Mesures d'accompagnement au rabais pour la libre circulation des personnes
 
 

Interview

Un avocat dénonce les méthodes "staliniennes" de l'USS

MARC BRETTON (Tribune de Genève du 3 mars 2005)


Politique Quelle liberté de parole dans les syndicats? Un licenciement pose le problème.

Romolo Molo n’en revient pas. Cet avocat genevois a été viré pour avoir exprimé des divergences avec son employeur sur l’extension de la libre circulation des personnes aux nouveaux pays membres de l’UE (nos éditions d’hier) et les mesures d’accompagnement. Du coup, il dénonce, «les méthodes staliniennes» de l’USS et n’entend pas se laisser faire. De son côté, l’USS souligne qu’un employé est tenu par les décisions de ses instances dirigeantes. Retour sur un épisode qui en dit long sur les tensions du mouvement syndical à quelques mois de votations cruciales.

Romolo Molo, qu’est-ce que votre employeur vous reproche?

Le 10 janvier, j’ai participé avec d’autres syndicalistes à une conférence de presse sur le référendum contre l’extension de la libre circulation des personnes. Je m’y suis exprimé en tant que membre d’Unia et en citant un Congrès de l’USS. En 2003, elle expliquait que des mesures d’accompagnements sans protection des représentants des salariés minaient l’efficacité du contrôle des conditions de travail. Aujourd’hui, nous n’avons toujours pas cette protection, d’où mon opposition à l’extension. L’USS, qui y est favorable, n’a pas apprécié. On m’a demandé de me rétracter. Puis de me taire. J’ai refusé. J’ai été licencié.

N’est-il pas logique qu’un employé s’abstienne de prendre position publiquement quand son employeur défend une position inverse?

D’abord, je n’ai pas pris position en tant qu’employé, mais comme membre d’Unia. Ensuite, je me suis appuyé sur des positions de l’USS, qui réclamaient plus de droits sur les lieux de travail. Enfin, il devrait pouvoir y avoir des débats et des tendances au sein des syndicats, sinon comment recruter des gens libres d’esprit? L’élimination des adversaires ce sont des méthodes staliniennes!

Les Polonais, les Roumains sont chez nous clandestins. Si votre référendum l’emporte, ils le resteront. Cela ne vous gêne pas?

Je suis pour la régularisation des sans-papiers qui sont surexploités. Mais on ne peut pas s’aligner sur l’Europe par le bas. Le chômage européen et le misérable droit du travail suisse mis ensemble, c’est explosif. Si les travailleurs immigrés ou autochtone sont victimes de l’ouverture des frontières et découvrent la faiblesse des mesures d’accompagnement, cela risque de déclencher une vague de xénophobie sur laquelle l’UDC ou des forces de droites italiennes ou portugaises pourront progresser.

En quoi un succès de votre référendum changerait-il la donne?

L’industrie d’exportation a un besoin vital de maind’œuvre. Si notre référendum acquiert un poids suffisant, nous parviendrons à obliger ce secteur économique à faire pression sur le parlement pour lui faire lâcher des concessions crédibles renforçant la protection des salariés. Si elle met un centième des forces mises pour «sauver» le secret bancaire, c’est dans la poche. Et qu’on ne vienne pas me dire que tout capoterait si la Suisse dit non à l’Europe! On pourra voter une deuxième fois, comme le Danemark par exemple.

 

EntrE à l’usine par conviction politique

On ne peut pas reprocher à Romolo Molo d’être un opportuniste sans convictions.

Au début des années 80, licence de droit en poche, cet ancien membre de la Ligue marxiste révolutionnaire (LMR/ PSO) depuis 1977 entre dans une entreprise genevoise fabriquant des composants horlogers comme manœuvre non qualifié: «Il m’a semblé qu’il y avait alors plus d’avocats de gauche que de militants syndicaux actifs», explique-t-il.

Participant avec d’autres membres de la LMR/PSO à une activité syndicale sur le lieu de travail, il est élu et réélu à la tête de la commission du personnel pendant dix ans. Promu manœuvre semi-qualifié, il milite à la FTMH et ne quitte son entreprise qu’en 1991. Revenu au droit dans les années 90, il travaille à l’Asloca, puis à l’Union syndicale suisse dès 2001. «L’USS connaissait mon parcours, j’ai donc pris mon engagement comme un signe d’ouverture», explique Romolo Molo.

L’insertion du loup d’origine trotskiste dans la bergerie réformiste se déroule bien et l’USS, sous la houlette de Romolo Molo, engrange même un succès historique. En novembre 2004, la Suisse est vivement invitée par le Bureau international du travail à renforcer la protection contre le licenciement des militants syndicaux dans les entreprises.

La prise de position de l’avocat dans la campagne «de gauche» en faveur du référendum contre l’application des bilatérales aux dix nouveaux membres de l’Union européenne lui est fatale. (mbn)