Ils vident les caisses…
et cassent les droits sociaux des salarié·e·s
Depuis plus d'une décennie, patronat, Conseil fédéral et gouvernements cantonaux – la véritable famille gouvernementale helvétique unie: des «socialistes» à l'UDC, en passant par les radicaux et les démocrates-chrétiens – s'attaquent aux droits des salarié·e·s des secteurs public et parapublic. En même temps, ils s'en prennent à la qualité de leurs prestations et donc aussi aux droits de la majorité de la population. C'est ainsi qu'est mis en cause le principe même d'un service public: l'accès à des services égaux, indépendamment des revenus des usagers·ères.
Leurs objectifs
Quels sont les objectifs du patronat et des forces gouvernementales?
1. Tout d'abord, alléger ladite «charge fiscale» des détenteurs d'importants capitaux. L'ensemble des salarié·e·s en paieront le prix.
Le principe des services publics est de garantir à toutes et à tous l'accès à un certain nombre de prestations importantes pour les conditions de vie de chacun·e. Par exemple le droit à la formation. Ou à des soins de qualité. Pour qu'il en soit ainsi, ces prestations sont gratuites – l'école – ou, du moins, elles sont fournies à un prix nettement inférieur à leur coût réel. Cela n'est possible que parce que la différence est prise en charge par les collectivités, par le biais de l'impôt. Les services publics constituent ainsi une sorte de salaire social, qui bénéficie en premier lieu à celles et ceux dont les revenus sont les plus faibles.
La diminution des impôts étrangle ce salaire social. Les coûts sont transférés sur le dos des usagers·ères. Résultat: une sélection par l'argent. On en voit déjà les conséquences dans la santé, avec le développement d'une médecine à deux vitesses. C'est la même chose que les patrons d'economiesuisse préparent en matière de formation. Bref, moins d'impôts… pour les possédants se traduit par une baisse de niveau de vie… pour la grande majorité de la population.
2. Deuxièmement, le but est d'offrir de nouvelles sources de profit aux capitaux privés. Par la privatisation de secteurs rentables, comme déjà les télécoms et la poste demain. Et de manière indirecte: les coupes dans les dépenses publiques aiguisent le mécontentement des usagers·ères, ce qui amène une partie d'entre eux/elles à se tourner vers le secteur privé. Pour la formation de leurs enfants par exemple. Mais aussi pour les soins, comme à Zurich, où les mesures annoncées dernièrement par le Conseil d'Etat pour les assuré·e·s de base – réduction du temps consacré à chaque patient·e, diminution du confort, allongement des délais d'attente – stimuleront la conclusion d'assurances complémentaires, pour celles et ceux qui en ont les moyens, au profit de ceux qui contrôlent les assurances maladie.
3. Enfin, les gouvernements et leurs maîtres – les patrons des grandes banques, des assurances et de l'industrie – veulent remettre en cause les conditions de travail des salarié·e·s des services publics. L'objectif est double. Tout d'abord, éliminer le «mauvais exemple» représenté par les droits garantis à ces salarié·e·s – des protections contre les licenciements aux dispositions plus favorables en matière de retraite. Ils veulent donc généraliser l'arbitraire et la précarité. Ensuite, en dégradant les conditions de travail des «stables» (les salarié·e·s des services publics), ils visent à tirer vers le bas les conditions de travail de l'ensemble des salarié·e·s. La politique menée par la Municipalité de la Ville de Lausanne, dirigée par ladite «gauche», illustre cela. Elle a réduit de 400 francs par mois le salaire à l'embauche des secrétaires avec CFC d'employée de commerce! De nouvelles «règles» en matière salariale sont ainsi imposées: elles encouragent les patrons du privé à pousser encore plus loin.
Que fait ladite «gauche»?
Que font les dirigeant·e·s de ladite «gauche» face à cette politique? Ils et elles participent activement à sa mise en oeuvre… A la tête de La Poste, par exemple, où ils ferment des bureaux à tours de bras. Mais aussi dans les exécutifs locaux. C'est Verena Diener, écologiste, qui réduit à Zurich les prestations des hôpitaux publics. C'est Thomas Burgener, du Parti socialiste (PS), qui ferme d'autorité la maternité de l'Hôpital de Martigny. C'est Pierre-Yves Maillard, candidat PS au Conseil d'Etat vaudois, qui – avant même d'entrer en fonction! – se prononce pour la remise en cause des augmentations annuelles (annuités).
Les positions du MPS
Le Mouvement pour le socialisme (MPS) défend une autre orientation.
1. Cette politique d'austérité fait partie de la véritable lutte de classes lancée par les dominants contre les salarié·e·s: horaires et charge de travail insupportables, salaires congelés, précarité croissante, hausse sans fin des primes maladie, baisse du taux d'intérêt servi sur les avoirs du 2e pilier, diminution des prestations de l'AI et de l'aide sociale, réduction des indemnités pour les chômeurs·euses, etc. Face à cette politique, ce ne sont pas quelques manifestations, et encore moins quelques «actions symboliques», qui feront reculer les gouvernements. Le seul langage qu'ils puissent comprendre est celui d'une mobilisation déterminée: toutes et tous ensemble, par la grève reconductible!
2. Au niveau national, une échéance se profile. Malgré le rejet massif du paquet fiscal soumis au vote le 16 mai dernier, le Conseil fédéral revient à la charge avec de nouveaux cadeaux fiscaux pour les possédants. Il prévoit ainsi de diminuer l'imposition sur les droits de timbre (transactions mobilières: actions, obligations, etc.) et sur les entreprises: plus de 1 milliard offert aux actionnaires! En 2003, alors que le chômage explosait, les 25 plus grandes sociétés suisses cotées en Bourse ont versé 13,5 milliards de francs de dividendes à leurs actionnaires, 11% de plus qu'en 2002. Mais ils en veulent encore plus!
Les cadeaux fiscaux justifieront de nouvelles coupes dans les transports publics, dans la formation, dans la santé, etc. L'ensemble des forces syndicales, associatives et de gauche ont la responsabilité d'engager la bataille référendaire contre ces projets!
3. Une alternative à la politique des caisses vides est nécessaire. Des pas concrets pour inverser la tendance à la sécession des vrais riches peuvent être proposés (voir ci-dessous). Mais un constat de fond doit aussi être fait. C'est l'appropriation privée des richesses – fondée sur la propriété privée des grandes entreprises, banques et assurances – qui donne aux dominants les moyens de se soustraire, en toute légalité, à l'impôt et d'exercer en permanence leur chantage: de nouveaux cadeaux ou nous irons ailleurs. C'est aussi la course aux profits, soeur jumelle dans le capitalisme de l'appropriation privée de la richesse produite par les salarié·e·s, qui nourrit les politiques visant à réduire les services publics comme peau de chagrin. Tout – santé, formation, eau, retraites, etc. – doit devenir marchandise source de profits.
Défendre, étendre et transformer les services publics – en créant les conditions d'une implication démocratique des salarié·e·s et des usagers·ères dans la définition des objectifs à atteindre – implique donc d'engager le combat pour imposer des incursions publiques dans le domaine réservé, et de plus en plus envahissant, de la propriété privée.
Une politique des caisses vides au service du Capital
Des milliards de déficits, des dépenses publiques qui explosent: voilà un refrain que les patrons et les gouvernements ne cessent d'entonner. Qu'en est-il? Quelle approche face à ces questions?
Pourquoi des dÉficits publics?
Les déficits publics sont inhérents à la nature du système capitaliste.
Ils découlent, tout d'abord, de la logique d'ensemble de ce système: les coûts provoqués par son fonctionnement (infrastructures de transport, scolarisation, etc.) sont en grande partie socialisés – pris en charge par la collectivité – tandis que les profits sont appropriés de façon privée. Cette contradiction explique le fossé structurel entre les dépenses et les revenus de l'Etat. Les déficits sont ainsi la règle, les excédents l'exception.
Deuxièmement, dans le système capitaliste, les retournements conjoncturels sont inévitables, consubstantiels au système. Lorsqu'ils se produisent, ils contribuent au développement des déficits. Une dégradation de la conjoncture provoque en effet l'augmentation des dépenses publiques car une large partie des coûts supplémentaires engendrés par une telle dégradation est socialisée: assurance chômage, invalidité, aide sociale, etc. De plus, une péjoration de la situation économique tend à faire diminuer les recettes fiscales car elle induit la baisse des revenus d'une partie de la population active.
Aucune fatalité
Mais il n'y a aucune fatalité dans l'apparition et le développement des déficits publics. Ces derniers sont aussi l'expression des choix économiques et politiques dominants, comme l'illustre l'évolution intervenue en Suisse au cours des années 1990 et au début de cette décennie.
1. Les licenciements massifs, les attaques contre les salaires, etc., qui visaient à accroître les profits des employeurs, ont contribué fortement à accentuer les effets négatifs, sur les finances publiques, des péjorations, cycliques, de la conjoncture économique.
2. La politique budgétaire restrictive de l'Etat, imposée par les milieux bourgeois, a amplifié la déprime économique: à la stagnation de la consommation des ménages s'est ajoutée celle des collectivités publiques. L'effet récessif était assuré, d'où l'accroissement des déficits et du chômage.
3. La libéralisation des régies fédérales, répondant à la recherche de nouvelles sources de profits pour les capitaux privés, a aussi creusé l'endettement public. D'après les chiffres du Département fédéral des finances, la Confédération a fourni jusqu'à fin 2002 «pour 20,3 milliards de prestations financières aux caisses de pensions de Swisscom, des CFF, de la Poste ainsi que de RUAG [les entreprises d'armement]». Et il reste encore des «prestations futures reposant sur une base légale» à verser de l'ordre de 16,1 milliards. Sans oublier les milliards gaspillés après la privatisation des télécoms: d'après les calculs effectués par Le Temps, Swisscom aurait perdu, dans ses aventures à l'étranger (rachat d'entreprises, etc.), près de 5 milliards de francs.
4. L'évolution au niveau cantonal a été similaire. D'après l'Etat du Valais, les injections de fonds publics dans des caisses de prévoyance étatiques y auraient été de l'ordre de 3,754 milliards de francs. Ailleurs, ce sont les banques cantonales qui ont coûté cher aux salarié·e·s-contribuables, à l'image de Genève, où c'est «3 milliards de francs que le contribuable […] va payer pour sauver sa banque» (L'Illustré, 18 août 2004).
5. Enfin, depuis le milieu des années 1970, en Suisse tout comme au niveau international, une orientation s'est imposée: elle consiste à diminuer la pression fiscale, en particulier sur le Capital, dans le but, notamment, de favoriser l'apparition et le développement des déficits. Cette politique peut être désignée comme la politique des caisses vides. La famille gouvernementale helvétique unie en a fait son évangile (voir ci-contre).
Un pays de cocagne… pour les employeurs
La politique des caisses vides s'articule autour de deux volets, étroitement liés: le refus de s'attaquer aux inégalités et privilèges fiscaux; une politique agressive de défiscalisation, de «sécession des riches».
Historiquement, en Suisse, les possédants bénéficient de mille et un privilèges fiscaux. Ils profitent de tellement de déductions et d'échappatoires que leur contribution au financement des collectivités publiques est… des plus symboliques. Ainsi «480 millionnaires zurichois peuvent déclarer des revenus imposables inférieurs à 50000 francs par an» (L'Hebdo, 12 août 2004). Autre avantage majeur: un fédéralisme fiscal poussé à l'extrême, ce qui mène au dumping fiscal. Ainsi, par exemple, dans le commune schwyzoise de Freienbach, qui abrite les industriels Dieter Bührle et Stephan Schmidheiny, un·e célibataire disposant d'un revenu d'un million de francs doit s'acquitter d'impôts communaux et cantonaux à un taux inférieur à celui qui s'applique à un revenu brut de 30000 francs à Bâle, Fribourg et Lucerne…
Au cours de la dernière période, les milieux patronaux et leurs représentant·e·s se sont battus, avec succès, pour préserver ces acquis. Ils ont également limité au maximum le transfert de ressources de la Banque nationale suisse (BNS) aux collectivités publiques. La politique suivie par la BNS a ainsi toujours obéi aux règles de la politique des caisses vides: l'institution d'émission n'a jamais distribué qu'une part très réduite de son bénéfice réel et a géré ses réserves de manière très peu rentable, limitant de la sorte ses versements aux cantons et à la Confédération. Ainsi, d'après Thomas Von Ungern-Sternberg, professeur à l'Université de Lausanne, «le manque à gagner pour notre canton [le canton de Vaud] ces dix dernières années a été de l'ordre de 1 milliard de francs!» (24 heures, 30 juillet 2001).
Sécession des riches
Mais lesdits milieux ont été plus loin, en développant une politique agressive de défiscalisation, à leur avantage, dès les années 1980.
L'impôt fédéral direct (IFD) a ainsi été diminué à deux reprises, en 1985 et 1987. En 1993, Kurt Grüter, sous-directeur à l'Administration fédérale des finances, constatait que «suite aux allégements fiscaux décidés depuis 1985 et à la compensation de la progression à froid, le manque à gagner pour la Confédération peut être estimé à environ deux milliards par an» (La Vie économique, 5/1993).
Cette perte a largement contribué à précipiter les comptes fédéraux dans le rouge dès les premières manifestations du marasme économique, au tout début des années 1990. Les milieux bourgeois ont cependant poursuivi leur politique d'allégements fiscaux. Ils ont ainsi réduit, à deux reprises, en 1993 et 1996, l'imposition des droits de timbre. De plus, ils ont fait passer l'introduction de la TVA, en 1995, ce qui a provoqué le transfert sur le dos des salarié·e·s d'une charge fiscale supplémentaire de 2,5 milliards, au profit des milieux industriels, qui ont bénéficié, eux, de la suppression de ladite «taxe occulte».
Depuis la fin de 1997, l'économie suisse a cependant connu des taux de croissance plus élevés et les comptes des collectivités publiques se sont très rapidement améliorés. Les organisations patronales et leurs représentant·e·s en ont profité pour accélérer encore leur offensive. C'est ainsi qu'a été adopté, en 1998, le taux proportionnel pour l'impôt sur le bénéfice des entreprises, que l'impôt sur le capital a été supprimé et que le droit d'émission a été diminué de moitié.
«Aucun pays n'est aussi attractif»
Résultat des courses: comme l'indique un récent rapport du Conseil fédéral, «la fiscalité directe des personnes morales s'est sensiblement réduite au cours des deux dernières décennies». Ledit rapport a analysé l'évolution entre 1977 et 2000 de l'imposition d'une société anonyme dont le capital et les réserves s'élevaient à 100000 francs pour un bénéfice de 30000 francs en 1977. Il arrive à la conclusion que, sise à Zurich, ladite société aurait vu son taux d'imposition baisser de 38,1% à 25,5%, tandis qu'à Berne, il aurait passé de 32,8% à 19,3%. Et il ne faut pas oublier qu'en Suisse, les entreprises jouissent de prescriptions sur les amortissements très avantageuses, ce qui réduit d'autant leurs bénéfices déclarés. Sans même parler du fait qu'une nouvelle entreprise peut profiter, à l'échelon cantonal, d'allégements fiscaux voire d'exonération fiscale pendant plusieurs années…
La conclusion, irréfutable, du quotidien financier L'AGEFI s'impose: «aucun pays n'est aussi attractif» que la Suisse au niveau de la fiscalité des entreprises (L'AGEFI, 27 janvier 2004).
Quant au taux d'imposition des hauts revenus, d'après un autre rapport du Conseil fédéral, il a également diminué. C'est tout particulièrement vrai pour l'impôt fédéral direct (IFD). En 1985, la charge fiscale supportée par un revenu de 130000 francs annuel se montait à 5,6%. En 2001, pour le même revenu corrigé de l'inflation, elle n'était plus que de 4,7%. De même, pour un revenu de 260000 francs, cette charge est passée de 8,8% à 8,1% pendant la même période.
Cette politique des caisses vides, combinée avec le retournement conjoncturel, ne pouvait se traduire que par de nouveaux déficits. Ce fut le cas, à la Confédération, dès 2001.
Une évolution similaire s'est produite au niveau des cantons. La même politique de défiscalisation a donné les mêmes résultats. L'impôt sur les successions a ainsi été démantelé canton après canton. Souvent, la politique de baisse des impôts a été conduite à un rythme encore plus soutenu qu'au plan fédéral. Il suffit d'indiquer, pour ne prendre qu'un exemple, que dans le canton de Vaud, de 1987 à 1997, les allégements fiscaux ont privé l'Etat de 3,6 milliards de francs. Ce montant peut être estimé à 4 milliards jusqu'en 2000, soit dix fois le déficit de cette année-là!
Services publics sous-dÉveloppÉs, dÉficits limitÉs
En Suisse, les services publics sont sous-développés par rapport aux autres pays européens. Tous les indicateurs le confirment.
• La quote-part étatique désigne le rapport entre l'ensemble des dépenses des collectivités publiques d'un pays, y compris les assurances sociales, et le Produit intérieur brut (PIB) de ce même pays. En Suisse, elle est largement inférieure à la moyenne de celle des pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE, les 30 pays les plus industrialisés): 38% contre 40,3%. L'écart entre la Suisse et les pays de la zone euro est encore plus prononcé, la quote-part de ces pays étant nettement plus élevée: 48,3%.
• Plus intéressant encore est la quote-part fiscale, qui exprime le rapport entre les recettes fiscales, y compris les cotisations sociales, et le PIB. D'après le Conseil fédéral, «selon les dernières statistiques disponibles (2002), la quote-part fiscale de la Suisse (31,3%) restait inférieure à la moyenne de celles de tous les pays de l'OCDE. Le résultat d'une comparaison avec les pays de l'UE [Union européenne] est encore plus favorable, puisque la quote-part fiscale de notre pays est la plus basse en Europe après celle de l'Irlande».
«Les finances les plus "saines" d'Europe»
Ce titre du quotidien La Liberté résume la situation financière des collectivités publiques en Suisse. Il est fondé sur les comparaisons internationales effectuées par l'Office fédéral de la statistique et par l'Administration fédérale des finances. Elles attestent ce qui suit:
• Pour ce qui est du déficit budgétaire par rapport au PIB, «la Suisse, contrairement à la plupart des pays européens, n'a jamais atteint la barre des 3%, même en récession».
• «Autre critère de Maastricht: la dette par rapport au PIB, qui ne devrait pas dépasser 60%. […] la Suisse est à 52% […]. C'est l'un des taux les plus bas: la France et l'Allemagne sont au-dessus de 60%, l'Italie et la Belgique à 110%» (La Liberté, 13 décembre 2003).
Et la dette?
Tous les jours, on nous bassine avec «le niveau d'endettement insupportable» des collectivités publiques. Or, comme l'indique l'ancien président du PSS, Peter Bodenmann, «les dettes, il faut toujours les opposer aux actifs pour avoir une vision objective de la situation. Si l'on additionne les actifs de la Confédération, des cantons et des communes, on s'aperçoit que ces 125 milliards de dettes [de la Confédération] représentent à peine 50% [de ces actifs]. Les avoirs cumulés de la BNS et des banques cantonales sont aussi largement supérieurs à la dette. Enfin, les capitaux du 2e pilier sont cinq fois plus élevés que ce montant. Dans l'absolu, la Suisse n'a donc pas de dettes» (L'Hebdo, 8 janvier 2004).
Il en va de même des intérêts payés sur la dette. Ceux-ci doivent être comparés aux revenus du patrimoine, administratif et financier, de l'Etat. «Selon les calculs du centre de recherches conjoncturelles de l'EPF Zurich, les revenus du capital [des pouvoirs publics] couvrent 87% des intérêts débiteurs pour les années 1990 à 2000. En 2001, le taux de couverture était même de 100%. On peut conclure que la valeur de la fortune de l'Etat équivaut à peu près à celle de ses dettes» (La Vie économique, 2-2004).
Enfin, la doctrine néolibérale prétend que l'augmentation des déficits publics entraînerait une crise de confiance dans les collectivités publiques de la part du «marché des capitaux»: elles devraient ainsi payer des taux plus élevés. Or, rien de tel ne s'est produit en Suisse: les collectivités publiques obtiennent leur argent à des taux extrêmement bas. Le coût moyen de la dette de la Confédération était ainsi «de 3,33% à fin 2003 alors qu'il atteignait 3,49% à fin 2002. Il n'a donc jamais été aussi bas depuis 1970» (La Vie économique, 8-2004). Même les cantons les plus endettés s'en sortent bien. Ainsi, «l'achat des dettes vaudoise et genevoise est très convoité par les investisseurs institutionnels. Les deux cantons […] obtiennent d'excellentes conditions de refinancement» (Le Temps, 17 juillet 2004).
Pour une véritable réforme fiscale!
Même si la dette et les déficits publics sont en Suisse loin d'avoir une ampleur dramatique, leur développement implique un transfert de richesses accru au détriment des salarié·e·s-contribuables – qui supportent, par leurs impôts, le service de la dette. Cette dette appartient aux détenteurs d'obligations qui encaissent chaque année les intérêts. Sans compter les banques, qui, dans ce circuit, empochent de belles commissions… Cela revient à dire que, pour financer leurs dépenses, les collectivités publiques empruntent auprès des détenteurs de capitaux – les banques se servant au passage – plutôt que de leur faire payer des impôts. Les plus fortunés gagnent donc sur les deux tableaux…
En même temps, dette et déficit sont utilisés pour étouffer le service public et l'empêcher de jouer son rôle de garant d'un certain nombre de droits (à la formation, aux soins, etc.).
Une alternative d'ensemble à cette politique des caisses vides est donc nécessaire. Elle doit partir d'une évidence: des services publics ne peuvent pas se développer et être financés sans remettre en cause le contrôle croissant qu'une infime minorité de propriétaires, de capitalistes, s'est arrogée sur les principales ressources et richesses de la société. Toute véritable réforme fiscale doit avoir une telle dimension et donc être accompagnée de la construction, sur la durée, d'une prise de conscience et d'une mobilisation sociales à la hauteur de ces enjeux. Quelques pistes.
1. Une lutte sérieuse contre la fraude fiscale. A l'heure actuelle, ses dimensions sont énormes. Klaus J. Stöhlker, un ultralibéral alémanique, le confirme: «J'ai déjeuné récemment en Suisse romande avec des experts en matière fiscale qui estimaient que 10 à 30% de la fortune à peine était probablement encore déclarée aujourd'hui» (Le Temps, 22 juillet 2002). Pour combattre la fraude, la suppression du secret bancaire et le renforcement des moyens à disposition des inspectorats fiscaux s'imposent.
2. L'élimination des «trous» fiscaux qui permettent aux milieux privilégiés d'échapper à l'imposition en toute légalité. Il s'agirait ainsi de supprimer, par exemple, les privilèges fiscaux accordés dans le cadre des versements effectués aux 2e et 3e piliers (assurance vie), de même que d'éliminer les forfaits fiscaux aux fortunés et les cadeaux fiscaux aux entreprises.
3. L'introduction d'une imposition sur les mouvements spéculatifs de capitaux, à l'échelle européenne, et sur la gestion de la fortune déposée auprès des banques, de même que d'un impôt fédéral sur les gains en capitaux.
4. La mise sur pied d'un impôt fédéral sur les successions et les donations. Comme l'indique Marius Brülhart, professeur de l'Ecole des Hautes Etudes commerciales (HEC) de l'Université de Lausanne, un tel impôt, à lui seul, «pourrait dégager des montants suffisants pour boucher le trou de l'AI.» (Le Temps, 9 août 2004)
5. L'harmonisation matérielle des impôts cantonaux sur le revenu et la fortune dont l'amplitude de variation ne devrait pas aller au-delà d'une fourchette très réduite; dans les cantons, l'introduction d'un seul taux d'imposition, quelle que soit la commune de domicile. Les dominants ont organisé une véritable concurrence internationale au moins disant fiscal, qui va du niveau international – au sein de l'Union européenne par exemple – à, en Suisse, la compétition entre communes et cantons, dans le cadre du fédéralisme. Gripper cette mécanique est décisif pour combattre l'actuelle sécession des riches.
6. La suppression de la TVA, une taxe sur la consommation antisociale qui pèse proportionnellement plus lourd sur les petits budgets, au profit du renforcement de l'impôt fédéral direct sur le revenu et de l'extension de cet impôt à la fortune. n
Mouvement pour le Socialisme (MPS) – 23 septembre 2004