Pourquoi un Mouvement pour le socialisme (MPS)?

1. Suisse SA - Schweiz AG

Sous ses apparences collégiales et consensuelles, la Suisse SA et ses propriétaires – de UBS au Credit Suisse en passant par Holcim (de Thomas Schmidheiny), Roche et Novartis, pour terminer par Amag (l'importateur de voitures Walter Haefner) ou la BZ-Bank (de Martin Ebner, Christoph Blocher et de l'ex-social-démocrate Kurt Schiltknecht) – mènent une politique néo-conservatrice (dite néolibérale) d'une rare brutalité sociale à l'encontre de la majorité de la population.

Les ordres des détenteurs de la Suisse SA, sur l'essentiel, sont entérinés par le Conseil fédéral. Le pouvoir effectif de ce dernier a été révélé lors de la débâcle de Swissair: il est frappé d'impuissance, si le feu vert ne lui est pas donné par l'élite dominante; celle qui dicte les règles du jeu... sans se soucier d'une démocratie semi-directe largement manipulable et manipulée.

Cette Suisse SA sue l'inégalité. En 1999, 0,31% des contribuables déclarent – imaginez la réalité réellement existante! – une fortune cumulée de 177 milliards de francs, alors que 59,36% des contribuables cumulent une fortune de 17 milliards. Ces chiffres ne traduisent pas seulement une inégalité de répartition des revenus; ils expriment, avant tout, une différence qualitative d'emprise sur les décisions socio-économiques fondamentales, qui pourtant ont un impact décisif sur la vie quotidienne de la majeure partie de la population. Si la césure au plan de la fortune – c'est-à-dire de la capacité de dicter ses choix au prétendu marché libre – est énorme, elle existe aussi au plan salarial. Ainsi 40,1% des salarié·e·s disposent d'un salaire mensuel net de 4000 francs et moins. Cette situation concerne 68% des femmes salariées... ce qui constitue un des éléments visibles d'une discrimination qui se perpétue.

Les baisses de salaire, l'expérience douloureuse du chômage, les licenciements brutaux (exemplifiés par la société Swissair, placée sous la houlette de son aréopage de chefs économiques qui se pensent les seuls dépositaires légitimes de l'avenir de la Suisse SA), la précarité croissante de l'emploi suscitent, pour la première fois, une réaction majoritaire en faveur d'un salaire minimum légal: 79% des personnes interrogées y sont favorables (Bulletin du Credit Suisse, 06/2001).

• Dans la vie quotidienne, l'effort pour «défendre» le Standort Schweiz – dit autrement: l'effort pour assurer que la toute petite minorité des possesseurs des avoirs économiques stratégiques puisse faire mousser la shareholder value des entreprises cotées en Bourse et assurer, ainsi, une rentabilité optimale de ses investissements – se paie au prix maximum.

Finalement des études le prouvent. Ainsi: 26,6% des personnes interrogées lors d'une grande enquête se sont déclarées souvent ou très souvent stressées, 56% parfois. La première cause du stress est la vie au travail: 58,1%; puis c'est l'articulation vie au travail et vie hors travail: 36,4%. Enfin, 40% des personnes interrogées considèrent que leur travail est souvent ou très souvent fiévreux, et 41% parfois (D. Ramaciotti et J. Perriard, Les coûts du stress en Suisse, 2000).

Alors qu'unanimement, de la droite à l'a-gauche (a privatif: la Nicht-Links, l'a-sinistra), existe un consensus sur les coûts de la santé – financés par un système de primes per capita de conception moyenâgeuse –, un silence tout aussi unanime se fait sur une des causes majeures de la «dégradation» psychique et physique de la santé individuelle: les conditions quotidiennes de travail (1).

• Conclusion: la Suisse SA est une société qui possède les traits de sa compagnie aérienne défunte, Swissair. Mépris pour les salarié·e·s, répartitions hyper-inégalitaires des revenus et de la fortune; un pouvoir réel échappant à tout contrôle effectif: voilà la réalité.

Elle est accompagnée d'un discours mensonger sur le thème: «On est tous sur le même bateau». Or, les capitaines mettent une majorité de passagers dans des cabines de plus en plus inhabitables. Parfois, ils jettent même par-dessus bord les hommes et les femmes (licenciements secs ou amortis à La Poste, chez Swissair, dans des entreprises de la métallurgie, de la chimie, dans les banques et les assurances). Par contre, ces mêmes capitaines font reluire (plus ou moins en secret) la place qui leur est soigneusement réservée sur le pont ensoleillé de leur navire.

Dans ce contexte, de plus en plus nombreux sont les salarié·e·s qui ont le sentiment que le Parti socialiste (PSS) et les appareils syndicaux ne «servent à rien», ou plutôt qu'ils servent simplement à apporter des boissons fraîches aux directeurs de la Suisse SA qui, sur le pont, regardent et préparent leur avenir et non pas celui des salarié·e·s. Ces «chefs de l'économie» tiennent fermement à ce que les salarié·e·s restent «obéissants et respectueux de l'ordre suisse SA», selon l'exemple qui leur est donné par les conseillers fédéraux socio-démocrates au sein du Conseil fédéral. Les dirigeants de l'USS répondent à ce voeu: ils regardent le patronat avec le respect de personnes qui ont accepté de lui être subordonnées et qui sont reconnaissantes qu'on leur adresse quelques mots de politesse.

• Ce constat portant sur les «règles» dictées par la Suisse SA et leur acceptation par l'a-gauche s'exprime dans des interrogations de plus en plus explicites qu'entendent, couramment, des militant·e·s syndicalistes ou des «activistes» dans le mouvement altermondialiste ou anti-guerre. Il est aisé de les résumer dans une formule: à quoi servent cette gauche officialiste et ces directions syndicales? Cette question est souvent suivie de réponses initiales qui prennent la forme suivante: il faut «faire quelque chose» de vraiment à gauche, de socialiste, de combatif; il faut parler vrai et refuser cette politesse obséquieuse qui est le propre des serviteurs (récompensés) parce qu'ils protègent la maison du maître contre les «exigences» de ses employés (appelés aujourd'hui «chers collaborateurs, chères collaboratrices»).

Ces questions et ces débuts de réponse se sont précipités suite à l'inaction de la gauche officielle lors du référendum contre la loi sur le travail (LT) en 1998, après l'écoute de discours de «protestation» contre la révision de la loi sur le chômage (LACI) qui ne furent suivis d'aucune action, après l'absence militante dans le mouvement des sans-papiers et le silence complice face à la répression. Les exemples pourraient être multipliés. La NZZ s'en gausse.

2. Les 2 et 3 mars: un week-end qui déshabille

La votation fédérale du 3 mars 2002 a offert à la population de ce pays un instantané saisissant de la position occupée aujourd'hui par l'a-gauche helvétique.

• D'un côté, l'a-gauche a mené, en toute connaissance de cause, à une déroute lamentable son initiative trompeusement appelée «pour une durée de travail réduite». Or, cette initiative constituait la pièce maîtresse du «bouquet» lancé en 1998 sous les auspices de Christiane Brunner et de Vasco Pedrina, coprésidant l'USS. Ce «bouquet d'initiatives» devait incarner, à l'aube d'un nouveau millénaire, le projet de l'USS et du PSS: cap vers une «Suisse plus sociale».

L'USS avait déjà dû payer des étudiants pour récolter les signatures de son initiative sur le temps de travail. Le clignotant «danger» était allumé. Pourtant, les dirigeant·e·s de l'USS ont continué à ignorer que les travailleurs et travailleuses, qui en font l'expérience pratique, savent qu'il est préférable de travailler 40 heures avec un horaire fixe que 36 ou 37 avec un horaire flexible. Car l'augmentation de l'intensification du travail est assurée et cette flexibilité sans cesse accrue rend encore plus difficile l'organisation de la vie quotidienne et familiale.

Le résultat du vote du 3 mars était donc plus que prévisible. En outre, les salarié·e·s sont conscients que le syndicat n'est pas présent – à quelques exceptions près – sur le lieu de travail et que l'aménagement concret du temps de travail ne peut être vraiment discuté avec le patronat. Pour cela, il faudrait disposer de droits dans l'usine et dans les bureaux ainsi que d'un syndicat actif.

• De l'autre côté, les mêmes ténors de l'a-gauche helvétique se sont joints, sans fausse note, aux associations patronales et à l'establishment bourgeois du Parti radical et du Parti démocrate-chrétien pour célébrer l'adhésion à l'ONU comme étant une décision «historique». Le silence a régné sur ce que font les grandes puissances (les Etats-Unis avant tout) en utilisant l'ONU quand cela leur convient. Le mutisme fut de rigueur sur les institutions de l'ONU qui servent, de plus en plus, de simple paravent à des politiques néolibérales quasi guerrières qui reçoivent la bénédiction des institutions financières internationales. On est loin du «concert harmonieux des nations», au moment où Bush choisit, «démocratiquement», quels sont les pays qui constituent «l'axe du mal» et quelles sont les populations qui auront le privilège d'être bombardées (peut-être avec du nucléaire dit tactique).

En outre, le caractère impérialiste de la Suisse – avec son système bancaire et d'assurances, son réseau de multinationales  – a été tu.

Au mieux, la double morale règne: à Porto Alegre, Franco Cavalli parle, avec conviction, de la «solidarité avec les populations qui luttent au Sud». En Suisse, à chaque occasion concrète, le PSS et l'USS se taisent ou cautionnent une politique impérialiste.

Aux yeux de l'a-gauche, il semble inconvenant de mécontenter la Suisse SA ou de la dépeindre sous ses vrais traits. Or, cette Suisse SA a déjà une politique concrète au sein du FMI. Par exemple, elle a poussé à ce que les prêts du FMI se prolongent jusqu'au dernier moment en faveur du dictateur Suharto en Indonésie. Aujourd'hui, ses représentants au FMI appuient la politique de privatisations qui dévale sur ce pays et sa population désespérée. Elle fait de même pour l'Argentine.

• En résumé, pour l'a-gauche helvétique, le 3 mars se résume à: out la «Suisse plus sociale» du «bouquet d'initiatives»; in les visions de la fondation «Avenir Suisse», le nouveau think tank du grand patronat helvétique, qui orchestre le battage sur le thème de l'adhésion à l'ONU comme renforcement d'une Suisse libérale (la Suisse des «Livres blancs», toujours à l'avant-garde des contre-réformes néo-conservatrices) et «solidaire». Solidaire de quoi? Du nouvel ordre impérial mis en place sous la férule les Etats-Unis, avec l'aide de l'ONU, comme de l'OMC, de la Banque mondiale, du FMI, de l'OCDE et de la BRI.

3. Le swiss abus de confiance et la (sociale) modernité!

Il y a six mois, suite au «grounding» des avions de Swissair, les syndicats et le Parti socialiste ont été les plus fidèles alliés du Conseil fédéral et de UBS pour réussir l'opération «Phénix plus», le plus grand scandale social de la dernière décennie. Les syndicats – le SSP en tête – ont délibérément saboté toute protestation collective des salarié·e·s de la compagnie aérienne, sous forme d'une grève, pour faire respecter leurs droits élémentaires définis par le Code des obligations.

• Le Parti socialiste suisse (PSS) a activement défendu le projet du Conseil fédéral dont le contenu peut être résumé de la sorte: faire financer à fonds perdu par les salarié·e·s-contribuables une opération de construction d'une compagnie aérienne privée – utilisant hypocritement le sentiment d'attachement à Swissair – fondée sur le démantèlement des droits des travailleurs. Cette nouvelle société, Swiss, sera vendue, dans un deuxième temps, à bas prix dans le cadre d'une alliance continentale. Qu'une compagnie européenne privée se construise, c'est une chose; cela fait partie de ce «sens du risque» que nous vantent les ayatollahs du marché. Que les contribuables doivent financer leurs opérations privées et hasardeuses relève de l'escroquerie et de l'abus de confiance.

L'enthousiasme du PSS renvoie à ce sentiment, de plus en plus partagé dans les sommets de ce parti, que l'idéal de la «modernité» consiste à servir le Capital. Emerge une social-démocratie de piètres managers, participant sous cette forme à la défense du Capital et non pas du Travail. Voilà l'idéal de personnes qui se préoccupent plus de leur image, de leurs résultats électoraux, que de la vie concrète des salarié·e·s, des jeunes, des retraité·e·s. C'est ce qu'a compris le populiste de droite musclé Blocher, qui capte une partie de la colère et de la désorientation populaires.

• Un rapide tour d'horizon montre que: c'est le «socialiste» Benedikt Weibel et le socialiste – et ex-syndicaliste – Daniel Nordmann qui gèrent les CFF comme une entreprise privée et mettent les salarié·e·s sous pression; c'est le «socialiste» Ulrich Gigy qui restructure au pas de charge La Poste, liquide le réseau postal, les droits des salarié·e·s et prépare la privatisation; c'est le «socialiste» Peter Hablützel qui a mené toute l'opération de destruction du statut de fonctionnaire et son remplacement par la Lpers (loi sur le personnel); c'est le «socialiste» Moritz Leuenberger qui chapeaute ce recul sans précédent des services publics en Suisse; c'est sous l'autorité de Ruth Dreifuss que, au nom du moindre mal, sont avalisées reculades sur reculades en matière de retraite comme d'assurance maladie.

4. La fin d'une phase historique du mouvement ouvrier: le PS une force social-libérale et l'USS un appareil sans ressorts

Quiconque voudrait analyser sérieusement la situation de ce qui était appelé, traditionnellement, «le mouvement ouvrier» ne pourrait que prendre acte de sa crise profonde et, à bien des égards, irrémédiable.

Par l'expression «mouvement ouvrier», nous faisons référence à cet ensemble d'organisations (politiques, syndicales et associatives) qui, historiquement, était mû par deux objectifs:

1°   la défense des conditions de vie et de travail des salarié·e·s, soit de ceux et celles qui ne peuvent compter que sur la vente de leur propre force de travail, qu'elle soit manuelle et/ou intellectuelle, pour vivre, et qui forment la majorité sociale de la population;

2° la perspective d'un mouvement d'émancipation des salarié·e·s et de la société vers un système économico-social autre que le capitalisme, c'est-à-dire où le contrôle sur les choix de la société aux plans économique, social et écologique parte du lieu de travail et trouve des expressions pratiques à une échelle spatiale plus large: depuis la région et le pays jusqu'au continent.

En faisant référence à ces deux caractéristiques, le défi, pour des socialistes des temps présents, n'est rien d'autre que de participer à la re-création et à la ré-invention, pour le siècle à venir, d'une démocratie sociale, culturelle et économique effective, qui implique la fin de l'expropriation de la majorité de la population.

Cela exige la socialisation des principales ressources matérielles, intellectuelles, techniques. Une telle perspective nous semble plus réaliste et plus raisonnable que la délégation aveugle de ces «responsabilités», pour des raisons de prétendues complexités, à des entreprises privées et à leurs délégués qui, eux, organisent, sous l'impératif du profit maximum privatisé, des catastrophes écologiques et sociales de type Swissair, Enron (Etats-Unis) ou AZT à Toulouse (F), sans parler de l'industrie nucléaire ou de l'alimentation animale, ou encore des OGM…

• Depuis longtemps, le moteur propulsif de ce «mouvement ouvrier», né au XIXe siècle, est tombé en panne, à force de présenter pour socialisme ce qui était en fait: soit un «bonheur» à assurer «au peuple d'en bas» grâce à une présence dans un gouvernement (c'est l'histoire de la social-démocratie depuis au moins la Seconde Guerre mondiale); soit une société contrôlée par une caste bureaucratique et répressive, qui distribuait «égalitairement» des miettes à celles et ceux qui ne pouvaient pas choisir la composition du repas, c'est-à-dire le fonctionnement de la société dans toutes ses dimensions (il s'agit de l'URSS de hier ou la Chine d'aujourd'hui ou encore de la Yougoslavie du Tito titubant).

• Aujourd'hui, à l'échelle plus circonscrite de la Suisse, le tableau est sombre et clair: les organisations syndicales, comme telles, ne constituent plus des instruments appropriés pour défendre les intérêts des salarié·e·s. Elles ne le sont plus, ni d'un point de vue quantitatif – l'USS n'organise même pas 10% des salariés actifs –, ni d'un point de vue qualitatif: l'inexistence de propositions alternatives socio-politiques est largement reconnue; celles mises en avant sont au mieux des pansements qui sont présentés comme des opérations chirurgicales par la gauche officialiste helvétique.

Ces organisations (comme structures micro-bureaucratiques) et l'essentiel de leurs directions participent, souvent, à la mise en place de politiques patronales de «modernisation» qui ne représentent rien d'autre que l'ouverture de nouveaux champs d'investissements pour le Capital: privatisation pour demain de La Poste avec sa phase actuelle de rentabilisation (fermeture de bureaux, compression du personnel, hausse de la productivité, de l'intensification du travail, etc.).

• Un Jospin ou un Schröder – et leurs pâles reflets helvétiques – avalisent l'idée de Margaret Thatcher – et de Friedrich August von Hayek – selon laquelle il n'y aurait plus d'alternative souhaitable mais surtout possible au capitalisme. Au mieux, selon ces sociaux-démocrates de la «troisième voie», il faudrait le réguler un peu, sans dire exactement comment. Pire: alors que la social-démocratie parle de régulation, elle décide au plan politique de détruire les derniers éléments de cette régulation. La politique monétaire est aux mains des Banques centrales, indépendantes de tout contrôle démocratique, même parlementaire. Les grandes firmes engagent des batailles concurrentielles – dont les travailleuses et travailleurs paient le prix – au cours desquelles sont utilisés aussi bien les instruments de monopoles privés (pour fixer prix et parts de marché) que les «coups bas», comme vient de le démontrer Bush, sous pression des géants américains de la sidérurgie, en imposant un tarif douanier de 30% à l'importation d'acier aux Etats-Unis. Cela au moment où les pays les plus fragiles de  la périphérie doivent ouvrir leurs marchés... aux produits des pays du centre (de l'OCDE), massivement plus compétitifs.

En Suisse, c'est à cette orientation générale qu'USS et PSS se sont ralliés; si ce n'est que cela se fait en position explicite de partenaire junior du patronat et des partis bourgeois («table ronde», «paix du travail», négociations sans créer un rapport de force réel...). Une sorte de néo-corporatisme se stratifie depuis l'entreprise jusqu'au pouvoir politique exécutif.

• Une telle orientation possède des racines sociales (intégration dans des postes dits à responsabilité, ce qui est un moyen d'acheter quelques «socialistes» pour un plat de lentilles) et des racines idéologiques. Ainsi, en aucune manière, un des piliers de ce système, à savoir le droit imprescriptible à la propriété privée des grands moyens de production, de distribution et de communication, n'est remis en cause par celles et ceux pour qui le socialisme est un héritage dont ils veulent se débarrasser définitivement.

Le PSS doit être appréhendé sans états d'âme comme une force social-libérale.

5. Même en Suisse, le système capitaliste voit renaître en son sein des remises en cause

Du tableau que nous avons schématiquement dessiné et des exemples que nous avons rappelés, il ne découle pas que les besoins et les sentiments des salarié·e·s, des femmes (subissant des formes spécifiques d'exploitation et d'oppression), de secteurs discriminés (immigrés) et de secteurs socialement déstabilisés (petits paysans) ne cherchent pas à s'exprimer.

Au contraire. Ces dernières années, nous avons ainsi assisté à des mouvements significatifs qui donnent un sens possible à une politique socialiste. Un bref rappel peut être utile:

• Les mouvements de contestation – sous forme d'action directe ou de vote lors de référendums – des processus de privatisation et de libéralisation en cours dans le secteur public (Poste, CFF, énergie électrique) ont touché aussi bien les employé·e·s que les usagers. Cela a suscité une relance de la réflexion sur la fonction des services publics, comme étant une des institutions permettant un accès égalitaire pour la population à des services répondant à des besoins sociaux prioritaires, c'est-à-dire un accès qui ne dépend pas des ressources financières très inégalitairement réparties.

• Une réaction vive – sous forme de pétitions, d'actions dispersées – face aux hausses continues des primes d'assurance maladie et à l'installation ouverte d'une médecine à deux vitesses sociales, telle que la formalise encore plus le système Tarmed (seules les personnes ayant des assurances complémentaires, dispendieuses, pourront avoir accès facilement et rapidement à certains soins). Une idée de bon sens se répand: dans un pays tel que la Suisse, disposant d'une telle richesse, il est tout à fait possible de disposer d'un système de santé plus socialement performant. L'accent mis sur la hausse des «coûts de la santé», par la droite comme par la gauche, apparaît comme biaisé. Cela sert avant tout à justifier la nature du système d'assurance maladie et la politique socialement inégalitaire promue par les trusts de la pharmacie, de l'instrumentation médicale, par les intérêts d'une minorité de médecins et par le gouvernement collégial qu'est le Conseil fédéral, lui-même placé sous la surveillance du lobby des assurances maladie et des assurances privées.

• Divers mouvements d'opposition aux politiques menées se sont exprimés dans le secteur sanitaire, en particulier les mobilisations du personnel hospitalier: à l'échelle de cantons ou lors de mobilisations nationales, comme celle du 14 novembre 2001. Elles ont été stimulées par le mouvement syndical traditionnel (SSP-VPOD) ou en dehors de celui-ci (entre autres à Zurich). Lors de ces mobilisations (grèves, piquets devant les hôpitaux, manifestations dans la rue), la sympathie des usagers s'est exprimée avec clarté, ce qui indique la possibilité de constituer un bloc social pour une autre politique de santé publique.

• La contestation va grandissante dans les ex-régies fédérales (CFF, Poste). On peut donner pour exemple la mobilisation récente des mécaniciens CFF afin d'exiger la démission de M. Thierry Lalive d'Epinay. L'incapacité de la direction du SEV (syndicat du secteur des transports ferroviaires) – ou plus exactement l'opposition du SEV à toute action des salariés, étant donné ses liens organiques avec la direction des CFF – est perçue comme une démission, ou plus exactement une compromission. La disponibilité à l'action existe.

• Les mobilisations en cours dans le secteur du bâtiment contre la flexibilité du temps de travail et pour une retraite à 60 ans. La manifestation nationale du 16 mars fournira des indications sur son ampleur. Toutefois, la volonté est déjà nette, dans plusieurs régions, parmi les travailleurs de s'opposer à un compromis sur l'âge de la retraite (soit 62 ans et non pas 60 ans, comme exigé). En outre, le rejet de la flexibilité est profond. La raison en est simple: à la pénibilité, qui n'a fait que croître à cause de l'intensification du travail (moins de travailleurs pour des volumes croissants de travail), s'ajoute, dès 45 ans, une dégradation de l'état physique. Il en découle que la majorité de ces travailleurs ne peut atteindre l'âge de la retraite (ils sont «frappés d'invalidité» avant). Ce fait se retrouve dans d'autres secteurs, entre autres l'industrie agroalimentaire et même les chemins de fer ou l'imprimerie, spécialement là où existe le travail en 3x8  (travail en équipes successives).

Enfin, dans la construction, comme dans d'autres branches, la pression des salarié·e·s est forte pour obtenir des revalorisations effectives du salaire, cela au moment où le patronat marque son refus et veut pousser plus loin des systèmes de primes au mérite et de salaires individualisés. Tout compromis des directions syndicales – du SIB ou d'un autre syndicat – sur ce terrain accroîtrait le discrédit des appareils syndicaux. Une telle reculade posera ouvertement le problème de disposer d'un syndicat utile et efficace pour les salarié·e·s, sur des questions aussi élémentaires que le salaire et le temps de travail.

• La contestation de la politique d'immigration des autorités fédérales (et cantonales) s'est réaffirmée à l'occasion de l'apparition du mouvement des sans-papiers. Ce dernier a démontré – il suffit de penser à la manifestation nationale du samedi 24 novembre 2001 – la présence diffuse dans le pays d'une résistance à la politique discriminatoire pratiquée par le Conseil fédéral et les gouvernements cantonaux. Cette politique sert avec constance les intérêts des secteurs économiques qui puisent dans cette main-d'œuvre précarisée à l'extrême, et donc exploitable et corvéable à merci. La politique gouvernementale en direction des sans-papiers et celle envers d'autres secteurs de l'immigration visent à une fragmentation des catégories de salariés grâce au système des permis multiples. Le but est clair: rendre plus flexible le «marché du travail», freiner toute action revendicative unitaire et faciliter le nivellement de toutes les règles de protections ayant une dimension collective.

Pour la première fois, ce mouvement des sans-papiers a posé – au-delà de ses limites – sous un angle nouveau la possibilité de combattre la politique xénophobe officielle, qui s'aligne sur celle d'un Blocher. Il l'a fait en établissant un trait d'union entre, d'une part, les conditions faites par le patronat et les autorités aux travailleuses et travailleurs sans papiers, et, d'autre part, celles imposées à des fractions de plus en plus amples de salarié·e·s précarisés, de femmes discriminées, ou encore de retraité·e.s ne disposant pas de conditions de vie dignes... après une «vie de labeur». La grève à Micarna (société contrôlée par Migros et sise à Fribourg) a fait la démonstration d'une possible activité de défense de leur dignité par des travailleurs et des travailleuses socialement et économiquement fragilisés, qui sont donc encore plus placés sous l'emprise des exigences patronales. A Micarna, ce sont les exigences d'une firme, Migros, qui se présente comme «un acteur économique» exemplaire en Suisse. Le masque est tombé.

• Les mouvements contre la mondialisation capitaliste s'expriment au travers d'une grande variété d'initiatives, parmi lesquelles celles d'attac et celles d'organisations ou d'ONG telles que la Déclaration de Berne, les groupes de base chrétiens, Jubilée 2000, la Coordination anti-OMC, le CADTM (Comité pour l'abolition de la dette du tiers-monde). Tous ces organismes posent, sous des angles divers, des interrogations plus ou moins radicales face à la mondialisation du capital: - contre les choix socio-économiques des multinationales à qui le WEF (World Economic Forum de New York-Davos) offre un podium; - pour une autre politique d'échanges à l'échelle planétaire que celle dictée par l'OMC et ses sponsors (les transnationales); - contre une marchandisation croissante du monde qui touche jusqu'à l'eau, aux ressources naturelles et, demain, qui s'étendra au corps humain; - pour un «développement durable», thème qui conduira logiquement, tout d'abord, à interroger les processus de production de biens et de services et à dévoiler qui les contrôle de manière absolument non démocratique (les grandes firmes) et, ensuite, à poser la question: dans quel but et avec quels objectifs s'effectue ce contrôle privatisé?; - pour la suppression de la dette du tiers-monde et pour un développement répondant aux besoins prioritaires de centaines de millions de déshérités·e·s...

De fait, dans un contexte nouveau, est ainsi remis sur la table le rôle de l'impérialisme, et donc les relations de domination exercées par les classes dominantes des pays du centre (ou des centres) sur les pays et les populations de la périphérie. Deux  exemples. Le premier a trait au mouvement d'appui aux travailleurs et aux travailleuses d'Argentine. Il trouvera une première expression lors du cacerolazo global du 23 mars 2002. Se concrétisera de la sorte une relance de la solidarité de classe et de l'anti-impérialisme, c'est-à-dire en mettant le doigt sur le rôle spécifique de l'impérialisme helvétique au sein du dispositif américain. Le second concerne le soutien aux revendications du peuple palestinien. Ici, doit être prise en compte la collaboration étroite existant entre Israël (comme Etat sioniste) et l'Etat suisse, qui doit faire oublier l'antisémitisme historique cultivé par ses «élites» ainsi que  leurs relations complices avec le régime nazi. Cette liaison particulière entre Etats doit être mise en relief si un mouvement de soutien veut articuler une claire dénonciation de l'hypocrisie – de la double morale propre à la pratique impériale de la «défense des droits de la personne humaine» – des politiques impérialistes avec un soutien à la lutte du peuple palestinien pour ses droits légitimes. C'est ainsi que pourra être, lentement, expliquée une perspective historique de paix dans cette région du Proche-Orient; une paix effective qui ne se concrétisera, en dernière instance, qu'avec l'émergence d'une Fédération socialiste régionale. C'est-à-dire une Fédération qui assure à l'ensemble de ses habitants (y compris la population juive installée) le droit d'y vivre et d'y coopérer dans un ordre «socialement juste», qui puisera dans les meilleures traditions historiques d'un «dialogue culturel».

C'est aussi à partir de l' appréhension, par de nouvelles générations, de la brutalité des rappports Nord-Sud (ou Nord-Est) qu'il faut comprendre l'audience que continue à avoir auprès de jeunes le mouvement contre la guerre impériale, dite «guerre contre le terrorisme», mouvement dont le GSSA (GSOA) est une composante importante.

• Les mobilisations de petits et moyens paysans soumis au choc d'une politique agricole qui les «vend» à la bureaucratie de l'Union européenne (UE) et aux grands groupes agroalimentaires et producteurs agricoles industrialisés qui ont un poids déterminant dans l'OMC et dans l'UE. La politique agricole de la Confédération se fait, aujourd'hui, en invoquant le carcan des «bilatérales», et cela au profit des banques et des industries partisanes d'un libre-échange sans rivages. Cela aboutit, au nom de la compétitivité, à la destruction non seulement de fractions majoritaires du paysannat, mais aussi à la mort de régions, dont la population fournira une nouvelle main-d'œuvre à bon marché pour des industries ou des entreprises de services. En outre, l'anéantissement de l'essentiel de l'agriculture aura des effets désastreux sur l'environnement sous deux angles. Tout d'abord, l'agriculture hyperproductiviste est un facteur de destruction de l'environnement, qui a été largement documenté. Ensuite, la «désertification» de régions a des effets désastreux non seulement sur les paysages (donc sur le tourisme), mais sur les sols... avec les catastrophes dites naturelles qui s'ensuivent.

Face à cette politique à la Couchepin – qui fait contre les paysans ce qu'il fait contre les salarié·s des services publics – la possibilité existe de construire un nouveau bloc social entre, d'un côté, des paysans qui s'opposent avec vigueur à la politique de partis qui furent, historiquement, les leurs et, de l'autre côté, des salarié·e·s attachés à la défense du service public (école, santé, poste, chemins de fer...), pour qui les «acquis sociaux» représentent, en réalité, un respect des usagers au même titre où l'activité laborieuse des paysans exprime un respect pour une production d'excellence et les besoins d'usagers-clients attentifs à la qualité de ce qu'ils consomment. Enfin, les paysans posent des questions essentielles. Quelle politique du crédit (ce qui, sur le fond, se recoupe avec les choix des banques dans le domaine hypothécaire, choix qui concourt à fixer les prix des loyers pour les locataires-salariés)? Que faire face à l'endettement? Quelle coopération établir entre paysans afin de poursuivre une activité productrice nécessaire en Suisse? Comment refuser la compétitivité productiviste, destructrice des êtres humains et de l'environnement et proposer une voie alternative répondant aux besoins des paysans et des comsomateurs-salariés? Comment combattre les effets des choix libéraux de l'UE et du Conseil fédéral, par exemple en revendiquant un statut d'agriculture de montage pour l'essentiel de l'agriculture de Suisse; ce qui ferait la démonstration qu'il est possible de contrecarrer les choix du Conseil fédéral et de Bruxelles?

• Sous des formes multiples, l'exigence de droits égaux pour les femmes se renforce. La mise en question du système patriarcal et de la division sexuée du travail – au travers de laquelle les femmes sont, de fait et subjectivement, «infériorisées» – s'est diffusée largement. Cela nourrit des revendications portant aussi bien sur une vraie «assurance maternité», sur des conditions plus égalitaires de formation, que sur l'égalité salariale ou la possibilité – entres autres en élargissant l'offre d'infrastructures pour l'accueil des enfants en âge préscolaire et scolaire – de pouvoir concilier travail domestique et travail salarié (qui reste une forme de double exploitation des femmes).

• Enfin, au travers des débats et des actions sur les OGM ou sur l'accès aux médicaments pour les populations des pays paupérisés – auxquels participent des organisations aussi diverses que Greenpeace ou Médecins sans frontières (MSF) – une couche significative de la population commence à interroger la légitimité de l'appropriation privée aussi bien des semences pour l'agriculture que des «futures découvertes» qui sont censées constituer un des éléments centraux des nouvelles thérapies (même si entre les affirmations des grandes sociétés – ayant pour but de tirer leurs actions en Bourse vers le haut – et les applications thérapeutiques effectives, le fossé reste grand). La question de la «propriété intellectuelle» et de la «propriété privée» est revenue au centre d'un débat de société; ce qui est inévitable en système capitaliste.

Ces exemples montrent que la société, même en Suisse, n'est pas «apaisée». Dans tous les secteurs sociaux, il y a encore énormément de femmes et d'hommes qui ne veulent pas accepter la domination que le capital impose aux rapports de travail ainsi qu'aux rapports sociaux et culturels; une domination et une vision exiguë qui influe fortement sur les développements de la science (qui devraient être un patrimoine collectif, public) et sur l'avenir de la planète.

Ce sont des femmes et des hommes de toutes générations qui veulent lutter contre «tout cela». Ils cherchent, sur les lieux de travail et dans leurs réalités sociales respectives, à se réunir, à discuter, à entreprendre des actions et des activités de résistance et de contestation du capitalisme réellement existant. De la sorte se dessinent des alternatives.

• Ce sont ces mouvements – certes, pour une partie d'entre eux encore au début de leur parcours – qui se reconnaissent dans la formule: «Un autre monde est possible». Non pas un «autre monde» qui serait une variante, à peine relookée, du monde actuel. En effet, plus ou moins consciemment, émergent des exigences qui partent du quotidien, d'une critique intellectuelle ainsi que pratique concrète et radicale (allant à la racine) de ce régime socio-économique, politique et culturel. Un régime qui est fondé sur une appropriation privée de plus en plus élargie de ressources productives et naturelles, qui sont dès lors soumises aux seuls critères du profit privatisé; qui sont ainsi placées sous le commandement, comme jamais dans l'histoire, d'une minorité de grandes firmes contrôlant stratégiquement des domaines entiers de l'activité humaine. La concentration et la centralisation du capital aboutissent à une emprise monopolistique (ou oligopolistique) privée sur la société, sans précédent historique. Ce mécanisme économique et institutionnel constitue la négation concrète de la démocratie. Ce que reconnaissent d'ailleurs les médias lorsqu'ils disent que «l'économie commande tout». Ils oublient simplement de dire que derrière le terme économie se camouflent des capitaux privés, ayant tous des noms et des prénoms.

• Un tel système cultive l'inégalité, ici et dans un monde où ceux et celles qui ont faim se comptent par centaines de millions. Ce système aboutit, par exemple: - à ce qu'une femme retraitée, dans le paradis helvétique, a de la peine à «finir le mois»; - à ce qu'une femme salariée touche moins de 3500 francs net par mois et doive avoir recours à l'assistance sociale: - à ce qu'un jeune ne trouve qu'un emploi précaire ou, encore, à ce que ses capacités ne soient pas reconnues, au moment où le système de formation obéit à des objectifs de sélections sociales fonctionnelles aux besoins du patronat; -  à ce que l'égalité de droits entre toutes celles et tous ceux qui travaillent en Suisse soit déniée; - à ce qu'un locataire craigne une gérance et/ou un propriétaire immobilier; - à ce que nombre de salarié·e·s n'osent pas dire ce qu'ils pensent sur le lieu de travail, de peur de perdre leur emploi...

Ces exemples, de dimension «réduite», démontrent l'inexistence d'un signe d'égalité entre capitalisme-marché, d'un côté, et, de l'autre côté, démocratie effective, sociale et économique, et, y compris, politique; si l'on accepte que le terme politique renvoie à l'existence d'un pouvoir effectif, exercé par la population.

Ce pouvoir de décision et de contrôle devrait concerner les grandes options de la société. Celles qui marqueront le futur. Ce sont elles qui sont décisives non seulement pour les générations actuelles, mais aussi pour les générations de demain. Un refus monte: le refus de recevoir un monde précuit par les «impératifs de la globalisation des marchés» et qui échappe à l'essentiel de l'humanité.

6. Un Mouvement pour le socialisme (MPS) s'affirme comme une exigence logique et physiologique

Aujourd'hui, s'affirme une double exigence. D'un côté, un nombre croissant de personnes commence à comprendre qu'il faudrait disposer de moyens (contrôlables démocratiquement) pour faire valoir sa dignité au travail et dans la société; pour pouvoir contrôler de «l'intérieur» la société qui se construit; et cela au moment où l'emprise par le Capital sur tous les aspects de la vie en société et ses diverses institutions concrètes et symboliques est plus forte que jamais. De l'autre côté, se profile le besoin (chez de plus en plus de personnes) de mieux saisir «ce qui se passe dans ce monde»: Qui dirige vraiment cette planète, cette économie dont on nous cesse de parler? Que se passe-t-il derrière le théâtre d'ombres chinoises qui est présenté, souvent, par les médias comme la réalité vraie? Quelles pourraient être les alternatives à ce système? Sont-elles possibles et praticables?

1° La résistance est un moment absolument nécessaire, mais insuffisant. Il faut faire ressurgir une pensée et une praxis collectives et critiques qui participent de l'élaboration et de la construction d'alternatives au régime capitaliste et qui, pour cela, s'appuient sur l'intelligence – pratique et intellectuelle – des salarié·e·s. C'est-à-dire ceux qui produisent, parfois sans le savoir, ce monde dont les contours sont dessinés par les intérêts d'une petite minorité.

Ce monde doit devenir celui de la majorité et non pas le domaine réservé d'une minorité qui n'a d'attention que pour ses intérêts. Même si cette élite développe des discours généraux afin de tenter de faire coïncider, dans l'esprit des salarié·e·s, ses intérêts étroits avec ceux de «La Suisse», qui pour elle n'est que la Suisse SA. C'est dans cette perspective qu'il faut comprendre les Livres blancs à la Schmidheiny. Actuellement, au côté de la fragile Expo.02, se profile la fringante Avenir Suisse, fondation financée et appuyée par la Swiss Re, le Groupement des banquiers privés genevois, Swissair (!), Nestlé (avec son patron Brabeck qui considère que Bush est un mou!), ABB, Zurich Financial Services (dont les résultats laissent à désirer!), Roche, McKinsey, Credit Suisse Group (dont le PDG, Lukas Mühlemann, a fait ses preuves chez Swissair et dans la sortie frauduleuse de capitaux de l'Argentine), UBS, Sulzer et Novartis. Une fondation qui est dirigée par des «personnages de gauche» recyclés, tels Thomas Held (Zurich) ou Xavier Comtesse (Genève), qui s'appuient sur des mercenaires académiques (parmi lesquels l'idéologue du Bureau politique du capitalisme suisse, le Professeur Dr Heinz Hauser de l'Université de Saint-Gall, pisse-copie docteur ès livres blancs et autres opuscules patronaux). Avenir Suisse espère faire passer, plus ou moins avec finesse, son message dans les médias, comme dans les milieux universitaires et professionnels. Pour cela cooptations, invitations, corruption plus ou moins ouverte seront utilisées. La respectabilité est une valeur qui est essentielle pour les nombreux et nombreuses carriéristes qui «remplissent» les rangs de l'a-gauche.

2° La résurgence – sous des formes encore floues – de l'exigence d'une pensée et d'une pratique socialistes et démocratiques est évidente dans ce début de millénaire. Certes, cela étonne de nombreux idiots béats qui pensaient que le capitalisme avait, une fois pour toutes, enterré l'idée d'une société égalitaire, démocratique, conviviale à l'échelle de régions comme de continents. Mais le capitalisme, par son propre fonctionnement et sa barbarie planétaire spécifique, a rappelé à l'ordre du jour le socialisme, qui reste certes un socialisme-à-devenir.

C'est à son actualisation que veut s'attacher le MPS, par ses actions, par sa presse, par des débats publics, par des séminaires, par l'activité de ses membres sur le lieu de travail (l'usine ou l'université ou le bureau), dans les îlots vivants du syndicalisme, dans les associations revendiquant des droits égaux pour toutes celles et tous ceux vivant et travaillant en Suisse...

Il est donc nécessaire de développer un projet politique national qui ait comme perspective la construction d'un mouvement ouvrier nouveau, correspondant à un élargissement du salariat, où travailleurs intellectuels et manuels collaborent étroitement à la production, une production qui pourrait être conçue différemment, afin de répondre aux besoins sociaux et individuels d'une population devenue maîtresse de sa destinée, donc d'une production socialisée. Le Mouvement pour le socialisme (MPS) se constitue avec cet objectif.

3° Le MPS veut donc remettre à l'ordre du jour la discussion et la pratique d'une orientation politique socialiste et démocratique. Avec ce terme socialisme, nous désignons une perspective qui n'a rien à voir avec les deux expériences «historiques» du mouvement ouvrier: a) ni avec l'expérience social-démocrate historique (avec laquelle, soit dit en passant, les épigones actuels ont bien peu à voir) qui s'est ensablée dans un cumul de petits renoncements ouvrant sur des accommodements qui en ont fait une partenaire de confiance du Capital (pour autant qu'il en ait besoin, en Suisse!); b) ni avec l'expérience stalinienne, représentée par les partis dits «communistes», qui cherchent à effacer les traces de leur histoire et qui désormais sont en voie de disparition complète ou de ralliement à la social-démocratie, tout en s'intégrant dans les micro-appareils d'Etat cantonaux ou municipaux (quand ils y arrivent, comme à Genève, dans le cadre de l'Alliance de gauche).

Ces deux variantes sont le résultat d'une phase historique – qui s'est étendue de la fin des années 1880 aux années 1980 – que nous considérons comme close, même si les héritages social-démocrate et stalinien, dans ce qu'ils ont de plus négatifs, peuvent toujours participer à la reproduction-renaissance de bâtards.

Le MPS se veut partie intégrante d'un internationalisme, d'un anticapitalisme et d'un anti-impérialisme  qui remettent à l'ordre du jour une alternative socialiste et démocratique au capitalisme réel – avec ses traits permanents et ses formes rénovées. Cela impose la reconnaissance de l'importance des chantiers à ouvrir au plan de la réflexion critique et réflexive.

Un tel travail d'élaboration doit, d'une part, puiser dans les expériences de luttes à l'échelle internationale (sans tomber dans le piège d'analogies trompeuses) et, d'autre part, s'effectuer en collaboration avec celles et ceux qui, dans le monde, se posent de façon raisonnée et créative – et non sous des formes précipitées et en surfant sur des slogans à la mode – les mêmes questions et interrogations que nous. En même temps, le MPS puisera dans le réservoir des penseurs critiques radicaux, au sein desquels un Marx, une Rosa Luxembourg, un Trotsky, un Antonio Gramsci, un Karl Korsch, un Ernst Bloch ont leur place, au côté de bien d'autres.

En même temps, la pratique et l'élaboration du MPS profiteront de son engagement, chaque fois sous la forme la plus adéquate, dans les initiatives du mouvement altermondialiste et en soutien aux luttes des salarié·e·s, en Europe et dans le monde. Ces luttes font souvent écho à ce que vit une partie des salarié·e·s en Suisse, particulièrement lorsqu'ils sont Kurdes, Turcs, ex-Yougoslaves, Burkinabés ou «réfugiés» du continent latino-américain (Chili, Equateur, Colombie, Argentine).

Le MPS vise à inscrire son action à la fois dans les luttes des salarié·e·s et des mouvements sociaux d'Europe (UE) et dans le soutien militant à des peuples et aux travailleurs qui sont agressés par les puissances impérialistes, dont la Suisse impérialiste est de même partie prenante économiquement et politiquement, et demain militairement. Les traits impérialistes du capitalisme helvétique acquièrent une clarté fulgurante, avec la participation des représentants de la classe dominante helvétique au FMI, à la BM, à l'ONU et tendanciellement à l'OTAN; ou encore par le biais d'opérations dites de «bons offices», au sein desquelles les intérêts économiques des «puissants» – suisses ou allemands, français ou américains... – ne sont jamais loin de la «table de négociations» recouverte d'un tapis vert par un diplomate helvétique et apparemment neutre.

C'est aussi sous cet angle que le MPS voit sa participation au mouvement altermondialiste ou à la lutte des sans-papiers, pour prendre deux exemples.

4° A quelques grandes interrogations, des premiers éléments de réponse sont fournis, depuis un certain temps. On les trouve, entre autres, dans la presse qui est en syntonie avec notre projet: le bimensuel solidarieta, le mensuel A l'encontre et les documents d'élaboration que l'on trouve sur son site: www.alencontre.org - rubrique Forum.

Mais il est évident qu'aucun Mouvement pour le socialisme ne peut échapper à l'ouverture, prolongée et exigeante, d'une discussion publique: a) sur le sens d'une économie socialisée, d'une économie qui n'envisage pas l'étatisation des principales ressources productives, mais leur socialisation; b) sur la relation réfléchie entre cette socialisation et la démocratie prise dans ses multiples dimensions (politique, juridique, sociale, culturelle); c) sur la relation entre émancipation du travail et réappropriation du travail (c'est-à-dire des conditions du travail, en termes de temps comme de pouvoir de décision, de créativité) par le travailleur collectif (par l'ensemble de celles et ceux qui collaborent pour penser, élaborer, projeter, produire, et cela à l'échelle internationale, car ce processus est, déjà, fortement internationalisé); d) sur la relation entre la socialisation, la réappropiation du travail et l'émancipation de la femme, une émancipation qui implique de conquérir l'égalité en visant, dans le même mouvement, d'aller au-delà de l'égalité pour re-fonder une relation d'échange enrichie entre les genres; e) sur la relation entre la socialisation et une gestion sur le long terme des ressources énergétiques, ce qui nécessite de remettre au centre d'une politique écologique et socialiste une réflexion sur des énergies autres que celles fossiles (comme le pétrole et le charbon) et sur la propriété privée liée aux modalités de production et aux types de produits mis sur le marché; f) sur la relation entre la socialisation, la désaliénation des producteurs et les rapports de la population humaine à la consommation de biens périssables (alimentations) ou de services (santé, école...) et aussi de biens durables (si inégalement répartis et dont certains sont d'une grande utilité); ici est posée la gestion à long terme des ressources planétaires, ce qui inclut aussi bien les transports privés – construction d'automobiles – que l'habitat, le type d'agriculture, l'utilisation de l'eau. Ce  «façonnage» du  mode de vie (avec le type de consommation qui lui est propre) ne peut être séparé de la manière dont les êtres humains se rapportent à leur travail et aux liaisons multiples qu'ils établissent entre eux (la richesse d'une sociabilité qui ne serait pas détruite par la concurrence de l'un contre l'autre, de tous contre tous); g) sur la relation entre la socialisation, les institutions démocratiques à l'échelle planétaire et les relations entre les pays développés et une périphérie pillée et exploitée depuis des siècles.

Ce programme peut paraître ambitieux. Mais il est dicté par la situation présente. Ces thèmes se retrouvent posés, pas par hasard, dans toutes les réunions internationales de syndicalistes, de femmes, d'ONG, au Forum social mondial (FSM) de Porto Alegre ou en Argentine aujourd'hui.

Il est impossible pour un Mouvement pour le socialisme de s'enfermer dans un canton ou dans la Suisse; il faut tenir les deux bouts de la chaîne géographique et politique, la Suisse et le monde, avec ce maillon intermédiaire, pour nous, qu'est l'Europe.

5° Le MPS considère qu'il est nécessaire de reconstituer un syndicalisme de classe en Suisse, c'est-à-dire un syndicalisme qui voit sa raison d'être dans le conflit fondamental entre Travail et Capital, entre salarié·e·s et patronat. C'est seulement en partant de cette réalité, qui constitue le fondement de la lutte des classes, qu'il sera possible de recréer un syndicalisme qui puisse être véritablement en syntonie avec la réalité, les préoccupations et les besoins des salariés; c'est seulement de cette façon qu'il sera possible de reconstruire un réseau d'activités et de solidarités syndicales sur les lieux de travail; c'est seulement par ce biais qu'il sera possible, enfin, de reconstruire un syndicalisme en mesure d'intégrer tous les aspects de la vie sociale des salariés, et qui redevienne ainsi un vrai mouvement social, fondé sur une unité des salarié·e·s, intégrant les différences de genres (hommes-femmes) et de nationalités (Suisse et immigrés).

Dans cette perspective, le MPS mettra l'accent sur toutes les initiatives qui suscitent la prise en main par les travailleuses et les travailleurs de leur destinée. Le syndicalisme doit servir à ce que les salarié·e·s puissent, en dernière instance, prendre la mesure de leurs capacités de décider, de leur intelligence et de leur dignité. En ce sens, le syndicat doit devenir une école, pour chacun et chacune, de reconquête d'une aptitude à «faire face» aux diverses formes de l'exploitation et oppression capitalistes. Ainsi, chaque syndicaliste attendra moins passivement «quelque chose» du syndicat. Il comptera plus sur sa propre force. De cette façon, les membres du syndicat pourront exiger beaucoup plus de leur syndicat, qui doit devenir vraiment le leur; comme les dirigeants doivent être les leurs et donc placés sous leur contrôle effectif.

6° Le MPS, dès son Congrès constituant de juin 2002, présentera sa plate-forme et une première ébauche d'un programme, dont l'élaboration sera une de ses tâches au cours des années à venir. Son avancement dépendra, en partie, de l'évolution des luttes et des rapports de force sociaux et politiques. Parmi les points centraux, outre ceux déjà mentionnés ici, le MPS indiquera la voie qu'il pense la plus apte à répondre à des besoins des salarié·e·s de ce pays dans des domaines tels que: - les retraites (fusions du 1er et du 2e pilier); - un système social d'assurance maladie et une profonde réforme du système de santé; - l'élaboration de points centraux d'un code du travail pour donner une légitimité à des droits essentiels dans l'entreprise; – une re-fondation de véritables services publics qui s'insèrent dans un projet européen; - un système de formation, à tous les échelons, rompant avec la politique de formation sélective et de privatisation rampante de l'enseignement; - une réforme fiscale radicale à élaborer dans le cadre européen; - une régularisation collective des sans-papiers et une politique d'intégration des immigrés à un collectif de salarié·e·s à construire et non pas une intégration aux «valeurs du consensus helvétique» qui liment toutes les conflictualités de classes...

Genève-Lausanne, Zurich, Bellinzone, 11 mars 2002

1. Voir Elisabeth Conne-Perréard, Marie-José Glardon, Jean Parrat, Massimo Usel, Effets de conditions de travail défavorables sur la santé des travailleurs et leurs conséquences économiques, 110 p., 2002, et Etude de E. Gubéran et M. Usel, Mortalité prématurée et invalidité selon la profession et la classe sociale à Genève, mars 2000.

 
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