Suisse. La Boillat
 
 

«Rompre avec l’ordre habituel des choses»

Nous publions ci-dessous l’intervention faite, le 17 novembre 2006, par Maria Wuillemin *, au nom des «Femmes en colère». Ce regroupement des femmes de la région de Reconvillier - intégrant des femmes travaillant à la Boillat, des femmes de grévistes et des sympathisantes de cette longue et difficile lutte – a su, avec ténacité et créativité, non seulement apporter un soutien, mais créer un véritable réseau d’adhésion à ce combat qui n’est pas terminé.

Cette longue lutte devrait d’ailleurs être un élément important d’une réflexion approfondie sur les modalités de la conduite d’une lutte frontale dans le contexte actuel. Un contexte qui charrie aussi les scories d’un long passé de «paix du travail». Mais un passé que des appareils syndicaux tentent de recycler en opérant une prétendue différence qualitative entre le patronat de «partenariat social» et celui «blochérien». Alors que, pour reprendre le sens d’un adage italien: «chacune des deux parties sert à faire le jeu de l’autre». (Réd)

«Bonsoir à tous,

Il y avait hier, très exactement deux années [16 novembre 2004] que nous nous mettions en grève pour la première fois dans notre usine de Reconvilier. Cependant, ce n’est pas afin de commémorer cet événement, que les «femmes en colère» ont décidé  d’organiser la manifestation de ce soir. Notre objectif et notre but, avec toutes les personnes et je sais que nous sommes encore nombreuses et nombreux, dans le même élan de solidarité qui a prévalu au cours de nos deux mouvements, est de continuer de témoigner et de surtout de dénoncer , les agissements inqualifiables de la direction et du conseil d’administration de Swissmetal envers le site de Reconvilier.

Nous nous sommes battus avec la plus farouche volonté et la plus grande détermination pour la pérennité de notre usine et contre son démantèlement. Par deux fois, l’ensemble du personnel de la Boillat a lutté de manière extraordinaire, exemplaire et irréprochable.

Aujourd’hui, malgré le formidable engagement de tous, Swissmetal Boillat à Reconvilier est devenu méconnaissable et n’est plus que l’ombre de ce qu’elle était encore très récemment. L’incompétence de la Direction et du Conseil d’administration à diriger Swissmetal n’offre aucune perspective d’avenir industriel et économique sereine du site de Reconvilier. Ils portent l’entière responsabilité de l’énorme gâchis qu’ils ont créé.

Un régime totalitaire et de terreur a été mis en place par l’intermédiaire d’un nouvel encadrement dont l’incompétence, dans touts les domaines, est flagrante et manifeste. Le personnel a très fortement été réduit. Les salariés qui osent encore exprimer un avis différent sur la politique de l’entreprise sont immédiatement licenciés. Les plus qualifiés ont déjà presque tous quitté l’entreprise. La plupart d’entre eux, quand ils sont remplacés, le sont par des ouvriers intérimaires ou frontaliers, sans aucune expérience et formation, à qui l’on interdit de s’exprimer publiquement sur la marche de l’entreprise. Ceux qui restent encore parmi les anciens, et qui se rendent compte de ce qui se passe sont fatigués, résignés et démotivés.

Les principales installations vitales pour l’entreprise ne fonctionnent toujours pas ou que très parcimonieusement. De nombreuses machines sont arrêtées faute de matière à travailler. Le saccage de l’entreprise par la délocalisation de certaines machines est en bonne voie. Les clients qui n’ont plus confiance, en manque de produits spécialisés ou au bénéfice de produits de mauvaise qualité, quittent Swissmetal et se reconvertissent dans de nouveaux alliages non cuivreux. La valeur ajoutée brute et les entrées de commande sont en chute libre.

Voila brièvement, quelle est la situation actuelle à Reconvilier. Economiquement, une telle situation est vouée à l’échec à très cours terme. La Direction ne manifeste aucune volonté de vouloir y remédier et de l’améliorer. Les communiqués de presse de Swissmetal, laissant entendre que tout va bien et que la situation se normalise, ne sont que pure propagande mensongère et se doivent d’être contredits avec la plus grande vigueur. Le démantèlement, voir la fermeture du site qui ne répond qu’à d’obscurs intérêts financiers est programmé depuis fort longtemps. Le formidable combat que nous avons mené n’a pas fait reculer Swissmetal. Cependant, nous ne devons pas cesser de le dénoncer et de faire encore et toujours tout ce qui est en notre pouvoir pour l’empêcher. Car et j’en suis profondément convaincue notre courageuse opposition a très fortement grippée la machine destructrice mise en place par nos dirigeants. Ce qui pour eux ne devait être qu’une simple formalité  est très certainement devenu un cauchemar dont ils se seraient bien passés. Notre lutte aura sans aucun doute contrarié très fortement leurs projets et aura retardé les échéances qu’ils s’étaient fixées.

Toutes les dictatures ont toujours fini par tombées quand elles étaient combattues. Continuons de nous battre dans nos entreprises, partout contre le monde dictatorial de la finance. A la Boillat , grâce à notre courage, notre détermination et notre solidarité, nous avons démontré ce qu’il était possible et nécessaire de faire. Nous avons représenté une grande force, mais encore insuffisante.

Le jour ou toutes les travailleuses et tous les travailleurs agiront ensemble et décideront de rompre avec l’ordre habituel des choses qui leur seront devenues insupportables. Il s’en dégagera une force encore plus grande et insoupçonnée et ce jour là nous gagnerons.

Merci.»

(Reconvilier, le 17 novembre 2006)

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* Le Journal du Jura présentait ainsi les mesures de répression de la direction à l’encontre de Maria Wuillemin en septembre 2006:

 «Etre membre d'une commission est décidément un poste à hauts risques chez Swissmetal. Après avoir éliminé le président de la délégation des employés, Nicolas Wuillemin, au début de la grève, la direction avait ensuite licencié deux autres membres de cette même commission en juin dernier. A noter que tous deux étaient aussi membres de la délégation à la médiation. Et jeudi dernier, c'était au tour de l'épouse de Nicolas Wuillemin, Maria, membre de la commission d'entreprise et de la médiation, d'être dans le collimateur de Swissmetal.

 Ce jour-là, elle a en effet été convoquée dans le bureau du directeur industriel  qui, avec Hanspeter Weidlich, responsable ad intérim du «finishing», lui a remis une lettre lui signifiant son préavis de licenciement. Motif invoqué par les intéressés: en raison de la chute de commandes au département lopins, consécutive à la grève, il n'y avait plus de travail pour elle.

Comme le relève Maria Wuillemin, «c'est quand même surprenant que je sois la seule concernée dans le département...» Surprenant également que la direction ne lui ait pas proposé un autre poste, dans la mesure où elle continue d'embaucher. Invitée à signer son préavis de licenciement, Maria Wuillemin a évidemment refusé. D'autant que la missive contenait des contrevérités: «Il était notamment écrit que j'avais refusé d'aller travailler au département d'attachage - ce qui est totalement faux! Depuis que je travaille, je n'ai jamais refusé le moindre changement de poste! J'ai demandé à ces deux messieurs à qui j'aurais adressé un tel refus et ils n'ont pas su quoi répondre.» En fait, précise-elle, «la seule chose que j'avais dite à propos du département d'attachage, c'est que j'étais prête à essayer, mais qu'il faudrait voir si ce travail était adapté pour moi, car j'ai un problème musculaire aux mains.»

Ce seul extrait de presse confirme qu’il y a dans cet exemple de pression et répression contre Maria Wuillemin l’illustration d’une des raisons pour laquelle la pratique du patronat suisse en matière de licenciement des délégués syndicaux a été condamnée par le Comité de la liberté syndicale du BIT. En effet, comme le souligne le communiqué de la Confédération syndicale internationale (CSI) du 15 novembre 2006: «si elle est maintenue, la position de la Suisse pourra offrir une brèche aux dictatures qui ne vont pas se gêner à l’avenir de contester» les règles de la Convention 98 que le Comité de la liberté syndicale doit faire respecter.