Ré-invention du bien commun
Redéfinir les frontières
de la démocratie
Avec régularité, les habitants de la Suisse sont sondés : leurs attentes, leurs espoirs, leurs craintes sont passés au scanner.
Serait-ce le signe que les autorités et les maîtres de léconomie voudraient ajuster leurs choix aux exigences raisonnées de la population ?
Ou, au contraire, ces sondages sont-ils un indice que les élites dirigeantes veulent simplement affiner la vente de leurs décisions sociales, économiques et politiques qui, elles, sont ajustées aux « impératifs dune économie de plus en plus concurrentielle »?
Le marketing contre la démocratie
Les campagnes électorales obéissent à ces sondages et deviennent des opérations de marketing. La politique se vend, si ce nest que linformation fournie par les programmes des partis est beaucoup moins précise que celle du dépliant présentant une nouvelle voiture.
- Ce marketing politique nest que le pâle reflet de ce quun grand quotidien allemand a formulé à merveille : « Le cynisme éclairé est le moralisme caché de lépoque de la mondialisation. »
En dautres mots : « Chacun et chacune, isolé, doit sen remettre à un avenir incertain, parce quil ny a rien dautre à faire. » Résignez-vous et protégez-vous ! Et, au mieux, déléguez un·e élu·e, qui fera tout
pour gérer linéluctable et en « minimiser les coûts humains ».
- Ce marketing politique ne peut pas respecter lintelligence des citoyennes et des citoyens. Il se refuse à prendre en compte un fait central : les « opinions » se forgent après délibérations au cours de conflits (petits et grands, sur un lieu de travail ou de formation), au sein de collectifs ou encore grâce aux collaborations et coopérations variées que nécessite lactivité professionnelle.
- Avec un peu de recul, un bilan des expériences professionnelles entre autres indiquerait la richesse de la réflexion comme de la production sociales que peuvent nourrir de tels échanges. Combien de fois, à la pause ou à midi, au cours dune discussion, une idée na-t-elle pas surgi sur la possibilité de « faire autrement », de sopposer à une « nouvelle exigence de qualité » qui accroît la charge de travail sans que la qualité du produit ou du service à lusager soit améliorée ?
Déprivatiser
la créativité
Lorsque le mouvement solidaritéS proclame, peut-être avec emphase, « ré-inventons le bien commun », il fait un double pari réfléchi. Tout dabord, il mise sur lintelligence, la créativité de toutes les catégories de salarié·e·s. Ensuite, il prend en compte les débuts de réponse ainsi que les activités de multiples associations, mouvements sociaux et syndicats qui, à leur façon, traduisent cette inventivité.
Le mouvement solidaritéS tente dindiquer que produire une réalité socio-économique autre passe par la réappropriation socialisée de la capacité de découverte et de trouvailles qui apparaît, de façon plus ou moins fugace, dans le travail et les loisirs.
Aujourdhui, cette capacité dinitiative est valorisée quand elle permet de développer le chiffre daffaires dune entreprise. Elle est dépréciée si elle ne trouve pas à être utilisée dans le circuit de la rentabilisation du capital. Par exemple, la qualité des bâtiments nest pas déterminée par les habitants et par des concepteurs qui ont pourtant mis au centre de leurs préoccupations léconomie des matériaux et la possibilité de les recycler. A linverse, sest imposé un modèle du bâti qui valorise les matériaux vendables en grande quantité, jetables et incinérables, ce qui fait du secteur de la construction le principal producteur de déchets polluants dans les pays riches.
Redéployer lespace démocratique
La politique de la ville est un exemple parlant dune nécessaire ré-invention du bien commun, de la production du « bien vivre ensemble ». En Suisse comme en Europe, les autorités proposent la création de « communautés urbaines », cest-à-dire de nouvelles entités urbanisées disposant dune relative autonomie face aux institutions politiques supérieures (cantons, Confédération). Lintention affichée séduit parce quelle prétend réunifier lattraction compétitive de la ville et la convivialité sociale. Dans la réalité, se profilent des « villes-communautés-marché » au détriment de « villes-communautés-cadre de vie ».
=> Ré-inventer un tel bien commun ne requiert pas seulement la multiplication de passerelles entre usagers des « entités urbaines » et urbanistes. Cette ré-invention demande une véritable discussion publique dans laquelle les intérêts opposés puissent se déployer avec toute leur force ; ce qui conditionne le fonctionnement démocratique dinstances darbitrage, en dernier recours.
=> Mais la ré-invention de ce bien commun passe aussi par une exigence centrale : la ville devrait être respectueuse des usagers, quels que soient leur âge, leur sexe, leur éventuel handicap, leur pouvoir dachat, leur insertion professionnelle. Un tel respect passe par une série de droits à ancrer et à préciser tels que : le droit au logement, à un domaine public exempt des dangers de la circulation, à des transports publics gratuits et de proximité, à des équipements collectifs et rapprochés. Instituer ce bien commun peut réclamer lexpropriation des terrains et immeubles en friche, car laccès à ces biens délaissés et leur utilisation sont une des conditions de la réappropriation de lespace urbain.
Reprendre
son temps
Cet exemple indique que, dans la ré-invention du bien commun, le défi consiste à faire que la liberté conquise dans laction collective stimule linitiative individuelle, enrichie, elle, par la multiplication des échanges sociaux. De la sorte seront étoffés les choix publics et mieux contrôlée leur application.
=> Cette ré-invention du bien commun ne passe pas par des marchandages entre organismes ayant le monopole de la décision politique, et pourtant très sensibles à la surveillance de ceux qui promettent de créer des emplois ou menacent den détruire. Cette ré-invention du bien commun réclame un élargissement de la sphère où les gens peuvent assumer un certain contrôle de leur vie. Si les êtres humains ne peuvent définir leur habitat social, ils peuvent difficilement devenir ces êtres autonomes aptes à constituer une société démocratique.
Doù la nécessité de combiner la démocratie représentative avec une démocratie participative. Une telle articulation, souvent souhaitée, exige de faire la clarté sur la précondition de sa réalisation : la réduction radicale des inégalités dans le pouvoir économique, politique, administratif et communicationnel des citoyens et citoyennes ; pour lheure, ce pouvoir est approprié par une minorité.
=> Enfin, ré-inventer le bien commun impose une réappropriation par lensemble des salarié·e·s de leur propre temps. Chacune et chacun a pu faire lexpérience, dans son travail, quune action nouvelle, quun changement, quun apport novateur exigent du temps. Or, lappropriation du temps des salarié·e·s par lentreprise (par le détenteur du capital) tend à comprimer ce temps de communication et de coopération des salariés.
Ré-inventer le bien commun, cest aussi gagner le droit de penser et dagir ensemble, avec tout le temps nécessaire. Dans ce but, il faut délégitimer et contester les modèles de compétitivité et de productivité quimpose lactuel capitalisme.
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