient moins de 5000 fr. net par mois (y compris 1/12 du 13e salaire, heures sup, primes, etc.). Cette proportion s'élevait à 53,8 % parmi les personnes à plein temps. De même 86,3 % touchaient moins de 7000 fr. par mois, ce taux étant de 82,5 % parmi les personnes à plein temps.

Certes, les familles avec deux enfants ou plus ne représentent qu'un quart environ du total des ménages. Cependant, la confrontation entre les salaires effectifs et les besoins estimés pour ne «pas vivre dans la pauvreté» – le seuil, dans l'enquête, n'est pas placé de manière élevée! – livre une confirmation supplémentaire du caractère serré des budgets des «milieux populaires». Elle met aussi en évidence l'ampleur de la contrainte à disposer d'un double salaire pour nouer les deux bouts. La croissance ininterrompue du travail salarié·e·s des femmes est aussi une conséquence de cette réalité.

Troisièmement, la propagande de droite ne passe pas nécessairement aussi bien que l'on pourrait le redouter. Ainsi seuls 5 % des personnes interrogées considèrent que celles et ceux qui sont pauvres le sont parce qu'«elles sont paresseuses et ne veulent pas travailler». A l'inverse, trois quarts pensent que les hauts salaires des cadres ne sont pas justifiés.

Mises ensemble, ces informations dessinent la possibilité pour le mouvement syndical de mener une vaste campagne sur le thème des revenus et de susciter une adhésion active à l'exigence d'une revalorisation d'ensemble des salaires. La volonté existe-t-elle ?

(février 2002)

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