Nestlé-St-Menet
 
 

182 emplois sauvés

Christophe Deroubaix *

Succès . La multinationale a finalement accepté de conclure un accord avec le repreneur de l’activité chocolat. Mais, la question de la production de café, la plus rentable, reste posée.

C’est désormais officiel: l’odeur de chocolat va continuer de planer sur Saint-Menet. Mardi soir, lors d’une énième table ronde organisée en préfecture, c’est le repreneur, le PDG de Net Cacao, qui a annoncé la bonne nouvelle: «Les conditions d’un accord commercial sont présentes.» Confirmation de Jean-Pierre Carli, directeur général de Nestlé France. La production de chocolat sur l’actuel site Nestlé de Saint-Menet (11e arrondissement de Marseille) devrait donc passer sous pavillon Net Cacao le 1er février 2006. À la clé: la sauvegarde de 182 emplois. «On est passé de zéro à 182, c’est relativement inespéré», s’est aussitôt félicité Christian Frémont, le préfet de région. «Au regard de ce qui nous était promis lors de l’annonce de la fermeture, cela constitue une avancée et une première victoire», apprécie Patrick Candela, secrétaire du syndicat CGT, majoritaire sur le site.

Totalement isolée depuis que le préfet avait jugé, lors de la dernière table ronde le 23 novembre, le projet de reprise «crédible», la multinationale a donc fini par céder, acceptant de conclure un contrat de sous-traitance sur la base de volume allant bien au-delà de ses intentions initiales (lire ci-dessous).

Après dix-neuf mois de mobilisation des salariés, le dossier n’est pas pour autant clos. Les modalités de la reprise ne sont pas encore précisées: cessation ou cession d’activités. «Tout s’oriente vers la cessation, qui ne nous semble pas la meilleure solution», souligne Patrick Candela. Les interrogations des salariés sur les rémunérations et les statuts demeurent même si les dirigeants de Net Cacao ont fait part de leur volonté de maintenir les conditions salariales et sociales. «Nous attendons maintenant un engagement écrit», explique Patrick Candela. Les conseils juridiques des parties concernées (Nestlé, Net Cacao, organisations syndicales) doivent se rencontrer aujourd’hui afin d’éclaircir ce point.

La reprise de l’activité café demeure elle aussi dans l’inconnu, ou plus exactement dans la perspective imposée par Nestlé. Malgré le tir de barrage persistant de la multinationale et le silence du gouvernement sur cette question, les syndicats n’ont pas renoncé à la poursuite de la production qu’ils jugent la plus rentable. «Nous n’en faisons pas un préalable. Mais comme nous avons fait la démonstration de la possibilité du maintien d’une activité industrielle sur le site, nous estimons que cela serait tout autant possible sur le café s’il n’y avait pas d’obstacles», estime Patrick Candela. Les syndicats craignent que le gouvernement et la mairie de Marseille ne décident de «couper la poire en deux», en transformant une partie du site en zone d’activités dédiée au commerce. Si ce scénario s’imposait, cent soixante-dix salariés resteraient sur le carreau tandis que les mesures de départen préretraite concerneraient soixante-dix autres salariés. Les syndicats demanderaient alors un «plan social exceptionnel» afin qu’aucun salarié ne soit obligé de pointer à l’ANPE.

* Publié dans L'Humanité du 12 décembre 2005

 

 

Chronologie d’une lutte

Dix-neuf mois de mobilisations aboutissent au maintien de l’activité du site marseillais.
Avril 2004. Annonce de la fermeture du site.
30 juin 2005. Fermeture définitive. Nestlé pensait «gérer» une usine employant 427 salariés comme une chaîne de production: en appuyant sur un bouton. Site déclaré «non compétitif» malgré un taux de rentabilité à deux chiffres, Saint-Menet devait donc être rayé de la carte industrielle aux premiers jours de cet été.
30 juin 2005, début de soirée. À l’appel des syndicats, un rassemblement a lieu aux portes de l’usine. Une immense banderole coiffe les imposants silos. On y lit: «Vivre et travailler à Marseille.» Sur les tee-shirts, s’écrit une variante: «Chez Nestlé, les salariés sont des produits avec une date limite de consommation.» Patrick Candela, secrétaire du syndicat CGT du site, annonce: «Demain, nous reprenons la production.»
1er juillet 2005, midi. Un doigt anonyme presse le bouton vert de la chaîne de production de chocolat. Les caméras suivent le mouvement de la transformation des fèves à la palettisation des tablettes. À J + 1, cette production pirate a un goût amer pour le numéro un mondial de l’agroalimentaire.

Ces quelques heures résument à elles seules la longue lutte des Nestlé pour le maintien d’une activité industrielle sur ce site ouvert dans les années cinquante. À ce jour, dix-neuf mois de mobilisations. Les salariés manifestent, interpellent, déclenchent une grève, occupent l’usine, relancent la production. Le groupement de défense de l’emploi à Nestlé-Saint-Menet et dans la vallée de l’Huveaune, rassemblement large de syndicats, associations, partis politiques et citoyens, popularise le conflit. Berbido chante Cacao pas KO. Le théâtre de l’Arcane monte la Tentation du bazooka sur la base des témoignages de salariés. Personne ne se hasarde à exiger le maintien sur place de Nestlé. Ils savent le combat perdu d’avance. Mais, estimant l’usine compétitive, ils demandent que la multinationale laisse le champ libre à un éventuel repreneur. Ce que refuse Nestlé. Enfin, après seize mois de «guérilla civique», le gouvernement demande au préfet de région de passer outre le veto du géant de l’agroalimentaire. Le 5 septembre, le processus de reprise est lancé. Première victoire obtenue mercredi: le maintien de l’activité chocolat et la sauvegarde de 182 emplois industriels. (C. D.)


Net Cacao: un projet ambitieux

Quand Nestlé a finalement accepté de lever son veto à toute poursuite de l’activité sur son site marseillais, le numéro un mondial de l’agroalimentaire ne se doutait certainement pas que, quelques semaines plus tard, un projet aussi ambitieux naîtrait du processus de reprise. Net Cacao (société créée pour l’occasion par des cadres de l’agroalimentaire en partenariat avec Sucres et Denrées) envisageait en effet de produire 30 000 tonnes de chocolat par an avec planification d’une montée en charge vers 100 000 tonnes et 310 emplois d’ici quelques années. Le tout sur un site estampillé non compétitif par la «pieuvre de Vevey». Finalement, il semble que l’accord se soit conclu autour de 25 000 tonnes. Cette importante production générera également de l’activité pour le port de Marseille, ce que n’a pas manqué de souligner le président de la chambre de commerce et d’industrie. Le pari (peu risqué, selon de nombreux observateurs économiques) du repreneur réside dans la fabrication de produits semi-finis. Le site de Saint-Menet deviendra le premier et seul centre de production «méridional» de cette matière «intermédiaire», captant ainsi la demande des entreprises du Grand Sud . (C. D.)