Course forcenée aux profits
Une nouvelle oligarchie
façonne la vie sociale
« Contre la course forcenée au profit ! Ré-inventons le bien commun », voilà une formule qui ne manque pas dambition, démesurée dira-t-on.
Pourtant, une attention un peu soutenue portée aux divers rapports des agences de lONU travail, santé, alimentation, eau, environnement démontre que le constat est net sur les désastres en cours comme sur les possibilités matérielles, techniques, scientifiques existantes pour y faire face. Ces possibilités ne seront réunies et mobilisées, dans lintérêt de la vaste majorité de la population, que si cette dernière aujourdhui expropriée de la parole et du pouvoir peut participer à la formulation de droits et de règles et en contrôler lapplication.
Lambition du slogan est donc à la mesure de cette indispensable participation active à la recherche de réponses raisonnées face à des urgences identifiées, mais vite délaissées dans la pratique par les dominants.
La politique abandonne la partie
Comme elle se présente à loccasion de ces élections nationales, la représentation politique doit être contestée sur le fond. Pourquoi ?
- Elle fait silence sur une évidence : les autorités acceptent, explicitement, la prédominance des intérêts égocentriques par définition des maîtres de léconomie. Ainsi, le pouvoir étatique et politique ne cesse de répéter : « Faites confiance à léconomie ». Le débat sur lavenir dExpo.01 a, au moins, permis dexposer cette subordination. Il en va de même pour le futur des télécommunications, de la poste, des CFF, de lélectricité, de la recherche scientifique, des systèmes dinformation-éducation et de la « protection de la maladie et de la vieillesse ».
Selon le Conseil fédéral, du « libre jeu » des intérêts de chaque grand groupe économique devrait naître la solution des problèmes de la société. Dès lors, le pouvoir doit sopposer à toute ingérence dans le « domaine réservé » de ces titans. Et, nouvelle règle de « gestion de la société », le gouvernement et lEtat revendiquent le mérite dêtre dépossédés de lessentiel de leurs pouvoirs dans les secteurs où les géants de la finance ou de lindustrie étendent leur souveraineté.
- Faire limpasse sur cette expropriation accrue des droits démocratiques et nourrir lillusion que la représentation parlementaire est le seul recours efficace participent dune duperie dangereuse. Dun côté, une telle attitude laisse le terrain libre aux populistes qui utilisent la perception largement partagée dune impuissance « du peuple » face au « monde de léconomie ». De lautre, la politique est vidée de sa substance : cest-à-dire lexpression des oppositions profondes qui structurent la société.
La rentabilité déclare laffrontement
Camouflant ce que tout observateur peut pourtant constater, les forces de la gauche officielle se refusent à dire sans détours : nous vivons dans une économie capitaliste ; elle a pour critère essentiel la rentabilité du capital investi dans la production, la distribution et les services ; la maximisation du profit engendre des effets désastreux, même sils ne sont pas recherchés délibérément.
Pour répondre à cette contrainte de la rentabilité, la bourgeoisie est en lutte, activement. Ses membres doivent conduire des batailles face à des concurrents, pour garder ou élargir des marchés. La « guerre économique » est mondialisée ; les sociétés et leurs membres doivent saligner ; ce qui est en jeu nadmet pas la délibération démocratique.
Bon gré mal gré, les « dirigeants économiques » doivent « sortir du 15 %-18 % » par année. Cest devenu la norme pour jouer dans la cour des grands et ne pas être éliminé ou racheté. Les actionnaires rendus voraces sont sans cesse à laffût de meilleurs placements. Un emprunt à une grande banque reçoit le feu vert à condition de montrer des livres de comptes avec, en bas à droite, des résultats « indiscutables ».
De telles performances (« ratio de profitabilité ») ne tombent pas du ciel. Pas de miracles. Les voies du succès : serrer les boulons des salarié·e·s (intensification du travail, licenciements, enveloppe salariale comprimée) ; resserrer les marges des sous-traitants ; échapper au maximum aux impôts, tout en sollicitant des subventions de lEtat.
Les grands entrepreneurs et financiers donnent le ton de laffrontement avec les « entrepris », cest-à-dire les salarié·e·s. Une lutte de classes, partie den haut, a été déclarée. Cette formule a trouvé un écho en Suisse. En effet, lexpérience est faite que le patronat et la droite ne font plus de compromis, même autour de « tables rondes ».
Autrement dit, les dirigeants économiques tendent à sopposer au reste de la société en raison même de leurs actes. Le fonctionnement du capitalisme mondialisé, soumis aux injonctions des placements financiers, aboutit à cliver la société. « Lintérêt général » sagenouille devant « lintérêt particulier ».
Interroger lusage de la grande propriété
Loligarchie au pouvoir capte le malaise. Doù ses efforts de communication, ses journées détude sur « lhomme, vrai capital de lentreprise », slogan qui rappelle la célèbre brochure de Staline : « Lhomme, le capital le plus précieux » !
Questions et réponses sur ce thème illustrent lembarras. Ainsi la Banque cantonale vaudoise interroge un professeur de lUniversité de Lausanne : « Comment les entreprises peuvent-elles jouer leur rôle en faveur de leurs collaborateurs et indirectement de lépanouissement de la société ? » Réponse : « Elles doivent renoncer à poursuivre des objectifs économiques et financiers à lexclusion et au détriment de toute autre considération et chercher à trouver un équilibre entre des intérêts économiques, sociaux, culturels et écologiques » (Reflet, octobre-novembre 1999). Lintention affirmée semble honorable. Mais, elle est promise, à coup sûr, à être inscrite sur la longue liste des vux pieux.
En effet, tant que la société et les salarié·e·s dans leur diversité et avec leurs connaissances et attentes laisseront intact le champ dexercice de léconomique, pour ne pas parler du cur du système, il ny aura pas possibilité de faire converger les droits politiques, économiques, sociaux, écologiques et culturels.
Le déchaînement dun capitalisme mondialisé a réactualisé deux interrogations essentielles : 1° sur les formes dappropriation des grands moyens de production et de communication (lavalanche de fusions parmi les principales transnationales) ; 2° sur lusage qui est fait de cette propriété de plus en plus concentrée. Dit autrement : quelles formes et quels usages de la grande propriété pourraient la rendre propre à répondre à des urgences criantes : lemploi, laccès à leau et au logement, la santé, légalité
?
Comment pourrait sorganiser une production sociale de lexistence humaine qui prendrait appui sur le potentiel dintelligence générale, de savoir-faire, de capacités de délibérations, potentiel mobilisé déjà aujourdhui, mais canalisé dans létroite voie de la rentabilisation dun capital aux caractéristiques fortement rentières ?
Ces questions apparaissent débordantes. Peut-être. Mais, pratiquement, tous les jours, le système capitaliste, lui, les traite à partir des sommations des marchés financiers. Face à cela se dresse lexigence sociale et éthique dinitier une mise en cohérence dalternatives qui, en pointillé, ré-invente le bien commun.
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