Nestlé-St-Menet
 
 

De 2005 à 2006
Premiers succès mais chantage dans la hotte

Christophe Deroubaix

Le revirement 100 % éclats de mépris: voilà le dernier «produit» sorti des chaînes à penser de la direction du numéro 1 mondial de l’agroalimentaire. Distribué avec générosité lors de la dernière réunion du comité central d’entreprise, le 20 décembre, il a été peu goûté par les représentants des salariés. Trêve de métaphore chocolatière. La direction de Nestlé France a donc assuré, il y a quelques jours, que le projet de reprise par Net Cacao de l’usine de Saint-Menet (11e arrondissement de Marseille) «supposait au préalable la fermeture du site». Afin de mener rondement l’affaire, une ultime réunion concernant le plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) est convoquée le 5 janvier. «Net Cacao et Nestlé ont mis trois mois pour aboutir à un accord commercial et à nous, on nous laisse quinze jours pour négocier un plan social», lâchait un syndicaliste élu à l’issue du CCE. «Nous contestons également l’échéancier, souligne Patrick Candela, secrétaire du syndicat CGT du site. Nous proposons de finaliser d’abord le projet de reprise et de s’attaquer ensuite au PSE.» Les organisations syndicales ont demandé au préfet de les recevoir et elles ont envoyé un courrier au premier ministre, soulignant combien son autorité était malmenée par l’attitude de Nestlé. Cet épisode vient rappeler à ceux qui l’avaient oublié - mais ils ne sont guère nombreux parmi les salariés - que rien n’est jamais acquis avec la puissante multinationale.

Il en va ainsi depuis le 12 mai 2004, jour où la direction de Nestlé annonçait son intention de rayer de la carte industrielle le site de Saint-Menet, jugé «non compétitif», malgré un taux de rentabilité à deux chiffres. À cette date, le géant de l’agroalimentaire ne voulait pas entendre parler d’une reprise des activités (chocolat et café) par un autre industriel. Les salariés ont attendu seize mois une prise de position du gouvernement concernant ce veto. Quelques semaines après l’échec de la fermeture programmée au 30 juin 2005, Dominique de Villepin a finalement répondu aux multiples interpellations des organisations syndicales, du Groupement de défense de l’emploi à Saint-Menet et dans la vallée de l’Huveaune et de certaines collectivités (conseil régional, conseil général, communauté d’agglomération d’Aubagne). À la demande du premier ministre, le préfet de région organisa, le 5 septembre, une table ronde réunissant tous les protagonistes du dossier. «Si l’on ne peut s’opposer à la décision de Nestlé de quitter Marseille, il n’est pas en revanche acceptable que la société exclut une reprise du site par un industriel susceptible de poursuivre une activité dans le même secteur», écrivait Dominique de Villepin dans la «feuille de route» adressée au représentant de l’État. Ce jour-là, donc, Nestlé acceptait de céder pour un euro symbolique à un éventuel «repreneur crédible» ses «installations non stratégiques» (le bâti, le foncier ainsi que certains équipements) du site de Saint-Menet. Fragilisée, la multinationale n’a eu de cesse, depuis, de tenter de regagner, à la hussarde, le terrain perdu. Sous la pression de Nestlé, le cahier des charges élaboré par la chambre de commerce et d’industrie de Marseille minimisait la portée de la reprise de l’activité chocolat, tout en excluant le café du champ de la recherche. Mais, au grand dam de Nestlé, c’est un repreneur au projet ambitieux, Net Cacao, qui fut retenu. Là, encore, il fallut plusieurs semaines d’âpres négociations avant la conclusion, le 7 décembre, d’un accord commercial entre les deux parties. Portant sur un volume de 30 000 tonnes, le projet de Net Cacao permet ainsi le maintien de 180 emplois. C’est cette architecture que Nestlé menace aujourd’hui de remettre en cause si les organisations syndicales n’acceptent pas la fermeture préalable du site. «Ils nous mettent le couteau sous la gorge. Ni plus, ni moins», estime un responsable syndical. D’autant plus que Net Cacao souhaite reprendre la production dès février.

En fait, Nestlé n’a pas renoncé à appliquer son «plan B»: faire entrer le projet de reprise dans son plan de revitalisation du site, dédier vingt des vingt-sept hectares du site à une zone consacrée à des activités commerciales et tracer une croix sur la production de café. Les salariés envisagent de mener de nouvelles actions dans les prochains jours afin de dénoncer ce chantage. Le gouvernement va-t-il accepter que Nestlé impose sa volonté au mépris des engagements du premier ministre ?

* article paru dans L'Humanité du 26 décembre 2005.