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La 5e révision de la Loi fédérale sur l’assurance-invalidité (LAI)

Bernard Bovay, Charles-André Udry

La 5e révision de la Loi fédérale sur l’assurance-invalidité (LAI) est en débat aux Chambres. Le Conseil national en a débattu les 20 et 21 mars 2006. Elle a été précédée de diverses modifications d’ordre réglementaire qui ont déjà des répercussions concrètes. Nous ne traiterons pas ici ce thème. De même, dans le cadre de ce premier article, nous laisserons de côté des questions telles que l’évaluation du revenu d’invalide, la réadaptation des rentes et, plus généralement, les effets de cette 5e révision envisagée dans la structure présente du marché du travail, ainsi que du statut de certaines franges d’immigré·e·s. Cette matière sera traitée dans un prochain article.

Le débat public ayant trait à la 5e révision de la Loi fédérale sur l'assurance-invalidité (LAI) a connu une de ses premières manifestations à l'occasion du séminaire organisé par Swiss Re, le 28 avril 2004.

Pour rappel, Swiss Re est la deuxième compagnie de réassurance mondiale, derrière la Münchner Rück. Le segment «Vie et Santé» – qui inclut l'invalidité – constitue le deuxième point fort de ce géant de la réassurance privée. Ce secteur s'est surtout développé au cours de la seconde moitié des années 1990 pour pallier les cycles du secteur des assurances choses.

Dans le segment «Vie et Santé», Swiss Re est leader mondial, et donc aussi helvétique. A la tête de son conseil d'administration se trouve Peter Forstmoser. Outre sa qualité d'enseignant à l'Université de Zurich, il est réputé comme expert présent dans diverses commissions ayant élaboré des lois dans le domaine des assurances. Cet expert est aussi membre du jury de la Fondation Max Schmidheiny – du nom du père fondateur du géant du ciment connu aujourd’hui sous le nom de Holcim. Cette fondation distribue des récompenses aux défenseurs, acharnés et valides, de la pensée hayekienne (Friedrich August von Hayek) actualisée. Peter Forstmoser siège également dans les conseils d'administration de l’important holding financier Hesta (Zoug), de l'entreprise Mikron (Bienne) et de la Bank Hofman (Zurich), filiale du Credit Suisse.

Une autre tête émerge dans le conseil d'administration de Swiss Re: Walter B. Kielholz. En plus de son attirance pour les arts, comme président de la Zurich Art Society, il préside au futur d'Avenir Suisse, think tank du néolibéralisme économique et du néoconservatisme politique en Suisse. Walter B. Kielholz anime aussi ladite Association de Genève, autrement dit l’International Association for the Study of Insurance Economics. Il siège de même au conseil d'administration du Credit Suisse, symbolisant de la sorte les liens étroits entre cette grande banque et Swiss Re. C'est donc dans un tel creuset qu'ont été élaborées les lignes de force de la 5e révision de l’AI.

Vie et santé de l’AI… et de Swiss Re

Pour saisir le rôle que Swiss Re a joué et joue, il est utile de préciser la fonction d'un réassureur dans le monde des assurances. Il prend en charge une partie du risque – dans le cas abordé ici, le risque d'invalidité – d'une compagnie d'assurances.

Entre cette compagnie et le réassureur un traité est conclu. Il fixe, d'une part, la prime que doit verser l'assureur au réassureur et, d'autre part, la part en cas de sinistre qui sera remboursée par le réassureur à l'assureur. Cette position stratégique permet au réassureur leader mondial d'avoir une vue beaucoup plus large qu'une compagnie d'assurances particulière car il réassure de nombreux assureurs. Le réassureur est en position de donner aux compagnies d'assurances des instructions sur la manière de traiter les cas dans lesquels le réassureur est censé intervenir. Or, en général, il s'agit des cas ayant trait aux coûts les plus importants. Les possibilités pour le réassureur de fixer le cadre dans lequel devront se mouvoir les compagnies d’assurances sont donc vastes.

Pour reprendre une formule à la mode, la définition des «conditions cadres» de la 5e révision a été dévolue par l'Etat à un secteur stratégique du monde des assurances dont le profil social n'est plus à vanter ! Ce n'est évidemment pas la première fois que les représentants des assurances participent à l'élaboration des lois. C'est une tradition qui peut être vérifiée au travers de la composition des commissions extraparlementaires qui mijotent, depuis des décennies, de très nombreux projets de loi.

Mais, ici, le caractère explicite de l'intervention traduit une sorte d'inversion: Swiss Re a reçu, en quelque sorte, un mandat pour mettre sur les rails qui conduisent à la gare qu'elle a choisie le train de la 5e révision de l'AI. Le résultat est à la hauteur du rôle que Swiss Re revendique dans le domaine baptisé «Vie et Santé».

Détection précoce ou détention précoce ?

L'élément central de cette 5e révision est le suivant: la «détection précoce de personnes en incapacité de travail» en «vue de leur réinsertion rapide». La Loi fédérale sur l'assurance-invalidité, datant de juin 1959 et entrée en vigueur en janvier 1960, reposait déjà sur le principe selon lequel la réintégration au travail primait sur la rente. Un principe qui est socialement raisonnable.

Dès lors, a priori, la «détection précoce» ne devrait pas apparaître comme une nouveauté éblouissante, sur laquelle une telle insistance est mise. Sauf si l'objet de la détection change, ainsi que son but.

Ce but est aujourd’hui clairement affirmé: réduire le nombre de rentes AI – autrement dit le volume total des rentes – et abaisser le montant d’une partie des rentes en vigueur et en supprimer. Le déficit de l'AI sert d'argument massue en la matière.

Or, depuis la seconde moitié des années 1990, l'AI a servi de «deuxième pilier» à l'assurance-chômage. Elle a permis de contenir l'explosion statistique du chômage ; une statistique à forte connotation politique.

En outre, les quinze dernières années ont été marquées par la brutalité de la réorganisation des processus productifs dans tous les secteurs. Cela s’est traduit par une mutation du type d’emploi qui a provoqué des situations d’invalidité professionnelle. Les maladies diverses liées au stress sur la place de travail – largement reconnues par diverses institutions officielles –, la précarisation des postes de travail avec l’effet anxiogène en découlant, la «pression» sur les salarié·e·s soumis aux effets de la sous-traitance en cascade, tout cela nourrit la «souffrance au travail» pour reprendre une formule de Ch. Dejours. Elle s'est aussi répercutée dans l’accroissement du  nombre d’ayants droit à une rente AI.

Pour grande partie, le déficit de l'AI n’est, en dernière analyse, que le produit de l'accroissement de la productivité physique du travail et de celle de la tension psychique qui lui est liée, avec leurs résultats invalidants. L’autre facette de ce déficit, en termes comptables, est à rechercher dans la rerépartition massive de la valeur ajoutée en faveur du Capital et en défaveur du Travail, sous la forme des profits accrus des firmes, des dividendes massifs distribués à l’actionnariat et autres bonus octroyés aux directions des firmes.

Quant à l'objet de la détection précoce, on ne peut la séparer d'une redéfinition proposée par le Conseil fédéral de l'invalidité telle qu'énoncée à l'article 7 al. 2 de la LPGA (Loi fédérale sur la  partie générale du droit des assurances sociales): «Seules les conséquences de l'atteinte à la santé doivent être prises en compte pour juger de la présence d'une incapacité de gain. De plus, il n'y a incapacité de gain que si celle-ci [atteinte à la santé] n'est pas objectivement surmontable.» Ariane Ayer et Jean-Marie Agier commentent avec pertinence cette modification: «Le Conseil fédéral veut passer d'une notion de l'invalidité bio-psycho-sociale à une notion biomédicale. La notion de bio-psycho-sociale est celle de l'OMS [Organisation mondiale de la santé], qui définit le handicap comme le résultat d'une interaction entre l'état de santé et les facteurs contextuels, au nombre desquels figurent les facteurs physique, social et attitudinal. La notion biomédicale, elle, a été promue au XIXe siècle, à la faveur des progrès dans le domaine des infections; elle repose sur le principe que dans les mêmes conditions, les mêmes causes produisent les mêmes effets. Et si elle est, comme le dit le médecin d'assurance Pierre-Alain Buchard, adaptée à certains domaines de la médecine, comme les maladies infectieuses, elle ne l'est certainement pas à d'autres domaines, comme celui des troubles musculo-squelettiques, par exemple.» (in plädoyer, N° 5, 2005, p. 52)

La notion de détection précoce est évidemment bien reçue, comme toutes les bonnes intentions... y compris celles pavant l'enfer. A qui s'applique la détection précoce? A une personne qui est absente plus de quatre semaines de son travail ; c’est en effet la durée minimale envisagée par le Message du Conseil fédéral de 2005 (voir Feuille fédérale p. 4270). L'employeur, l'assureur, le médecin traitant, etc. devrait communiquer «ce cas» au service de détection précoce de l'AI. Suivant la situation, une mesure de réadaptation sera proposée à la personne concernée. Sa collaboration sera impérative (voir plus bas). Elle le sera d'autant plus, que pour refuser, par exemple, à l’Office AI un «placement» ou une «mesure d'occupation» (article 7c nouveau, al.2, lettre f), une personne souffrant de troubles musculo-squelettiques (maladie professionnelle non reconnue en Suisse) devrait faire la preuve que cette maladie «non biomédicale» n'est pas objectivement insurmontable... pour remplir d'autres tâches. Et cela quels que soient son âge et sa situation personnelle. En effet, ces deux critères qui auraient pu être adjoints à la procédure de détection précoce – proposés par la conseillère nationale du PS zurichois Ch. Goll –  ont été rejetés par la Commission et le Conseil national.

Ainsi, la détection précoce, telle que conçue dans l’actuelle révision de l'AI, permet de faire l'impasse sur de véritables mesures préventives. Les quelques études sérieuses sur les conditions de travail en Suisse démontrent que leur détérioration est à l'origine d'une majorité des troubles de la santé.

Une détection permanente des conditions de travail péjorant la santé devrait être une priorité sociale. Mais cela nécessiterait, d'une part, l'existence d'un véritable réseau de médecins du travail, indépendants, pouvant intervenir à leur gré dans les entreprises, sur appel d'un salarié et, d'autre part, des commissions hygiène et santé sur les lieux de travail dont les membres jouiraient de droits et de protections contre les licenciements. Aussi bien les médecins du travail que les membres de ces commissions devraient se voir reconnaître la possibilité d'investigation et d'intervention que le législateur veut attribuer aux offices de l'AI vis-à-vis des assurés. Le résultat serait humainement et socialement plus «rentable» que la machine à détecter mise en place.

En fait, le système de détection, où l’employeur a un rôle clairement énoncé, accroît encore son pouvoir face aux salarié·e·s fragilisés. Une personne malade plus de quatre semaines pourra, légalement, être l’objet d’une intervention précoce aboutissant à une réadaptation… en dehors de l’entreprise ou à un changement de son poste de travail au sein de l’entreprise, cela au moment où la réorganisation quasi permanente du travail est dictée, sur le fond, par l’objectif de la réduction de «l’enveloppe salariale».

Le sujet devient l’objet des assureurs

La «détection précoce» s'articule avec la «collaboration interinstitutionnelle», soit la collaboration entre l'assurance-invalidité, les assureurs accidents, les assureurs d'indemnités journalières, les caisses de pension, l'assurance-chômage et l'aide sociale, sans oublier l'assurance militaire. Cette «collaboration», qui est validée dans le projet de loi, est déjà, en grande partie, mise en pratique.

Elle est présentée par les autorités comme devant permettre de ne pas dupliquer des examens et des rapports concernant une personne qui, par exemple, demande une indemnité journalière ou qui serait susceptible de demander, plus tard, le soutien de l'AI. En outre, les tenants de cette révision affirment que ladite collaboration doit permettre d'accélérer la procédure en faveur de la personne requérante.

Dans les faits, cette institutionnalisation de la «collaboration» permet de radiographier une personne sous toutes ses coutures, en feignant d'avoir son consentement, alors que la menace de se voir débouter en cas de non-collaboration active fonctionne comme une sévère contrainte. Ce d'autant plus que toute demande de l'assureur non satisfaite par une personne se transforme en un refus de collaboration de la part de cette dernière.

Un rejet est assimilé a une opposition à agir qui peut aboutir à ce que le nombre des indemnités journalières soit réduit. En termes assurantiels, cela revient à «diminuer le dommage».

En enfilade, ladite responsabilité individuelle, décontextualisée, est présentée comme la clé de voûte du système. C’est une des solutions pour «endiguer les coûts». La culpabilisation de la personne est renforcée, au même titre que cela fut fait lors des nouvelles moutures de la Loi sur le chômage.

La seule lecture du modèle type de «procuration» que devra signer le requérant à des indemnités journalières et, peut-être, par la suite, toutes personnes demandant une prestation d'assurance invalidité nous fait entrer dans un monde kafkaïen et orwellien. Citons de manière extensive cette procuration.

«a) Autres assureurs

Afin de déterminer les droits et d'examiner les prétentions aux prestations de l'assuré(e), le/la soussigné(e) autorise expressément XY [l'assureur] à se procurer les documents nécessaires auprès de tous les organismes d'assurance de droit public et de droit privé impliqués dans la demande en tant que caisse maladie, assurance maladie, assurance d'indemnités journalières en cas de maladie, assurance-accidents, office AI, institution de prévoyance, etc., et en particulier de consulter les dossiers pertinents (expertises médicales, rapports concernant l'orientation professionnelle, etc.).

L'assureur autorisant la consultation des dossiers est également autorisé, pour toute la durée de l'examen des prétentions, à fournir des copies des dossiers pertinents.

b) Médecins et autres prestataires de services médicaux

Le/la soussigné(e) autorise également XY à se procurer les renseignements jugés nécessaires auprès des médecins et autres prestataires de services médicaux tels que les hôpitaux, les établissements de santé, etc. De ce fait, les médecins et les institutions susmentionnées sont exonérés [sic] sans réserve de l'observation du secret professionnel vis-à-vis de XY.

c) Transmission du dossier personnel

En outre, le/la soussignée autorise XY à transmettre à l'office AI compétent les documents relatifs à l'évolution de son incapacité de travail (essentiellement des documents médicaux) et de tout autre document pouvant aider à déterminer ses droits aux prestations afin d'augmenter ses chances de réadaptation à la vie professionnelle. Toutefois, cette procédure ne remplace pas le dépôt de la demande AI qui doit être effectuée par la personne elle-même.»

Cette procuration est truffée de «etc.» et de «en particulier». Ne serait-ce que sous cet angle, elle est juridiquement des plus douteuse. Tout signataire devrait biffer ces «etc.», et même le titre «procuration». Alors se créerait l’occasion d’un véritable débat politique et juridique sur le contenu de cette procuration dont l’usage est un instrument de la lutte contre le déficit de l’AI, c’est-à-dire contre les salarié·e·s soumis à des conditions de travail de plus en plus invalidantes.

Les termes utilisés dans le texte de la procuration, tels «qu'expertises médicales» ou «renseignements jugés nécessaires», ne peuvent qu'ouvrir la voie à une modification de la pratique du rapport traditionnel entre médecins et assureurs. Ces derniers demandent des rapports aux médecins et non pas le dossier. Le dossier appartenant au patient.

Certes, un avocat qui défend une personne faisant une demande d'indemnités journalières ou une requête auprès de l'AI peut demander à son client la levée du secret médical, partielle ou totale, s'il juge que cela est pour le bien de son client. Toutefois, le client doit être d'accord et doit signer une procuration précise.

«Protection des données» et «secret médical»

Le système qui est en cours d'être mis en place supprime simplement le secret médical. Cela est affirmé sans détour: «les médecins et les institutions susmentionnées sont exonérés [sic] sans réserve du secret médical vis-à-vis de XY [autrement dit de l'assureur]».

En outre, les transmissions de rapports se font, encore aujourd'hui, auprès du médecin-conseil – bien que le médecin-conseil soit payé par l'assureur, il est soumis, en principe, au secret médical – et non pas auprès de l'assureur.

Cette levée sans limites du secret médical est reconnue par le préposé fédéral à la protection des données, Hanspeter Thür. Il affirme: «Je ne me suis pas penché sur ce document, mais sur la forme, il ne me semble pas que cette procuration soit générale. Elle me semble prendre en compte le cas par cas» (18 janvier 2006).

En fait, cette procuration ouvre toutes les possibilités d'investigation et de transferts des données entre les diverses institutions mentionnées et celles couvertes par les «etc.» à répétition. Dans ce sens, elle est fort générale.

Simultanément, chaque personne la signant sera soumise à l'entière appréciation de l'assureur et aux ordres auxquels elle devra se soumettre, sauf à renoncer, a priori, aux prestations qu'elle demande.

Hanspeter Thür, ex-conseiller national argovien des Verts (1987 à 1999) – qui fut une des figures publiques en Suisse alémanique de la campagne début des années 1990 contre le fichage de détection précoce effectué de longue date par la police politique – botte donc en touche une question de première importance concernant le respect de la protection des données mis en question par la 5e révision de l'AI. Il avoue, de facto, en la matière son inutilité. D'ailleurs, Hanspeter Thür est parfaitement conscient des atteintes portées à la protection des données et à la levée du secret médical: «Le projet de loi – dit-il – permet aux médecins-conseils des offices AI de demander des informations auprès des médecins traitants, même si l'assuré ne donne pas son accord. C'est paradoxal et inconséquent.» A la question suivante de la journaliste Stéphanie Germanier – «Est-ce que ce procédé est contraire à la loi sur la protection des données?» – le préposé répond, sans hésiter: «Oui, certainement.»

Ce qui entraîne la question suivante de la journaliste: «Mais le législateur peut-il élaborer cette loi telle quelle?» Le préposé à la «protection des données» répond: «Oui. Si le législateur considère que l'obligation de coopérer est primordiale pour la réussite de la détection précoce, il peut le faire. Dès ce moment-là, les personnes qui ne souhaitent pas coopérer seront pénalisées. Je n'ai aucun pouvoir là-dessus, je peux juste me contenter de faire des observations et de mettre en garde. Le législateur peut tout faire, même s'il n'est pas cohérent».

Le terme «cohérence» fait référence au fait que c’est le même législateur qui a adopté la Loi sur la protection des données qui est sur le point de voter une 5e révision de l'AI et bafoue donc la loi sur «la protection des données». Du point de vue constitutionnel, les «données personnelles» relèvent aussi de la «liberté personnelle».

Une loi anticonstitutionnelle

Dans  leur ouvrage de Droit constitutionnel suisse A. Auer, G. Malinverni, M. Hottelier, dans la section «Le droit au respect de la vie privée»,indiquent: «D'une façon générale, le droit au respect de la vie privée protège l'identité, la réputation, les relations sociales et les comportements intimes de chaque personne physique, toutes les informations relatives à une personne qui ne sont pas accessibles au public [...] Cela va des données d'identification à la correspondance privée [...], en passant par les informations concernant un traitement médical, l'identité sexuelle, l'activité au sein d'une association, les dossiers de procédures civile, pénale ou administrative, le choix du prénom d'un enfant.» (Stämpfli Editions SA, Berne, 2000, vol. II, p.156). Le projet de 5e révision de l'AI met en cause un droit établi par la Constitution.

On est en droit de s'interroger sur l'attitude du préposé H. Thür. Tout d'abord, après avoir constaté la contradiction entre la Loi sur la protection des données et la révision en cours de l'AI, il avalise la suprématie de l'une (la nouvelle loi projetée sur l'AI) sur l'autre (la Loi sur la protection des données). Il pourrait, au moins, proclamer ouvertement la dimension non constitutionnelle des mesures prévues par ce projet de loi.

En effet, en rupture avec une tradition remontant à 1874, dès 1991, la jurisprudence ouvre la possibilité à ce que le Tribunal fédéral ou «toute autorité chargée de l'application des lois fédérales» puisse «examiner la conformité [des lois] à la Constitution». Les auteurs de l'ouvrage susmentionné écrivent: «Les lois fédérales n'échappent plus au contrôle de leur conformité à la Constitution et au droit international. Leur immunité, longtemps prise pour établie, n'est plus. Ce contrôle incombe à toute autorité chargée de l'application des lois fédérales.» (op. cité, vol.1, p.651) Le préposé à «la protection des données» fait, certainement, partie de ces «autorités». Certes, il peut se camoufler derrière une formule limitant la portée de cet examen de la constitutionnalité des lois. En effet, en conclusion du paragraphe, nos constitutionnalistes précisent: «La seule particularité du contrôle des lois fédérale est que celles-ci doivent être appliquées, même si l'autorité arrive à la conclusion qu'elles sont inconstitutionnelles.» (op. cité, vol.1, p.651) Cette «particularité» semble avoir une portée générale, ce qui peut expliquer l'impuissance reconnue du préposé.

D'aucuns prétendront que la révision de la Loi fédérale sur la protection des données (LPD) adoptée le 24 mars 2006 donne un feu vert à l'approche empruntée pour la 5e révision de l'AI. Examinons cette question. L'article 4, al. 5 de la nouvelle mouture (LPD) indique: «Lorsque le consentement est requis pour justifier le traitement des données personnelles la concernant, la personne concernée ne consent valablement que si elle exprime sa volonté librement et après avoir été dûment informée. Lorsqu'il s'agit de données sensibles [la santé est incluse dans cette catégorie – art.3] et de profil de la personnalité, son consentement doit être au surplus explicite.»

On nous dira que la signature de la procuration – qui en tant que telle devrait être déclarée illicite – participe du «consentement explicite». Mais qu'en est-il de l'expression libre de sa volonté? Le qualificatif «libre» est difficile à justifier en cette matière. Même le Conseil fédéral dans son Message du 13 février 2003 concernant la révision de la LPD, pour faire dans la pédagogie, soulignait: «....le travailleur contraint de donner son consentement, sous la menace d'un licenciement, à un traitement des données qui n'est pas nécessaire à l'exécution du contrat de travail n'est pas en mesure de donner son consentement librement» (FF 2005, p.1940).

Les conséquences d'une non-signature de la procuration (qui lève tout secret médical) – à savoir la réduction ou la suppression des prestations d'assurance – annulent le consentement libre. L'atteinte à la protection des données reste donc tout aussi grave que le préposé H. Thür l'affirmait en janvier 2006. La révision de la LPD de mars 2006 ne peut être invoquée à ce propos.

Le Conseil national et le «secret médical»

Lors de la session du Conseil national du mois de mars 2006, en première lecture, la 5e révision de l'AI a été abordée, entre autres le thème du  secret médical.

Pour appréhender la portée du secret médical, il n'est pas inutile de se référer à la définition donnée par le Dictionnaire suisse de politique sociale«Le secret médical consiste en une garantie de confidentialité des informations qu'un patient révèle au soignant qu'il a consulté. Cette garantie existe pour protéger la sphère privée du patient et pour promouvoir la santé publique en encourageant chacun à se confier sans retenue au soignant qu'il a choisi. La violation du secret médical est punissable, sur plainte, en vertu de l'article 321 du Code pénal (s'agissant des médecins, pharmaciens, dentistes, sages-femmes et leurs auxiliaires) ou de l'article 35 de la loi fédérale sur la protection des données (autres professions de la santé exercées à titre indépendant, comme les psychologues). Le patient peut délier le soignant du secret médical. Diverses dispositions légales (maltraitance, épidémies, recherche en santé publique, etc.) prévoient en outre, pour des motifs importants, des exceptions au secret médical.»

Le Conseil fédéral, en matière de secret médical, propose dans le projet de LAI, à l'article 3c, al.3 et 4, le texte suivant:

«al. 3. Il [l'office AI] invite l'assuré à autoriser, de manière générale, son employeur [sic], les fournisseurs de prestation au sens des articles 36 à 40 LAMal [médecins, médecins dentistes, pharmaciens, sages-femmes, personnes prodiguant des soins sur prescriptions ou sur mandat médical, ainsi que les organisations qui les emploient, les laboratoires, les centres de remise de moyens et d'appareils diagnostiques ou thérapeutiques, les hôpitaux, les institutions de soins semi-hospitaliers, les EMS, les entreprises de transport et de sauvetage, les institutions de soins ambulatoires dispensés par des médecins], les assurances et les organes officiels à fournir tous les renseignements et documents nécessaires à l'enquête effectuée dans le cadre de la détection précoce.»

«al. 4 Si l'assuré ne donne pas cette autorisation, un médecin de l'AI peut demander aux médecins traitants de lui fournir les renseignements nécessaires. Ceux-ci sont déliés de leur obligation de garder le secret. Le médecin de l'AI apprécie si les mesures d'intervention précoce au sens de l'article 7c [ensemble des mesures visant au maintien de l'emploi ou la réadaptation à un nouveau poste... qui, par ailleurs, ne sont pas des droits pour l'assuré!] sont indiquées et il en informe l'office AI sans transmettre de documents ni de renseignements d'ordre médical.»

On retrouve, ici, les éléments constitutifs de la procuration telle que nous l'avons citée ci-dessus. Toutefois, il faut mettre en relief une adjonction significative: l'assuré autorise (doit autoriser) son employeur à fournir des informations à l'AI, tout cela sous le couvert de la détection et de l'intervention précoces.

L'alinéa 3 de l'article 3c ne spécifie pas si les documents à caractère médical sont transmis aux médecins de l'AI. Il n'est fait mention, ici, que de l'office AI; comme cela l’est mentionné dans la procuration.

Quant à l'alinéa 4, il ne concerne que les cas où la procuration générale n'est pas donnée. Dès lors, le médecin de l'AI s'adresse directement aux médecins traitants.

La formule «délier de leur obligation de garder le secret» doit être saisie à sa juste valeur. Un médecin traitant ne pourra pas opposer son secret médical à une telle demande; cela d'autant plus que plane sur le corps médical la menace, qui risque de se concrétiser assez rapidement, de la possibilité pour un assureur maladie d'exclure un praticien de la liste des fournisseurs de soins remboursés («liberté de contracter»).

La Commission du Conseil national (CN) remarque une liberté prise dans la traduction française de l'alinéa 3 de l'article 3c. Elle note qu'il faut remplacer le verbe «Il invite l'assuré» par «Il exige que l'assuré autorise». La lettre et l'esprit doivent correspondre. Et la rectification de la traduction sera faite.

La majorité de la Commission propose de biffer l'alinéa 4 de l’art. 3 cité précédemment. La raison invoquée peut être résumée ainsi: le thème délicat du secret médical peut être évité ; en effet, les sanctions pesant sur l'assuré (réduction ou suppression des prestations) devraient suffire à ce que l'assuré signe la procuration.... librement.

Deux propositions de minorité sont faites. La première se prononce pour le maintien de la version de l'alinéa 4 tel que présentée par le Conseil fédéral. La seconde propose une nouvelle formulation: «Si l'assuré ne donne pas cette autorisation, malgré l'injonction expresse de l'office AI, sa rente sera réduite en conséquence pendant les deux premières années.» Finalement, la version du Conseil fédéral s'est imposée. Le Conseil des Etats peut toujours revenir à charge.

Le conseiller fédéral Pascal Couchepin s'est évertué à expliciter la philosophie régissant la 5e révision. Sous forme d'une dénégation servant d'aveu, il s’exclame: «Je crois que personne ne veut transformer l'assurance invalidité en une machine à broyer les êtres humains – au contraire» (séance du CN du 21 mars 2006). Quant au maintien de l'alinéa 4, il prétend que la procédure proposée évitera à l'assuré de s'angoisser inutilement et de parcourir un chemin de croix difficile. La solution est simple: il suffit de faciliter la vie... de l'office AI, qui n'est pas soumis à des angoisses inutiles. L'orateur Couchepin sermonne ainsi le Conseil national: «On veut éviter des complications, soit d'amener quelqu'un dans des procédures difficiles parce que, au départ, on na pas obtenu les renseignements très simples [sic] qui peuvent s'échanger entre médecins. Mais qu'y a-t-il là de négatif? Strictement rien! C'est le bon sens qui dit qu'à ce stade-là, il faut éviter d'ouvrir une voie inutile qui fait perdre du temps, qui devient compliquée et qui est peut-être angoissante pour l'assuré. Il faut donner aux médecins de l'AI la possibilité d'obtenir quelques [sic] renseignements auprès du médecin traitant. Le secret médical est garanti. C'est un échange entre médecins dans l'intérêt de la personne.»

Cet échange se fera, en réalité, entre le médecin traitant et le médecin de l'AI qui, selon le nouvel article 64 a de la LAI, recevra des directives générales en matière médicale venant de l'Office fédéral des assurances sociales. Or, l'objectif, clairement énoncé, est de réduire drastiquement lesdits coûts de l'AI, quitte à les transférer à d'autres entités, c’est-à-dire l’assistance sociale.

Pour conclure, les trois variantes proposées de l'alinéa 4 de l'article 3c bafouent le secret médical qui est constitutif de la pratique médicale et qui permet l'établissement d'un lien de confiance entre le patient et son médecin et, plus généralement, les soignants. Cela d'autant plus que cette 5e révision est motivée dans le Message du Conseil fédéral par «la forte progression du nombre de personnes atteintes d’une invalidité due à des facteurs psychiques…».

Le libéralisme au service des assurances

Le conseiller national vaudois, président du Parti libéral suisse (PLS), Claude Ruey, est membre de la «Commission de la sécurité sociale et de la santé» (CSSS) du Conseil national. Il est de même membre rétribué du Groupe de réflexion santé lié au Groupe Mutuel et président de la Cosama (Conférence d'assureurs suisses maladie et accident) dont le Groupe Mutuel est le principal membre. Il ne pouvait dès lors qu’animer le débat sur le «secret médical».

Lors du plénum des 21-22 mars 2006 du Conseil national, il déclare: «Si le service de détection précoce [il est fait allusion ici au service qui sera alerté par différents acteurs, tels que l'employeur, l'assureur d'indemnités journalières, etc.] conclut qu'il y a lieu de déposer une demande auprès de l'AI, il enjoint à la personne assurée de le faire; la personne sait ainsi que l'AI estime que des mesures devraient être prises pour réduire l'étendue et la durée de son incapacité de travail et éviter la survenance d'invalidité. La personne doit, bien sûr, être consciente de ses responsabilités, prendre et faire un dépôt de demande auprès de l'AI. Si elle ne le fait pas, elle doit savoir que le fait de ne pas donner suite à l'injonction de déposer une demande peut, le cas échéant, entraîner une réduction de prestation qu'elle peut obtenir autrement.

L'assurance invalidité, pour cela, doit pouvoir fonder sa décision sur un rapport médical très détaillé et complet, de sorte que les personnes qui fournissent les renseignements doivent pouvoir lui remettre, en principe, toutes les données à caractère médical. C'est de cela qu'il s'agit: il est indispensable que le dossier médical complet soit connu de l'AI. C'est un principe de base pour l'efficacité de cette mesure. Mais, d'autre part, une levée automatique du secret médical peut se heurter, et nous y sommes sensibles, au principe de la sphère privée et de l'autonomie de la personne.

On doit donc, à notre avis, admettre le principe qu'une personne refuse de communiquer son dossier médical, ce d'autant plus que l'ordre de détection précoce conserve d'ailleurs un caractère facultatif. La personne doit préserver son droit de ne pas donner son accord général à la communication d'informations, mais ce choix de ne pas collaborer implique, en vertu du principe de responsabilité, que la personne concernée assume les conséquences de son refus et de son choix. Nous estimons donc normal que le refus de collaborer implique une réduction potentielle de la future rente AI qu'elle pourrait recevoir, ceci par respect par rapport aux personnes qui ont décidé de collaborer pleinement à leur réintégration en concertation avec l'office AI.

Parce qu'il faut quand même bien dire que refuser l'information va à l'encontre du système de détection précoce. Vous voyez donc que nous sommes coincés entre l'efficacité de la détection précoce et la réalité de la sphère privée, de l'autonomie privée, de la liberté des personnes.»

Nous nous sommes dispensés d'entrecouper le texte de sic... qui souligneraient l'aspect bancal des constructions se voulant explicatives. Toutefois, cette pièce d'anthologie libérale mérite deux commentaires.

1° Claude Ruey, en «bon libéral», se dit «coincé» entre les exigences contradictoires de l’«autonomie privée», de la «liberté des personnes» et l'efficacité de la «détection précoce». Une fois la rhétorique usée, il tranche en faveur du transfert du «dossier médical complet» auprès de l'AI.

2° L'insistance sur la fonction cruciale et menaçante des sanctions en cas de non-coopération totale de la part de l'assuré transforme de fait cette coopération totale, dite libre et consentie, en une contrainte.

Pour terminer, certains juristes tentent de justifier la levée de la protection des données en faisant référence à la pratique ayant trait au secret médical dans le cadre de l'assurance accidents (LAA). Sans se prononcer sur la pertinence des pratiques en cours – qui donnent d'ailleurs lieu à un débat juridique fourni – il faut avoir à l'esprit que la finalité des renseignements demandés pour la LAA est de déterminer s'il s'agit, oui ou non, d'un accident. Les données permettant de se déterminer dans ce domaine recouvrent un champ restreint.

Renversement du fardeau de la preuve et mesures «raisonnablement exigibles»

Lors du plénum, un deuxième thème ressort: le renversement du fardeau de la preuve concernant les «mesures raisonnablement exigibles», soit pouvant être exigées par l'AI de l'assuré.

Actuellement, si une mesure prise par l'AI est contestée, cette dernière devrait faire la démonstration de la pertinence de sa décision. Cette procédure serait des plus normale. En effet, l'inégalité économique et de ressources juridiques des parties – soit une administration (l'AI) appuyée sur un appareil de médecins-conseils et de juristes face à une personne souffrant d'un handicap – justifierait pleinement que la preuve de la justesse de la décision prise soit apportée par l'office AI. Lorsqu'un organisme comme l'AI – qui fait déjà subir aux personnes un examen approfondi et une analyse médicale poussée – prend une décision, il tombe sous le sens qu'il se devrait de la justifier. Or, aujourd’hui, il appartient à l’assuré de faire la preuve que la décision de l’AI est non fondée, ce qui est des plus discutable.

La 5e révision fait un pas supplémentaire dans la méthode inacceptable, sur le principe, déjà en vigueur. Il appartiendra à l’assuré de faire la preuve, dans la phase de détection précoce, que les mesures «raisonnablement exigibles» de réadaptation ne sont pas telles.

L'intervention au Conseil national du médecin, radical (VD) Yves Guisan éclaire le but du «renversement du fardeau de la preuve» dans cette phase: «...en faisant reposer le fardeau de la preuve sur l'assuré, les mesures de réintégration ou de maintien au travail envisagées prennent un caractère incitatif tout à fait différent». Le qualificatif incitatif devrait être traduit par dissuasif. Le caractère prétendument social de la loi est effacé par ce seul mécanisme.

En effet, quel assuré va oser – et pouvoir – engager une procédure d'opposition aux «mesures raisonnablement exigibles» de réadaptation, lorsque aussi bien les frais que la durée de la procédure pour effectuer une telle opposition sont appréhendés comme hors de portée par la très large majorité des personnes concernées.

Cette modification est contenue dans l'article 7a ayant trait aux «mesures raisonnablement exigibles». Il est rédigé de la sorte: «Est réputée raisonnablement exigible toute mesure servant à la réadaptation de l'assuré. Font exception les mesures qui ne sont pas adaptées à l'état de santé de l'assuré.»

Le rapporteur Reto Wehrli, démocrate-chrétien de Schwyz, éclaire le sens effectif de cet article. Pour lui seule «une mesure qui porte atteinte à la santé de l'assuré est inexigible». L'assuré devra faire la preuve que cela porte atteinte à sa santé, au risque, y compris, de s'auto-dénigrer et d'accroître une perte d'estime de lui-même avec les handicaps qui peuvent en découler. Mais, surtout, toute autre objection que celles relevant de l'état de santé seront jugées irrecevables. Dans l'approche du législateur, le caractère socialement et individuellement utile ou non des mesures de réadaptation – sans même parler de leur dimension «sociale» – n'entre pas en ligne de compte.

La percée de la médecine des assurances

En fait, le projet de révision implique une extension du nombre et de la sphère d'investigation de médecins qu'il faudra qualifier dorénavant de «médecins d'assurance». Dans son Message du 22 juin 2005, le Conseil fédéral indique: «L’AI peut également, sans se heurter à des barrières juridiques, recourir aux services médicaux régionaux (SMR) déjà en place et à leurs connaissances en matière de médecine des assurances.» (FF, 2005, p.4269). La notion de «médecines des assurances» est mise en évidence comme une nouveauté ayant un grand avenir par l’Association suisse d’assurances (ASA). Elle regroupe les compagnies d’assurances privées.

La fonction de cette nouvelle «discipline académique»  est «interdisciplinaire», nous explique l’ASA: «L’Interdisziplinäre Akademie für Versicherungsmedizin, qui fait partie de l'Université et de l'Hôpital universitaire de Bâle, entend apporter une contribution scientifique à la médecine afin de répondre à des questions urgentes quant à l'évaluation de l’incapacité de travail, aux expertises médicales et à l’exploitation des connaissances toujours plus nombreuses issues de l'évaluation de constellations de risques sanitaires. L'académie est membre de la Communauté d’intérêts suisse de la médecine des assurances (Swiss Insurance Medicine, SIM). Elle est financée par l'Association Suisse d'Assurances (ASA), les assurances sociales et les pouvoirs publics. Les responsables se sont fixé comme objectif de créer d'ici trois ans une chaire de médecine des assurances, de soutenir les jeunes générations de médecins se spécialisant dans ce domaine et de développer la formation et la recherche en réseau avec d'autres institutions spécialisées d’envergure nationale et internationale. Le second pôle d’action de l’académie est l'activité clinique, avec chaque année quelque 500 expertises réalisées sur des personnes présentant des pathologies complexes ou difficiles à définir. Grâce à ses activités universitaires et cliniques, l'académie améliorera la qualification en médecine des assurances, contribuant ainsi grandement à une utilisation plus efficace des ressources dans les secteurs de la santé et de l'assurance.»

Cette médecine des assurances se situe dans le sillage de la reformulation des fonctions et du rôle du médecin-conseil qui opère auprès des assurances maladie, tel que cela a été défini à l’art. 57 de la LAMal. Récemment, une formation complémentaire a été mise en place. Elle est réglée par les associations faîtières santésuisse (caisses maladie) et FMH (Fédération des médecins suisses). Dans ce cadre, la Société suisse des médecins-conseils (SSMC) organise, depuis 2003, une formation complémentaire et continue. Comme l’écrit la SSMC, en juillet 2003, «le médecin-conseil donne son avis à l’assureur sur les questions médicales». Il intervient aussi pour «la rémunération et les tarifs» (Tarmed) appliqués par les professions médicales.

La médecine des assurances marque toutefois une rupture par rapport à la fonction telle que décrite ci-dessus. Elle veut intervenir de façon plus directe auprès des assurés qui demandent une prestation. Dans ce sens, son essor est corrélé à la 5e révision de l’AI, comme le souligne le Message du Conseil fédéral.

Un coup de projecteur sur les organismes chargés de mettre en place et développer cette médecine des assurances permet d’en apprécier la mission. Le projet est, entre autres, piloté par la Communauté d’intérêts suisse de la médecine des assurances (SIM – Swiss Insurance Medecine). A la tête de cette Communauté d’intérêts on trouve le Dr Bruno Soltermann. Ce dernier est le médecin-chef de l’ASA. S’il prend son travail au sérieux, il doit assurer l’ASA du traitement le plus efficace et le plus rentable. De ce patient, il doit être, à coup sûr, très à l’écoute. Au Comité directeur on trouve aussi un représentant de la Suva (ex-CNA), le Dr Christian Andreas Ludwig. L’OFAS est aussi présente avec la Dresse Ines Rajower. L’Office fédéral de l’assurance militaire a délégué la Dresse Franziska Gebel. Le Dr Beat Seiler travaille pour l’Helvetia (caisse maladie) comme médecin-conseil et est membre de la Commission spécialisée pour la médecine des assurances de la SSMC.

Y siège aussi le professeur Niklaus Gyr de Bâle, directeur médical de l’Interdisziplinäre Akademie für Versicherungsmedizin. Le «concept économique» de la SIM est assuré par le Dr en économie, Urs Brügger. Ce dernier dirige le WIG (Winterthurer Institut für Gesundheitsökonomie) qui a pris son essor en 2002. Il est à remarquer que la plupart des médecins membres du Comité directeur de SIM revendiquent le statut de médecin-conseil.

Le développement de cette médecine des assurances s'inscrit parfaitement dans le cadre de «l'omnipotence des médecins de l'AI» pour reprendre une formule d'Ariane Ayer et de Jean-Marie Agier. Une omnipotence des médecins des assurances qui s'exercera de même, dans un avenir très proche, envers la pratique des médecins dans le cadre des politiques mises en place par santésuisse concernant l'assurance-maladie, y compris les indemnités journalières. La faculté de médecine des assurances va créer une cohorte de nouveaux médecins chargés de réduire «les coûts de la santé», autrement dit d’accroître la marge bénéficiaire, sous diverses formes, des assureurs.

Or, la 5e révision introduit une nouveauté en lien avec cette nouvelle spécialité. A l'article 64a, le Conseil fédéral indique que l'Office fédéral des assurances sociales va: «édicter des directives générales en matière médicale à l'intention des services médicaux régionaux». Les médecins-conseils se targuent d'exercer leur activité en «toute indépendance». Ici, la clarté est faite: les médecins «utilisés» par l'AI devront agir dans le cadre strict des règles édictées par l'OFAS. Ces règles doivent permettre d'atteindre les objectifs de la révision: réduire le nombre de rentes, en supprimer un certain nombre et réduire le montant d'une partie de celles existant déjà.

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