Sauver Nestlé-Marseille
Patrick Candela, propos recueillis par Jean-Marie Battini
Patrick Candela a 43 ans. Entré à 20 ans à l’usine Nestlé, qui se trouve dans le quartier de Saint-Menet, dans le 11e arrondissement de Marseille, il est conducteur d’engins à l’atelier de conditionnement du chocolat. Syndiqué à la CGT depuis l’âge de 18 ans, il est secrétaire du syndicat de l’usine et, à ce titre, se trouve en première ligne de la lutte menée depuis un an contre la fermeture de la boîte.
Peux-tu nous faire un bref historique de votre lutte ?
Patrick Candela - Dès janvier 2004, les syndicats avaient remarqué une baisse du volume des productions, ainsi qu’un transfert de certaines d’entre elles vers des unités du groupe situées en Espagne ou à Dieppe. Les volumes prévus pour 2004 risquaient de toute évidence de mettre en difficulté l’usine marseillaise. Lors d’une manifestation organisée par l’union départementale (UD) CGT des Bouches-du-Rhône (13), une information des renseignements généraux (RG) nous a appris que Nestlé souhaitait fermer l’usine en 2005-2006. Interpellée sur ce point, la direction a démenti formellement.
En février, d’autres informations nous sont parvenues sur des pertes de volumes de production. La direction a, de nouveau, été interpellée. Elle a répondu que l’outil allait être adapté à la situation. Vers mars-avril, nous avons appris que la direction étudiait cinq scénarios pour « s’adapter » aux baisses de volume. La CGT a alerté le personnel et a appellé à la mobilisation.
Le 8 mai, plusieurs tonnes de produits finis ont été déménagées. La CGT a visité les magasins et a demandé des explications à la direction, qui refusait de répondre. Le 10 mai, nous avons constaté que le directeur et une dizaine de cadres supérieurs étaient réunis à l’extérieur. À leur retour, ils ont annoncé la fermeture de l’usine pour juin 2005.
Rappelons au passage que Nestlé est un géant de l’agroalimentaire, dont le budget publicité est supérieur à celui alloué à la masse salariale.
À partir de là, comment se sont organisées la lutte et la solidarité ?
P. Candela - Une intersyndicale CGT-CGC s’est mise en place. Une demande a été faite au préfet pour permettre l’organisation d’une table ronde avec la mairie et les autres élus locaux, et ce n’est qu’après une manifestation lors de l’inauguration de la Foire de Marseille par Gaudin, fin septembre, que celle-ci a eu lieu, sans résultat.
Parallèlement, une semaine après l’annonce de la fermeture, s’est créé le Groupement de défense de Nestlé-Saint-Menet et de l’emploi industriel dans la vallée de l’Huveaune, regroupant divers syndicats CGT, le PCF, la LCR, les comités d’intérêt de quartier, la communauté Emmaüs, etc. Attac, Solidaires, la CSF et d’autres associations sociales ou culturelles les ont rejoints ensuite.
La riposte s’est organisée pour exiger le maintien des emplois et des initiatives ont été prises rapidement: le 26 juin, 1 700 personnes manifestaient dans la vallée jusqu’à l’usine. Le 16 octobre, se tenait le Nestival, avec une chaîne humaine autour de l’usine, des débats et des concerts. Le 16 janvier, le Nestival II avait lieu à Aubagne. À ces occasions, de nombreux témoignages de solidarité nous sont arrivés de Bretagne, de Suisse, de Pologne, etc.
Par ailleurs, des diffusions massives de tracts étaient organisées dans les quartiers, devant les autres boîtes du secteur, à l’entrée de la Foire de Marseille ou du stade Vélodrome, devant les bouches de métro ainsi qu’à l’entrée des cérémonies des vœux de Gaudin ou du maire d’arrondissement. Enfin, une pétition a été prise en charge par le Groupement, qui a recueilli entre 20 000 et 25 000 signatures en quelques semaines, et le soutien populaire est devenu très important.
Quels liens entretenez-vous avec les autres boîtes en lutte ?
P. Candela - Notre lutte coïncide avec celle des salariés de Lustucru. Une première initiative commune se tiendra à Arles le 14 mai, puis le 26 mai à Nestlé. Les liens sont fréquents et étroits. Les salariés de Perrier (groupe Nestlé) seront 150 à participer à la manifestation du 26 juin. Une journée de l’agroalimentaire à Bercy, en octobre, sera une nouvelle occasion de rassembler les Nestlé, les Lustucru et les Perrier. Enfin, la CGT organise un tour de France des luttes et visitera une douzaine d’usines Nestlé.
Où en sommes-nous aujourd’hui et quelles sont les perspectives ?
P. Candela - C’est un fait, Nestlé a décidé de fermer. Un projet de reprise de l’activité a été élaboré par les syndicats sur la base d’une expertise économique de l’usine. Ce projet, qui permettrait le maintien de 350 emplois sur les 427 actuels (sans compter les nombreux emplois induits), serait la production de 20000 tonnes de tablettes de chocolat destinées au Hard Discount, et de 10 000 à 16 000 tonnes de café moulu. L’usine est rentable (rappelons que l’usine de Saint-Menet fait 9 % de bénéfices mais que les actionnaires exigent une rentabilité de 13 %) et si Nestlé part, le projet reste viable.
Mais Nestlé rejette toute issue car la direction ne veut pas d’une éventuelle concurrence (le groupe avait déjà catégoriquement rejeté l’offre de rachat de Legal en juin dernier), et refuse l’utilisation de l’outil industriel. Il ne propose qu’un contrat État-entreprises pour « revitaliser » la zone en créant une plate-forme de diffusion de produits et de zone artisanale. On sait trop bien ce que cela signifie en termes d’emplois précaires.
Enfin, il faut préciser que, depuis le début de la lutte, le comité d’entreprise est contraint d’assigner la direction en justice pour l’obliger à respecter le droit du travail et à appliquer la loi sur les informations aux instances représentatives. Car Nestlé n’a toujours pas prouvé le bien-fondé de la fermeture pour raisons économiques. Assignée cinq fois, la direction a été chaque fois condamnée, mais le 18 mars, le tribunal de grande instance l’a condamnée à le démontrer concrètement, et à fournir les documents à ce sujet, ou à reconnaître que cela répond à une stratégie économique et que les difficultés ont été sciemment organisées pour justifier la fermeture. Par ailleurs, la direction doit aussi fournir des informations chiffrées sur les cinq dernières années (restructurations, réorganisation du travail, etc.).
Quel lien peux-tu faire entre votre lutte et le débat sur les délocalisations et l’Europe ?
P. Candela - Le lien est fondamental. Sur la base du taux de profit, Nestlé avance que certaines usines, en Italie ou en Espagne, ont des coûts salariaux inférieurs à ceux de Marseille. Elle met donc les salariés en concurrence et pratique le dumping social. Les salariés rejettent cette primauté du marché que la Constitution veut imposer (la « concurrence libre et non faussée »). C’est pour cette raison que le syndicat CGT de Nestlé a créé un comité d’usine regroupant déjà 150 signatures, pour appeler au « non » au référendum du 29 mai. Car il faut savoir que, si cette Constitution était adoptée, ce serait toute notre lutte qui deviendrait anticonstitutionnelle.
(Rouge, hebdomadaire de la LCR, 22 avril 2005)
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