La mobilisation de celles et ceux qui produisent des biens non-marchands
 
 

Briser les «idées reçues»

L'ampleur des mobilisations et des grèves dans le secteur public, depuis le 23 septembre, représente un élément nouveau dans le paysage social et poli­tique du canton de Vaud. La brutalité avec laquelle le Conseil d'Etat met en question des éléments déterminants des services publics exige cette riposte.

Les citoyens-salariés ne peuvent être réduits au seul statut d'électrices et d'électeurs choi­sissant, tous les quatre ans, leurs «représentants». Ils sont des acteurs de la vie sociale, car ils la produisent. En effet, comment concevoir une société sans la production d'un enseignement, d'un système de santé, d'un réseau d'appui social pour les personnes âgées, etc. Ils ont donc à défendre leur statut et le contenu de ce qu'ils produisent.

Dans une société, la production «efficace» ne peut être réduite à celle des firmes privées. Les fausses évidences de la pensée officielle» doivent être démontées.

Deux catégories «d'agents producteurs»

Dans le système économique actuel existent deux catégories «d'agents producteurs».

La première est représentée par les entreprises privées. Leurs propriétaires décident de produire lorsqu'ils pensent (anticipent) qu'existent des débouchés. C'est-à-dire quand ils estiment qu'une demande solvable (qui peut payer) existe pour leurs biens et leurs services marchands. Pour ce faire, ils décident d'investir et «d'engager du personnel», donc de mettre en circulation des salaires. Si les marchandises (biens ou services) ne se vendent pas, les propriétaires sont sanctionnés par une baisse de leurs profits ou une faillite. C'est sous cette forme que l'anticipation de la firme privée est validée ou non.

La deuxième catégorie incorpore les collectivités publiques. Elles aussi anticipent des besoins collectifs: enseignement, formation, santé, sécurité, justice, etc. Elles y répondent par la production de biens non-marchands, qui nécessite des investissements et l'embauche de personnel. Ces investissements publics soutiennent la «machine économique» (par ex.: les entreprises qui construisent une école). L'école publique fournit un bien public non-marchand (à la différence d'une école privée). Sans lui ne pourrait exister une main-d'oeuvre qualifiée. Les salaires versés aux enseignants vont être dépensés afin d'acheter, pour l'essentiel, des biens marchands.

Production de biens collectifs et impôts

Une fois les services collectifs produits, le paiement de l'impôt concrétise, de fait, l'accord de la population pour que soient assurés l'éducation, les soins de santé, etc. L'impôt est prélevé sur la totalité des revenus engendrés aussi bien par l'activité privée que publique.

Ce paiement doit assurer la pérennité de la production de ces services collectifs, pérennité dont dépend la qualité, des soins comme de l'enseignement (accumulation des savoirs, non-précarité de l'emploi, etc.).

En aucune mesure la valeur monétaire des prestations publiques n'est «ponctionnée» sur un revenu préexistant du secteur privé. Ces prestations ne sont pas «parasitaires», comme le diffuse l'idéologie libérale réactionnaire.

En effet, les salarié·e·s des collectivités publiques produisent des services utiles, non-marchands, qui sont évalués en termes monétaires (par leur coût). Ils engendrent aussi un revenu supplémentaire par leurs salaires.

L'impôt couvre ces coûts, qui sont partiellement socialisés. En effet, chacun paie (sous la forme des impôts) en fonction de ses moyens et non pas, par exemple, à partir de la quantité d'enseignement utilisée et du prix «qu'il est prêt à mettre». Donc, l'impôt valide, a posteriori ,l'anticipation des besoins collectifs faite par les collectivités publiques.

Pourquoi ces attaques contre les services publics et l'impôt?

Un très large accord populaire s'exprime en faveur de l'existence de services collectifs, non-marchands.

Pour battre en brèche cette acceptation, la droite augmente les inégalités devant l'impôt qui valide la production de ces services.

Cette inégalité fiscale nourrit les réticences individuelles face à l'impôt; entre autres de la part de ceux qui disposent de salaires au-dessus de la moyenne, mais loin d'être fort élevés.

Ainsi, depuis le début des années 1990, les taux d'imposition des profits des firmes des pays de l'OCDE n'ont fait que baisser. Et la Suisse se trouve en tête du peloton. En outre, le taux d'imposition sur les très riches a diminué. Enfin, les personnes disposant de fortunes significatives peuvent échapper sans difficulté à l'impôt. Konrad Hummler, ancien de l'UBS et patron de la banque privée Wegelin & Co (Saint-Gall et Lausanne), l'affirme: «Chaque nouvelle loi ouvre une centaine de possibilités de création de véhicules [des produits financiers] qui la contourne» (Le Temps, 2 octobre 2004).

Voilà comment, d'une part, les «élites dirigeantes» suscitent un sentiment anti-impôt et, d'autre part, provoquent par la contraction fiscale ciblée les «déficits publics».

Ce qui dérange les libéraux de tous bords (comme le reflète la composition politique du Conseil d'Etat du canton de Vaud) est l'élément suivant: l'activité publique produit des valeurs d'usage, de la richesse socialement utile. Elle ne produit pas de valeurs marchandes, donc de profit approprié de façon privatisée.

Or, les capitaux privés à la recherche de profits veulent s'approprier une partie de la demande (celle solvable) qui traduit des besoins collectifs et qui est encore couverte par les services publics.

Pour aboutir à cet objectif, il faut discréditer et réduire ce qui valide la production des biens et services publics: l'impôt.

Or, pour la majorité de la population, moins d'impôt signifiera: des services publics dégradés (soins pour personnes âgées, santé, enseignement, etc.), une peur accrue du lendemain pour celles et ceux qui ont besoin d'une aide afin de retrouver leur place dans la société.

Si la production de biens / services collectifs se délabre, une «demande solvable» va s'exprimer. En tireront profit les vendeurs de services privatisés dans la santé, l'enseigne-ment, etc. qui ciblent une «clientèle aisée».

Conclusion: cette mobilisation ne porte pas seulement sur la «défense des acquis de fonctionnaires». Elle renvoie à des questions concernant toute la société:
• qui doit – et comment – répondre de la manière socialement la plus égalitaire et efficace aux besoins collectifs?
• comment valider au plan social, économique et politique ce choix (quelle est la fonction et quel est le sens des impôts et du budget)?

Le «fardeau générationnel de la dette»?

A propos du «fardeau de la dette» et des «déficits», les contre-vérités abondent.

Il faut «freiner l'endettement» car nous laisserions «le fardeau de la dette à nos enfants». Qu'en est-il de cette formule frappée au coin du pseudo bon sens?

Qu'est-ce qu'une société laisse à ses générations futures? Avant tout des infrastructures, un niveau d'éduca-tion, de santé, de recherche, des logements, des firmes, un environnement...

Quand une administration publique s'endette, elle le fait nécessairement auprès de quelqu'un. Par exemple, auprès de celui qui a acheté des obligations émises par l'Etat de Vaud. Ce dernier laisse à ses enfants non pas un «fardeau», mais une créance. Donc la «génération à venir» héritera de la dette (le fardeau), mais aussi des créances. Globalement, la «génération future» ne sera ni plus riche ni plus pauvre, même si certains seront, comme aujourd'hui, «plus égaux que d'autres».

A propos de ce «fardeau», il n'y a que deux véritables problèmes.

Le premier. L'Etat qui s'endette aujourd'hui – en empruntant aux couches aisées (détenteurs d'obliga-tions, actionnaires de banques) – le fait pour mener quelle politique? Financer les autoroutes les plus chères du monde ou développer la qualité de l'enseignement et de la santé? Améliorer les conditions de travail, qui pèsent tant sur les «coûts de la santé» – mais dont on ne parle pas – ou donner tout le pouvoir aux caisses maladie privées et à leur système de primes injuste et injustifiable?

Le second. Derrière chaque dette, il y a une créance. Qui détient cette créance? Qui paiera donc le service de la dette et à qui? Or, ce sont les mêmes personnes aisées qui détiennent la dette et qui, simultanément, paient proportionnellement beaucoup moins d'impôts que les salarié·e·s. Voilà le «fardeau» dont il faudrait se défaire.

Une large mobilisation des sa-larié·e·s de la fonction publique doit créer un rapport de force. Pour ce faire, il faut aussi briser les «idées reçues» sur lesquelles s'appuie le Conseil d'Etat.

Mouvement pour le Socialisme (MPS) – 5 octobre 2004

 
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