Tessin
 
 

Quand Unia veut liquider les Officine

Pino Sergi *

«Nouvelle tourmente dans le syndicat Unia». C’est en ces termes que Ticinonews, le portail Internet de la télévision régionale Teleticino (voir aussi «Dix questions à UNIA»), le soir du 27 juin 2009, mettait en ligne une cascade de nouvelles, de commentaires et d’entretiens qui par la suite – le week-end et le lundi 29 – ont occupé une place dans les médias tessinois. Le lundi 29 au soir, le coprésident d’Unia, Renzo Ambrosetti, se devait d’intervenir, à la télévision tessinoise, sur «la situation d’Unia au Tessin». L’information la plus importante était la suivante: Gianni Frizzo, le dirigeant historique de la célèbre grève des Officine – Ateliers CFF Cargo de Bellinzone –, n’a pas été réélu au comité de la section Unia de Bellinzone Biasca et Moesa dont il était le président depuis un an. Avec lui ont été exclus du comité tout le groupe qui appartenait au comité de grève des Officine et d’autres membres sortants (parmi lesquels Ugo Sartore, président avant le mandat de Frizzo).

Une manœuvre préparée avec soin

Si cette décision avait été prise comme résultat d’un débat ouvert, clair, sur des positions divergentes, etc., la résolution de l’assemblée d’Unia ne pourrait évidemment pas être contestée.

Mais tout ce processus décisionnel s’est développé dans un contexte où ont été violées toutes les normes les plus élémentaires de la démocratie et de la «bienséance» syndicale.

Il suffit de rappeler, pour faire exemple, que les normes réglementaires habituelles qui prévoient qu’il appartient au comité de section sortant de préparer l’assemblée (ordre du jour, candidatures, résolutions, etc.) ont été totalement non respectées. De fait, le comité de section a été «suspendu» en quelque sorte depuis le mois de janvier 2009. Pour rappel, le règlement prévoit que c’est le secrétaire de section – en l’occurrence il s’agit de Saverio Lurati, déjà en conflit avec des animateurs clés de la grève – qui doit convoquer le comité. Il suffit qu’il ne le fasse pas pour que ce dernier, de fait, ne puisse se réunir.

Par contre, peu de jours avant l’assemblée du vendredi 26 juin, une série de «plus que fidèles» – et de «convertis» de la dernière heure – ont été convoqués par des fonctionnaires et des secrétaires d’Unia dans le but de préparer la «stratégie électorale» à appliquer au cours de l’assemblée statutaire.

Et cette stratégie a eu des traits similaires à celle en usage dans les pires des assemblées de partis ou de syndicats qui répètent les pires traditions du dit mouvement ouvrier. Ainsi, le «choix» a été fait de façonner un noyau de travailleurs, gagnés à l’idée de s’opposer à Frizzo, noyau que l’appareil fait participer à l’assemblée pour s’assurer un vote «en bloc». Pour ces «délégués choisis» avait été préparé un fac-similé de bulletin de vote où étaient indiqués les candidats qu’il fallait désigner lors de l’élection au comité de section. Malgré la grande prudence, quelque chose n’a pas fonctionné ; le pot aux roses – la distribution de «pizzini» [1] – a été découvert. Le site de Ticinonews a d’ailleurs publié un de ces «pizzini», comme les a qualifiés Gianni Frizzo. Les candidats «sélectionnés» sur le fac-similé ont été, même pas en le voulant tous eux-mêmes de manière expresse, les mêmes qui ont été élus au comité de section !

Au cours de toute la semaine passée, l’ensemble de l’appareil syndical d’Unia Bellinzone – avec l’appui d’autres sections – a travaillé pratiquement à temps complet pour obtenir cet objectif.

Il est inutile d’ajouter que, en dehors de l’élection, le reste de l’assemblée s’est passé sans histoire. Les présents n’étaient absolument pas, dans leur grande majorité, intéressés aux autres thèmes. Ils n’avaient pas été réunis pour discuter de l’avenir du syndicalisme ou des actions syndicales, mais pour voter d’une certaine façon. Il suffit de faire référence aux trois interventions du secrétaire Saverio Lurati – l’une sur la mobilisation nationale prévue pour le 19 septembre, l’autre sur la campagne contre le projet de prolongation des heures d’ouverture des magasins, la dernière sur la crise économique – et au fait qu’elles n’ont suscité aucune intervention des présents, à l’exception de certains travailleurs des Officine, pour saisir la fonction et l’ambiance de cette réunion.

Le cercle se ferme

Comme un certain nombre de personnes s’en rappellent, les tensions au sein d’Unia Tessin ont commencé à s’exprimer à la fin de l’année passée. Puis, elles se sont accentuées au début de l’année 2009. Prenant pour prétexte une série de discordes à l’intérieur de la section Unia de Bellinzone, la direction régionale d’Unia a lancé une véritable campagne contre la direction de la section Unia Bellinzone. Cette campagne, avec la complicité de la direction nationale d’Unia, a abouti à la suspension de trois permanents: Matteo Pronzini, Siro Petruzzella et Teresa Guarna. Des accusations générales de mobbing ont été faites à leur encontre. Ces accusations étaient si générales que, y compris lors de l’assemblée du vendredi 26 juin, face à une question précise, le coprésident d’Unia, Renzo Ambrosetti, devait admettre, comme le rapportent d’ailleurs divers journaux tessinois, qu’il «n’existait aucune accusation de mobbing contre Matteo Pronzini».

Prenant appui sur une campagne interne véritablement orchestrée, une épuration de la direction de la section de Bellinzone a été organisée. Ainsi, Matteo Pronzini a été «promu» à Berne – autrement dit, évacué par le haut. Siro Petruzella a été réintégré, mais pratiquement privé de toutes les tâches dont il était responsable dans le passé. Teresa Guarna était destinée à une autre fonction qui reste encore à définir aujourd’hui.

Saverio Lurati, secrétaire général du Tessin, prenait ad interim (jusqu’à la fin de 2010) la responsabilité du secrétariat de la section de Bellinzone. Lurati commença le processus de normalisation qui s’est conclu avec l’assemblée du 26 juin et l’éviction de Gianni Frizzo et de ses camarades.

En quoi consiste cette normalisation ? On peut la résumer en quelques mots. Il s’agit de liquider la tentative de construire dans le cadre de la section Unia Bellinzone – et précédemment dans celui du SIB – un syndicalisme de classe, un syndicalisme de mouvement social, démocratique, conflictuel, ayant des traits antagonistes face au capitalisme. La grève des Officine – après celle de la construction (au printemps 2008) et celle d’Alptransit (en 2007, puis à Faido et Sedrun en 2008) qui avaient démontré que leur point fort se situait sur le terrain où intervenait la section d’Unia Bellinzone – avait apporté une contribution essentielle pour rendre crédible et renforcer cette orientation syndicale. Ces mobilisations plaçaient dans l’ombre les options et le rôle des appareils syndicaux traditionnels, redonnant une voix et un pouvoir à un syndicalisme des travailleurs et des travailleuses.

Nous avions cherché à expliquer ces questions de fond à l’occasion des «conflits internes» d’Unia au début de l’année 2009. Raison pour laquelle nous soutenions qu’il ne s’agissait pas de batailles de pouvoir à l’intérieur de la bureaucratie, mais d’un affrontement clair de deux conceptions en termes de stratégie de politique syndicale.

Aujourd’hui, après l’assemblée du 26 juin et l’éviction de Gianni Frizzo ainsi que de ses camarades, tout est devenu clair et évident pour tous et toutes au Tessin.

Tristesse «anticapitaliste»

Nous conclurons ce bref article – nous porterons par la suite à la connaissance des lectrices et des lecteurs le texte plus complet de Matteo Pronzini lu par Gianni Frizzo à l’occasion de l’assemblée du 26 juin – avec une note ayant trait aux implications politiques de ces incidents. En particulier, ici, nous indiquerons celles qui ont trait à des militants qui se réclament du socialisme révolutionnaire et proclament une orientation «anticapitaliste».

Malheureusement, les artificiers et les manœuvres de cette sombre opération décrite ci-dessus appartiennent au collectif anticapitaliste, qui est membre de la Gauche anticapitaliste. Il s’agit de cinq camarades actifs dans le syndicat Unia et qui ont rompu il y a quelques mois avec le Mouvement pour le socialisme au Tessin.

De manière déplorable, ce sont eux (à commencer par Enrico Borelli qui écrit dans les colonnes de la feuille ayant pour nom L’Anticapitaliste) qui ont organisé la campagne contre Matteo Pronzini et Siro Petruzzella, puis, actuellement, l’évincement de Gianni Frizzo et avec lui la dépossession de l’expérience de lutte des Officine au sein d’Unia. Ce sont eux qui ont choisi les «délégués» prêts à faire le travail et qui ont distribué les «pizzini» (fac-similés) portant les indications de vote, etc.

Voilà assurément une action et une activité qui révèlent plus qu’on ne pourrait le penser le contenu effectif la position fonctionnelle (dans le syndicat) et politique de ceux qui, tous les jours, trouvent un bouc émissaire accusé par eux d’opportunisme, de capitulation, d’alliance avec «la gauche complice de la droite», de recul, de trahison des intérêts des travailleurs. Cette alliance active passée avec la bureaucratie syndicale corrompue est, en fait, emblématique d’un double langage et d’une double pratique, propres à toute bureaucratie qu’elle soit en devenir ou déjà établie. Les voilà des associés et des partenaires de ceux qui traduisent et mettent en pratique les pires traditions de la bureaucratie syndicale, les Renzo Ambrosetti & Cie.

Nous pouvons comprendre – au plan humain, social et salarial – qu’ils ont «aussi leur famille». Mais nous avons aussi le droit d’exprimer notre tristesse face à une des pages les plus honteuses de la brève histoire de ce que, par commodité, nous qualifierons de «gauche radicale».

Nous ne pouvons que rappeler à ceux qui s’auto-définissent anticapitalistes les termes qu’a utilisés Gianni Frizzo pour commenter cet épisode affligeant à la télévision: «Pour moi, c’est une grande déception que les directions nationale et cantonale d’Unia sont en train de détruire les espérances de ces travailleurs. Ces directions créent des espoirs chez les travailleurs en les mobilisant dans la rue avec des sifflets et des drapeaux. Mais, par la suite, ces directions ne résolvent pas les problèmes à la racine. Quand je parlais avec Andreas Meyer, patron des CFF, je savais qui j’avais en face [qui je devais combattre] ; aujourd’hui, je ne sais pas ce que je dois combattre.»

* Rédacteur du bimensuel Solidarietà, organe du MPS Tessin.

1. Le terme «pizzini» renvoie à la pratique de la mafia sicilienne. Il s’agit de petits billets au moyen desquels, avec des indications cryptées, les chefs de cette organisation criminelle transmettent des jugements et des ordres à leurs membres.

(30 juin 2009)