Nestlé-Waters
 
 

Salariés polyvalents à tous prix

Alain Cwiklinski *

Dans les usines des Vosges, la direction propose aux employés de devenir manoeuvres pour parer au manque de bras. Récompense : des places pour des matchs de foot !

Cela s’appelle cyniquement le jeu «Zéro CDD». Depuis que Nestlé Waters Vosges a mis un terme aux 242 contrats à durée déterminée qui, à partir du printemps, renforçaient les lignes d’embouteillage ou de conditionnement de l’eau, les bouteilles s’accumulent en bout de chaîne. La direction de l’entreprise a saisi cette occasion pour mettre en pratique la fameuse « polycompétence », un joujou labellisé MEDEF que Nestlé n’a pas hésité à inclure dans son plan de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences et cessation anticipée de travailleurs salariés (GPEC-CATS). Quand les bras manquent pour évacuer les stocks, rien de tel que de faire appel à un comptable ou à une adjointe administrative pour rendre ce petit service à l’entreprise. Jean Prévot, délégué CGT, n’en croit toujours pas ses yeux : « Ce qui est, en fait, une économie de main-d’oeuvre a été présenté aux salariés sous la forme d’un jeu cyniquement intitulé "Zéro CDD". »

La règle du jeu, définie par Nestlé, consiste à accepter la fin des pauses réglementaires ou à diminuer son temps de repas pour donner un coup de main dans des secteurs où la surcharge de travail l’impose. Autrement dit, un employé de bureau est « invité » à quitter ses factures pour empoigner un Fenwick, avec ou sans le permis, et devenir cariste ! En guise de « remerciement », les salariés se voient gracieusement accorder des places pour des matchs de foot, de tennis ou de basket !

Dans la nuit de jeudi à vendredi, à Vittel, les salariés ont débrayé deux heures pour montrer leur mécontentement. « Sans mot d’ordre particulier, des ouvriers qui, jusque-là, avaient accepté avec une certaine complaisance les atteintes à leurs conditions de travail ont osé s’arrêter de travailler. C’est exceptionnel : il y a encore quelques mois, un cégétiste ne pouvait pas entrer dans ces unités », souligne Christophe Hummel, secrétaire CGT.

La mise en place du GPEC-CATS s’est traduite par la suppression de plus 600 emplois. La direction, qui entame des négociations sur le futur statut du salarié de Nestlé Waters Vosges, souhaite conclure avant la fin de novembre. « Aujourd’hui, la brutalité de la mise en place de la nouvelle organisation du travail nous oblige à faire des recours systématiques devant l’inspection du travail. Mais, visiblement, rien ne les arrête. Tous les mauvais coups sont permis et ils ont des soutiens... », insiste Jean Prévot. Le syndicaliste fait allusion à l’attitude de la CFDT, majoritaire dans l’entreprise, dont le silence assourdissant frôle la complaisance, et d’un syndicat de cadres considéré comme « aux ordres ». Le problème, c’est que les décisions « brutales » du type opération « Zéro CDD » se succèdent à un train d’enfer. Outre les heures supplémentaires à foison et la polycompétence mise en place la semaine dernière, la fin de la prime d’ancienneté remplacée par un conglomérat de critères prenant en considération la performance et la compétence individuelle pointe son nez.

Ce processus suscite déjà une vive hostilité : « Dans certains secteurs, les salariés craignent des diminutions de salaire. Les critères retenus pour éviter une dégressivité du montant de la prime imposent une régularité sur les lignes de production. Le moindre incident, l’accident du travail ou la maladie prolongée d’un ouvrier sanctionneront toute l’équipe. Je vous laisse imaginer l’ambiance sur le lieu de travail... La compétition individuelle entre salariés sera de mise, et pas question de se rebeller. La direction a créé un critère, une véritable épée de Damoclès au-dessus de la tête des salariés, qui inclut dans l’attribution de la prime la prise en compte d’une "compétence comportementale". Malheur à celui qui dit "non" », s’inquiète Christophe Hummel. Ce ras-le-bol social, les salariés de Vittel et de Contrex l’exprimeront dans les rues d’Épinal le 4 octobre prochain car, malgré un fort recrutement de DRH, RRH et spécialistes en communication, chez Nestlé Waters Vosges les relations humaines ne coulent plus de source.

* Article paru dans l'édition du 23 septembre 2005 de L'Humanité