Solidarnosc, révolution écrasée
Jan Malewski-Nowy Robotnik *
En Pologne, il y a 25 ans, les travailleurs unissaient leurs forces dans le syndicat Solidarnosc (« Solidarité »), plongeant le pays dans une période révolutionnaire.
« J’accepte, je signe ! » Par ces quelques mots, répétés après la lecture de chacun des points de l’accord conclu, à la suite de neuf jours de négociations avec le comité de grève interentreprises de la région de Gdansk, menées devant l’assemblée générale des travailleurs, le vice-premier ministre Mieczyslaw Jagielski acceptait, le 31 août 1980, l’essentiel des revendications des travailleurs polonais. En particulier, leur droit à l’auto-organisation, dans le cadre d’un « syndicat indépendant et autogéré ».
Le 4 septembre, le même droit était arraché par le comité de grève interentreprises des mineurs de la Haute-Silésie, à Jastrzebie - les mineurs saluant cette victoire en chantant l’Internationale. La voie de la formation d’un syndicat national, issu des comités de grève constitués dans la majorité des grandes entreprises polonaises à l’issue de deux mois de grèves, était ouverte. Ce syndicat prendra le nom de Solidarnosc (« Solidarité ») et regroupera rapidement dix des treize millions de salariés que comptait alors le pays. Sa constitution ouvrira une période de seize mois de dualité de pouvoirs, au cours de laquelle les travailleurs polonais ont tenté de prendre en mains le destin du pays et d’y imposer leur propre gestion démocratique.
Dès le début de 1981, en prenant appui sur leur syndicat indépendant, les travailleurs constituent des conseils dans les entreprises. Ces derniers procèdent à l’élection des directeurs parmi les spécialistes soumis à un concours organisé par le conseil.
Autogestion
Le premier congrès de Solidarité - véritable assemblée nationale de la classe ouvrière polonaise, dont les délégués rendent compte quotidiennement des travaux aux assemblées générales des grandes entreprises dont ils sont issus et reçoivent d’elles des consignes pour la suite des travaux - adoptera un programme : « Nous voulons une véritable socialisation du système de gestion et de l’économie », lira-t-on dans l’introduction. L’objectif que le syndicat se donne alors est l’établissement d’une « République autogérée » : « Nous exigeons une réforme autogestionnaire et démocratique à tous les niveaux de la gestion, un nouvel ordre socio-économique, qui va allier le plan, l’autogestion et le marché. [...] La réforme doit socialiser la planification. Le plan central doit refléter les aspirations de la société et être accepté par elle. »
La proclamation de l’état de guerre dans la nuit du 12 au 13 décembre 1981 mettra un coup d’arrêt brutal au développement de ce processus, alors que le courant radical autogestionnaire était en train de préparer un passage révolutionnaire au système d’autogestion, au travers de la « grève active » - la prise en main de la production et de la distribution par les comités de grève. Des milliers de militants syndicaux seront arrêtés, les moyens de communications supprimés, le couvre-feu imposé et la grève générale étouffée par l’armée, usine après usine (dans la mine Wujek de Silésie, où les travailleurs ont tenté de se défendre, l’armée a tiré et fait plusieurs morts).
Le syndicat s’est rapidement réorganisé clandestinement, mais la répression efficace (arrestations et surtout licenciements à répétition) a fini par couper les structures syndicales de leurs racines dans les entreprises. La direction syndicale clandestine s’est avérée incapable de prendre la direction du soulèvement spontané qui, le 31 août 1982, alors que l’armée tenait le pays, avait fait descendre dans les rues plusieurs millions de manifestants. Après cet échec, le mouvement de masse a reflué. Coupée des entreprises, la direction syndicale clandestine de Solidarité, épurée de ses éléments appartenant à la gauche radicale par la répression sélective, est tombée sous l’influence des experts, des agences impérialistes, et elle a cherché un compromis avec la bureaucratie étatique qui, après avoir senti en 1980-1981 l’instabilité de ses privilèges de fonction, a adopté majoritairement une orientation de restauration capitaliste, pour les fonder sur des rapports de propriété.
Falsification
Z. M. Kowalewski, dirigeant de Solidarité de la région textile de Lodz en 1981, délégué au premier congrès national du syndicat et un des rédacteurs de son programme, militant polonais de la IVe Internationale, écrit, 25 ans plus tard : « Une organisation de masse a laissé la place à des groupes et des structures petites, qui se sont pour une large part laissés repousser vers les églises et qui ont été envahis par des groupes politiques de droite, conservateurs, nationalistes-cléricaux et libéraux. Leur programme commun, c’était l’anticommunisme, l’alliance avec l’impérialisme et la restauration du capitalisme. Solidarité, qui a été reconstruit sur un tel fond, a perdu l’indépendance de classe. Empêtré dans les intérêts hostiles aux intérêts des travailleurs, il ne pouvait que simuler leur défense tout en les bradant, jouant ainsi le rôle honteux du paravent syndical de la transformation capitaliste et néolibérale. Rien d’étonnant qu’il ait cessé d’être l’organisation de la majorité de la classe ouvrière et qu’il n’en compte dans ses rangs qu’une minorité réduite.
« Une révolution peut être menée à sa perte de deux manières : en étant écrasée ou trahie. La tragédie de la révolution polonaise de 1980-1981, c’est qu’elle a perdu deux fois. Elle a été d’abord écrasée, puis trahie. Elle a été trahie par tous ceux qui, au sein des élites politiques actuelles, se réclament d’août 1980 et de leur “généalogie solidaritaire”. En restaurant le capitalisme, ils ont parjuré les intérêts sociaux que cette révolution exprimait, et ils ont tourné le dos à toutes ses aspirations. »1
Aujourd’hui, nous assistons en Pologne à une véritable falsification de l’histoire du syndicat Solidarité, qui est dirigé par un courant très droitier. Un véritable révisionnisme historique tente de présenter le mouvement de masse de 1980-1981 comme aspirant à l’économie néolibérale. Walesa - qui lors de la dernière élection présidentielle n’a obtenu que 1 % des voix - a ainsi affirmé que « les grévistes de Gdansk ont commencé la lutte pour la mondialisation ». Pas étonnant que les « cérémonies commémoratives du 25e anniversaire d’août », écrit encore Kowalewski, « aient lieu avec si peu de participants, que la grande majorité des militants de Solidarité d’alors n’y prennent pas part, et que la majorité écrasante de la classe ouvrière y soit indifférente. »
*. Article paru dans le mensuel de gauche Nowy Robotnik (« Nouvel Ouvrier ») n° 18, du 15 août 2005, reproduit en français dans Inprecor n° 509, qui paraîtra au cours de ce mois.
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